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tome 1, Chapitre 39 « Mensonges et vérités – Troisième partie » tome 1, Chapitre 39

Estrella gardait le regard braqué sur son amie, tremblante d’expectative, respirant à peine… Une éternité s’était écoulée ; elle était incapable de dire depuis combien de temps elle fixait ainsi Segara, attendant que les beaux yeux de la jeune femme s’ouvrent… Quand enfin, la compagnonne sembla s’éveiller dans un sursaut, Estrella s’avança vers elle, tremblante d’expectative :

« Alors… ? »

La mage de l’école Indigo secoua la tête avec amertume :

« Je suis désolée, Estrella… Je n’ai rien pu voir… C’est comme s’il y avait… un sort de confusion qui m’empêche de contempler le passé. Ou du moins, de voir autre chose que ce que tout le monde est censé voir. Si je peux m’en rendre compte, c’est uniquement parce que les protections sont anciennes et qu’elles commencent à s’éroder… »

La jeune fille poussa un soupir de regret ; ses épaules s’affaissèrent. Elle s’aperçut qu’elle avait serré les poings si forts que ses ongles avaient pénétré dans ses paumes. S’obligea à se détendre, elle prit une longue inspiration, avant de demander :

« Il y a un moyen de percer ces défenses, tu crois ? »

Segara repoussa en arrière ses longues mèches sombres, en répondant d’une voix douce :

« Je n’en suis pas capable, Estrella. Ma Couleur n’en est pas capable. Par contre… »

Elle se tourna vers Kaeli, qui se tenait un peu à l’écart, les bras serrés autour de son corps, pas très rassurée de se trouver de nuit dans un cimetière :

« Je pense qu’il est possible à une mage de la Couleur bleue de dissiper ces protections. Ou du moins de les affaiblir suffisamment pour que je puisse avoir accès aux images du passé… du moins à celles qui ont laissé une trace dans le tissu du temps. »

Estrella reprit espoir. Elle se tourna vers la blonde, qui portait une expression dubitative :

« Kaeli… Je pense qu’à nous deux, cela devrait être possible !

— À nous deux ? glapit Kaeli. Mais qu’est-ce que c’est que ces histoires ? Tu es une mage de l’École Jaune, Estrella. L’école de Transfiguration. Je sais que c’est un talent très adaptable, mais pas au point de…

— Non, Kaeli, intervint Segara. Estrella est tout à fait à même de t’aider. Pour la bonne raison qu’elle peut manipuler aussi la Couleur bleue. Est-ce que je me trompe ? »

Le regard que Segara posait sur elle semblait plus complice qu’interrogateur : avait-elle compris la vraie nature de ses dons ? Si c’était le cas, Estrella lui fut reconnaissante de protéger autant que possible son secret…

« Vraiment ? »

Les grands yeux bleu clair de Kaeli la fixèrent avec stupeur :

« Mais tout le monde dit que tu ne peux employer qu’une seule Couleur… »

Estrella haussa les épaules et esquissa un sourire un peu forcé :

« Eh biens disons que ce n’est pas si simple. Vous avez des Couleurs secondaires, vous aussi, n’est-ce pas ? Et je ne les connais même pas !

— Ce n’est pas faux, admit la blonde pensivement. Ma couleur secondaire est le Vert et j’ai un soupçon de Violet aussi… Mais tu ne pouvais pas le savoir. »

Elle décroisa les bras en soupira, regardant tour à tour ses deux amies :

« C’est bon, j’accepte de vous aider. Mais cela veut dire que nous serons toutes les trois plongées dans une telle concentration que nous serons un peu… vulnérables… »

Elle lança un coup d’œil en direction des garçons, comme pour les enjoindre de devenir leurs chevaliers servants. Eymeri fronça les sourcils :

« En bref, tu veux que nous vous servions de garde du corps pendant que vous vous plongez dans cette recherche d’images du passé ?

— C’est évident, non ? répliqua Kaeli d’un petit air supérieur.

— Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre, maugréa Yllias. Bien sûr que nous allons veiller sur vous, vous n’avez même pas besoin de demander. Mais ne traînez pas…

— Avec un peu de chance, nous pourrons rentrer chez nous pas trop tard pour profiter d’une vraie nuit de sommeil » ajouta Fontain.

Estrella hocha ma tête, un peu rassurée : s’ils s’y mettaient tous, ils avaient toutes les chances de réussir. Elle se sentait particulièrement émue par le dévouement de ses amis à son égard.

« Je vous remercie », déclara-t-elle d’une voix un peu tremblante.

Elle se tourna vers les deux autres filles et tendit les mains : Kaeli et Segara se joignirent à elle comme dans une petite ronde. Les trois jeunes mages fermèrent les yeux, laissant leur Lumière monter en elles et se confondre doucement…

ƸӜƷ

Au départ, Estrella eut l’impression qu’elle n’avait pas bougé du lieu où elle se trouvait… Tout paraissait si… normal… Mais quand elle reporta son attention vers ses amies, elles lui apparurent comme des formes translucides et vaguement brillantes, comme si elles n’étaient que des fantômes dans ce monde ; Segara lâcha leurs mains et leur fit signe de la suivre. Une voie éthérée s’ouvrit devant elles : tout au long, le même paysage semblait se répéter, avec de subtils changements comme la route voyageait à travers le temps…

Mais dès qu’elles tentèrent de s’y engager, les images du passé commencèrent à se déformer dans tous les sens, comme de mauvaises copies qui se délitaient devant leurs yeux. Le chemin lui-même ondoyait, tantôt presque invisible, tantôt net et tangible, comme une illusion qui essayait laborieusement de les piéger. Kaeli s’arrêta subitement ; elle se mit à rayonner d’un éclat azur de plus en plus intense, accélérant la déliquescence de la route. Estrella plongea au cœur d’elle-même comme elle avait appris à le faire pour en tirer sa couleur Bleue, comme elle avait déjà eu l’occasion de le faire…

Leur puissance cumulée acheva de dissiper le chemin illusoire, qui s’évanouit dans un dernier tourbillon d’images torturées… et derrière ce décor qui s’effondrait, le monde n’était plus composé que de vagues silhouettes vidées de toute substance : comme si chaque être, chaque objet, chaque bâtiment disparaissaient sous une épaisse couche de brume qui l’émoussait sous ses lents remous. Des fragments de ce brouillard bleuté se détachaient est flottaient dans un air blanchâtre.

Un univers sous une chape de néant… Sans passé ni futur…

Estrella sentit la peur la saisir : étaient-elles perdues, sans espoir de retour ? Piégées dans ce sort de confusion ? La Couleur de Kaeli devenait erratique, tout comme l’Indigo de Segara. La jeune fille n’avait aucune idée de la façon dont elle pouvait les aider… En désespoir de cause, elle fit appel à toute sa Lumière. La plus pure, la plus absolue qu’elle pouvait trouver au fond d’elle-même… Mais elle n’était pas assez forte pour venir à bout de cet enchantement délité qui les piégeait dans ses rets maladifs. Elle perçut ses amies qui se joignaient à elle, leurs propres Couleurs, principales et secondaires, miroitant comme un kaléidoscope : bleu, vert et violet pour Kaeli, indigo et rouge pour Segara… Elle n’eut pas le loisir de s’étonner de cette singulière combinaison.

Comme nettoyé par l’assaut de leur Lumière, les derniers fragments du sort de confusion se désagrégèrent, dévoilant le véritable chemin vers le passé… Sans plus attendre, la forme Indigo de Segara s’y engagea, les entraînant à sa suite.

La main dans la main, les trois jeunes mages s’avancèrent sur la route : elles semblaient marcher sur place, tandis qu’autour d’elles le paysage changeait radicalement. Nuits et jours se succédaient à toute allure dans un scintillement permanent, l’herbe devenait rase, les arbres plus frêles et les buissons soigneusement taillés. Lichens et mousses disparurent des pierres tombales rendues à leur blancheur première ; les saisons défilaient, les unes après les autres, dans des teintes d’émeraude, d’or, d’argent…

Soudain, Segara étendit les bras, bloquant la progression de ses amies. Le temps ralentit subitement, livrant à leur regard une scène bizarrement figée… une femme d’âge moyen se tenait dans le cimetière, portant un tout jeune enfant. Son visage était sévère et fermé, ses yeux gris et durs comme des billes d’acier. Devant elle, deux hommes descendaient par des courroies un cercueil couleur d’ivoire dans une fosse béante. L’inconnue était revêtue de blanc, pour honorer la fusion dans la lumière de l’âme d’un Mage disparu. Ce caveau était-il celui d’Allayn ou de la mystérieuse Sygne ? Si le couple était décédé à la même date, pourquoi n’y en avait-il qu’un ?

Avant qu’elle puisse y réfléchir sérieusement, la ligne du temps reprit de la vitesse et fila de nouveau, pour ralentir encore une fois ; une nouvelle scène se précisa devant leurs yeux. Une jeune fille aux longs cheveux noirs et aux prunelles grises, qui présentait une étonnante ressemblance avec Francis d’Outrement, se dressait en face de la pierre tombale. Entre ses mains, elle tenait une simple rose blanche ; son visage était voilé par la peine, tandis qu’elle contemplait la stèle plus modeste qui avait précédé le monument définitif : celle qui se trouvait à présent dans la cave.

Était-ce la première Alicia ? Elle semblait avoir une vingtaine d’années et à cet âge-là, Alicia d’Outremont était censée être morte depuis plusieurs années. Estrella la fixa d’un regard troublé : que s’était-il passé ? C’était donc Alicia qui avait survécu, pas Allayn ? Et dans ce cas, qui était Sygne ? Avait-elle seulement existé ?

Ce qui voulait dire que la mère de l’enfant… était Alicia, pas Sygne ?

À peine avait-elle formulé ces suppositions hâtives qu’Estrella fut brusquement tirée en arrière, comme si le temps, trop déformé dans un sens qui ne lui était pas naturel, revenait vers son cours normal. Elle se sentit emportée avec violence, comme par un tourbillon d’une puissance inouïe. Avant même de réaliser ce qui lui arrivait, elle était projetée dans le lieu et l’époque d’où elle était issue.

Ses paupières se rouvrirent d’elles-mêmes ; elle resta un moment immobile, tremblante et haletante, épuisée et vaguement nauséeuse. Kaeli et Segara ne semblaient pas en meilleur état. Les garçons se précipitaient déjà vers elles, visiblement inquiets.

« Est-ce que tout va bien ?

— Vous avez vu quelque chose ?

— Vous avez vraiment visité le passé ? »

Estrella secoua la tête, pour tenter d’éclaircir ses pensées troublées. Les voix des garçons se confondaient dans son esprit, leurs paroles se mélangeaient au point qu’elle ne pouvait discerner qui disait quoi. Elle était incapable de donner un sens à leurs questions…

Prenant une longue inspiration, elle lâcha les mains de Kaeli et de Segara. Peut-être que, plus tard, elle pourrait comprendre ce qu’elle avait vu… Mais dans l’immédiat, elle ne s’en sentait pas la force : l’expérience avait été trop intense, trop singulière. Elles étaient étrangement décalées soudain, dans ce monde réel presque immobile où le temps s’écoulait normalement, en filant inexorablement vers l’avant.

« Vous voulez qu’on retourne à l’intérieur ? » proposa Yllias avec sollicitude.

Elle hocha la tête, lançant un regard à la dérobée vers ses deux amies. Kaeli était très pâle, ses grands yeux bleu clair écarquillés et hagards… Segera, quant à elle, portait une expression sombre et fermée. Quand elles acquiescèrent avec un temps de retard, Estrella se retourna vers le mage aux eux verts :

« Je crois que cela vaut mieux, Yllias. »

Sans précipitation, encore secoués par leur expérience, ils quittèrent le cimetière pour regagner la demeure abandonnée.

« Je… je ne veux pas que mes parents réalisent que je suis sortie, bredouilla soudain Kaeli. Cela fait déjà longtemps, je suis censée être dans ma chambre et s’ils frappent à la porte… »

En d’autres circonstances, les garçons se seraient peut-être gentiment moqués d’elle en la traitant de poule mouillée, mais personne n’avait envie de le faire. Même si aux yeux de leurs trois amis, il ne s’était pas passé grand-chose, l’ambiance pesante du lieu devait tout autant les affecter.

« Tu as trouvé une explication, Estrella ? demanda gentiment Eymeri.

— Des questions supplémentaires, en fait », murmura-t-elle d’un ton grave.

Comment leur expliquer ce qu’elle commençait à soupçonner ? Que c’était Allayn qui était mort dans sa jeunesse, pas Alicia… que les véritables parents de Francis n’étaient pas Allayn et l’énigmatique Sygne, mais bien Alicia et un père… inconnu ? Pourquoi tant de mensonges ? À cause d’une mésalliance ? Ou d’un arrangement peu avouable pour cacher que la lignée masculine des d’Outremont s’était éteinte ? Estrella sentit une sorte de vertige la prendre rien qu’en y pensant. Elle supposa qu’elle n’aurait pas les réponses le soir même. Ni dans les jours qui suivraient… Elle était persuadée d’en savoir plus long sur la famille de son père que lui-même… D’en savoir plus long que n’importe qui d’autre.

À une exception près…

Le mystérieux Soveregne.


Texte publié par Beatrix, 4 mai 2016 à 00h43
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