Maître Bertlam profita de l’occasion pour donner à tous les membres du petit groupe des bases de maniement des armes.
« Je ne prétends pas faire de vous des combattants hors pair, mais j’espère que vous parviendrez à tenir le coup face à des adversaires ordinaires ! »
Chacun d’entre eux se prêta de bonne grâce à l’exercice : Keali possédait une énergie un peu agressive, mais plutôt brouillonne. Même s’il ne partageait pas l’agilité de ses compagnons, Fontain montrait un instinct sûr et tirait fort bien son épingle du jeu. Estrella avait reçu quelques cours d’escrime quand elle se trouvait encore dans son exil campagnard et retrouvait déjà certains automatismes. Segara, naturellement adroite et favorisée par son allonge, promettait de progresser rapidement. Sans réelle surprise, Kina manifestait la maîtrise d’un vétéran.
Azura et Virdis, également sollicitées, déclinèrent : la manière de se battre de la Gardienne Bleue, avec de longs fils de lumière, n’était pas aisée à transposer dans le monde d’Erastria. Quant à la Gardienne Verte, tout ce qui s’apparentait à de la violence l’effarouchait. Pour connaître son mode de combat, Aurean ne s’en étonnait pas : Virdis employait surtout des techniques défensives, en créant de vastes boucliers capables de protéger non seulement elle-même, mais toute personne qu’elle souhaitait préserver des attaques de l’ennemi.
Quant à Yllias… À sa grande confusion, il se révéla parfaitement inepte. Il trébuchait sur ses pieds, ne parvenait pas à anticiper les coups ni à saisir la moindre occasion. Le mage Vert évoquait un animal acculé qui cherchait à fuir de tout côté. Aurean commençait à le prendre en pitié.
Maître Bertlam, gêné par la situation, finit par lui retirer l’épée des mains avant qu’il ne la jette par terre de frustration :
« Tout le monde n’apprend pas à la même allure. Je suis certain qu’avec un peu de persévérance, tu parviendras à un résultat correct…
— Je n’ai pas envie de persévérer », répliqua le mage Vert avec amertume, le visage écarlate.
Il lança un regard vers Eymeri, le défiant de se moquer de lui, mais son rival se contenta de lui adresser un sourire innocent :
« C’est gentil de me laisser la supériorité au moins dans un domaine… »
Yllias renonça à répondre et partit bouder, adossé à la paroi de la salle. Finalement, le compagnon posa les yeux sur Aurean :
« Et toi, tu ne veux pas essayer ? »
Le Gardien d’Or ne se laissa pas prier longtemps ; il se tourna vers les râteliers, à la recherche d’un objet précis. Il finit par le repérer, sous une fenêtre à quelques mètres d’eux : un bâton ferré. Il le soupesa et testa son équilibre, sous le regard curieux de maître Bertlam.
« Je suis plus à l’aise avec ça, expliqua-t-il en le faisant tournoyer avec expertise.
— Vraiment ? demanda le responsable de la sécurité avec un petit sourire. Et d’où te vient cette habitude ?
— À Lucid, mon arme de prédilection est un bâton de Lumière. Il est normal que j’en cherche une similaire à Erastria, se défendit-il, un peu nerveux, comme à chaque évocation de son passé.
— Oh, mais cela me convient très bien ! Tu n’as pas besoin d’être sur la défensive. Et puis, après tout, tu as un illustre prédécesseur dans l’histoire d’Erastria…
— Un prédécesseur ? »
Il laissa retomber son bras, un peu surpris.
« Le bâton aurait été l’arme de prédilection du prince Dorian, expliqua maître Bertlam. D’après la chronique, le prince était d’une constitution fragile, maladive même, qui ne lui avait pas permis de manier des armes d’aciers – on les faisait plutôt lourdes à son époque. Pour pouvoir combattre malgré tout, il s’est entraîné avec un simple bâton de bois, jusqu’à devenir un virtuose, grâce à son agilité et sa rapidité… et quoi qu’on en pense, le bâton peut être une arme redoutable quand il est bien manié ! »
Mais Aurean l’entendait à peine.
Le prince Dorian… Pourquoi cet humain mort des siècles plus tôt, avant même d’avoir atteint l’âge adulte, ne cessait-il de revenir sur son chemin ? Pourquoi n’avait-il trouvé aucune trace de lui dans la Mémoire de la Lumière, comme tout ce qui entourait le Grand Désastre ? Le prince rebelle avait-il pu être jadis… son attache ? Après tout, il était un garçon, et du sang des futures Hautes Lignées !
Il sentit sa gorge se serrer… Si Dorian avait si brusquement disparu, peut-être était-ce parce qu’il n’avait pas su le protéger, de la même façon que Bastian ! Une angoisse aussi terrible que familière, qu’il pensait calmée depuis que les d’Arral avaient été confondus, le saisit de nouveau.
« Aurean, est-ce que tu vas bien ? »
Il se tourna pour rencontrer les grands yeux bleus d’Estrella. Son attache le regardait avec une inquiétude manifeste… après tout, ses crises de culpabilité avaient bien failli lui coûter cher. Il ne pouvait pas reprocher à Estrella de se montrer protectrice envers lui.
« Ça va aller, répondit-il en s’efforçant d’adopter un ton rassurant. Après mon séjour à Lucid, j’ai juste un peu de difficulté à me réadapter à Erastria… mais ça va vite passer, je te le promets ! »
Il l’écarta doucement, en l’implorant en silence de ne pas insister. Elle parut comprendre, mais à son expression, elle ne laisserait pas tomber l’affaire de sitôt. Le garçon blond se redressa, en assurant sa prise sur le bâton.
« Tu le gardes, donc ? » demanda maître Bertlam d’un ton de défi.
Le compagnon saisit une arme similaire sur l’un des râteliers et se mit en garde. Le Gardien fit voler son bâton autour de lui, portant le premier coup avec une telle rapidité que son adversaire eut à peine le temps de parer. Maître Bertlam feinta et attaqua à son tour, mais Aurean avait vu venir sa manœuvre et la contra avec facilité. Le Gardien s’étonna que ce corps moins agile que sa forme de lumière lui obéisse avec tant de précision. Le combat qu’il avait mené dans la ruelle pour protéger Estrella du traquenard des Ombres lui avait semblé plus laborieux. Certes, il relevait alors de son emprisonnement de deux ans et il n’avait pas encore pu régénérer son énergie à la Lumière de Lucid. À présent, il récupérait son aisance passée.
Tant qu’Aurean demeurait sous sa forme humaine, Maître Bertlam se montrerait largement à sa hauteur, mais le compagnon était visiblement impressionné par sa performance, même dans ce corps d’adolescent qui ne disposait ni de la force ni de l’allonge adéquate.
Quand les deux combattants mirent fin à leur échange, sans victoire décisive d’aucun des deux, la salle était plongée dans le silence. Aurean se tourna vers l’assistance, un peu confus de trouver le regard de ses amis fixé sur lui, comme s’ils le voyaient pour la première fois. Le compagnon s’inclina lentement :
« Gardien d’Or, je ne sais où tu as appris le maniement du bâton, mais une chose est certaine : tu détiens un art complet, que je pensais depuis longtemps disparu, sauf à travers quelques fragments lacunaires de traités qui remontent à l’époque de Morregan. Je pense que l’on peut considérer qu’à une époque, tu as dû étudier en détail cet art dont les opposants au Roi Tyran possédaient la maîtrise… »
Aurean secoua doucement la tête ; il n’en avait pas le moindre souvenir, pas même dans la Mémoire de la Lumière.
« Cela remonte à loin », murmura-t-il, espérant que cette conversation se terminerait le plus rapidement possible.
Estrella s’avança, les mains sur les hanches :
« J’avoue que c’était impressionnant, mais nous sommes tous fatigués et nous avons faim ! »
Il réalisa qu’il n’avait aucune idée de l’heure qu’il pouvait bien être à Reylissane. Quand il rencontra le regard d’Estrella, elle lui adressa un léger clin d’œil. L’intervention de la jeune fille n’avait sans doute pour but que de l’arracher à une conversation épineuse.
« Deviendrais-tu la voix de la raison ? » lui lança-t-il avec amusement.
Le visage d’Estrella se renfrogna visiblement, mais à la lueur dans ses yeux bleus, elle se contentait de feindre la contrariété. Après l’attaque sur la terrasse de l’hôtel particulier qui avait failli leur coûter la vie à tous les deux, leurs relations s’étaient nettement améliorées. Certes, il leur arrivait encore de se taper mutuellement sur les nerfs, mais ils se comprenaient bien mieux et avaient même développé une certaine complicité. Leur nouvelle proximité leur permettait de supporter leurs fardeaux respectifs : pour lui, cette amnésie qu’il tentait à toutes fins de dissimuler. Pour Estrella, la culpabilité dévorante qu’elle ressentait depuis qu’Eymeri avait perdu ses pouvoirs.
« Nous pouvons tous aller chez moi, poursuivit-elle. J’ai déjà prévenu les cuisines que nous pourrions avoir des invités ! »
Kaeli leva les yeux au ciel :
« Tu ne manques pas d’air ! Et si nous refusons ?
— Tu aimes trop les choux fourrés aux fraises et à la crème fouettée que prépare Amaria ! »
La blonde piqua du nez, rougissant légèrement.
« Mmm, pas faux… » avoua-t-elle.
Estrella esquissa un petit sourire triomphant.
« Bien, allons-y, alors ! »
Elle se tourna vers maître Bertlam et les autres Gardiens présents :
« Si vous souhaitez vous joindre à nous, proposa-t-elle respectueusement, vous êtes bien entendu les bienvenus.
— C’est aimable à vous, Estrella, mais nous avons d’autres obligations, répondit le compagnon. Amusez-vous bien. »
Tandis que les jeunes gens se dirigeaient vers les vestiaires, la fille brune s’étira avec un large sourire :
« Nous allons enfin pouvoir nous changer ! J’ai hâte de quitter cette tenue ridicule !
— Je ne la trouve pas si mal, répliqua Kaeli avec un petit air supérieur.
— C’est normal, tu es bâtie comme un petit garçon !
— Qui ça, moi ? »
La voix offusquée de la mage de l’École Bleue résonna dans le couloir, tandis qu’Aurean bifurquait vers le vestiaire des garçons en compagnie de Fontain, Eymeri et Yllias.
Le mage Vert de la Vie portait une expression dépitée. Eymeri tentait de lui remonter le moral, mais son rival de toujours se contentait de répondre par des onomatopées ennuyées. Par le passé, la « discussion » aurait dégénéré en véritable querelle, mais depuis que le garçon roux avait perdu ses pouvoirs, Ylias le ménageait visiblement. Malgré tout, le Gardien d’Or se doutait que leurs chamailleries habituelles leur manquaient à tous les deux. Il espérait d’autant plus trouver une solution pour rendre ses capacités à son meilleur ami. Mais pour le moment, il n’avait aucune idée sur la façon de procéder.
« Aurean… ? »
En se retournant, il aperçut Virdis derrière lui, les yeux légèrement baissés. La gardienne verte se rapprocha avec timidité :
« Le garçon qui manie si bien l’épée… c’est bien lui que je dois examiner ?
— En effet. Tu penses pouvoir l’aider ?
— Je ferai tout mon possible ! Peux-tu aller le chercher ? »
Aurean acquiesça, surpris de voir la Lucidienne aux cheveux verts manifester autant d’attention envers un simple Erastrien – un mage de l’École Rouge de surcroît, même si ses capacités avaient été annihilées. Après tout, la connaissait-il tant que cela ? Ce qu’il savait de Virdis, il l’avait appris par la Mémoire de la Lumière, qui ne se révélait pas toujours aussi fiable qu’il l’aurait souhaité… et qui, surtout, ne pouvait lui retransmettre des sentiments profonds ni des intuitions.
« Je ne pensais pas que les arts du Combat pouvaient t’intéresser, toi, la Gardienne de la Vie… » remarqua-t-il d’un ton amusé.
Elle détourna les yeux :
« Je ne pense pas que ce garçon soit quelqu’un de violent ni de destructeur. Après tout, il est ton meilleur ami ! Et d’après ce que j’ai vu de lui, il doit surtout s’employer à protéger les autres… avec un immense courage. »
Aurean ne put s’empêcher de sourire en songeant à quel point elle avait bien cerné Eymeri.
« Je te remercie de tout cœur, Virdis. Nous avons besoin de toute l’aide possible ! Et la tienne est particulièrement bienvenue ! Suis-moi, nous allons le trouver ! »
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