Dans un désert vide de toute vie, un enfant pleure
Dans un désert où la vie a fui, un enfant se meurt
Dans le secret de son cœur alcoolique, un homme devient douleur
Dans le secret de son cœur alchimique, un homme devient torpeur
Celui qu’on assassine, Sceaux 1925, A.P
Paris, le 24 octobre 2014
Lorsque Alexandre ouvre les yeux, Loki est toujours endormi, mais libéré du sortilège après qu’il eut défait l'Ombre-Alvaro lors de ce duel onirique et épique. Ne sachant s’il doit encore veiller sur lui ou le laisser pour répondre à l’appel du soleil qui fait sa cour à la ville, Alexandre hésite. Cependant, il jette un regard rassurant à son ami et se décide pour une sortie. Ce sera l’occasion de découvrir de nouvelles saveurs. Les médecines indiennes et chinoises sont pleines de ressources, paraît-il. Il lui trouvera bien un petit quelque chose.
Dans le passage, il se mêle à la foule bouillonnante non sans une pointe (d') appréhension, car il ne lui arrive que rarement de quitter son antre ; tous ces gens qui déambulent en tous sens lui procurent un sentiment d’étouffement, chose nouvelle pour lui qui ne sortait qu’au coucher du soleil pour ne fréquenter que des lieux quasi solitaires.
– Est-ce donc cela que les humains appellent l’agoraphobie ? se murmure-t-il à lui-même, avant de partir dans un immense éclat de rire qui résonne jusque sous les voûtes, faisant se retourner la foule dans laquelle se répand alors des remarques peu aimables sur son équilibre mental.
Quelle ironie !
Lui, presque un dieu, le voici pris pour un fou, ou du moins quelqu’un à l’esprit léger. Mais quelle importance cela peut-il avoir ? L’essentiel est d’être, non de paraître. Bien sûr, sa tenue détonne sans doute par sa retenue et sa sobriété au milieu de cette assemblée si colorée, mais peu lui chaut.
Il sort rue Saint-Marc avant de rejoindre celle de Montmartre en direction des Halles du Châtelet. Une fois arrivé, la foule se fait un peu plus éparse et la circulation est claire ; seuls quelques vélos et mobylettes éthériques semblent décidés à se chamailler. Encore une fois, il sent peser sur lui le regard étonné des gens. Pourtant, rien ne le distingue du commun des mortels, si ce n’est qu’il est habillé d’une chemise surmontée d’un gilet sans manche noir et rouge, alors même que tous portent une écharpe autour du cou. Il hausse les épaules et poursuit sa route en direction du 13e et ses mystères culinaires.
Loin de l’agitation qui règne toujours au Louvre et maintenant aux Archives Impériales, au croisement des rues Richelieu et des Petits Champs, Alexandre se promène. Il traverse la place du Châtelet sans prendre garde au rassemblement qui y est né. Il préfère s’attarder sur les quais de Seine, là où pullulent les bouquinistes. Mais son attention est très vite attirée par un étrange défilé qui passe sur le pont Neuf. À première vue, l’on pourrait les confondre avec un groupe d’amis qui enterrerait la vie de l’un des leurs, à moins que cela ne soit simplement des étudiants fêtards et un peu braillards. Néanmoins, que sont donc ces tiges au bout desquelles luisent des bougies de couleur verte, ces toges avec un colimaçon dessiné dessus, ces insultes qui fusent en tous sens et cette multitude de chapeaux pointus – sans compter ce grand échalas perché sur ses échasses ? Cependant, plus encore que ce déferlement de fantaisie, de surréalisme et de non-sens, quelque chose l’irrite – un souvenir, un écho.
Intrigué, Alexandre se mêle alors à la joyeuse assemblée dont personne dans la rue ne semble avoir remarqué la présence. Emporté par le courant, ils s’en vont vers l’Île de la Cité, puis la place Denfert-Rochereau, où trône la gigantesque porte des Enfers de Rodin. Enfin, ils parviennent aux jardins de l’université de la Sorbonne et se rassemblent sur la colline, qui marque l’emplacement de l’ancien Pavillon de Psychophysique et son labyrinthe végétal. Pendant que la foule se disperse au gré des tables et des tentes installées, Alexandre aperçoit un bonhomme coiffé d’un haut-de-forme, dont le port n’est pas sans lui rappeler quelqu’un.
Cependant, lorsqu’il tente de l’approcher, celui-ci semble deviner à chaque fois ses intentions et s’éclipse. Il l’entraîne dans son sillage à la rencontre de paysages où se mêlent visions et illusions. En effet, quand Alexandre se retourne, il découvre deux hommes en échasses qui courent sur place devant lui. Un peu plus loin, ce sont des forêts multicolores, des animaux qui ne le sont pas moins, des montagnes renversées, un lac perdu, où ils ne tardent pas à s’arrêter, pétrifiés par le spectacle qui a lieu dans son reflet hissé dans le ciel. Lui-même se laisse happer par ce dernier qui, dans un tourbillon étincelant, fait défiler les ans, défiler les gens. Souvenirs délaissés, souvenirs oubliés, souvenirs abandonnés, souvenirs volés par ce lac qui répond au nom de Memnys, ainsi qu’il l’a entendu de la bouche du grand échalas. Combien d’esprits, combien de naïfs et de curieux, combien de créatures ont-ils) été piégées par ses eaux troubles ? Des dizaines, des centaines, des milliers peut-être. Il ne compte plus, envoûté lui aussi par la magie de ces lieux. Mais bientôt, ils se relèvent et s’en vont vers cet immense pilier, qui transperce le ciel. Là ils se séparent : l’un disparaît à l’horizon, l’autre s’enfonce dans un bois sombre et obscur, similaire à la forêt des Terreurs.
Un peu intimidé – on le serait à tout le moins – Alexandre s’y faufile et surprend l’homme en grande conversation avec deux énormes sombrures aux yeux mercures. Hélas, il ne peut en saisir la moindre bribe, comme si la scène se déroulait des années auparavant. Cependant, il poursuit la silhouette qui s’en retourne vers le pilier, puis s’engage sur une route remplie de personnages de contes et de fictions. Mais ce ne sont pas là les siens. Eux arrivent en une nuée vrombissante qui a tôt fait de les chasser ; eux, les dieux passés, présents et à venir, qu’il a lui-même croisés au cours de ses odyssées. Néanmoins, ils ne sont que les matérialisations fugaces de sa mémoire et s’évanouissent aussi vite qu’ils sont venus. Entre-temps l’homme a disparu. Qu’Alexandre tourne la tête de toutes parts et son regard s’égare, ses souvenirs ont fui ; nulle trace visible de ce gentleman. Ennuyé, il continue de marcher au gré de sa curiosité, quand surgit d’entre les pavés une porte en chêne et un paillasson déposé au pas, où est écrit en lettres capitales : « Merci de vous essuyer les pieds avant d’entrer. »
Comme il s’avance pour examiner d’un peu plus près cette surprenante découverte, un texte apparaît sur la face :
Attention à la marche, Monsieur !
Veuillez vous essuyer les pieds avant d’entrer.
Alexandre jurerait avoir entendu ce célèbre chien neurasthénique. Il regarde de nouveau autour de lui, rien. Alors plutôt que de poursuivre des chimères, il frotte ses pieds sur le paillasson. Soudain, une voix s’exclame :
– Hum, je vois que Monsieur sait prendre de la hauteur !
Surpris, il rate la première et amorce une descente silencieuse dans un escalier dont il se demande où est la fin. Arrivé sur la dernière et ô combien moelleuse marche, les quatre fers en l’air, il découvre avec stupéfaction une salle aménagée avec un goût notoire pour le rouge et le noir, qui n’est pas sans lui rappeler son propre bar avec son atmosphère à la fois feutrée et rassurante, plongée dans une lumière douce et tamisée.
La mine remise, Alexandre peut enfin examiner à loisir les affiches fixées aux murs :
– Le bar est ouvert. Faites vous-même vos cocktails !
– Toilettes sous l’escalier, dernière porte à droite au fond du parloir.
– Assemblée des Silencieux, au fond de la gorge profonde sur votre gauche.
En effet, une porte annonce le sus désigné couloir. Mais alors qu’il veut la franchir, un panneau pivote, rouge et barré d’une indication :
Occupé, veuillez patienter.
Prenant son mal en patience, il s’en va regarder d’un peu plus près le bar, où il ne tarde pas à découvrir un singulier carnet : les Cocktails…
En fait, nul titre n’y figure et l’intérieur est vierge. Alors qu’Alexandre se désintéresse du mystérieux ouvrage pour admirer la variété des liqueurs, une décharge lui traverse la main et un nom s’inscrit sur la couverture qu’il est bien incapable de déchiffrer. Interloqué, il le rouvre et retrouve la même écriture fine et élégante, bien que tout aussi incompréhensible. Néanmoins, il n’en tente pas moins la lecture, hélas en vain. La curiosité aidant, il referme le carnet et le range soigneusement dans sa poche, avant de choisir une bière trappiste qu’il déguste en connaisseur.
Tout à sa gourmandise, il admire la superbe théorie des breuvages qui s’offre à son regard : des vins oubliés, des alcools périmés, des liqueurs à venir, des bières pressées, des sirops passés, des champagnes dépassés et des ingrédients aussi capiteux que rares, contenus dans de petits bocaux en verre. Tout à sa contemplation, il ne s’aperçoit pas que le message vient de virer au vert. Ce n’est que lorsqu’une voix nasillarde déclare la libération de la salle qu’il s’arrache à sa méditation. Sur la porte, le panneau annonce :
Veuillez vous déchausser avant d’entrer.
Des chaussons sont à votre disposition dans le placard à votre gauche.
Obtempérant, Alexandre enlève ses chaussures et les glisse dans la niche qui vient de se dévoiler, puis les échange contre une paire de mules très confortables. Après, avec une vague appréhension, il tourne la poignée de la porte, qui s’ouvre dans un silence feutré sur un couloir sombre dans lequel il ne tarde pas à se faufiler. Il marche à pas mesurés, non sans s’arrêter de temps en temps pour examiner les toiles suspendues qui, bien qu’inconnues, éveillent malgré tout en lui des sentiments irritants. Une en particulier , même si elle ne brille pas par son originalité . Ce n’est qu’un croquis exécuté à la mine de plomb. Un personnage vu de dos est engagé sur un chemin et est arrivé à la croisée. À sa droite la route conduit vers une forêt esquissée, derrière laquelle se dévoile un semblant de tour noire. À gauche, le chemin l’emmène vers… nulle part. C’est un dessin tout ce qu’il y a de plus anodin ; pourtant, une petite voix dans son âme lui souffle le contraire.
C’est plongé – pour ne pas dire noyé dans ses pensées – qu’Alexandre parvient devant une nouvelle porte, qui proclame :
Entrez sans frapper
Trop poli sans doute, il lève la main à hauteur de la porte en chêne, quand un panneau tombe du plafond :
Haussant les épaules, Alexandre pénètre dans une pièce à l’atmosphère chargée de mystères. Un coup d’œil dans les hauteurs lui révèle des rangées de gradins, où sont assises une multitude de silhouettes toutes de noir vêtues. Au centre, un immense globe en cristal éclabousse la salle de sa lumière crue.
– Bienvenue à toi. Toi qui fus un jour un dieu et qui aujourd’hui n’es plus, résonne une voix pesante dans sa tête.
– Êtes-vous les Silencieux ? formule-t-il en retour.
– Nous sommes. Comme celui qui est venu avant toi, nous allons répondre à ta muette question, non à celle que tu t’apprêtes à nous soumettre et à laquelle tu auras bientôt la solution.
Alexandre ne peut esquisser la moindre pensée. Il sent son corps et son esprit s’étirer, se déchirer, s’émietter ; un flot d’images perdues jaillit hors de lui tandis qu’il s’évanouit.
Il se noie. Il est là, allongé par terre sur une moquette épaisse. Il se relève avec difficulté et remarque le verrou tourné dans la serrure et une fenêtre, dont la vue donne sur un jardin assez vaste. Paisible, un étang s’y étend et, plus loin vers le fond, des montagnes haut perchées ressemblant aux Alpes. Cependant il n’est pas seul dans la pièce ; un homme à l’allure affable est assis à son bureau et écrit avec fébrilité à l’aide d’une plume d’oie. Alors qu’il s’apprête à lire par-dessus son épaule, un bruit de pas et des voix étouffées en provenance du couloir suspendent son geste.
–… ments ?
–… un docteur…
–… ien…
L’on frappe à la porte et l’homme se retourne en bâillant. Alexandre lui fait face, mais ce dernier ne semble pas le remarquer. En revanche, lui le voit et ce qu’il découvre le fige de stupéfaction. Ce visage, oui, c’est le sien. Enfin presque, il est semblable à un patchwork ; ses traits assemblés avec celui d’un autre dont il n’ose prononcer le nom. Cet autre qui dorénavant n’est plus qu’un esprit, jadis recueilli par Loki.
Hébété, il observe en silence la scène. Deux personnes, un homme accompagné d'une dame, – son assistante ? – se tienne devant une porte. Soudain, celui-ci frappe et une vois les invite à entrer.
– Bonjour ! Avez-vous du courrier à me transmettre aujourd’hui ?
– Laissez-moi réfléchir, lui répond posément l’homme.
Puis il regarde vers la fenêtre, les yeux tournés vers un paysage que lui seul peut apercevoir.
– Revenez donc deux heures dans le passé et je vous donnerai ma lettre.
Près de la fenêtre, la jeune femme en tailleur l’attend :
– Si vous voulez. Je vous revois à neuf heures alors. Il est onze heures.
L’homme paraît hésiter, puis réplique :
– Oui. Neuf heures, docteur.
Le médecin referme derrière lui, toujours accompagné de la jeune femme.
Alexandre préfère délaisser cet homme pour le moins sibyllin, afin de se diriger vers la porte qu’il traverse sans même en avoir conscience. Il suit le médecin et son… invitée.
– Qui est ce patient, docteur Jung ?
– Ah, c’est une excellente question. Lui-même l’ignore. Non qu’il soit amnésique : il a des souvenirs de lui-même, de son enfance, même de son nom, mais tout lui est devenu étranger. C’est sa sœur qui me l’a amené ici suite au décès de leurs parents. Il devait reprendre l’entreprise familiale. Hélas, incapable de la gérer, elle me l’a confié, m’assurant au passage de sa dangerosité ; ce dont je doute fort, mademoiselle Franz.
– Singulier cas tout de même. Cependant, une chose m’intrigue : pourquoi nous a-t-il a dit à « dans deux heures dans le passé » ?
Le médecin demeure silencieux. Ses yeux se sont perdus dans les reflets de l’étang, qui renvoient les rayons scintillants du soleil. Puis il descend l’escalier et traverse un long couloir qui débouche sur une terrasse.
– Installez-vous ! Nous y serons plus à l’aise pour nous entretenir de la solution à votre interrogation. Désirez-vous un thé ? ajoute-t-il en se servant lui-même une large tasse du sombre breuvage.
– Merci, je veux bien. Néanmoins, vous ne m’avez toujours pas répondu. N’essayez pas de détourner la conversation.
Plantant un regard qu’il souhaite sévère dans celui de la jeune femme, il lui tend une liasse de lettres pliées avec soin.
– Qu’est-ce ?
– La correspondance de mon patient, qu’il envoie avec la régularité d’un métronome à sa sœur et qu’elle renvoie aussi sec.
Elle fixe d’un air désabusé la pile épaisse des plis et en saisit un au hasard : « Que m’arrive-t-il ? Je suis là et ailleurs à la fois. Qui a bousculé le temps ? Je me sais toujours sur le chemin, à la croisée, alors que je l’ai quitté et dépassé. Où que je regarde autour de moi, je suis toujours dans la forêt, entouré par le sous-bois. Arbres plongés dans les ombres et la déraison de ma propre raison. Patientons, reprenons. Reprenons, rembobinons le fil d’un univers par trop parcellaire. Allons bon ! Quelle est donc cette impression d’inversion ? Pourquoi suis-je en train de voir tout et son contraire à la fois ? Ma foi, pourquoi pas ? Que se passera-t-il si je les marie ? Un anéantissement façon matière-antimatière ou un accomplissement triomphe du ternaire. Après tout, il n’y a qu’à jouer. Je suis bien trop curieux pour ne pas chercher à deviner les vérités cachées.
S. »
– Rassurez-vous, il tient à ce que je les lise aussi pour que je puisse le saisir dans son esprit, ainsi qu’il formule les choses.
Il lève sa tasse et avale plusieurs gorgées de la boisson brûlante, tout en guettant du coin de l’œil les réactions de son invitée.
– Je ne sais trop quoi dire, mais c’est très élaboré. J’en suis très troublée, j’ai presque peine à croire que ce sont là de simples fruits de son imagination.
– Je pense au contraire que cette personne est entrée de plain-pied dans l’inconscient collectif et qu’elle illustre à merveille le concept de dissolution de la Persona que j’ai développé. Elle se sera effondrée suite à un grave traumatisme psychique, entraînant dans le même temps la chute de l’ego. Dépouillé de son identité de surface et d’un lien avec sa conscience, cet homme se trouve plongé au sein de son Ombre, qu’il explore en ce moment même. Cependant, ce ne sont que là ses lettres. Prenez ceci, ajoute-t-il en lui tendant deux livres de tailles inégales.
Elle ouvre le premier, à peine épais de deux dizaines de pages. En son sein, elle découvre une route à flanc de falaise qui s’étire en une boucle jusqu’à un pont – pont qui rejoint ce qui pourrait être un œuf vu en coupe, dont l’intérieur ressemble à une cité Troglodyte. Sur la gauche, l’on devine deux visages perdus ; en dessous, ces quelques mots :
Elle le feuillette rapidement. Il ne compte que cinq chapitres. Celui qui l’impressionne le plus est le dernier. Son titre sonne comme un avertissement :
– Quelle effroyable sentence ! murmure-t-elle en le refermant pour examiner le second.
Une couverture muette et un intérieur illustré de dessins qui, malgré leur maladresse, dégagent des émotions palpables. La première se détache de l’ensemble comme si son auteur avait voulu se pasticher lui-même. En dessous, le titre, tout aussi terrible que le précédent :
– Dans quelles circonstances les a-t-il écrits ?
– C’est là l’un un des faits les plus étranges, car il m’affirme avoir voulu coucher son autobiographie. Il en a commencé la rédaction dès son arrivée ici au Burghölzli. Or à bien le lire, je ne peux dire qu’une chose : ce récit est un rêve. L’une de ses dernières lettres tend à renforcer mon opinion à ce sujet, même s’il me trouble au plus haut point. Mais, sans doute, faut-il consulter tout d’abord les deux premiers avant d’aborder la suite. Que diriez-vous d’un peu de lecture à voix haute ? Il fait un temps magnifique et vous avez tout votre après-midi, si je ne m’abuse.
– Pourquoi pas ? Allons docteur, montrez-moi donc vos talents de conteur.
– Très bien. Vous permettez ? acquiesce-t-il en lui prenant les ouvrages des mains.
En harmonie avec les mots, sa voix mélodieuse les entraîne dans un monde à la fois monstrueux et terriblement familier, suivie de leur invisible spectateur. Par bribes, Alexandre voit cet homme nu, couché sur une misérable et crasseuse paillasse, accompagné de deux mystérieuses créatures écailleuses. Puis il s’en va examiner ce qu’il sait être sa prison ; une prison parfaite, car il s’agit de sa propre âme. Ensuite, ce sont des oiseaux énormes et menaçants, gardiens aveugles d’un secret que beaucoup convoitent. Puis ce sont les cadavres de ces créatures dégénérées qui, de dépit et de désespoir, se suicident le cœur vide, entretenant à l’infini le cycle des souffrances éternelles. Il contemple sa chute dans les oubliettes, strates ultimes de son esprit possédé par le néant dont il explore sans relâche le labyrinthe, à la recherche d’une chose qu’il sait exister, bien qu’elle paraît n’être qu’une chimère.
Soudain, alors qu’Alexandre pense avoir touché du doigt la réponse, il est plongé brutalement dans un monde dominé par les ombres, habité par un enfant double dont l’un se métamorphose, pendant que l’autre se réfugie dans une prison de pierre, perchée dans la voûte céleste. Là, il grandit, de même que le vide qui le ronge, et se métamorphose en prédateur et cannibale intérieur. Puis il meurt, mais non sa conscience. Son corps, lui, devient la proie des Parques, qui sont là non pour le punir, mais pour le guider par-delà les mondes et les illusions. Il voit le gouffre de son âme qui le happe, tandis que s’effondre dans le ciel cette prison de pierre, libérant l’esprit de ce double transformé. Dans sa tête, il sent la vérité se faire jour, mais il lui faut poursuivre ce patient qui lui ressemble tant, cet homme arrimé à son passé, à ses pensées, dans lesquelles il erre à la recherche de lui-même.
Qui est-il ? Il le devine. Il le voit. Il se voit. Il se voit se détacher de lui, alors que lui recouvre la mémoire.
Il est cet enfant rejeté, exilé, emprisonné là-haut dans le ciel qui, une fois libéré de son cachot lunaire, fut renvoyé aux temps premiers, à l’aube de l’humanité. En ce lieu où, seul et effrayé, il a grandi nourri de rêves, puis de haine.
Il est l’enfant imaginaire de cet homme qui, meurtri et avili, s’est brisé, s’est scindé afin de se protéger, avant de chuter et d’aller au-delà de ses propres peurs, régressant pour mieux se retrouver, affrontant à de multiples reprises ces ombres qui lui avaient volé son humanité, puis les avatars de cette Ombre, qui avaient pris possession de son monde.
Il sait qui il est. Il est Alexandre Nocturnis, le Voyageur de l’Imaginaire.
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