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tome 1, Chapitre 20 « Illusions - Quatrième partie » tome 1, Chapitre 20

Penumbra...

Le royaume des Ombres...

Elle faillit demander si ces êtres étaient l'équivalent des Gardiens de Lucid, mais elle aurait alors révélé qu'elle en savait plus long qu'elle ne l'aurait dû.

« Les habitants de Penumbra... ils... ils peuvent venir sur notre monde ? balbutia-t-elle.

— S'ils sont invoqués, oui, répondit gravement Arral.

— Quelqu'un les a appelés, alors ? »

Il fronça les sourcils :

« Très probablement. Mais en attendant, ne restons pas ici ! Venez, nous nous préoccuperons de cela plus tard. C'est à la Haute Chambre de la Magie de traiter le problème... »

La Haute Chambre de Magie...

Elle écarquilla soudain les yeux : si ce cas était porté devant la vénérable institution, ne risquait-elle pas de découvrir la vérité... pour Aurean ?

Aurean...

Estrella... Tu es loin de lui... Trop loin... Le lien pourrait se rompre...

Comment avait-elle pu délibérément le fuir ? Comme s'il était une menace pour elle ? Elle ne parvenait pas à comprendre ce qui l'avait poussée à agir ainsi. Une sourde terreur lui tordit le ventre, quand elle réalisa qu'elle avait totalement oublié qu'elle ne devait pas mettre de distance entre eux deux. Elle remonta légèrement le bracelet d'argent et jeta un coup d’œil sur le cercle lumineux autour de son bras : il palpitait dangereusement, comme la flamme d'une chandelle dans un courant d'air. Soudain, un fil de lumière en surgit, aussi fin que celui d’une araignée et tout aussi fragile, pour disparaître aussitôt.

Aurean. Qu'avait-elle fait ?

Elle se retourna, constatant que le mur d'air brouillé s'était refermé dans son dos, bloquant l'avancée des créatures qu'elle apercevait vaguement de l'autre côté de la paroi éthérée.

« Je... je ne peux pas vous suivre, murmura-t-elle, resserrant sa main autour de son poignet. Je dois retourner à l'Académie...

— A l'Académie ? »

Le ton d'Arral était incrédule, contrarié, comme si sa nature se révélait enfin : celle d'un homme qui n’appréciait pas qu'on le contredise. Prise de crainte, la jeune fille recula légèrement vers la voiture.

Soudain, elle aperçut des lambeaux de fumée noire qui serpentaient au niveau du sol, d'abord ténus, presque invisibles, puis plus épais et plus sombres. Ils se glissèrent entre Arral et elle, pour lentement se rassembler en une forme humanoïde ; une forme dotée d'étranges ailes déchiquetées.

Elle étouffa un cri en serrant les poings, si fort qu'elle sentit ses ongles pénétrer dans ses paumes. Que pouvait-elle faire contre cette créature ?

La chose leva un bras : de sa main indistincte, surgirent des tentacules, filant vers elle en se tortillant comme des serpents de pénombre. Estrella se recroquevilla sur elle-même, terrorisée : cet être voulait sa Lumière... Cette Lumière à peine retrouvée...

Cette pensée ranima d'un coup toute sa volonté. Elle se redressa : elle était une mage des Sept Couleurs ! Et les couleurs étaient de la Lumière, la seule chose qui pouvait venir à bout de l'Ombre.

Elle leva la tête : au-dessus d'elle, à travers le mur translucide, parvenait la lueur du jour. Faible, ténue, mais bien présente. Elle devait l'attirer pour la transmuter. Elle avait peu de temps devant elle ; elle s'efforça de se souvenir des conseils de maître Alleman et d'Aurean.

Le temps semblait s'être arrêté : elle visualisa la lumière du soleil, ses particules infimes qui flottaient jusqu'à elle. Elle invoqua sa propre Lumière, la mêlant au flux céleste, s'en servant pour la capturer comme dans un filet et la ramener vers elle, jusqu'à ce qu'elle se concentre en une boule étincelante entre ses mains. Elle la projeta vers la créature, juste au moment où les tentacules allaient l'atteindre. La chose explosa en une myriade de fumerolles qui s’évanouirent lentement.

Elle rencontra le regard surpris d'Arral, qui ne semblait pas avoir réalisé qu'elle était également une Mage et capable d'employer ses propres dons. Elle leva le bras, voyant avec soulagement que le fil avait réapparu. Il était encore ténu, mais plus stable. Soulagée, elle tourna les talons et suivit la direction que le Lien lui indiquait.

« Attendez ! »

Elle lutta contre l'envie de se retourner : même si Arral avait les meilleures intentions du monde, c'était probablement sa fille qui lui avait valu de se retrouver dans cette situation. Ou du moins l'une de ses deux filles. De plus, pourquoi était-il passée par cette ruelle, qui constituait un piège parfait ?

Elle s'arrêta net en voyant, encore une fois, des lambeaux d’obscurité tourbillonner lentement devant elle. De nouvelles formes commencèrent à se reformer ; non plus une, mais trois silhouettes brumeuses. Elle sentit une sueur froide couler dans son dos : elle avait réussi à vaincre une des créature, mais arriverait-elle à en affronter autant ?

Déjà, les mains de pénombre tendaient vers elle leurs longs filaments avides...

ƸӜƷ

La voiture des Outremont déboula dans la ruelle à toute allure ; voyant le carrosse de la famille d'Arral en travers du chemin, le cocher tira violemment sur les rênes. Les chevaux se cabrèrent en hennissant, puis s’immobilisèrent, tremblant de fatigue et de nervosité.

Le cocher essuya la sueur qui coulait sur son front ; son regard se porta sur le tunnel translucide d’air brouillé et luminescent, qui englobait une partie de la rue.

« Qu'est-ce que c'est que ça ? » fit-il d'une voix rauque.

Aurean sauta au bas de la voiture, tombant accroupi sur les pavés disjoints. Il prit une longue inspiration avant de se lever, flageolant un peu sur ses jambes, et de s'approcher du carrosse violet : les chevaux semblaient avoir pris la fuite, tout comme le conducteur du véhicule. Il scruta les alentours ; son regard plongea vers les ombres de la ruelle.

« Faites demi-tour et attendez-nous à l'entrée de la rue », lança-t-il par-dessus son épaule.

Sans attendre de voir si son ordre avait été suivi, il s'avança vers la distorsion de réalité : il approcha la main de l'air brouillé, mais le mur se déforma autour de ses doigts, sans qu'il puisse le toucher ou le transpercer. Il baissa les yeux vers le cercle lumineux autour de son poignet : le fil de lumière disparaissait au sein du tunnel, confirmant la présence d'Estrella.

« Il faut que je trouve une solution... » murmura-t-il.

En se retournant pour regarder disparaître la voiture des Outremont, il se trouve face à face avec une créature d'Ombre, dont les ailes en charpie s’agitaient lentement.

ƸӜƷ

« Mademoiselle d'Outremont, écartez-vous, vite ! »

Déstabilisée par l'irruption des trois créatures, Estrella suivit instinctivement l'ordre d'Arral et recula de quelques pas. Plusieurs silhouettes apparurent, disposées en rang entre eux et leurs adversaires, légèrement tremblantes et translucides mais clairement reconnaissables : il s'agissait de copies d'elle-même. Des illusions nées de la Magie des Rêves...

« Il est inutile de maintenir ce mur puisqu'il peuvent le traverser », ajouta le Mage de l’École violette.

Le tunnel protecteur disparut, ne laissant autour d'eux que la ruelle décatie et la rangée de fausses jeunes filles aux longs cheveux noirs qui se tenaient, figées, devant leurs attaquants. Les créatures s'étaient laissées prendre par ce mirage, mais dès que les tentacules plongèrent dans le cœur des illusion, les Ombres comprirent qu'on les avait bernées. Les images créées par Arral se dissipèrent dans un bref scintillement.

Elle sentit le mage la prendre par le bras pour la tirer vers le carrosse ; ne retrouvant ni chevaux, ni cocher, il laisse échapper une invective à mi-voix.

« Il nous faut partir d'ici, vite... »

Elle s’apprêtait à obtempérer, quand elle aperçut sur sa gauche une silhouette familière aux cheveux blonds et en uniforme jaune.

« Aurean ? »

Face à l'une des monstruosités sorties de l'obscurité, le garçon était tombé à genoux, le visage d'une pâleur mortelle, les yeux baissés... Elle le voyait déjà succomber à l'assaut de l'Ombre, quant apparut entre ses mains un long rayon lumineux, qu'il tenait comme un bâton de combat. Il se releva d'un mouvement fluide ; l'arme immatérielle trancha les tentacules, les dissipant comme si elles n’avaient jamais existé. Puis le bâton fila de nouveau, vers la taille de la créature, déchirant les lambeaux de pénombre. Deux autres coups, en travers du torse et au niveau du cou, achevèrent l'adversaire. Mis en pièce, ce dernier se dissipa, laissant le jeune homme indemne mais légèrement haletant.

« Mademoiselle, nous devons partir... » fit la voix insistante de d'Arral.

Les trois créatures survivantes avaient reporté leur intérêt sur le Gardien de Lucid, leur ennemi naturel. Aurean s’était redressé avec détermination, prêt à en découdre face à ces nouveaux ennemis.

Estrella posa sur la mince silhouette un regard captivé : elle étincelait d'une lumière propre, mais cette aura faiblissait par intermittence. Le Gardien serrait les dents, comme s'il s'efforçait de surmonter une intense douleur. Les créatures semblaient tout autant souffrir de la proximité du Lucidien : les lambeaux d'Ombre qui les constituaient peinaient à conserver leur cohésion. Ils ne reculaient pas pour autant : leurs doigts tentacules se tendaient inlassablement vers Aurean.

Tremblant légèrement sous l'effort qu'il imposait à son corps affaibli, le garçon pivota sur lui-même, maniant habilement son arme de lumière qui coupa net les filaments les plus proches. Mais soumis au harcèlement de trois créatures, il se voyait contraint de conserver une posture défensive : dès que l'une d'elles reculait pour régénérer ses appendices, une autre prenait sa place. A ce rythme, le Gardien perdait rapidement ses forces.

Estrella leva les yeux vers le morceau de ciel visible, se demandant si elle pouvait se servir une nouvelle fois de la lumière pour aider Aurean, mais elle craignait de ne pouvoir l’invoquer assez vite.

Elle se rappela alors la façon dont le Gardien avait fusionné sa magie avec la sienne, lors du cours de maître Alleman : si elle pouvait renforcer le lien, Aurean regagnerait sans doute la force qui lui faisait défaut. Elle se focalisa sur le bracelet immatériel, appelant la Lumière du plus profond d'elle-même. La ligne d'or réapparut, plus vive cette fois. Elle sentit le picotement familier naître autour de son bras puis se communiquer à tout son corps. Elle eut à peine le temps de saisir le regard surpris d'Aurean : la Lumière explosa en elle, sans qu'elle puisse, une fois encore, déterminer ce qui était issu du Gardien et ce qui venait d'elle même.

Cette distraction avait été suffisante pour que l'une des Ombres parvienne à toucher Aurean : juste le frôlement d'un tentacule sur le haut de son bras gauche, mais Estrella ressentit en écho une douleur semblable à celle d'un fer rouge, qui fusa dans son épaule comme si c'était elle qui avait été blessée. Elle ravala le cri qui montait du fond de sa gorge, se concentrant pour surmonter la souffrance ; heureusement, elle s’effaçait déjà. Elle reporta son attention sur le visage pâle d'Aurean, mais déjà son arme, plus longue et flamboyante depuis la fusion de leurs deux Lumières, avait mis en pièce la créature qui l'avait atteint.

Le bâton lumineux tournoyait à présent à toute allure, si rapidement qu'il devenait flou au regard d'Estrella, en une danse de mort face contre laquelle les créatures ne pouvaient rien faire. Les deux dernières quittèrent le sol pour monter dans les airs, afin de bénéficier de l'avantage de la hauteur. La jeune fille poussa un cri en les voyant s'élever comme de monstrueuses phalènes aux ailes déchiquetées.

Cependant, l'initiative des Ombres se révéla peu payante. En s'éloignant d'Aurean, elles lui avaient offert l’ouverture nécessaire pour changer de stratégie. Le bâton disparut, remplacé par une boule de lumière qui jaillit des mains du Gardien pour pulvériser l'un des attaquants. Les restes ténébreux se dissipèrent aussitôt.

Il ne restait plus qu'un ennemi, mais Aurean faiblissait dangereusement. Estrella elle-même sentait la fatigue alourdir son corps. Elle savait au fond d'elle-même qu'en maintenant la puissance du lien et en partageant sa Lumière avec le Gardien, elle lui apportait une aide inestimable, mais cela la privait aussi de toute possibilité d'agir. Si elle relâchait sa concentration pour utiliser ses pouvoirs de façon plus offensive, elle risquait d'en priver Aurean au moment où il en avait plus plus besoin.

Estrella tremblait d'appréhension ; son ventre se tordait douloureusement. Le gardien ne tentait même plus d'attaquer : il avait façonné sa Lumière en un large bouclier qui le protégeait de la créature suspendue au-dessus de lui. Il ne tiendrait pas indéfiniment... Elle se tourna légèrement vers Arral, qui observait pensivement le combat du garçon, immobile à quelques mètres d'elle. Il secoua imperceptiblement la tête :

« Je ne peux rien faire contre ces créatures... Elles pénètrent mes illusions et mes murs d’irréalité. »

Fronçant les sourcils, il ajouta :

« Je ne parviens même pas à atteindre leur psyché... Ces êtres ne sont décidément pas de ce monde. »

Estrella sentit les larmes lui monter aux yeux : Aurean avait mit un genou à terre, réfugié sous le couvert de son bouclier, mais même celui-ci semblait défaillir chaque fois que la créature le touchait. Les longs appendices noirs de l'Ombre cherchaient inlassablement une faille où se glisser...

La jeune fille n'y tint plus : elle ne pouvait rester passive. Elle rassembla toute l'énergie qu'elle avait employé pour maintenir le lien et la réunit au creux de ses mains, comme un soleil d'un jaune étincelant, doux et chaud à ses doigts, mais dont la brûlure serait pour la chose aussi cruelle que celle de l’Ombre sur la peau d'Aurean. Sans trop savoir pourquoi, elle se refusa à la lancer comme un projectile.

Elle ignorait comment lui était venu cette inspiration, mais une toute autre solution s'était imposée dans son esprit. Elle laissa la lumière l’envelopper, remontant le long de ses bras, de son cou et ses épaules, tombant le long de ses jambes, embrassant son dos... Elle se sentit soudain invincible ; elle s'élança en direction des combattants, elle s'interposa juste au moment ou le bouclier du Gardien s'évanouissait, le laissant prostré sur le pavé de la rue, à la merci de l'Ombre.

La créature, devant l'ouverture tant attendue, fondit sur sa proie. Estrella sentit le corps éthéré heurter le sien ; sa consistance était étrange, presque liquide, mais l'impression demeura fugace : à peine l'être effleura son corps nimbé de lumière, qu'il se dissipa en filaments épars. Avec un sentiment proche de la nausée, Estrella sentit sa souffrance, sa douleur atroce... juste une fraction de seconde, mais ce fut suffisant pour la faire tomber assise sur le sol, les yeux clos.

Elle sentit un corps contre le sien, des bras minces l'entourer. Presque inconsciemment, elle rendit cette étreinte.

« Estrella... Nous les avons vaincues... Nous avons vaincu les Ombres... »


Texte publié par Beatrix, 14 mars 2014 à 14h21
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