L'air apportait les embruns, ainsi que le léger roulement de la mer jusqu’au palais. Le souffle marin y rentrait par de larges découpes dans la pierre, aux arches arrondies et décorées. La vue était imprenable sur le port en contrebas, mais Elys n'avait que faire de la magnificence de l'endroit. Ses yeux étaient habitués à ce paysage et dans les corridors aux arcades dorées, elle marchait d'un pas décidé.
Ses pieds bronzés et chaussés des sandales contrastaient avec le dallage blanc. Quant à sa robe de gaze légère, elle suivait sensuellement les mouvements de son corps. Il semblait que le vent même l'accompagnait, soufflant malicieusement dans les fentes de son vêtement. Elle s’arrêta un instant pour remettre de l’ordre dans sa tenue ainsi dérangée, et en profita pour regarder la masse sombre à l'horizon. La silhouette d'une île, halo bleu foncé, se détachait sur celui plus clair d'un ciel sans nuages. De jour en jour, ce fantôme se rapprochait.
Malgré le soleil qui pénétrait dans le palais par de grandes bandes éblouissantes, la jeune femme sentit un frisson descendre le long de son échine. Que se passerait-il si ce monstre percutait sa propre île ? Les terres bougent, dérivent, se touchent, cela va de soi. Les royaumes voguent sur les flots, se réunissant et se déchirant dans une danse sans fin. C'était dans l'ordre des choses et de la nature, mais l'île au loin n'était pas comme les autres. Cette « araignée de fer » comme les espions la surnommaient, n'était pas une simple terre qui dérivait selon le bon plaisir de l'Univers.
Elys repensa à sa future entrevue avec le Roi et pressa le pas pour ne pas être en retard. Arrivée devant des gardes à la tête casquée, statues immobiles et habillées de pagnes immaculés, elle les salua. Les soldats décroisèrent immédiatement leurs lances et la laissèrent passer. Traversant une porte dont un voile obturait l'ouverture sans battant, ses yeux furent troublés par la pénombre environnante. L'atmosphère de l'autre côté était moins imposante, moins saturée que le reste du palais blanc. Cette salle était pourtant le véritable joyau de la demeure du Roi. En effet, le vent qui s'engouffrait dans un puits de lumière, faisant claquer les dais de soie formant un entrelacs élaboré. Certains rayons du soleil passaient à travers et resplendissaient sur le mur. Ces éclats solaires faisaient alors briller un papillon à jamais capturé dans la résine, plus lisse et brillante que l'eau. La chapelle, seconde salle du trône, était réservés aux familiers du Roi : il s'agissait donc d'un honneur d'y être invité et d'y contempler les murs recouverts de lépidoptères aux ailes irisées.
Un trône de pierre assez large pour deux dominait l'espace. Il était en effet coutume que le Roi et la Reine partagent la même chaise.
«Cela aurait dû être ma place » pensa Elys, en regardant avec envie l'imposant trône.
— Où est le Roi ? Demanda-t-elle à haute voix.
— Et la Reine ? Lui répondit-on.
«Moi je suis là », se retint-elle de lui rétorquer, en sachant sans l'avoir vu qui était entré.
D'une porte trilobée située derrière la chaise et cachée par une lourde tenture, le Roi apparut. Sa carrure élancée, son regard profond et son sourire suave, faisaient de lui un homme séduisant. Débraillé comme après une nuit d'ivresse et d'amour, il ressemblait plus à un libertin qu'à un monarque. La reine qui le suivait était quant à elle vêtue d'une lingerie brodée de perles et de breloques argentées. Ses habits tintaient, tout comme ses bras chargés de bracelets. Des fils d'argent couvrait sa tête blonde, ceignant son front parfait. Elys se courba de mauvaise grâce sous ses yeux de fauve tranquille. A croire que la nouvelle épouse ne l'avait jamais crainte, assurée de sa victoire sur le cœur du Roi.
Le monarque s'assit et attira à lui sa femme dans un geste brusque. Elle bascula sur les cuisses de son époux, qui embrassa sans gêne ses épaules ronde, sa poitrine pointue, ses hanches fermes. Palpée de ces doigts cerclés d'or, la Reine se cabrait de plaisir tandis qu'Elys fulminait en silence.
— Bon, alors ? renifla bruyamment le Roi.
La diplomate s'avança vers eux et prit la parole :
— C'est vous, Roi, qui m'avez fait venir.
— Oui, suis-je bête ! J'ai encore la tête dans mes festivités nuptiales.
Savait-il seulement le mal qu'il lui faisait ? Elys le soupçonnait de faire exprès. « J'ai perdu une bataille mais il y a d'autres manières d'asseoir son pouvoir », se jura-t-elle, en serrant ses poings de colère.
Oui, Elys avait aussi « entendu » parler de cette île étrange. Cette même île qu'elle avait observée à l'instant et qui s'approchait dangereusement : l'araignée de fer.
— On dit qu'elle capture les royaumes qu'elle percute, continua-t-il. J'ai lu le rapport des espions, on parle de terres enchaînées comme un boulet aux pieds d'un prisonnier. Je te laisse prendre connaissance de leur volonté. Tu es mon émissaire, je te fais confiance. Choisis qui tu veux pour t'accompagner.
On l'éloignait, elle n'était pas dupe. Rien de tel qu'une mission dans une contrée exotique, pour écarter la fougueuse Elys Fanda de la vie politique. Il fallait se débarrasser de la rivale déchue et de ses éventuels velléités de vengeance malvenue. Contrairement à ce qu'ils pouvaient croire, Elys était ravie de prendre le large. En plus d'une mission intéressante, c'était l'occasion pour elle de préparer sa future stratégie. En effet, elle était arrivée à un moment clef de sa carrière. Ce non-mariage avait été un curieux échec, car pour la première fois de sa vie, la situation ne dépendait pas de ses envies.
Elys acquiesça, fit une froide révérence et s'en alla. Elle avait un voyage à préparer, et des alliés à persuader.
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