Homme poussière, homme du désert
Il est l’hôte d’un mirage, l’hôte d’un miroir
Prisonnier de ce qu’il pense être son savoir
llusionné par les visions de son enfer
Un Prisonnier, A. Sceaux, 1921
Paris, 25 octobre 2014
Nerveux, Henri consulte sa montre. La veille, il a promis au commissaire Bréjac de lui rendre le précieux manuscrit avant quinze heures. En fait, il a tout juste le temps d’attraper une rame de la ligne 7 – dont la bouche se trouve en bas de la rue Monge – en direction de Châtelet. Ensuite, il prendra sa correspondance pour la ligne 11 qui l’emmènera sur l’île de la Cité. Perdu dans ses réflexions, il ne prête aucune attention aux noms qui défilent et c’est la voix feutrée du conducteur qui le tire de sa torpeur en annonçant la station Châtelet. Pris de panique, il se jette à bas de la voiture et traverse comme une flèche la le passage souterrain, en direction de la sortie 1, quai des Orfèvres. En surface, c’est d’un pas ferme qu’il marche vers la Tour Pointue.
Une cloche carillonne, c’est Notre-Dame. Elle sonne la demie de quatorze heures. Henri souffle ; il est à l’heure.
Dans les couloirs, alors qu’il se dirige vers le bureau du commissaire, une jeune femme un peu pressée manque de le faire chavirer. Il ne doit son rétablissement qu’à son jeu de jambes, ainsi qu’à la chance matérialisée par une moulure affleurante.
– Oh ! Je suis confuse ! s’exclame-t-elle, tandis qu’elle se précipite sur le parquet pour y ramasser des dossiers en désordre.
– Permettez !
Henri se baisse à son tour. Lorsqu’il relève la tête, il reconnaît la jeune femme qu’il vait (avait) rencontré (rencontrée) la veille dans le labyrinthe souterrain de cette même maison.
– Oh ! Je suis désolé. Je… je ne crains d’avoir oublié votre nom.
– Ne vous inquiétez, monsieur Mersandier ! sourit-elle (Mademoiselle Froissac. Marie-Angèle.
Henri se sent rougir jusqu’à la racine des cheveux, mais il ne peut ajouter quoi que ce soit. Hélas, une voix qui jaillit d’un bureau appelle déjà la demoiselle :
– Mademoiselle Froissac ! Vous êtes-vous égarée ?
– Oh ! Nullement commissaire. Juste une petite collision. J’arrive tout de suite.
Elle s’éclipse et abandonne un Henri tout penaud. À l’autre bout de la pièce, Charles n’en perd pas une miette et se dérobe aux regards comme si de rien n’était.
Quelques minutes plus tard, quelqu’un frappe de discrets coups à sa porte.
– Entrez donc, mon petit Vérandier ! s’exclame-t-il, tandis que le timide lieutenant pénètre dans son antre.
– Commissaire. Je vous remets le carnet de Fabrice Carroney, ainsi que les notes que je vous avais promises.
– Merci, Versandier. Dites-moi, où comptez-vous vous aller cet après-midi ? Je vous sens très préoccupé.
Henri soupire :
– Je pense me rendre à la bibliothèque universitaire de la Sorbonne. Ce carnet renferme des choses fort déconcertantes et qui en leur temps ont été rejetées par le corps médical français. Cependant, quelqu’un de plus qualifié le confirmera. Mon hypothèse serait que monsieur Carroney souffrirait de troubles de nature schizoïde ou dissociative.
Charles, qui l’écoute d’une oreille attentive, ne manque pas de déceler la légère inflexion de sa voix à la fin de sa phrase.
– Vous ne semblez pas convaincu par cette hypothèse. Qu’est-ce qui sème donc ainsi le doute en vous ?
– Une impression commissaire. Seulement une impression.
Charles sourit et s’approche de lui :
– Fiez-vous-y. Les impressions, les intuitions, allez-y ! Pour ma part, la vie m’a trop émoussé. J’ai confiance en vous. Je ne vous retiens pas. De plus vous venez de m’offrir de nombreuses heures de lecture bienvenue.
– Je vous remercie, commissaire. Je file ! dit-il tandis qu’il se dirige vers la sortie.
– Son service finit à dix-huit heures ! lance Charles de manière inopinée.
Henri se retourne net, interloqué. Mais son supérieur se contente de lui renvoyer son sourire, les yeux pétillants.
– Merci, commissaire. Je n’y manquerai pas ! s’exclame-t-il en refermant la porte.
Dans le couloir où ne circulent qu’agents et autres piétons, Henri hésite un instant, consulte sa montre, puis quitte les lieux. Sur les quais, des passants pressent le pas en direction de la bouche de métro. Henri a soudain l’impression d’être un intrus, non parce qu’il ne court pas, mais parce qu’il sait. Un savoir qui l’entraîne vers une peur souterraine et lointaine, dont les origines se perdent quelque part dans les méandres obscurs de sa généalogie.
– Ne serais-tu pas en train de devenir paranoïaque ? se murmure-t-il à lui-même.
Cependant, il chasse son angoisse en se remémorant les paroles de Charles : « Son service finit à 18 heures ! ». Comme il a hâte ! Il tuera le temps là-bas, dans les bibliothèques austères de la cité universitaire. Dans l’instant, il attend la rame qui l’emportera dans le sud de la capitale, non loin de la porte d’Orléans.
– Cité universitaire !
Le ton nasillard s’échappe des haut-parleurs du wagon. Henri se lève et pose le pied sur le quai. Du regard, il cherche les panneaux indicateurs. Dépité, il jette son dévolu sur un groupe d’étudiants qui sort de la station. Cinq minutes plus tard, il émerge face à la vénérable institution, dont les jardins brillent des mille nuances ocre de l’automne.
Devant l’entrée se dresse un tableau bariolé et haut en couleurs, touffu, confus, qu’il est bien en peine de déchiffrer.
– Pardon, jeune homme ? Vous semblez perdu. Puis-je vous aider ? lance une voix sèche derrière lui.
Henri se retourne et découvre une dame aux cheveux écarlates avec une crête dessinée sur le côté. Elle porte entre ses bras une lourde mallette en cuir.
– Oui ! Je cherche la bibliothèque des Sciences Sociales.
– Ah ! Prenez l’allée sur votre droite jusqu’au grand cèdre, que vous apercevez là-bas. Tournez à gauche, vous tomberez sur un bâtiment en briques rouges. Ce sera là.
Henri la remercie et se retire. Il longe des chemins bordés de massifs pourpres et moirés derrière lesquels s’élèvent, tout en majesté, d’immenses ginkgos dorés. Arrivé au pied du cèdre centenaire, des panneaux en fer forgé signalent au piéton égaré la marche à suivre dans la contrée. Quelques minutes plus tard, Henri parvient à l’entrée de la bibliothèque. Sur son fronton, la devise nietzschéenne « Deviens ce que tu es ! » gravée dans la pierre. À l’intérieur, un cerbère en tailleur lui demande sa carte d’étudiant :
– Je regrette, monsieur. Vous n’aurez pas le droit d’emprunter des ouvrages, seulement de les consulter sur place.
– Aucun problème, madame. Pouvez-vous cependant m’indiquer le département de psychologie et…
Henri aurait aimé ajouter « mythologie », mais le regard de son interlocutrice l’en dissuade.
– C’est au troisième étage. L’ascenseur est bout de ce couloir, lui répond-elle sèchement, en pointant du doigt un sombre passage.
– Merci, madame.
Il s’éloigne, puis disparaît entre les mâchoires de fer de la cage d’acier.
Un instant plus tard, celles-ci le libèrent et découvrent par là même ce qui ressemble, à s’y méprendre, aux combles d’un antique château. Épars, des jeunes gens compulsent des livres ou sont plongés dans leurs notes. Près d’une fenêtre ronde, un guichet tenu par un homme aux cheveux poivre et sel retenus par un catogan. Il est sec comme une paille et avec son nez allongé, Henri ne peut s’empêcher de le voir comme le croisement improbable entre Iggy Bop et John Defool, le héros de Moëbius, dont il a lu les aventures. Henri s’approche à peine de lui que ce dernier l’apostrophe déjà :
– Bonjour jeune homme ! Que puis-je pour vous être agréable ?
– Je cherche des renseignements, répond-il, un morceau de papier entre les doigts, dont le bibliothécaire s’empare avec avidité.
– Hum. Ne bougez pas ! Je reviens tout de suite.
L’homme s’éclipse en un éclair sans plus d’explications et plante Henri qui en profite pour examiner la vue. Le pavillon donne sur une modeste butte, où a été aménagé un labyrinthe végétal composé de buis taillés en topiaires et de massifs, au pied desquelles éclosaient de petites fleurs violette. À droite, un monument en pierre sur lequel repose un anneau de Möbius en bronze qu’un homme – sans doute le jardinier – nettoie avec application. Pendant ce temps le bibliothécaire, en grande conversation avec une jeune femme dans le fond de la salle , réapparaît en portant une impressionnante pile de livres :
– Voici monsieur, glisse-t-il à Henri qui se retourne presque en sursaut. Bien, j’ai tout entendu de votre conversation avec notre charmant cerbère. Que diriez-vous si vous nous inscrivions au registre des consultants avec l’autorisation de madame Poltrène de la chaire de psychologie cognitive ? Vous pourrez sortir un nombre limité de documents. Nous vous demandons juste de les ramener au bout de trois semaines ; exception faite si un étudiant en a besoin entre temps.
– Pourquoi pas ? Que dois-je faire ?
L’homme passe derrière son comptoir, suivi du regard par une paire d’yeux curieux dissimulés dans un recoin de la bibliothèque. Il remue quelques tiroirs et exhibe finalement une feuille de papier couverte de pattes de mouche.
– Remplissez ça ! Je m’occupe de vous obtenir un rendez-vous avec madame Poltrène.
Henri s’empare de la fiche que lui donne John et l’annote avec application.
– Mais où ai-je rangé mes albums de l’Incal ? songe-t-il au même instant.
Quelques minute splus tard, il lui tend ensuite le document paraphé qui reçoit le coup de tampon réglementaire.
– Tenez ! L’heure et le lieu de votre entretien avec madame Poltrène. Demain à onze heures, à l’amphithéâtre Épicure. Cela vous convient-il ? Sinon, elle peut vous voir un peu plus tard dans l’après-midi.
– Non, non. Ce sera très bien, acquiesce Henri, tout occupé à ranger la carte dans son portefeuille.
– D’accord, je lui transmettrai votre réponse. Oh ! Voici les ouvrages que je vous ai trouvés : Dialectique du moi et de l’inconscient de C.G Mung, Hermès trismégiste de Rafaël de Lopez-Poivraza, Persona, cahier de la société de psychologie suisse, les Différentes Saisons de l’Âme de Marie-Claire Dolphin-Noyer, Deux études de psychologie analytique de C.G Mung, C. G. Mung, Réalité du monde intérieur de Hannah Barbera, La Rencontre Analytique de Mario Jacoby, le processus de maturation de l’enfant de Ronald Wermiccott. Et, si vous êtes gourmand ou gourmet, je vous recommande la lecture de cette thèse, enfin seulement la partie qui vous intéresse. La fonction analytique : Freud, Mung, Lacan de Vincent Birbaud. Installez-vous donc ! la bibliothèque fermera ses portes à vingt heures.
Henri le remercie et va s’asseoir à une table solitaire. Sa montre lui indique 15h30, il a encore deux heures bien tassées pour s’imprégner de ces choses dont il n’a, jusqu’à présent, qu’effleuré la surface. Pendant ce temps, une jeune femme s’approche à son tour du comptoir et bavarde à voix basse avec l’homme au catogan, qui lui jette des œillades interrogatives.
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Au même moment, sur la terrasse d’un immeuble, dissimulé au-dessus d’un bar, retenu dans une bulle de temps, un homme contemple la nuit qui passe. Entre ses mains, il tient un jeu plusieurs fois centenaire. Mais ce n’est pas là le seul présent que son frère lui ait (a) fait. Loki, encore un peu étourdi, sort de la poêle à frire tandis qu’Alexandre enfile à son majeur gauche un étrange anneau aux contours flous. Aussitôt celui-ci s’y enroule autour et prend la forme d’un Ouroboros. Étalées sur une table, les cartes brillent de mille feux ; elles lui renvoient l’éclat des étoiles qui illuminent la nuit noire.
– Repose-toi Loki ! murmure-t-il en le couchant dans son nid.
Au bord de la terrasse, il admire la ville assoupie qu’il a parée de ses habits de minuit. Les lumières ne sont plus depuis plusieurs heures. Ne demeure que de rares et pâles îlots, monuments ou noctambules dont le passage éclaire les trottoirs. Il n’est plus l’être qui jadis en appela aux Ombres pour mettre un terme à son existence déniée, et dont l’écho de la souffrance s’est propagé à travers les mondes. Il n’est plus le rapace, le prédateur, celui qui guettait sa future proie et se délectait ensuite des affres qu’il lui avait infligées qu’il lui avait infligé. Non, il profite de la nuit. Il profite de la vie quand bien même il n’ignore pas quel fléau rôde dans les ombres et tourmente la ville de ses maux. Il connaît son rôle : un spectateur, car il n’appartient plus à aucun monde. Un acteur, car il aime ce monde et ils ont scellé un pacte – était-ce nécessaire ?
– Bah, ce n’est que formel, souffle une voix dans l’éther. Nous connnaissons tous deux quels seront nos rôles respectifs.
Alexandre lève les yeux et sourit aux cieux, puis jette un regard compatissant à Loki qui dort encore. Assis, il contemple le jeu empli de magie. Il ôte la bague d’argent et la suspend au-dessus de la table. Elle se métamorphose en une cage de métal aux mailles si fines qu’elles en sont invisibles. Une sphère de vif-argent dont il devient l’épicentre. Il déclame alors d’une voix de stentor :
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Toi que je ne saurai voir, car alors je serai ton esclave
Toi que je ne saurai nommer, car alors je serai ton obligé
Répands-toi et montre-toi ![/center]
– Crois-tu vraiment que je te confierai aussi aisément mes secrets ? Voilà qui est fort naïf de ta part, et malotru qui plus est. Depuis quand forces-tu une jeune fille à te dévoiler ses charmes ? Je te pensais plus délicat que cela, grince une voix surgie du néant.
– J’aurai été fort présomptueux si une pareille idée m’avait une seule fois effleurée. En revanche, rien ne m’interdit d’en saisir les reflets.
– Maudit sois-tu ! Mais sache que l’avenir n’appartient à aucun de nous et tout ce que tu m’arracheras ne sera que les échos d’un passé révolu. Ah, ah, ah…
– Assez de palabres !
– Oh ! Je te reconnais bien là, Alexandre. Non, pardon Achronos, ronronne de nouveau la voix. Allons, voici que je deviens magnanime. Prends donc mes reflets puisque tu les désires tant.
Trois disques sombres flottent au-dessus de la table.
– Je te les offre de bonne grâce, Achronos, ajoute la voix. Eh bien, quoi ? Tu sembles surpris. Tu ne devrais pas. Bien sûr qu’il y a un piège. Maintenant, avec ta non-permission, je me retire.
Soudain, la présence disparaît dans un souffle glacial. Alexandre préfère en rire. Il attrape une à une les taches noires et les précipite dans le jeu d’atouts. Scellée en leur cœur, il peut rompre le charme vénéneux qui les recouvre, de même qu’il peut se libérer du sortilège qui les protégeait lui et Loki. Sa bague retrouve sa forme originelle d’Ouroboros, ainsi que sa place.
L’anneau à son doigt, il frappe le tas de son majeur et trois cartes s’élèvent, prises dans les notes d’un ballet muet. Deux prennent se glisse le long de la courbe d’un cercle imaginaire et la troisième se niche en son centre. Tandis qu’il pose ses yeux sur la première, l’immortel demande d’une voix grave dépourvue de menace :
– Qui es-tu ?
La carte tourbillonne un court instant et dévoile un étrange personnage détenteur d’un baluchon. Sa tête est coiffée d’un chapeau à grelots et il ne porte pas de pantalon. Un chien, entre ses jambes, semble désireux de l’entraver dans sa marche. Son regard, légèrement ironique, est tourné vers un avenir que l’on devine sans limites.
– Je suis l’arcane sans nom, le Mat. Je suis le sage, celui qui renverse l’ordre établi. Dans ce monde, je suis l’Ombre qui pénètre la lumière ; dans d’autres, je suis la lumière qui perce les Ténèbres.
– Que cherches-tu ?
La seconde se retourne à son tour et révélant un homme au front ceint d’une couronne, un sceptre dans la main. Il conduit un chariot tiré par deux chevaux. Homme et animaux, à l’exception du cheval de gauche, scrutent quelque chose vers la gauche.
– Je suis le septième arcane, le Chariot, celui qui conquiert et qui gagne. Je suis l’image recomposée, celle qui de deux miroirs ne font plus qu’un. Mais je suis aussi les instincts primaires et violents de l’homme, dont il doit triompher pour se lever. Je suis instable et provisoire, je ne suis qu’un masque.
Enfin, la troisième se dévoile. C’est un homme porteur d’une lanterne, à l’aide de laquelle il éclaire son chemin. Il s’appuie sur un bâton pour avancer et est habillé d’une pelisse en laine. Il se scrute vers les intérieurs.
– Je suis le huitième arcane, l’Ermite. Je suis tourné vers le passé, que j’illumine de ma faible lanterne, où je découvre les ombres qui seront les lumières de mon présent. Sorti de la caverne, je cherche qui se cache derrière les ombres. Sorti de ma caverne, je cherche la vérité et seul le pénitent peut y être amené.
Ainsi révélées, les cartes s’éteignent d’elles-mêmes et s’affaissent sur la table, le narguant de leur secret.
Un peu ragaillardi, Loki déploie enfin ses ailes :
– J’ai loupé quelque chose, Alexandre ?
– Oh, un simple échange avec un grincheux.
Loki s’apprête à répliquer lorsqu’il aperçoit l’anneau enroulé autour du majeur d’Alexandre.
– Mais, mais… c’est le sceau des Psychonautes ! Alvaro en avait un aussi.
– Oui, et il me l’a confié, de même que le jeu de tarot capable de retenir et de transmuter les reflets des ombres. L’avenir ne nous appartient plus Loki, comme nous n’appartenons non plus à ces mondes. Nous ne sommes presque que des spectateurs, mais je n’en porte pas moins le poids de son sacrifice et du rôle que j’endosse aujourd’hui.
Loki ferme les yeux. Il répugne à se souvenir, quand bien même il accueille l’âme de son ami qui lui a donné une part de sa vie.
– Alexandre ?
– Oui ?
Il hésite, puis lâche dans un murmure :
– Lui révéleras-tu un jour le secret qui vous unit, maintenant que tu sais qui tu es ?
D’un coup, il se sent le cœur lourd et s’assoit face à la serre.
– Oui, souffle-t-il, en levant son regard vers les cieux.
– Et lui ? rétorque Loki. Est-il seulement d’accord ?
– Bien sûr, sourit Alexandre. Après tout nous sommes ses parents, non ?
Il est tard et Paris finit sa nuit, à moins que le rêve d’un Paris dans la nuit ne se finisse. Pour Alexandre et Loki, elle ne fait que commencer. Ainsi va la vie dans le mystérieux bar des Sombrures.
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De l’autre côté, dans une austère mais néanmoins riche bibliothèque, Henri manque d’oublier que le temps est une denrée rare et précieuse, encore plus lorsqu’il s’accompagne d’une pointe de romantisme. Plongé dans la lecture de la Dialectique du moi et de l’Inconscient, il n’entend pas le bibliothécaire s’approcher de lui à pas feutrés.
– Pardon, jeune homme, mais j’ai cru comprendre que vous ne pourriez pas vous attarder.
Surpris, Henri pose sur lui un regard bovin avant de se mettre à bafouiller :
– Ah, euh… oui, mais je… oui… Quelle heure est-il ?
– Cinq heures, Monsieur. N’auriez-vous point un rendez-vous ce soir ?
– Ah ! Si, mais comment ?
C’est par un sourire énigmatique que le bibliothécaire lui répond.
– Merci.
– Je vous en prie, jeune homme.
Henri se lève, puis s’en va non sans avoir rendu la pile de documents à peine entamée. Pendant ce temps, une jeune femme s’avance vers le comptoir et touche deux mots à l’homme assis qui lui tend un petit carton. Par la fenêtre, elle l’observe s’éloigner dans avec un sourire de joie et de tristesse mêlées. Dehors, il presse le pas en direction de la station Cité Universitaire, où il prendra le train pour l’Île de la Cité jusqu’au quai des Orfèvres. Chemin faisant, il se demande s’il ne devrait pas manger quelque chose, mais se ravise :
– Voilà qui serait bien précipité, se murmure-t-il à lui-même.
Arrivé devant la préfecture, il s’installe sur un banc face à l’imposant bâtiment et sort un carnet accompagné de son crayon. Bientôt, il n’entend plus que le crissement de la mine de plomb sur l’épais papier. Depuis qu’il habite sur Paris, c’est la première fois qu’il se remet à dessiner ses rêves. Bercé par le clapotis de la Seine qui coule derrière lui, il erre et ne sent plus le temps passer, pas plus que la présence d’une jeune personne assise à côté de lui. Ses phalanges courent sur la feuille. Elles cherchent l’endroit où il couchera les grains noirs : l’esquisse d’une plage de sable fin, un soleil couchant dans le lointain.
– Que dessinez-vous ?
Henri en fait presque choir ses affaires, comme il est pris au dépourvu.
– Oh ! Pardon, je ne vous ai pas remarquée. Depuis quand êtes-vous là ?
Elle fait mine de contempler Notre–Dame, compte sur ses doigts, puis décrète :
– Au moins dix bonnes minutes, monsieur Mersandier. Il eut été dommage de vous interrompre dans votre œuvre. Que dessinez-vous ?
Henri pose le carnet sur ses genoux.
– Une plage à Okinawa, il me semble. En fait, j’ai l’habitude de conserver ainsi mes rêves, dès que je le peux.
– C’est très joli ! Pourquoi ici ?
Henri pique un fard et, tandis qu’il jette des regards désespérés, il aperçoit la figure malicieuse du commissaire à une fenêtre qui l’encourage d’un sourire.
– Heu, heu, il faut croire que quelqu’un m’a donné rendez-vous. Heu, que diriez-vous, euh, euh…
Comme il s’emmêle les pinceaux, Marie-Angèle enchaîne :
– Venez Henri ! Je vous emmène dans le meilleur troquet de la Cité.
C’est en devisant gaiement que s’éloigne Henri, oublieux de ses peurs et de ses doutes.
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