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Frankenstein ou le Prophète Ressuscité
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tome 1, Chapitre 18 « La Chambre des Echos » tome 1, Chapitre 18

La mémoire, c’est comme l'écho qui continue à répercuter après que le son s’est éteint.

Samuel Butler, Carnet

La décision est-elle empreinte de sagesse ou n’est-elle qu’un pas de plus vers cette folie qui, en chaque instant, menace de m’engloutir ? Je n’ai eu de cesse ces derniers jours de me plonger dans l’abîme organique qui constitue le sous-sol du manoir. Le soir, quand mes domestiques s’en vont prendre leur quartier dans les annexes, je descends à la lueur de mon oriflamme et je demeure des heures durant à la contempler. Il n’est que lorsque le froid devient trop mordant que je quitte les lieux. Souvent, je n’ai plus qu’un lumignon pour seul guide. Désormais, il m’est tout à loisir possible de m’y aventurer, sans même l’aide de cette maigre chandelle. Chaque pierre, chaque porte, chaque marche, toutes ont imprimé leurs marques dans ma chair. Je connais la moindre de leurs aspérités, le moindre creux, la moindre irrégularité. Est-ce à cela que j’en suis réduit, devenir comme les murs de cette bâtisse ? M’y incruster et mourir, car j’aurai perdu toute raison ?

Je l’ignore et lorsque je me remémore ces longues passées à la conserverie, où tous m’ont regardé comme si mon esprit venait de me quitter, je m’interroge. Quel mal, quelle malignité y a-t-il à restituer à César ce qui lui appartient ? L’argent n’est que vent de folie et de méprise. Il n’a ni odeur ni saveur, d’âme non plus. Alors que penser de ces hommes, ces femmes qui se lèvent chaque matin, pour prendre la mer, pour se rendre à l’usine ? Ils sont riches de leurs expériences, de leur vie. Hélas, le chemin est encore long jusqu’à ce qu’il prenne conscience du cadeau que je leur fais. Je suis un savant et un ignorant. Je me fais humble devant ma propre ignorance. Je souhaite que l’expérience soit constructive. Il y aura des erreurs, mais ce sont de nos échecs que nous apprenons, car nous nous corrigeons. Ainsi leur ai-je confié, le temps de mon absence, la gestion de la conserverie, tout en leur recommandant de ne pas céder aux sirènes des promesses faciles et rapides. À toutes fins, j’ai laissé quelques instructions à quelques-uns des ouvriers en qui j’ai toute confiance. À vouloir toucher du doigt le soleil, Icare ne s’est-il point brûlé les ailes ?

J’en goûte encore les fruits amers, ainsi que me le prouve, chaque jour que dieu fait, la lecture du récit de mon oncle. Elle est comme ces visions qui plus jamais ne me quittent, depuis que je suis descendu dans ce puits de ténèbres. Je les tiens à distance par de multiples artifices, au prix d’une santé chancelante. La chose est déraisonnable et j’en suis conscient. Alors pourquoi ne puis-je puiser en moi l’énergie que je consume à petit feu, en noyant mes illusions à l’aide de la petite fée verte ? La flasque danse devant mes yeux, car elle sait qu’elle me procurera cette paix intérieure qui me fait tant défaut. Damné sois-je, que d’en avoir libéré le mauvais génie, aux airs si séduisants ! Ne l’ai-je point déjà refermée une première fois ?

La flamme de ma lampe charbonne déjà. Il me faudra bientôt cesser de coucher mes réflexions pour m’en aller gagner le lieu de mon repos ; une couche spartiate néanmoins confortable.

Journal de H.F

Le 9 mars 1894

La peur, les coups, le bruit des lames qui s’entrechoquent, les gémissements, la morsure du métal dans la chair. Toute la nuit, ils l’ont hanté. Il ferme les yeux, encore une fois, mais les rouvre aussitôt. Derrière ces voiles de chair que sont ses paupières, il aperçoit encore les ténèbres. Allongé sur le dos, il contemple les raies orangés du soleil levant qui s’étirent au plafond. Il n’ose pas bouger. Dans ses entrailles nouées, il sent monter la nausée, vague, douloureuse et lancinante. Elle afflue, puis reflue ; elle est la marée, le ressac de son sommeil hanté par les cauchemars. Inspiration. Expiration. Il écoute son souffle, à contre-courant de cette lame de fond qui le berce. Une chanson trouble sa concentration.

Je suis l’homme à tête de chou

Moitie légume et moitie mec

Pour les beaux yeux de Marilou

Je suis allé porter au clou ma Remington

Et puis mon break

C’est son réveil qui lui rappelle que le soleil se lève et lui aussi. Marée montante, marée descendante, la nausée demeure maîtresse de ses entrailles ; sournoise présence qui le fait tituber. Appuyé contre le cadre de sa fenêtre, il contemple les fissures orangées qui colorent le ciel, au milieu desquelles flotte l’image rémanente de cet œil noir et luisant. Si faire parler les morts relève du folklore, faire parler la matière, même morte, en est une autre. Cet étudiant, au nom improbable, n’avait pas souscrit d’abonnement pour utiliser toutes les potentialités de cette extension numérique de lui. En revanche, rien ne dit que le capteur quantique présent en son cœur ne possède pas quelque mémoire de ses dernières heures. Après tout, les antiques disques durs magnétiques gardaient toujours une trace, même infime, de leurs écritures. Attablé devant son petit déjeuner, il attrape son téléphone qui traîne entre deux tasses. Dans le reflet de l’écran, des yeux cernés et creusés fixent un horizon qui n’en est pas un. Ses doigts pianotent quelques secondes, puis il le balance, négligemment. Une vibration lui indique que son message est arrivé à destination. Las, il se saisit de sa tasse d’une main tremblante. Dans le creux de son estomac, le ressac des vagues nauséeuses reprend de plus belle.

– Ah, ah, ah. Regardez-le !

Les voix fusent de toutes parts, se répercutent sur les murs du gymnase, lourdes, grasses ; elles sont autant de coups qui le frappent.

– Tapette ! Pédale ! Pisseuse !

Les professeurs ont depuis longtemps détourné le regard. Un coup plus fort que les autres le prend au dépourvu, dans l’estomac. Son corps se plie en deux, pourtant il ne ressent nulle douleur. Où est-elle passée ? Il l’ignore, alors il fait semblant. Soudain, un jet jaune et chaud le cueille à hauteur du visage, tandis qu’on le jette à terre.

– Ah, ah, ah ! Alors elle est comment ma potion magique ?

Le tumulte des voix se perd dans sa tête ; elles ne sont plus qu’un bourdonnement désagréable. Elles se dispersent, dominées par une autre plus forte.

– Et toi ! Va à la douche ! Tu empestes !

Il a envie de sourire devant tant de cynisme et d’ironie. Avec une difficulté calculée, il se relève et se traîne vers les vestiaires.

– Oui, m’sieur.

– Tu n’auras qu’à piquer quelques serviettes propres dans la réserve.

Un instant, il faillit succomber à la tentation de se confier.

– Merci, m’sieur.

– File !

L’ordre fuse, pourtant il ne peut s’empêcher d’y percevoir une sincère tristesse dans le timbre de sa voix.

Penché sur la cuvette de ses toilettes, le visage couleur cendre ; des suées lui glissent le long de l’échine, il contemple les restes de son petit déjeuner qui flotte à la surface d’une eau devenue verdâtre. Un goût de métal lui emplit la bouche, en même qu’une faim ancienne s’éveille. Le doigt porté à sa lèvre, il se teinte de rouge. Adossé au mur, il l’observe avec détachement tandis qu’un sourire étrange se dessine sur son visage. Un rire cristallin lui échappe, nerveux, sec et glacé, qui couvre les flots rugissants.Dans le lointain, un téléphone stridule dans le vide.

*

– Oh ! vous savez, cela fait un bon moment que cet appartement est vide. Mais je l’entretiens toujours ; je reçois tous les mois l’équivalent de vingt heures de ménage. Entre nous, je préfèrerais laisser un robot nettoyeur faire le boulot. Hélas, non ! Une clause dans mon contrat m’interdit d’en faire usage. Sinon, pfiout ! Plus de paye. Alors voilà, toutes les semaines je m’en viens passer le chiffon et l’aspirateur, voire la serpillière quand le besoin s’en fait sentir..

– Je peux ?

– Attendez, j’vous attrape un cendrier.

– Merci !

L’homme s’éclipse, puis revient quelques instants plus tard, une coupe en marbre noir entre les mains.

Pas possible ! Il ne peut rien faire comme tout le monde.

– Tenez ! Je vous le pose sur cette tablette. C’est qu’il est lourd. Maintenant, si ça ne vous fait rien, je dois vous laisser. J’ai d’autres appartements à nettoyer ; les clés sont sur la table du salon.

– Vaquez ! Je vous en prie. Où est-ce que je vous dépose les clés, quand j’aurai fini ?

– Dans le coffre en face de la loge. Je les récupérerai ce soir. Bonne journée, monsieur.

– Je vous remercie. Bonne journée.

Dans un bruit de semelles crêpes, l’homme de ménage s’éloigne. Une porte claque et c’est le silence. Seul dans l’appartement, il balaie du regard les lieux. Une légère odeur de renfermé flotte dans la pièce. Bien sûr, aucun robot ménager, fût-il un petit aspirateur passe-partout, ne viendra jamais ici ; ce ne sont que des mouchards. Dans la pénombre, il entend le bruit des pas du concierge qui s’éloigne. Les lames fatiguées du parquet grincent à son passage ; bientôt la moquette les étouffera lorsqu’il s’engagera dans les degrés de l’escalier. Les yeux étrécis, il s’avance vers la porte. Un instant ses doigts courent à la surface du verrou, puis s’arrêtent soudain. L’homme sort alors un monocle d’horloger de sa poche et le place à quelques centimètres au-dessus de l’aspérité qu’il a repérée.

– Merci d’avoir répondu favorablement à mon invitation, docteur Brévin. Je n’ignore pas son caractère inhabituel, mais…

L’homme n’achève pas sa phrase. Il se tient debout, face à une fenêtre obscure. Derrière lui, son invité n’a pas bougé ; seule sa respiration trahit sa présence au cœur du silence.

– Asseyez-vous, docteur ! Je vous en prie. Ne forcez pas votre jambe, je ne mérite pas autant d’attentions et puis le protocole… Faites-moi plaisir, oubliez-le ! Nous ne sommes plus en temps de guerre…

Il se tait un instant, puis reprend :

– Enfin, c’est à voir. Qu’en pensez-vous, Achille ?

Debout, le front presque contre la fenêtre, le regard perdu dans la contemplation des souvenirs d’une ville imaginaire, il est presque surpris de la familiarité avec laquelle le vétéran de l’armée de terre s’adresse à lui. Il se retourne. Un sourire triste se dessine sur ses lèvres.

– Hélas, tant que l’humanité n’aura pas appris qu’il existe des limites qui ne peuvent être franchies, alors je crains que nous ne connaissions jamais la paix.

Un pli soucieux barre le front du militaire.

– Malgré toutes ces années, vous n’avez pas perdu de vue votre passé. C’est une chose fort rare, vous savez. Regardez autour de vous. N’importe qui de votre génération penserait que je suis paranoïaque, car je ne possède aucun ou presque de ces fabuleux objets électroniques. En fait, je n’ai rien oublié de ce qu’ils sont capables d’accomplir.

– En effet, capitaine, soupire Achille, les yeux posés sur un vieux miroir en étain ; il lui rappelle ceux de cette femme juste avant qu’elle ne fasse exploser la charge qu’on lui avait placée dans l’abdomen.

– Tout ce que vous voyez ici date d’au moins un siècle. Certains n’y verront qu’une lubie de ma part. Moi je contemple un fragment de mémoire, un souvenir vital.

Qu’entendait-il par là ? Achille face au vieux miroir poussiéreux s’interroge tandis que reviennent toutes ces soirées passées en sa compagnie, au cours desquelles ils échangeaient mille et un mots sur ce monde dont ils craignaient de ne plus saisir le sens ni la marche. Quelques instants auparavant, il avait joué de cet habile mécanisme, dissimulé dans la serrure de la porte d’entrée, qui permettait, à quiconque en avait connaissance, de verrouiller la peine, sans que la clé fût de mise. Remplacés par leurs homologues digitaux, les rossignols sont une espèce quasi éteinte dans le milieu des monte-en-l’air, aussi ne sont-ils guère à craindre. Tout à ses réflexions, il explore les autres pièces de l’ancien appartement du capitaine, devenu commandant, Vrénillac. Rien n’a changé, sinon un peu de poussière sur les meubles et cette légère odeur de renfermé qui imprègne les murs. Achille soupire, se demandant ce qu’il est venu chercher en ces lieux.

– Où êtes-vous donc allé vous réfugier, commandant ? Je ne puis croire que vous avez fui, murmura-t-il, comme s’alourdit soudain l’enveloppe dans sa veste.

Sur le seuil de la porte, il balaie du regard la chambre obscure. Un lit à baldaquin avec une magnifique tête en bois sculpté accueille le dormeur en quête d’une couche douillette. De part et d’autre, en regard d’un petit miroir, des tables de chevet sur lesquelles trône une paire de lampes-tulipe. Un sourire narquois illumine sa figure.

– Sans doute trouverez-vous cela étrange. Mais j’ai toujours au goût pour les spectacles de magie et d’illusions. Il n’y a rien de plus merveilleux, et en même temps de plus frustrant, qu’un tour de magie. Vous avez beau savoir qu’il y a une astuce, qu’elle se trouve sous votre nez, la beauté du geste l’occultera toujours. Je ne prétends pas être un grand de ce monde étroit, mais j’ai quelques tours dans ma besace.

Puis sans un mot, la lumière du salon s’assoupit tandis que son nez se met à briller de mille feux. Achille ne peut se retenir de sourire. Personne dans le commando n’aura soupçonné que leur supérieur était au fond demeuré un grand enfant.

– Bravo ! Vous m’avez bluffé. Mais, je vous en prie, ne me dévoilez rien. Je préfère garder cette image intacte ; elle est si innocente.

Le regard du commandant se durcit aussitôt.

– Rien n’est innocent, docteur Brévin… pas même cet inoffensif tour de magie.

– Non, rien n’est innocent, murmure Achille comme il se penche sur l’une des deux lampes de chevet.

Il tâtonne quelques instants à la recherche du cordon électrique, puis ses doigts le remontent jusqu’à l’interrupteur. Une douce lumière orangée envahit soudain la pièce et dévoile des murs peints couleur du soleil couchant. Amusé, Achille allume la seconde. Mais plutôt qu’une nouvelle source qui percerait la pénombre, les ténèbres s’épaississent et se découvrent des paysages désertiques. Un homme, à moins que ce ne soit une femme, après tout ce n’est qu’une silhouette qui se tient à l’horizon, observe l’infinité des dunes qui s’étendent à perte de vue. Étendu sur le lit, il admire le panorama surgi des parois mornes et grises.

– Il est comme une monade.

Qu’entendait par là le commandant Vrénillac ? Achille l’ignore encore et pour le moment, il s’abîme dans la contemplation d’un illusoire panorama. Silence immobile, c’est à peine s’il entend le bruit de sa respiration, alors même que dans le fond résonnent les notes noires et lugubres d’un invisible piano. Les paupières closes, ses mains au-dessus de son visage, ses doigts s’agitent dans le vide.

– Vous aimez ?

La question le surprend presque. Ses lèvres s’entrouvrent à peine qu’elles se referment. En face de lui, le commandant lui sourit ; de minuscules ridules courent sur son visage, seules traces de son âge véritable.

– Pourquoi est-ce que je vous montre ? Pourquoi ? Pourquoi ? N’est-ce pas ? Les questions se bousculent depuis quelque temps.

Achille ne dit rien. Vrénillac s’empare de son paquet et en sort une cigarette.

– Vous en voulez-une, docteur Brévin ? lui propose-t-il tandis que la flamme de son briquet lèche les brins de tabac brun.

Mais il décline l’offre ; les yeux incapables de se détacher de l’extrémité rougeoyante.

– Dites-moi. Quand avez-vous été démobilisé ?

– En 2063.

– Déjà cinq ans. Comme le temps passe vite, mais d’autres l’auront déjà dit avant moi.

Vrénillac tire sur sa cigarette, le regard porté vers le vague à l’âme.

*

L’homme contemple sa chute. Un sourire sardonique flotte toujours sur ses lèvres, en même temps qu’il s’interroge sur la nature de la pulsion qui l’animé lorsque ses mains se sont refermées sur son cou. Une énergie soudaine avait coulé dans ses veines, tel un flot de lave ardente, mais il n’était pas allé plus loin. Son mouvement était demeuré en suspens. Il avait relâché son étreinte. Penché par la fenêtre, tout en prenant garde au vent violent qui s’enroule autour de la tour, il l’imagine qui rebondit contre la paroi de verre, avant qu’elle ne s’écrase par terre ; toute cette vie gâchée. D’un geste sec, il la referme, les mains tournées vers son visage

– Pourquoi ? soupire-t-il.

Les mots lui échappent. Sa bouche s’ouvre, puis se ferme. La pièce plonge dans l’obscurité. Apaisé, il s’avance dans le noir vers la colonne qui se dresse au milieu de la salle.

– Je désire être seul, murmure-t-il à l’adresse d’un invisible majordome.

– Il en sera fait selon, maître, rétorque un écho.

– Merci.

L’homme s’éloigne d’un pas silencieux et s’en retourne admirer la vue nocturne. Par la baie vitrée, il domine la ville tentaculaire dont personne ne sait où elle commence, où elle finit. Son sourire ne le quitte pas tandis que son regard glisse jusqu’à l’horizon lumineux. En dessous, la horde humaine affamée s’agite en vain, à la recherche de plaisirs immédiats et incertains. Il se détourne. Dans le ciel, un fin pinceau laiteux balaie les tours et éclaire un instant l’intérieur de la pièce. Un visage enjôleur s’affiche sur le mur puis disparaît, réclame mensongère pour une seconde jeunesse.

– Contemple donc ta création et sois fier, Hugo ! ricane-t-il en s’enfonçant dans la nuit.

*

–… La pièce que vous apercevez est stérile, ainsi sont préservées la vitalité et la productivité des cellules embryonnaires. De cette manière, nous optimisons le rendement embryonnaire, tout en nous assurant de leurs qualités intrinsèques. Bien sûr, personne ne touche les embryons, ils sont bien trop fragiles. Toutes les manœuvres, qui ont lieu à l’intérieur, sont effectuées par des robots commandés par nos opérateurs. Peut-être pouvez-vous les apercevoir ; ils se trouvent derrière la baie vitrée au fond de la pièce.

Curieux ou obéissant, il s’exécute. Par le hublot, il croit apercevoir des silhouettes en combinaison ; dans leurs orbites roulent des yeux de poissons morts.

– Avez-vous choisi, monsieur ?

Accoudé sur le rebord d’un bar, Max lève la tête, las. La carte est toujours entre les doigts. Il glisse un nouveau regard vers elle, puis la referme.

– On va dire que oui. Mettez-moi un Ange de Minuit !

– Tout de suite, monsieur.

Max observe l’élégant s’emparer de quelques bouteilles dont il ne connaît, pour certaines, pas le nom. Comme ce dernier le surprend, il lui adresse un étrange sourire, puis pose un doigt sur ses lèvres. Poli, Max lui tourne le dos tandis que ses yeux se posent sur le carton d’invitation. Il s’interroge encore sur les raisons qui l’ont poussé dans ce lieu, qu’il pourrait presque qualifier de perdition. Il sourit, amusé par sa propre réaction. Il fait revenir à lui l’image de cette femme à l’allure féline qui l’avait servi dans ce bar, situé à quelques minutes de l’IVR.

En fond, un orchestre diffuse une musique lourde qui n’est pas sans lui rappeler des morceaux du siècle dernier, au tournant des années quatre-vingts lorsque les jeunes ne juraient que par « No futur ». Perdu dans l’écho de son souvenir, il ferme les yeux et n’entend pas le téléphone qui lui signale l’arrivée d’un message.


Texte publié par Diogene, 9 décembre 2017 à 14h39
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