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– Enfin, Aloïs, vous êtes sûr de vous ? Non que vous manquiez d’esprit, mais de sens de l’orientation. En toute honnêteté, cela me semble indubitable, s’exprime une voix de femme, pleine de reproches.

– Ma chère Karol, je suis affirmatif et ce cher Hugues ne sera pas là pour me contredire. N’est-ce pas ?

L’homme bleui par le froid laisse échapper un oui glacé.

– Bon Philibert, redonnez-lui un thé de ce thé russe, ou ce pauvre garçon finira comme ces congères que nous voyons.

– Tout de même Aloïs, chercher une Mummia en plein nord de la Finlande, au-delà du cercle polaire, cela ne vous choque pas ?

– Pas le moins du monde. N’y a-t-il pas, après tout, des témoignages rapportant la présence de corps momifiés dans les Andes péruviennes. Il fait aussi froid qu’ici.

Désespérée par son cousin, elle jette l’éponge et s’enferme dans le mutisme, une couverture jetée sur les épaules. Cela fait plus de quatre jours, qu’ils sont tous les quatre enfermés dans une cabane d’éleveur samit, à la recherche de la Mummia de son ancêtre.

Pendant ce temps, à quelques kilomètres de là et sous une épaisse couche de glace, se tient une bien étrange assemblée.

– Mesdames, messieurs, demoiselles, damoiseaux, la Cour !

Dans les rangs, tous parlent à tue-tête, d’autres reniflent bruyamment ou rotent avec volupté, quand ce ne sont pas des nuages flatulents à la saveur délicate. Pendant ce temps, procureur corrupteur, avocats véreux, greffiers illettrés, juges aux affaires terminales et de la mise en débat, faisaient une entrée toute en soumission. Personne ne leur portait la moindre attention, jusqu’à ce qu’un fromage, particulièrement coulant, sans doute, un cousin du sapeur Camembert, n’annonce la venue de la présidente de la cour :

– Mesdames, messieurs, demoiselles, damoiseaux, la présidente : Mamie Mummia !

Aussitôt, tous se tournent vers la double porte du fond de la salle, qui commence tout juste à s’entrouvrir. Un silence de vivant s’empare alors de la salle, lorsque retentissent, en sourdine, les premières mesures de la danse macabre de Camille Sans Sens, accompagnant la venue de la laidissime Mamie Mummia, qui de toutes bandelettes vêtues, approchait à grandes enjambées, entrecoupées de pas de menuet. Presque arrivée à hauteur de son fauteuil, elle scrute déjà, de ses yeux perçants et aveugles, la foule amassée et entassée. À quelques pas de là, le fromage, qui a annoncé son entrée, finit de coudre ensemble les hermines, avant de se précipiter au-devant pour la lui revêtir. Et c’est, sanglante et pimpante, que Mamie Mummia fait son entrée dans le tribunal de grande désistance. Prenant place dans son fauteuil à sa démesure, elle se met en mesure de rappeler au désordre la foule :

– Un peu de silence dans la salle, ou je ne la fais pas évacuer.

Et comme d’un seul monstre, l’assemblée patibulaire reprend ses activités, comme si de rien n’était. Il est bien connu que la présidente Mamie Mummia ne rend jamais un jugement dans le calme. Souriant de toutes ses dents manquantes, elle aboie quelques ordres et tourne sa tête poussiéreuse vers le jury des damnées. Chaque espèce est représentée, il y aura donc de multiples occasions de contestations. D’autant plus que les trois sexes y sont représentés.

– Bien, bien.

Et elle se saisit d’un marteau pneumatique, dont elle assène plusieurs coups dans le sol, faisant tomber quelques fragments de murs et de plafonds de ce palais branlant.

– Mesdames, messieurs, demoiselles, damoiseaux, je déclare ouvert le procès de Kardishien Woofbood.

– Libérateurs, faites sortir le récusé !

Entre alors par une porte dérobée et massive, un lycanthrope barbu et chauve, encadré par deux leprechauns malcommodes et malodorants.

– Récusé, veuillez aboyer vos noms, prénoms, pedigree et tableau de chasse…

– Si vous en avez un, ajoute sournoisement son avocat de l’attaque.

Comme on ne lui laisse pas la parole, celui-ci s’assoie et commencer à murmurer d’une voix à peine inaudible :

– Woofbood, Kardishien. Lycanthrope de race suprême. Sans victime.

Aussitôt, le corrupteur, un sphinx au mufle séduisant, s’empare de sa déclaration et le jette d’un effet de manche, vers un groupe de vampires assoiffés de nouvelles fraîches, qui s’entre-déchirent aussitôt pour en avoir la primeur.

– Ah Voyez madame la Présidente, ce récusé ose l’avouer de lui-même. Aucune victime !

– Relativisation votre horreur ! Mon client ici absent n’apporte aucune preuve de ce fait. De plus, il n’a fait que répondre à la cour, nullement des innocences, dont il est accablé.

– Relativisation retenue maître, réponds mollement la présidente. Quant à vous, maître, tenez votre langue bien pendue, il se pourrait qu’elle serve bien tard.

Quelques coups de burin plus tard, la présidente Mamie Mummia lit enfin l’acte de récusation, suscitant un sommeil méprisant dans l’assemblée et les jurés.

Récusé Kardishien Woofbood, vous êtes innocenté des beaux faits suivants : escroquerie en bande désorganisée, meurtre à zéro degré, détournement de pudeur, réparation de biens publics, vol sans étalage, arnaque à la grande semelle, retournement de fonds privés, noircissement d’argent propre, dons généreux de biens privés, crime sans passion, délit de non-initié, guérison sans préméditation…

Au milieu des ronflements et autres ronchonnements, la présidente déroule, impavide, l’acte de récusation, qui s’amoncelle aux pieds de la greffière, une araignée de mère revêche et mal aimable. Pendant ce temps, les jurés, ayant pris le parti de dormir, ont pour les uns tirés des hamacs entre deux poteaux, quand d’autres s’entassent les uns sur les autres, se servant mutuellement de polochons, pour ne pas dire de pelotons.

– Bien, grince la présidente de ses dents gâtées. Qu’avez-vous à répondre, récusé Kardishien ?

L’intéressé se lève et balaye d’un regard mou l’assemblée, avant de mâchouiller :

– Coupable votre horreur !

– Coupable s’étrangle l’un des juges siégeant, tandis que la greffière bleuit à vue d’œil.

Imperturbable, Mamie Mummia poursuit de la même voie de crécelle :

– Vous savez que ce n’est pas en plaidant de cette manière que vous obtiendrez ma clémence et celle du jury, récusé Kardishien.

Pour toute réponse, celui-ci lâche une longue et inodore flatulence.

– Maître avez-vous quelque chose à rejeter pour l’attaque de votre patient ?

– Rien votre horreur !

S’adressant au sphinx, corrupteur de la bulle biblique, la présidente lui lance la parole, qu’il attrape au vol :

– Maître, je vous en prie, vous avez la parole.

– Merci présidente Mummia. Et puisque mon dernier frère ne m’a rien jeté, je demande que ce soit achever la perdition des faux témoins.

– Finissez, maître !

– J’appelle le dernier témoin ! Monsieur Barbotine dit Sadious Darth, ex empereur et chancelier !

Sort alors par la porte du fond, une manticore au pelage rosé, définitivement soûl.

– Reculé vous vers l’entrée de la salle, le tance bleuement Mamie Mummia.

Marchant en se dandinant, la manticore pose son séant sur un attroupement de leprechauns, qui protestent en lui mordant les intimes.

– Levé la patte gauche et dites je me parjure ! aboie le sphinx.

Regardant une patte puis l’autre. Elle hésite plusieurs minutes avant de lever sa patte postérieure gauche.

– Barbotine, dit Darth Sadious. Je me parjure votre horreur.

– Bien. Et maintenant, parlez-nous de vos relations avec le récusé, ici présent.

La manticore se gratte la nuque un instant, visiblement embarrassée.

– C’est que, votre horreur, je n’ai pas grand-chose à dire, à part qu’en apprenti, il n’a jamais été qu’un incapable. Tenez, mettez-lui un sabre dans les mains et il aurait été capable de se trancher la tête lui-même. Quant à sa maîtrise du côté obscur, il n’a jamais été capable de faire autre chose, que de blanchir les murs. Une honte pour moi, votre horreur.

– Pas d’autres questions, votre horreur, tance le corrupteur de la bulle biblique.

À son tour l’avocat de l’attaque se lève et sans attendre la démission de la présidente Mamie Mummia, s’adresse au témoin.

– Combien d’apprentis avez-vous convertis, monsieur Sadious ?

La manticore lance des regards de biais, avant de répondre mollement :

– Aucun, ils sont tous partis avant de finir leur formation.

– Voilà qui en dit long sur vos qualités corruptrices. J’ai terminé votre horreur.

– Vous pouvez vous faire ce que vous voulez témoin, assène Mamie Mummia. J’appelle l’avant-dernier témoin, La Barbe-Rose.

Et un lycanthrope en tutu rose sort par la petite porte, provoquant sifflets et quolibets en tous genres. Hélas le jury, comme l’avocat de l’attaque et le corrupteur de la bulle biblique, a la langue bien trop pendante pour lui poser la moindre question. Aussi ce dernier entre-t-il comme il est sorti par la grande porte, en se dandinant, mettant en valeur ses valeurs les fondamentales, au grand dam de la présidente, qui a perdu l’attention du public. Hargneusement, elle se tourne vers l’un des juges et lui hurle dans l’oreille :

– Avons-nous d’autres témoins à charger ou à décharger ?

– Heu ! C’est-à-dire votre horreur, euh… Ne… ne… vous faites pas doucereuse, mais… euh, les prochains témoins sont… euh… ces… euh…

Mummia étrécit les yeux, tout en pointant un regard pour le moins tendre et amoureux au vampire qui rentre aussitôt la tête.

– Alors, j’attends, susurre impatiente la présidente.

Le vampire rentre encore plus la tête dans les épaules, avant de piauler d’une voix presque inaudible :

– Euh Anselme, Aloysius, Antoine et…

Mais jamais il n’achève jamais sa phrase, sa tête reposant désormais entre les pattes d’une phalène à tête de vivant.

– J’ai dit des témoins, pas des crétins ! tempête Mummia, tremblant de toutes ses bandelettes.

Puis, se tournant vers l’autre juge, dont la tête disparaît dans les plis de sa robe, elle ajoute d’une voix, tout sauf mielleuse :

– D’autres témoins ?

Mais celui-ci secoue la tête vigoureusement en signe de dénégation.

– Vraiment, minaude Mummia, insistante. Ou faut-il que je me montre vraiment persuasive ? Vous savez, quel sort je réserve au récalcitrant.

Apeuré, le juge sort la tête des épaules et murmure :

– Al…

– Encore eux ! s’emporte la présidente, tandis que la tête vole dans les airs, ballon aérien sanglant, qui vient s’écraser aux pieds de l’assemblée.

Dans le même temps, le fromage accoure porteur de poivre sur un plateau d’argent, que la présidente s’empresse d’éternuer avec volupté.

– Des humains, toujours des humains ! N’y en a-t-il que pour eux ? Maîtres, d’autres témoins à renvoyer ?

Le corrupteur comme l’avocat de l’attaque se consultent un instant du regard, avant de proclamer le plus vaniteusement :

– Aucun votre honneur.

– Bien, bien, marmonne la présidente, visiblement rassérénée, entre deux éternuements, avant d’enchaîner :

– Mais enfin donc, monsieur le procureur est-ce tout ce que nous avons à la décharge de monsieur Kardishien. Comment voulez-vous rendre une décision dans de pareilles conditions ? Je ne voudrais pas être responsable d’une équitabilité.

– Je vous rappelle votre horreur, que mon client a plaidé coupable de tous ces crimes qui ne lui sont pas imputés.

– Je le sais mille que dieu, s’emporte la présidente. Mais comment puis-je rendre un verdict sans effet de manche, ni de supplications de la part du récusé. Où est le spectacle ? La dimension tragique ? Vous rendez vous compte récusé Kardishien de ce que vous faites ? Vous tuez le tribunal et ce qui en fait la malédiction.

Dans l’assemblée tous retiennent leur souffle, car ils savent tous ce qui se produira si Mamie Mummia écrase une larme de crocodile.

– Très bien, très bien, Kardishien Woofbood. Puisque nous n’obtiendrons rien de vous et que vous semblez tout prêt à faire de ce tribunal un cirque, sachez donc que nous allons vous exaucer Kardishien Woofbood.

Aussitôt un murmure se répand dans la salle, car tous ont entendu de la nouvelle invention commandée par Mamie Mummia.

– Oui, oui. Vous nous avez fort bien entendu Kardishien Woofbood et croyez-moi, même l’épilation intégrale à la pleine lune sera une caresse à côté de ce que je vous réserve.

Un frisson parcoure les lycanthropes présents. Carnassière, la présidente étrécit les yeux, une lueur gourmande dans les pupilles.

– Enlevez-donc la candyceuse ! aboie la présidente. Woofbood Kardishien, je ne peux vous innocenter pour tous ces crimes, en vertu des articles 58, alinéa 5, 698, alinéa 78 et 89, 785, 1069, alinéa 45 à 58 du code vénal. En revanche, rien ne m’empêche de vous acquitter pour outrage à la cour.

Elle se lève, solennelle, et annonce ricanante :

– Apportez la sucrière, messieurs. Ah, ah, ah, ah.

Dans l’assemblée tous tremblent, tandis que deux bandelettés de fraîche date, sort de la salle en repoussant une machine de haute taille, ressemblant à verre géant, au fond duquel on aurait placé un cratère en métal.

– Quelle chance vous avez Kardishien Woofbood. Rendez-vous compte, vous allez faire le bonheur de ces êtres inférieurs que sont les humains. Mais d’où croyez-vous que vient cette légende ?

Cette fois une lueur amusée traverse l’œil morne du lycanthrope.

– Voyez-vous où je veux en venir, lycanthrope Woofbood, susurre Mamie Mummia, plus gourmande que jamais. Rassurez-vous. Nous avons amélioré depuis le procédé. Votre prédécesseur s’en était, hum… plutôt mal tiré.

Et sur ces mots, elle éclate d’un rire catatonique.

– Voulez-vous une démonstration? lycanthrope Woofbood. Non, bien sûr que non. Où avais-je donc l’esprit ? Allez-y !

Aussitôt plusieurs leprechauns laids à souhait s’emparent de lui et malgré son agitation débutante le ligotent vigoureusement à l’aide de cordes de chanvre indien, tandis qu’un vampire, aux dents qui rayent le parquet, ouvre l’habitacle de la sucrière.

– Si vous voulez bien quitter la place, monsieur Woofbood.

Mais avant qu’ils puissent se saisir de sa très modeste personne, le lycanthrope pousse un hurlement dément et arrache ses liens, avant de bondir vers l’entrée de la salle.

– Oh, mais où donc vous rendez-vous monsieur Woofbood, minaude la Présidente déjà à ses côtés. Nous avons à peine commencé la séance. Sortez-le de là ! Désobéissance !

Aussitôt le lycanthrope est enfermé et sanglé dans la candyceuse, alors qu’il se met à hululer. Et sous les yeux horrifiés de l’assemblée, ses poils autrefois bruns prennent une teinte oscillant entre le rouge et le blanc, tandis que son embonpoint se fait de plus en plus imposant. Mais alors que son corps se bonifie, son mufle laid et grimaçant se fait joyeux. La terreur de l’assemblée tout entière se mue en effroi, tandis qu’un rire dément et sournois s’élève de la candyceuse :

– Oh, oh, oh… Joyeux Noël !

Au campement samit, Hugues sortit pour soulager un besoin strictement naturel pousse un cri. Karol, Aloïs et Philibert encore emmitouflés dans leurs couvertures se précipitent dehors.

– Que se passe-t-il Hugues ! Un vampire égorge un renne ? glapit Aloïs, un fusil entre les mains.

Incapable de répondre, celui-ci pointe un doigt vers l’horizon boréal, où s’élève un personnage rouge et blanc, qui pousse de joyeux hululements.

– Je te préviens Aloïs, la prochaine fois, c’est moi qui assure les traductions et les orientations, grogne Karol en se précipitant dans la cabane.


Texte publié par Diogene, 3 décembre 2016 à 21h56
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