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Chère autre moi, me voici de nouveau !

Nous sommes en février ; la routine s'installe pour de bon.

Ce qui veut dire plus de travail, mais aussi plus de loisirs ! Des sorties avec les amis, des ballades, seule dans la ville. Comme chaque année paire, je réalise combien elle est réduite : il me suffit d'une semaine pour en faire le tour, même en traînant dans chaque allée des trois parcs. Elle n'a pas beaucoup changé ; les modifications sont volontairement limitées pour éviter de déconcerter les éveillés récents. Je me suis déjà extasiée sur la nouvelle disposition des plates-bandes et la nuance audacieuse des murs de mon immeuble. Je n'ai plus rien à découvrir.

J'ai décidé de m'offrir un voyage au-dehors, pour la première fois depuis quatre ans. Je n'ai pas besoin de t'expliquer combien ce genre de choses est contrôlé. Si je n'étais pas passé par une compagnie agréé, j'aurais dû attendre plus d'un mois pour obtenir une autorisation. Je comprends la nécessité de restreindre les contacts avec l'extérieur : cela fait partie des clauses que nous devons accepter pour mener cette existence si confortable... À partir du moment où nous les avons signées, nous ne pouvons légitimement pas les remettre en cause, même si elles se révèlent perturbantes.

Comme tu le sais, nos lettres les violent gravement et pourraient entraîner notre expulsion du programme.

Je me suis jointe à un voyage organisé pour aller admirer les sculptures de glaces dans le Parc de Nothern Dream. Jon et Eliza ont accepté de m'accompagner. Nous étions une bonne trentaine en tout : tous jeunes, de physique agréable et bien vêtus. Nous attirions les regards de gens de l'extérieur : en les observant, je peux dire que la crise mondiale frappe de plus en plus fort. Même dans un lieu dédié aux loisirs de l'hiver, que fréquentent ceux qui bénéficient d'un revenu plus confortable que la moyenne, je ne me souviens pas avoir vu autant de visages graves et d'habits élimés.

Le parc lui-même était magnifique : on pouvait y admirer des palais, d'immenses sculptures reproduisant les plus belles œuvres architecturales de tous les temps, des labyrinthes, des hôtels et des restaurants, le tout taillé dans la glace... Je t'ai joint quelques photos, au cas où tu n'aurais jamais eu l'occasion d'y aller ; cependant, au dire d'Eliza qui s'y rend chaque année paire, Nothern Dream est moins impressionnant que par le passé, comme si les moyens commençaient à manquer.

C'est lors de cette visite que j'ai rencontré JD. Bien sûr, ce n'est pas son vrai nom, mais il faut bien que je lui en donne un. Il vient lui aussi de la Ville, mais nous ne nous sommes jamais croisés auparavant. Je le soupçonne d'être un nouvel entrant.

Je ne sais pas si tu y as déjà réfléchi, mais les relations que nous établissons au sein de notre petit monde sont bien souvent différentes de celles que nous aurions pu nouer à l'Extérieur. C'est vrai en amitié, mais plus encore en amour - si l'on peut employer ce terme. Elles sont marquées par leur aspect éphémère : peu importe si elles n'ont aucun avenir ; c'est même un critère primordial dans l'approche sentimentale. Pourquoi lancer quelque chose de durable avec quelqu'un qui sera peut-être absent à la prochaine année d'éveil ?

Mais revenons à JD : si je vivais à l'extérieur, jamais je ne me serais attaché à un beau gosse tel que lui... Du genre élancé, voire légèrement osseux, avec une musculature nerveuse et des traits un peu anguleux. De longs cheveux sombres qui lui donnent un air de poète maudit. Des yeux si pâles que son regard pourrait sembler vide si ses expressions n'étaient pas si intenses. Un peu plus grand que moi, vêtu de ces habits un peu larges et souples qui sont à la mode cette année.

Je ne sais toujours pas ce qui m'a attiré chez lui : je les apprécie moins fébriles, moins tourmentés... Mais dans le contexte éphémère que j'évoquais plus haut, c'est compréhensible. Nous nous sentons portés vers ce qui n'est pas bon pour nous, parce que c'est raisonnable... et parce que c'est dangereux.

Nous avons erré parmi les murs de glaces ; par moment, dans les profondeurs translucides, je croyais apercevoir des corps endormis, mais ce n'était que mon imagination. Au bout d'un moment, il m'a pris la main, sans toutefois me diriger. Mais c'est la loi du genre, non ? Nous avons convenu de nous revoir, mais avec nos emplois du temps respectif, ça ne sera pas avant le mois prochain...

Comme tu peux t'en douter, Jon et Eliza ne me laissent plus en paix ! Ils veulent que je leur parle de cette nouvelle relation, mais je préfère rester discrète pour le moment... Mais toi, tu sauras tout, promis !

Ton « autre toi »