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C'est encore moi, ton autre « toi ».

Tu n'as jamais trouvé étrange le fait que, même si nous n’avons aucun souvenir de notre année d'hibernation, nous gardons malgré tout le sentiment d'avoir été longtemps absent ? Un peu comme au réveil d'une nuit de sommeil : nous savons que ce que nous découvrirons au matin sera peut-être très différent de ce que nous avons quitté : la pluie après le soleil, la neige après la grisaille…

Janvier est «le mois de la réadaptation». Car même si tout s’est arrêté pour nous pendant un an, et que les autorités ont tout fait pour effacer les traces de l’année impaire, la vie a continué. Les permanents ont beau cacher les poussières sous le tapis, il reste toujours quelque chose des derniers douze mois, ne serait-ce que dans l’architecture de la ville : un nouveau bâtiment, une décoration qui a changé... On ne peut tout figer comme d’un coup de baguette magique.

Plus sérieusement, nous avons tous remarqué que nous ne revoyions pas toutes nos connaissances après notre réveil. Ont-elles choisi de revenir dans le monde « ordinaire », en dépit de ses difficultés quotidiennes ? Ont-elles été victimes d’un accident d’hibernation ? Après tout, ce n’est pas pour rien que les autorités nous font signer une décharge...

J’ai retrouvé mon travail sans déplaisir - il faut bien occuper ses journées. Parmi mes amis et mes collègues, aucun ne manquait à l'appel : Jon, Ava, Brent, Damien, Cecil, Eliza, Tiari, Raya se trouvaient là où je m'attendais à les voir. Je me suis demandé qui était le ou la X qui avait pris leur place durant leur absence, et surtout, s'il existait entre eux les mêmes relations. C’est presque comme si nous étions des amnésiques, qui ont oublié des pans entiers de leur vie passée.

Je ne sais pas si c’est voulu, mais bien souvent, nous remplissons des fonctions qui ont l’avantage de ne pas exiger trop de suivi dans la durée. Comme toi et moi, qui travaillons pour une société de formation privée, dans le secteur artistique. Même si les gens payent pour ces stages, j’ai parfois l’impression d’œuvrer en dilettante - et que toutes les tâches sérieuses incombent aux «permanents». Nous ne sommes pas trop différents, après tout, de Bubulle dans son bocal ou tes plantes en pot.

Mais après quelques années, serions-nous prêts à renoncer à la vie facile à laquelle nous nous sommes habitués ? Je suis arrivée à l’âge de vingt-deux ans, il y a quatre ans à présent - quatre ans d'éveil, ce qui veut dire que huit se sont réellement écoulées. Je me demande quel est mon âge réel : vingt-six ou trente ans ? L’hibernation stoppe l’évolution de notre métabolisme, mais certains prétendent que durant les phases éveillées, le vieillissement est légèrement accéléré, ce qui me donne peut-être vingt-huit ans. Ce système prolonge notre temps sur terre, mais pas celui que nous passons à réellement vivre.

Pour en revenir aux choses sérieuses, je pense que Bubulle a deviné que je n’étais pas toi. Il attend que je me sois éloignée pour monter à la surface manger ses flocons. Quant aux plantes, je ne sais pas ce qu’il en est ; elles m’ignorent superbement, mais c’est peut-être normal ?

Ce mois a passé terriblement vite. J’avoue que je n’ai pas pris le temps de réfléchir à ce que j’allais écrire, ce qui explique sans doute que je parte dans tous les sens - je suis horrifiée en me relisant !

J’espère que tu me pardonneras,

Ton autre « toi ».