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tome 1, Chapitre 4 « Avril » tome 1, Chapitre 4

Hello, Y !

Tu sais quoi ? C'est le printemps !

Il a mis du temps à arriver ! Bien trop de temps, en fait. Tes plantes apprécient beaucoup le redoux : elles sont en pleine forme et produisent de nouveaux rameaux !

Bubulle, un peu moins. Je le trouve un peu apathique ces jours-ci : pourtant, je fais tout ce qui est nécessaire, mais cet ingrat ne s'en porte pas mieux. C'est le problème avec les poissons : ils ne peuvent pas te dire si quelque chose va mal. J'espère que ça s'arrangera.

Nous avons célébré l'anniversaire de Tiari. Comme d'habitude, elle a voulu faire une fête qui comptait double, puisqu'elle a passé le précédent en hibernation. Sur le coup, j'ai pensé qu'elle était bien la seule à avoir ce genre d'idées... mais à la réflexion, ce n'est pas si bête ! Elle a loué une grande salle sur la douzième allée, au bord de la rivière, dans l'un de ces globes transparents disposés au milieu de la verdure – je ne sais pas si tu as déjà eu l'occasion de les visiter.

Je n'aurais sans doute jamais dû le faire, mais j'ai invité JD à m'accompagner. Au début, il s'est montré réticent : j'ai réussi à le décider en lui assurant que cela lui permettrait de décompresser dans un site superbe, qu'il devait à tout prix connaître pour son boulot de photographe.

Je n'allais pas lui dire que j'avais juste envie qu'il vienne !

Encore moi que j'avais... besoin qu'il vienne.

Ici, dans la ville, nous sommes tous des gens forts, qui ne dépendent de personne. Sinon nous n'aurions jamais été sélectionnés pour le projet.

La fête était géniale : en guise de cadeau, nous avons tous contribué à la location du dôme et nous avons fourni de quoi boire et manger. Nous étions près de cent cinquante. Si tu me ressembles vraiment, tu ne dois pas être très à l'aise au milieu de la foule... Mais avec JD, je n'y pensais même pas : toute mon attention restait sur lui ; je songeai que peut-être, dans cette ambiance, il commencerait à s'ouvrir, à lâcher prise. Parce que sous ses airs cool, il semble toujours sur ses gardes. Un peu comme s'il s'attendait à ce que quelqu'un vienne lui planter un couteau dans le dos. Bon, c'est exagéré, mais tu vois l'idée.

Le globe était vaste, mais on se marchait un peu dessus ! J'ai rapidement perdu Ava, Brent et Damien dans la foule. Raya s'était trouvé quelqu'un pour la soirée et je n'avais pas vraiment envie de savoir ce qu'étaient en train de faire Damien, Eliza et Cecil, probablement ensemble. J'ai attrapé une bouteille pour moi, une pour JD, sans me demander ce qu'il y avait dedans, et je l'ai entraîné à l'extérieur.

« Tu pourras commencer à faire des repérages, comme ça ! » lui ai-je sorti avec une assurance dont je ne me croyais pas capable.

Ce n'est pas mon habitude de raconter des bobards aux gens, mais encore une fois, il s'agissait d'une demi-vérité, rien de bien méchant.

Il faisait bon dehors, un peu frisquet peut-être, mais cette fraîcheur avait le mérite de m'éclaircir les idées. Nous nous sommes assis sur un banc, un peu en surplomb de la rivière qui reflétait les milliers de lumières de la ville, comme si une copie fragmentée de ses immeubles et de ses rues vivait sous les flots. Le courant tentait, en vain, d'emporter les étoiles qui s'y noyaient. L'odeur douce-amère de la verdure imprégnait l'air ; des bruits ténus montaient des buissons. La lune bordait d'argent les reliefs tout autour de nous.

... Ça ne me va pas trop d'être poétique, non ? Mais je dois avouer que j'ai rarement été aussi consciente de mon environnement. Sans doute pour ne pas me focaliser entièrement sur JD. Parce que même si la nuit était superbe, il occupait toutes mes perceptions. Au début, nous sommes restés silencieux, pour nous réhabituer au calme. Au bout d'un moment, je lui ai tendu l'une des deux bouteilles et j'ai avalé une grande goulée de la mienne. C'était un alcool plus fort que je ne m'y attendais ; je l'ai senti me brûler de l'intérieur et m'entraîner dans un long vertige où chaque sensation semblait exacerbée. Du moins, c'est ce que j'imagine. Je ne suis pas sûre de me rappeler tout ce qui est arrivé ce soir-là.

Tout ce que je sais, c'est que JD s'est enfin dégivré – suffisamment pour rire et plaisanter avec moi – même si je ne me souviens pas à propos de quoi. À un moment, il a passé son bras autour de mes épaules et m'a serrée maladroitement contre lui, comme une sorte d'ours en peluche hypertrophié.

« Tu sais, parfois, tu lui ressembles vraiment beaucoup... »

À « elle », bien sûr.

J'ai senti mes entrailles se nouer et ma gorge se serrer – là, et là, je n'ai plus du tout envie d'être poétique.

« À ce point ? »

Ce sont les seuls mots que j'ai réussi à faire passer par mon larynx comprimé.

« Si tu l'aimais tant, qu'est-ce que tu fais ici ? »

Mon ton n'aurait pas été aussi abrupt si j'avais été un peu moins saoule.

« Quand nous postulons pour vivre ici, on exige de nous que nous n'ayons aucune relation, et que ce soit une démarche... purement individuelle, a-t-il expliqué, en trébuchant sur les mots. Mais nous avons voulu en profiter tous les deux... Tu vois ? »

Oui, je voyais très bien. Ils n'avaient pas été les seuls à concocter ce style de plan. Je n'ai pas osé lui dire que cela n'avait jamais marché ; qu'à chaque fois, le bel amour juré pour l'éternité s'étiolait et s'évaporait, comme si quelque chose dans cette ville le faisait rouiller.

« Et après ? Elle 's'est dégonflée... ? Elle ne t'a pas suivie ? »

J'allais ajouter « Je suis là, moi », mais quelque chose m'a retenue... heureusement, car il a poursuivi :

« Oh, si... Mais le sommeil initial a duré un an de plus pour moi que pour elle. Elle... »

Il a marqué une pause, comme si c'était difficile à dire :

« Elle est éveillée lors des années impaires. »

Cela arrive parfois, pour égaliser les populations des deux années. Mais c'est rare. Autrement dit, JD et sa dulcinée ont eu le plus gros coup de poisse qui pouvait leur tomber dessus. Triste pour eux, non ? Mais on n'y peut rien. C'est ce que je me suis employée à lui dire. Qu'il devait profiter du temps présent. Après tout, on n'a qu'une seule vie, ça ne sert à rien de se noyer dans les regrets.

Sur le coup, je pense avoir réussi à le convaincre. Pour la première fois, nous nous sommes embrassés ; ses lèvres étaient douces , elles avaient un goût plus puissant que l'alcool qui nous imbibait. Je ne me souviens plus vraiment de ce qu'il s'est passé ensuite. Nous nous sommes réveillés sur ce banc, au petit jour, à moitié dévêtus, des cadavres de bouteilles à nos pieds. Les derniers échos de la fête nous parvenaient depuis la bulle de verre.

Il s'est levé et m'a regardée, sans mot dire, puis il est parti chercher sa veste dans la salle.

Je ne l'ai pas revu depuis.

Et ça me tue...

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Texte publié par Beatrix, 7 avril 2017 à 14h27
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