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Frankenstein ou le Prophète Ressuscité
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tome 1, Chapitre 21 « Le Baiser de l'Obscur » tome 1, Chapitre 21

L’homme a besoin de ce qu’il y a de pire en lui s’il veut parvenir à ce qu’il a de meilleur.

Ainsi parlait Zarathoustra, Friedrich Nietzsche

Londres, son smog, sa puanteur, sa pauvreté, son opulence, sa terreur ; elle se lit dans les yeux de chacun, tous se terrent, plus personne ne se risque à sortir et sur la Tamise, témoin muet de sa déchéance et de sa décrépitude, un vieux navire dérive. Toutes voiles dehors, il est arrivé un matin tel un spectre jailli de la brume. Le vent colportait sa rumeur faite des grincements des poulies et du bois pourri tandis qu’exhalaient de ses entrailles des relents fétides et méphitiques ; une haleine de mort. Peu nombreux avaient été ceux qui avaient osé l’approcher, poussés par leur curiosité. J’entends encore leurs cris de rage, lorsque la force policière s’en fut venue les chasser et qu’à leur tour ils bravèrent les ombres qui hantaient ce navire. Je les revois, silhouettes hésitantes dont chaque pas semble les rapprocher du bûcher. Le navire se balançait au gré d’un vent mauvais et les flots battaient ses flancs désolés. Comme tant d’autres, je m’étais tenu à quelques encablures, fasciné par le spectacle de ce navire aux voiles grises et déchirées. Que n’ai-je été là pour le voir s’avancer, tout en majesté, la nuit de son arrivée ! Sa proue meurtrie par les tempêtes heurtait mollement les rebords de pierre et la foule, toujours plus nombreuse, s’agglutinait pour mieux apercevoir ce qui sortirait de ces entrailles. Qu’elle ne fut sa déception lorsque deux vigoureux policiers traînèrent hors de la soute une vieille caisse de bois vermoulu empli d’une terre cendreuse et poussiéreuse.

Depuis des jours le brouillard s’était abattu sur la cité animée et déjà l’on comptait les morts. Non pas qu’il y en eut plus qu’auparavant, mais tous étaient des morts singuliers, signés de cette étrange marque dans le cou ; saignés à blanc si j’en crois les mots de l’un des employés de la morgue que j’ai soudoyé. À la lisière de mon esprit flottent les paroles de mon oncle, son courage, sa morgue face à la monstruosité de son entreprise ; elles sont comme autant d’aiguillons qui m’assaillent et me blessent sans relâche. Que je me retourne et j’entrapercevrais sa figure blafarde ; les lèvres bleues, scellées par le froid et derrière, derrière sa créature s’enfoncerait dans le dédale de glace, entourée par le chœur lugubre des morts qui l’accompagnent. Telle est la malédiction qui pèse sur moi depuis que j’ai fui ; ses mots, ses visions, sa vision, ils me poursuivent et je n’aurai de repos que dès lors que je ferai face à ma propre décision, dont la monstruosité m’apparaît chaque jour que Dieu fait toujours plus gigantesque. Mais n’est-ce pas là l’épreuve qu’il m’inflige, afin que je me montre digne de lui et de la tâche que je me suis juré d’accomplir. Lui-même, n’a-t-il pas tiré le premier l’humanité de la terre, animé la matière, insufflé le souffle à une chose morte. Mon oncle, vous n’aurez fait que perpétuer son œuvre, hélas vous avez pris peur et au contraire de Dieu vous l’avez rejeté, avec pour seule faute son étrangeté. Ce fut un lourd fardeau que vous aviez sur vos frêles épaules. Dieu, où qu’il soit, est éternel et nous de pauvres mortels, nous ne pouvons acquérir qu’un fragment de sa sagesse plusieurs fois millénaire. Nous fit-il à son image ? Je l’ignore, car de quelle image discute-t-on. De l’enveloppe charnelle ? Ou bien de l’esprit ?

Journal de H.F

Le 19 mars 1894

Le morceau sur la figure, ils marchent sur la passerelle branlante, dont les auvents se balancent dangereusement dès que le vent souffle un peu trop fort. Le soleil s’est couché depuis longtemps ; il reviendra, il le sait, seulement il a fait une promesse. Derrière eux, les quatre tours les couvent d’un regard peu amical. Parfois, ils s’arrêtent, le temps qu’ils reprennent un peu de cet air vital qui lui fait tant défaut, ou c’est une quinte de toux qui l’emporte. Par-dessus leur tête, un léger bourdonnement trahit la présence d’un drone aveugle à leur substance. Porteur d’un paquet, il poursuit sa route vers une destination connue de lui seul. Sûrement s’élèvera-t-il vers l’une des nombreuses tours qui ont été érigées il y a plusieurs décennies de cela au-dessus des voies ferrées, malgré des défauts de conception avérés ; un miracle qu’aucune encore ne s’est effondré. Franz hausse les épaules, comme tant d’autres choses, il les contemple avec un mélange d’amusement et de lassitude. Souvent, il compte les lézardes, les trous dans le mur végétal ou encore les filets autour de dalles ; autant de détails qui sont autant de failles dans le bel ensemble. Ils sont au milieu de la passerelle. Sous leurs pieds, une noria de péniches chargées de fret se relaie, sable pour les unes, bois pour les autres ; le charbon a depuis longtemps disparu, en même temps que la centrale thermique dont les fumées noires et toxiques ont longtemps empoisonné la ville où elle avait élu domicile. Un gyrophare crève soudain la nuit ; lumière bleue criarde qui bientôt s’efface. Inlassables, ils poursuivent leur marche. Dans le silence, leurs pas résonnent ; devant eux, la passerelle décrit une courbe qui remonte et dissimule à leur vue le parc floral.

– Est-ce que vous voyez la bitte d’amarrage, non loin du pont Tolbiac ?

Noyé dans une brume perpétuelle, le pont ne laisse entrevoir de sa silhouette que ses contours flous. Un homme marche, il est suivi. Bientôt, quelqu’un le frappera et balancera son corps dans le fleuve vorace, puis s’enfuira et disparaîtra dans le brouillard.

– Oui, murmure Franz.

– Parfait, tousse l’invisible. Il y a un vieil accès aux caves de Bercy ; c’est par là que nous nous rendrons.

Franz hoche la tête ; il tiendra sa promesse. Une main agrippée à la balustrade, de l’autre il le soutient, le temps qu’il retrouve le souffle qui lui manque.

Ses dents luisent dans la nuit, blanches et étincelantes ; ses canines démesurées ressemblent maintenant à des crocs acérés.

Je vais te faire un don a-t-il murmuré après qu’ils se furent posés sur l’une flèche des tours de Notre-Dame, avec pour seule compagnie des animaux fabuleux sculptés dans une pierre plusieurs fois centenaire. Debout dans la nuit, il s’accroche au rebord et contemple la ville. Les voitures filent au rythme de leur moteur asthmatique, quelques courageux enfourchent des vélos, éclairés par d’antiques dynamos, dont la lumière vacille au rythme de leurs efforts, et puis il y a les autres, les piétons noctambules qui déambulaient solitaire ou en groupe ; une faune en devenir. À côté de lui, l’être magnifique a les yeux tournés vers le ciel que seule la lune illumine.

– J’ai une question, a-t-elle murmuré.

– Pose-la moi, souffle l’être d’une voix rauque.

La vision d’un arbre aux branches filasse et au tronc ventru s’impose soudain, surmontée d’une paire d’yeux phosphorescents. Elle n’est plus elle, mais un garçon à la peau ébène et dans le lointain il perçoit le bruit des tambours ; ils ne s’arrêteront qu’à son retour.

– Est-ce que je pourrai changer ensuite ?

Les mots se sont échappés de sa bouche. Depuis trop longtemps retenus, elle ose enfin se confier.

– Non, répond la créature.

Perdue, des larmes roulent le long de ses joues, puis s’envolent dans la nuit, arrachée par les brusques bourrasques qui s’engouffrent entre les tours.

– Car tu as déjà accompli ta métamorphose, ajoute une autre voix.

L’effort lui en coûte, bien plus qu’il n’accepte de l’avouer. Accoudé sur la passerelle, il tente de reprendre son souffle, mais la maladie, depuis trop longtemps, le ronge. Le doute s’installe en lui, sans doute ne reverra-t-il jamais ce lieu secret, à l’abri des drones et des autres ; des larmes roulent le long de ses joues, tandis qu’il expulse dans les eaux sombres un glaviot chargé de sang. Les mains appuyées sur le bord en bois, il contemple le reflet de sa silhouette dans le fleuve.

– Qui es-tu ? murmure-t-il soudain comme il aperçoit l’ombre qui se déploie dans son dos.

Il se retourne ; sur le visage de la créature se dessine un pâle sourire. Puis, sans mot dire, elle le saisit et le soulève, comme s’il n’avait été plus lourd qu’un sac de plumes. L’invisible, entre ses bras, elle saute sur la rambarde en bois, avant de se jeter dans le vide.

– Je t’ai fait une promesse, lui chuchote l’être, comme ils se redressent et s’élèvent.

– Une promesse ? s’étonne l’homme.

Des lèvres se plaquent alors sur les siennes ; elles sont chaudes et ont un goût de miel ; il sent des canines lui transpercer la chair. Autour de lui, tout n’est qu’un maelström pétri de bruits et de cris ; il sourit. Un écart, un virage, la créature fend la nuit. Lorsqu’enfin, il reprend ses esprits, il découvre un jardin de roses et de fleurs sauvages dissimulé aux regards trop curieux, couvé par une lune pâle. Ému, des larmes coulent sur son visage crayeux et se perdent au milieu de sa barbe drue. Allongé au milieu du parterre fleuri, il sent la vie qui le fuit, la vie qui s’enfuit. D’une main maladroite, il cueille un rameau de giroflée fanée. Mais les forces lui manquent et elle retombe mollement.

– Ah ! soupire-t-il, tandis qu’il cherche du regard la créature qui l’a amené.

– Repose-toi ! lui souffle-t-elle au creux de l’oreille.

La voix est empreinte d’une douceur qui lui rappelle celle de sa grand-mère lorsqu’elle le grondait, après qu’il eut une fois de plus filouté un pot de confiture. Une main effleure son visage, douce et parcheminée, elle semble sans âge.

– À présent, je vais t’exaucer, poursuit-elle. Tu es là où tu le désirais, dans ce jardin secret que tu chérissais.

Un vent léger s’insinue entre les branches qui chantent alors.

L’invisible plonge son regard dans l’obscurité lactée et un sourire se dessine sur ses lèvres.

– Bien des légendes courent parmi les invisibles sur des créatures telles que toi. Nous ignorons sur vous êtes des chimères ou des êtres de lumière. Parfois, nous vous apercevons lorsque vous survolez la ville, mais la plupart du temps nous n’en apercevons que vos ombres.

Silencieux, Franz écoute l’homme le cœur serré. Ils sont si peu nombreux à présent, une poignée tout au plus, qui hantent encore la région ; la plupart se sont depuis longtemps exilés, retirés d’une existence qu’ils ne comprennent plus.

– En effet, elles ne sont plus que des ombres, soupire Franz. Mais tant qu’il y aura encore des hommes, je veillerai sur vous.

La bouche de l’homme se tord et une violente quinte de toux l’emporte ; du sang macule sa barbe crasseuse. Franz sort alors un mouchoir et le trempe dans une flaque. Puis, d’un geste lent nettoie la figure sale de l’homme étendu sur le sol.

– Les morts ont droit au silence, chuchote-t-il à l’adresse du drone qui passe au-dessus de sa tête, indifférent au sort d’un pauvre hère, dont on aura oublié jusqu’au nom l’existence.

Vif, il tranche l’œil inquisiteur de l’appareil qui continue sa route, tandis qu’il poursuit la toilette de l’invisible dont la vie ne tient plus que par un fil. Sous ses doigts, il sent le pouls s’affoler puis filer.

– Dormez, vous l’avez mérité, murmure-t-il avec tendresse.

Avec douceur, il lui caresse encore une fois la figure, puis se penche sur sa nuque. Les dents transpercent la chair ; elle a un goût de terre et le sang un goût de fer. Il ne sentira rien ; il le sait.

Les yeux grands ouverts, l’invisible contemple toujours le ciel tandis que la silhouette penchée dans les ténèbres déploie ses ailes, couleur ébène ; il est mort. Mort anonyme, mort invisible, mort indicible. Toujours penchée sur lui, la créature lui ferme les yeux, puis le prend entre ses bras. Elle ne l’abandonnera pas, pas dans la ville Ténèbres.

*

Debout à côté du lit, il contemple le ballet muet.

– Pourquoi avez-vous évoqué une monade, capitaine ? murmure pour lui-même Achille comme il effleure du bout des doigts les draps.

– Au premier degré viennent les monades simples, nues. Elles ne sont que perceptions inconscientes, sans mémoire ni conscience, elles sont minérales. Au second, elles acquièrent conscience et mémoire, elles sont le vivant primitif, dépourvu de raison. Viennent ensuite les monades libres, car elles sont douées d’aperception, étant conscientes de leur état, mais parce qu’elles ont conscience d’elle-même elles connaissent la douleur et la peur. Au-dessus, il y a les anges. Dieu dira enfin Hegel dans ses « Leçons d’histoire de la philosophie », dieu monade des monades, car il les contient toutes à la fois.

Un sourire flotte sur ses lèvres, tandis qu’il tire sur sa cigarette. Un instant, l’extrémité rougeoie, puis s’éteint ; un mince filet de fumée s’élève soudain.

– Je vous le répète Achille, tout ici n’est qu’artifice et pourtant rien n’est factice.

D’un geste rapide, il attrape un cendrier et écrase le mégot.

Sur les murs, les silhouettes s’étirent puis disparaissent, prisonnières d’un schème qui leur échappe. Sont-ils des hommes ? Sont-elles des femmes ? Achille ne répond pas ; il regarde. Plongé dans le silence, il en appelle à sa mémoire.

– Capitaine Vrénillac…

Du bout de l’index, il pointe la masse grise qui émerge du vagin de la malheureuse étendue sur le lit.

– De combien de temps disposons-nous pour quitter la pièce ? murmure le capitaine, livide, le visage fermé.

– Je l’ignore. En fait, tant que son cœur bat encore, ensuite…

Du regard, Vrénillac balaie la pièce. Vaste, elle n’offre en revanche guère de solutions de repli, ou d’abri, en cas d’explosion, hormis une lourde armoire en fer dont les battants reflètent la lumière de leurs torches.

– Pensez-vous qu’il nous reste assez de temps pour renverser cette armoire et caler un lit derrière ?

Achille hausse les épaules. Un instant plus tard, et après avoir ordonné à ses hommes de se replier hors de la zone en l’attente de renforts, ils courent vers le meuble.

– Attrapez donc ce matelas docteur Brévin, pendant que je couche cette armoire ! s’exclame Vrénillac.

À peine ont-ils glissé le sommier derrière la muraille d’acier qu’une formidable déflagration les projette contre la paroi qui s’écroule sous l’effet du souffle.

– Où sommes-nous ? marmonne Achille tandis qu’il tente de se redresser, le dos perclus de douleurs.

Mais seul le silence lui répond, alourdi d’une fumée grise et suffocante.

Quelque chose lui échappe.

*

– Mon monde…

Les mots glissent sur lui, s’enfuient. Par la fenêtre grande ouverte, le vent s’engouffre et lui arrache un frisson. Ses bras se resserrent encore plus un peu plus autour de la taille de cette femme dont la peau cuivrée pâlit sous les rayons de la lune.

– Hugo…

– Mourir, c’est si beau…

– Chut…

Les mots se perdent ; une bouche rencontre la sienne et un tourbillon d’émotions les entraîne. Peu leur importe, ils s’emportent et, sous le regard obscur d’un astre taciturne, commence l’étrange métamorphose de deux amants en anges.

– Un jour…

Ultime bravade d’un homme dont le cœur saigne de ténèbres.

– Je t’en fais la promesse.

– Lorsque tu seras prêt.

– Peut-être jamais…

– Qui sait ?

*

Une composition, un monde en miroir. Sur le mur, les silhouettes ombrageuses poursuivent leur métamorphose.

– Le monde est une anamorphose, Achille. Prenez donc ce globe de vulgaire cristal et regardez donc au travers.

La sphère repose toujours sur son trépied en cuivre terni. Un peu de poussière s’est déposée dessus ; une négligence pardonnable. Debout dans la chambre, la main sur l’étagère, ses doigts courent sur le métal ciselé.

– Pourquoi avez-vous disparu, capitaine ? marmonne-t-il.

Soudain, la boule bascule, roule sur le meuble. Surpris, il tend la main, mais déjà la sphère chute depuis le rebord. Impuissant, il contemple sa descente vertigineuse. Il sait déjà qu’elle se fracassera ; à ses pieds, la monade vole en éclat tandis qu’en son cœur se dévoile un secret ; une minuscule bille argentée. Au creux de sa paume, elle semble peser bien trop lourd. Au-dessus de sa tête, un ange asexué déploie son être et ses ailes ; les bras repliés sur son absence, puis explose révélant un cœur brûlant. Un instant, la pièce scintille de mille feux, puis s’obscurcit aussi soudainement qu’elle s’est éclaircie. Les yeux étrécis, Achille contemple les restes du faux œuf de Fabergé. À l’image de ce lieu, tout n’est que mirages et illusions ; l’on croit se saisir de la chose et elle s’échappe et se soustrait au regard. Un sourire se dessine sur ses lèvres ; il n’a plus rien à faire ici, il peut partir.

*

Les mots s’échappent d’entre ses lèvres. Les yeux grands ouverts, il contemple la femme assoupie ; sa peau cuivrée pâlit sous les rayons de la lune. Il s’interroge. Comment nier l’évidence ? Le cœur a ses raisons que la raison ignore ; il rit et son rire se perd dans la nuit. Avec lenteur, il s’écarte de la couche tiède ; Saejin dort profondément, elle ne se réveillera pas. D’une main délicate, il caresse son visage, puis se lève dans les ténèbres. Où sont-ils ? Chez lui ? Chez elle ? À pas lent, il se dirige vers la fenêtre, dissimulée par de lourdes tentures mauves. Une odeur de musc, de sueur et de fluides l’entoure ; il n’est pas jaloux.

Seul dans la cabine, une puissante odeur chimique de désinfectant lui agresse le nez ; il éternue, mais aucun écho ne lui parvient. D’une main distraite, il en éprouve la surface lisse et sans aspérité ; un rêve d’éternité glacée. Ses yeux tombent sur le téléphone, en fait un écran holographique incrusté dans le mur qui projette un antique appareil en bakélite. Il hésite, tout lui paraît incongru, comme ce télescopage entre deux temps que tout sépare. Plus loin, une affiche, prisonnière d’un glacis de plastique, explique la procédure de désinfection et de préparation ; Max suit la marche à suivre : déshabillage,

Veuillez accrocher vos habits sur la patère prévue à cet effet et vos effets personnels dans le coffre situé au-dessous.

Tout objet retrouvé hors de la zone sera immédiatement détruit.

lavage des mains pendant une minute avec une solution hydro-phénolique agressive ; une minuscule caméra surveille l’impénitent, puis c’est le rituel de l’habillement, charlotte, surchaussures, blouse en plastine cellulosique ; il étouffe déjà, et de nouveau des ablutions ; l’alcool lui ronge la peau et ses mains se couvrent de plaques rouges. À peine achève-t-il ses frictions que la porte s’ouvre en silence sur une pièce aux allures d’aquarium.

– Entrez donc ! s’exclame une voix.

C’est une silhouette animée d’un sourire bien trop vrai pour être sincère qui l’accueille ainsi.

Par la fenêtre, il aperçoit une faune éclectique, composée de clochards et de personnages à la dérive. Quelques-uns braillent, d’autres invectivent ; il les devine à leurs grands moulinets. Soudain, ils se dispersent ; un gyrophare vient de surgir du fond de la nuit. Son poing se crispe et ses doigts enserrent la tenture.

– Lâche ! s’accable-t-il, comme il détourne la figure.


Texte publié par Diogene, 27 mai 2018 à 16h12
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