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Frankenstein ou le Prophète Ressuscité
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tome 1, Chapitre 26 « Ombres Oniriques » tome 1, Chapitre 26

« J’ai compris avec toi que le plaisir n’est pas quelque chose qu’on prend ou qu’on donne. Il est manière de se donner et d’appeler le don de soi de l’autre. Nous nous sommes donnés l’un à l’autre entièrement. »

André Gorz, Lettre à D

Depuis plusieurs jours, je ne trouve plus le sommeil, hanté que je suis par les cauchemars. Trois mois se sont passés depuis l’issue tragique de la traque. Ce jour-là, j’ai plongé mon regard dans l’abîme et l’abîme m’a regardé. Alors que je couche ces mots, je ne peux m’empêcher de trembler. À la lueur d’une torche, au milieu de la nuit glaciale, alors que le smog s’exhalait et envahissait les rues de ces vapeurs jaunes et grasses, nous nous faisions face. Je le voyais qui me moquait et ricanait. Bientôt, il fuirait et il mourrait. Ignorait-il tout de l’issue fatale à laquelle le conduirait sa folie ? Non, malgré tous les efforts qu’il déploierait pour la repousser, il savait. Ce temps ne lui appartenait plus, il devait céder sa place. Il était d’une époque où les hommes et les chevaux actionnaient les roues ; non d’une, où les machines étaient les nouveaux maîtres.

Je l’aperçois encore, la bouche étirée en un sourire plein d’ironie ; j’avais devancé ses adversaires et à présent je me retrouvais face à celui, que tous désignaient comme un monstre. Il m’est alors revenu en esprit les visions de feu mon ami le docteur Jekyll et l’effroi qui me saisit, lorsque je découvris le lient terrible qui l’unissait à Hyde, son alter ego. Il aurait pu me tuer ou me transformer en l’un de ces malheureux que le Dr Van Helsing, appelé par le Dr Seward au cours des dernières semaines, exterminait. Pourtant, il n’en fit rien ; il se délectait seulement de la peur qu’il m’inspirait ; ses prunelles céruléennes plantées dans les miennes.

C’est alors que je compris, que je vis ; il me condamnait ; j’étais son semblable. Je ne l’avais pas retrouvé, c’est lui qui m’avait invité. Dans ses yeux se reflétaient des temps que je n’avais jamais connu et, alors que l’obscurité devenait totale, dans le murmure de la nuit il me narra son histoire et fit de moi le dépositaire de son secret. Devais-je le craindre, le prendre en pitié ou bien l’admirer ? J’étais pris entre deux feux, car je ne pouvais rien ignorer de la cruauté dont il avait fait preuve à l’égard de ses ennemis, des victimes qu’il avait laissées dans son sillage. Cependant, j’étais fasciné par son érudition, plus encore par le sacrifice qu’il avait consenti pour retrouver ce qu’il possédait de plus cher au monde. Nous partagions un même rêve ; le rêve d’une femme, dont les voies s’excluaient. N’allais-je pas moi-même emprunter le même chemin ? En fait, ne l’avais-je déjà point accepté dès lors que j’avais embrassé les sinistres secrets de mon oncle et que j’avais prêté serment ? Seulement, en aurai-je la force ?

En ce moment, je revois son sourire, nos destins mêlés, son présent empoisonné. Alors même que je le soupçonnais, il m’en apporta l’odieuse et cruelle confirmation, comme il me le susurra à l’oreille. Il savait que je ne pourrais le trahir et que je le laisserais s’enfuir, plutôt que de le frapper de ma main, tandis qu’il me tendait le pieu acéré pour l’enfoncer dans sa poitrine. Je le repoussais, il ne m’appartenait pas de mettre un terme à son existence ; je n’en étais pas digne ; je n’appartenais plus à l’humanité, j’avais déjà franchi le seuil.

Journal de H.F.

Le 19 juin 1894

Ses lèvres se posent sur les siennes. Pour lui, il est toujours cette femme au regard magique qui l’envoûtât jadis.

— Pardon, Nathalia ! s’exclame-t-il en s’écartant vivement.

— Mais non, lui murmure-t-il.

À l’instant, au crépuscule du levant, il est redevenu cette femme aux yeux farouches et flamboyants qui n’offre aucune prise au temps. Le temps d’un présent, elle lui rend ce baiser volé au firmament.

— Est-ce que vous vous souvenez ? demande-t-elle, comme elle se recule avec douceur, une main sur son cœur.

Des larmes rougissent le visage de Claude tandis qu’il se détourne.

— Ne me regardez pas. S’il vous plaît, chuchote-t-il, la figure face à l’astre naissant.

Les yeux perdus dans le vague, il esquisse un sourire contrit ; en sa poitrine son cœur se serre soudain, semblable un chagrin qui ne connaîtrait jamais de fin.

— Vous avez été mon premier amour Nathalia, murmure-t-il. Peut-être le seul.

Son regard glisse vers sa main ; il aperçoit l’anneau doré passé à son doigt. Soudain, le passé lui semble un futur possible, puis s’évanouit.

— Je sais, Claude, lui susurre l’ange dont les ailes se déploient dans l’occident.

À ses pieds s’ouvre une faille vers un monde occulté et oublié. Dans les arbres, un fauve guette, ses prunelles scintillent dans les ténèbres, renvoyant la pâle clarté d’une lune souffreteuse. Mais bientôt sa figure s’efface et il disparaît. Claude, le, la fixe. Sait-il ? Sait-elle qui il, elle est encore ? Il, elle secoue la tête.

— Bonsoir Marc.

— Nathalia ? bruisse une voix dans l’obscurité. Éraillée, elle ne semble plus être que l’écho de son passé. Est-ce vous ?

Une main se pose sur son épaule douloureuse. Pourtant, malgré la fermeté de sa poigne, il n’a pas mal, au contraire une douce chaleur diffuse dans son articulation endolorie.

— Merci, soupire l’ombre couchée dans le lit.

Un instant, elle remue, tente de se relever, mais les forces lui manquent et elle choie, cependant qu’un bras la retient et la redresse. Déformée par les tumeurs, ses os ne sont plus que les foyers d’une affliction sourde et sournoise.

— Pourquoi faites-vous cela, Nathalia ? crachote la forme, maintenant lovée contre un oreiller, entre deux quintes de toux.

La main se pose à présent sur son visage, creux, émacié ; les os saillent sous la peau fanée. De ses yeux secs s’échappent des larmes au goût de miel tandis que ses lèvres desséchées esquissent un pâle sourire.

— Puis-je vous voir… Nathalia ?

L’obscure silhouette hésite ; elle a tant changé.

— C’est idiot après toutes ces années, soupire Claude. C’est fort étrange, on pourrait croire que le cœur, l’âme possèdent leur propre temps, un temps qui s’écoulerait en parallèle du nôtre, mais à un rythme qui serait sien. Mais peut-être, n’est-ce là qu’un autre nom pour l’éternel.

— Peut-être, souffle Franz, à moins qu’il ne soit redevenu, l’espace d’un temps, cette femme qu’il fut autrefois ; Nathalia.

Des larmes glissent le long de ses joues ; les larmes d’un jour. Claude s’est retourné, il tient entre ses mains une vieille enveloppe jaunie.

— S’il te plaît… bruisse le mourant.

Sa voix est devenue semblable au murmure du vent dans les dunes. Sa respiration rocailleuse n’est plus ; la douleur ne l’habite plus et dans ses yeux brille la flamme d’une vie accomplie. À la lueur d’une lampe de chevet, il devine les traits de son ancienne partenaire. Il n’est pas tout à fait une femme, elle n’est pas tout à fait un homme ; créature en devenir, elle darde sur lui un regard empli de chaleur et de mélancolie.

— Où est donc passée ta vieillesse ? souffle-t-il.

Franz le regarde s’éloigner ; il ne le retiendra pas, pas cette fois. Sous ses doigts le papier craque. Dans l’embrasure de la porte entrouverte, il aperçoit le visage d’un vieil adolescent. Celui-ci hésite, mais sa figure se fond bientôt dans les ombres et il disparaît. Seul sur la terrasse, il fixe la tache aveugle de son horizon. Dans le ciel, les drones essaiment en silence, aveugles chargés de merveilles. En contrebas, sur la Seine, la noria des péniches se poursuit tandis que les marches estudiantines se dirigent vers leurs campus respectifs.

Did you see the frightened ones ?

Did you hear the falling bombs ?

Did you ever wonder why we had to run for shelter

When the promise of a brave new world

Unfurled beneath a clear blue sky ?

fredonne-t-il soudain, les paupières mi-closes.

Les yeux dans le vague, il élève à leur hauteur l’enveloppe froissée. Il reconnaît sans peine l’écriture de Marc, pleine de chiures et de fioritures. Émue, elle lui arrache un sourire mélancolique, pareil à un souvenir figé sur une feuille de papier glacé. Ses mains tremblent presque pendant qu’il découvre le pli ; des larmes roulent le long de ses joues.

— Marc, murmure-t-il comme le vent manque de peu de lui voler l’un des derniers fragments de son passé.

— Merci, ajoute-t-il à demi-mot la figure tournée vers l’astre solaire, tandis qu’il range dans une poche de sa veste la précieuse correspondance. Au firmament flotte le visage d’un homme au couchant de sa vie, rongée par une obscure maladie ; il soupire puis se retire.

Dans les allées, ne lui parviennent que des odeurs de propreté ; parquet nettoyé avec soi, hygrométrie contrôlée, vitre à modulation spectrale. Du regard, il balaye les rayons et s’égare. Pourquoi est-il revenu ? Les paupières closes, il inspire longuement jusqu’à capter l’infime flaveur du papier qui tombe en poussière. Au hasard, ses doigts errent sur les étagères quand il se saisit d’un ouvrage: L’âne d’or, un conte d’Apulée ; M.L. Von Franz. En fond, il perçoit le murmure des conversations matinales et des échanges protocolaires, pour s’en désintéresser aussitôt. Silencieux, il s’avance dans le rayonnage jusqu’à découvrir le salon de lecture ; quelques sièges en cuir installés autour d’une table basse ; en retrait des autres l’antique fauteuil voltaire, vide. Du chef, il salue les lecteurs, puis s’installe sans un bruit dans le meuble au cuir usé et au bois fatigué ; il oublie. Autour de lui, les lecteurs se succèdent, se lèvent, s’éclipsent, s’assoient ou encore prennent des notes. Les yeux plongés entre les lignes manuscrites, il explore ses souvenirs.

— Une nouvelle ère de modernité et de prospérité s’ouvre ! Alors que 1958 saluait dans un souffle glorieux le grand effort collectif qui allait faire jaillir des entrailles de la Terre le grand Paris, avec la promesse de voir la France redevenir un phare industrieux, fier de son génie technique, dans l’occident meurtri par la guerre. Aujourd’hui, cinquante ans nous séparent et nous célébrons de nouveau le génie du renouveau français. Mesdames et messieurs, j’ai l’immense plaisir et surtout l’honneur d’inaugurer, ce qui deviendra le premier pôle de bio-ingénierie du monde.

Les yeux étrécis, il scrute les visages lisses et froids de la foule amassée, femme aux figures artificialisés par les miracles d’une chirurgie inesthétique, hommes aux figures trop parfaites et aux sourires surfaits. Autour se presse une masse butineuse et avide, composé de flash lumineux et de micros tendus, alors que s’avance ce que tous pressentent comme le nouveau récipiendaire du futur prix Nobel. Quelqu’un se penche à son oreille et il acquiesce. Ses yeux perçants brillent derrière ses verres fumés ; de l’intelligence murmureraient certains.

— Qu’avez-vous vu, commissaire ? chuchote à son oreille une femme entre deux âges, le visage hâlé, encadré par des boucles brunes.

— Craig Menter, soupire-t-il, le regard dans le vague.

Les hommes, les femmes, tous ont disparu ; il est seul dans le lieu silencieux. Au fond, de la salle, il devine la présence d’une bibliothécaire. Par les fenêtres, il aperçoit le fleuve qui paraisse dans son écrin bétonner. Dessus voyagent les convoyeurs, les sonneurs, des valeurs. Au bord paressent quelques oiseaux las et des silhouettes absentes. Il referme son livre, puis le repose à sa place entre deux autres aux tires imprononçables. La main posée sur une étagère, il hésite ; l’amour emprunte souvent bien des détours. Marc, Claude, combien d’autres ? Dans sa poitrine, son cœur se serre malgré les ténèbres qui l’entourent. Et l’invisible, comment s’appelait-il ?

Simon.

Devant la fenêtre passe un dirigeable.

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L’engin s’éclipse. Les sourcils froncés, il erre dans l’espace clos de la bibliothèque. La moquette étouffe le bruit de ses pas, de même que celui des robots aspirateurs. D’un hochement de tête, il salue l’agent plongé dans l’examen de son ouvrage ;

— Au revoir, monsieur. Bonne journée.

Franz lui répond d’un ton égal et s’éloigne. Devant l’ascenseur, il contemple son reflet dans les portes de métal ; la sonnerie le surprend presque.

— Bonjour monsieur Caplon ! Où désirez-vous vous rendre ? Dans quelques instants se tiendra la conférence du professeur Maverick Oldmount : pour une éthique du positivisme. Nous vous informons également qu’un bar est à votre disposition.

Pour toute réponse, Franz enfonce l’un des boutons du panneau central.

— Nous avons pris en compte votre choix, monsieur Caplon, poursuit la voix anonyme tandis que les portes se referment sur la cabine.

— Rez-de-chaussée. Bonne journée, monsieur Caplon.

Cependant, Franz n’y prête aucune attention. Le regard tendu vers l’horizon, il écoute le roulement lointain des tambours.

— Ce soir naîtra un nouvel asanbosam

*

Les ombres ne sont plus ; silhouettes d’hommes, profils de femmes, ils ont tous disparu. Dans la chambre, Achille contemple le mur nu, mais surtout le petit miroir suspendu, dont le cadre lui renvoie les éclats d’une lumière trop parfaite.

— Avez-vous lu la nouvelle « La lettre volée »d’Edgar Allan Poe, Achille ? s’enquiert soudain le capitaine ; il porte sa cigarette à ses lèvres qui s’étirent en un sourire presque extatique.

— Bien sûr ! Qui ne saurait la lire et l’apprécier. Cependant, je doute que vous me questionniez à propos de mes goûts en la matière.

Les yeux dans le vague, Vrénillac crache un long jet de fumée bleutée, tandis que son sourire s’élargit. Derrière la brume azure, son visage se trouble, se brouille ; bientôt il n’est plus ; fugitif reflet dans un miroir sans tain.

— Mirage et illusion se confondent. Ils semblent les deux faces d’une même pièce, pourtant ô combien dissemblable. Souvenez-vous !

Odeur de sang et de pierre pulvérulente ; un liquide chaud glisse le long de son front et coule dans ses yeux. Il veut se lever, mais ses jambes se dérobent sous lui et il s’écroule au milieu des gravats.

— Ne bougez pas, Dr Brévin ! De toute façon, nous n’aurons rien de mieux à faire pour le moment. J’ai prévenu le reste de l’équipe ; les sapeurs arrivent.

La tête lourde, Achille essuie la poussière qui lui brûle les yeux. Debout au milieu des ténèbres, il aperçoit la silhouette du capitaine Vrénillac.

— Où sommes-nous ? s’enquiert-il avant qu’une quinte de toux ne l’emporte.

— Tenez Achille, lui murmure-t-il tandis qu’il lui tend une gourde. Maintenant pour répondre à votre question ; je pense que nous sommes dans un nuage désaffecté.

Achille étouffe un juron.

— Non ! Non ! Vous vous méprenez Achille, je veux dire une ferme de serveurs, si j’en juge par les centaines de boîtiers à moitié cassés et les innombrables câbles dénudés qui traînent sur le sol.

— Un lieu tout à fait propice à leurs activités, évidemment ajoute-t-il avec une grimace de dégoût.

— Évidemment, soupire Achille en écho. L’éruption de 2042…

À côté de lui, sombre, le capitaine Vrénillac hoche la tête. 2042, l’année noire où toute virtualité avait cessé d’exister, où des empires avaient sombré et d’autres avaient surgi des ténèbres où on les avait rejetés. Puis les années avaient passé ; la marche du temps ne s’était jamais arrêté et une autre humanité s’était élevé qui, se persuadait-elle, avait appris de ses erreurs.

Son regard glisse vers le miroir ; à l’intérieur des ombres dansent. Les sourcils froncés, il s’avance, une torche à la main. La lumière crue se répand sur les cloisons et en éclabousse la surface lisse.

Silencieux, il quitte la pièce plongée dans une douce pénombre. Dans le salon, le soleil embrase les murs, tandis que s’étirent les ombres du mobilier immobile. Au sein des rayons fragmentés, une fine poussière volette, mêlée d’une fumée bleutée.

— Souvenez-vous, Achille ! Tout n’est qu’illusion !

Alors qu’il referme derrière lui la porte de l’appartement, il lui semble entendre la voix éthérée de son capitaine, cependant qu’au creux de sa main le minuscule morceau de papier lui rappelle sa mystérieuse absence.

— Vous avez fini ? l’interroge le concierge comme il descend les marches de l’escalier. Je peux faire le ménage ?

D’une geste, Achille acquiesce, puis disparaît. Dans la rue, le vent s’est levé et a emporté avec l’orage. Les yeux tournés vers l’horizon flamboyant, il revoit le miroir, les mots jaillissent de nulle part ; le verre qui vole en éclat.

— Qu’avez-vous découvert, capitaine ? murmure-t-il pour lui-même.

En face, un cycliste force l’allure avant de s’éclipser en direction des nouvelles berges.

*

— Mon âme…

Semblables aux feuilles rougies par l’automne, les mots s’échappent.

Nel mezzo del cammin di nostra vita

mi ritrovai per una selva oscura,

ché la diritta via era smarrita. 3

Ahi quanto a dir qual era è cosa dura

esta selva selvaggia e aspra e forte

che nel pensier rinova la paura ! 6

Tant’è amara che poco è più morte ;

ma per trattar del ben ch’i’ vi trovai,

dirò de l’altre cose ch’i’ v’ ho scorte.

Le visage découpé par l’ombre, il ressemble à l’une de ses créatures éthérées que l’on appelait autrefois lémures.

— Quelle est cette langue, Hugo ?

Un pâle sourire se dessine sur ses lèvres. Une main s’attarde sur son torse nu, des doigts glissent sur sa peau, une tête repose sur son cœur.

— Une langue fanée et oubliée, soupire-t-il, les yeux perdus dans la nuit. L’Enfer de Dante Alighieri.

Noué autour de son corps, Hyo-jin goûte les larmes qui s’en échappent. Dans l’obscurité, un engoulevent pousse un cri plaintif, puis s’envole.

— Perdu dans une obscure forêt, épaisse et maléfique, perchée sur une colline, Dante erre, perdu. Le chemin qui le conduirait au sommet lui est interdit, gardé par trois bêtes. Effrayé par elles, il s’enfuit et découvre le poète Virgile, envoyé par Béatrice qui a intercédé auprès de Dieu. Ce dernier lui explique qu’il existe une autre route, plus longue, plus difficile et plus pénible à travers le bien et le mal. Ainsi, depuis la colline de Jérusalem sur laquelle se trouve la forêt, Virgile conduira Dante à travers l’enfer, puis le purgatoire parce qu’à travers ce voyage, son âme pourra se relever du mal dans lequel elle était tombée.

Au milieu du chemin de notre vie,

ayant quitté le chemin droit,

je me trouvai dans une forêt obscure

Ah ! qu’il serait dur de dire

combien cette forêt était sauvage, épaisse et âpre,

la pensée seule en renouvelle la peur !

Elle était si amère, que guère plus ne l’est la mort ;

mais pour parler du bien que j’y trouvai,

je dirai les autres choses qui m’y apparurent.

Au travers des lentilles, il observe le miracle, la division à l’infini des cellules. À côté, dans une pièce stérile un automate ronronne, goutte par goutte il dépose les précieux joyaux sur la matrice organique. Baigné dans un liquide rosé, un épiderme prend vie ; couche par couche, cellule par cellule. Ses mains ne tremblent plus, son souffle n’est plus, son cœur s’est enfermé et ne bat plus que pour lui-même ; il n’ a plus d’yeux que pour elle.

— Docteur Frankenstein ? Nous sommes prêts !

Le corps repose dans son cocon de verre et d’acier ; il ne peut oublier.


Texte publié par Diogene, 22 février 2019 à 22h19
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