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tome 1, Chapitre 6 « Les Bacchantes » tome 1, Chapitre 6

Un regard avide qui contemple le vide

Un regard infâme qui dévore les âmes

Un regard sans âme qui contemple son abîme

Un regard vide qui dévore le néant.

Vacuomo, A.E, Sceaux 1923

Paris, nuit du 22 au 23 octobre 2014

Dans la cuisine, assis sur un tabouret, Hans regarde par la fenêtre les fleurs de givre qui couvrent la ville. Dans sa main, son bol de thé fumant suffit (à) peine à le revigorer. Ses cheveux sont encore humides et sa serviette chauffe sur le radiateur, qu’il vient d’allumer. Tout en trempant ses tartines arrosées de miel dans son infusion, il essaie de rassembler des pensées qui demeurent obstinément obscures et confuses. Dans le fond, la radio diffuse un bulletin d’informations auquel il ne prête guère attention. Puis, jugeant que cette dernière devrait être à la bonne température, il se lève et s’en retourne à la salle de bains.

Dans la cuisine, plus proche du soufi que de l’assistant conservateur, il termine son petit déjeuner, sourd à ce qui l’entoure. Il jette distraitement à un coup d’œil à sa montre, qui indique 8 :30, mais ne s’en inquiète pas outre mesure alors qu’il aurait dû être parti depuis au moins une demi-heure. Il n’en paraît pas le moins du monde perturbé.

Un sourire béat flotte sur ses lèvres. Calme, il ne se presse pas ; plutôt que de de pénétrer dans un train bondé, il préfère enfourcher l’un des vélos de la station en bas de chez lui et se rend jusqu’à celle de Sceaux Val-Fleury. Là, il attrape un tramway qui l’emporte en direction de la porte Maillot, au lieu de prendre l’aérotrain qui l’aurait emmené directement au centre de Paris. Dans la rame, il est absent ; ses yeux sont vides, son esprit ailleurs. Arrivé à hauteur du bois de Boulogne, il descend tel un automate avant de s’enfoncer dans la forêt.

Il est neuf heures. Un brouillard persistant masque les rayons solaires, soulignant les silhouettes aux contours flous qui surgissent d’entre les chemins. Ce n’est pas là ce que Hans cherche. Au loin se fait entendre un très léger tintement. Clochette aigrelette, dont l’éclat céleste se propage entre les arbres. À ses pieds, des langues de brumes s’enroulent autour de ses chevilles, remontent vers ses cuisses et lui procurent des frissons d’une tout autre nature, plaisants et enivrants, qui courent le long de son échine. Les yeux clos, il se glisse dans le voile moite aux parfums de mousses et de fondrières, tandis que pousse sur ses membres et sur son torse une toison abondante. Tout en poursuivant les notes cristallines, il se départit en chemin de ses chaussures devenues inutiles. Ses sabots s’enfoncent dans l’humus tiède et font bruisser les feuilles sèches ; alors qu’il abandonne ses oripeaux aux ronces, il offre à la morsure du froid humide son corps nu.

Soudain, le vent se lève et plante des aiguilles de givre dans sa poitrine, où ne subsistent plus que des lambeaux de ses anciens habits. Grisé par les appels langoureux et doucereux du chant qui monte de la forêt, Hans ne les sent pas s’insinuer et s’infiltrer jusque dans son cœur qu’elles enferment lentement, mais fermement ; sa raison s’efface et ouvre son âme à l’esprit de la sylve libre et sauvage. Autour de lui, la brume s’enroule, puis lui confectionne le cocon nécessaire à l’achèvement de sa métamorphose. Il n’est plus qu’une silhouette évanescente, qui disparaît dans les bois spectraux. Devant lui, un arbre immense. Son tronc noir comme l’encre se fend avec nonchalance et exhale des charmes et des passions, mêlés de désirs enfouis. Un horizon qui fait miroiter au voyageur une couche moelleuse et soyeuse, où lui seront prodiguées promesses et caresses, le temps du passage vers cet endroit dissimulé au regard des hommes, dissimulé au regard des sens. N’écoutant que l’hymne de ses sentiments, Hans pénètre alors de tout son être dans l’ouverture béante.

Passage entre les mondes, passage au sein des songes, où ses mains s’égarent au contact de parois duveteuses dont il effleure la surface, qui frémissent d’une onde qui ressemble à du plaisir. L’on ne peut encore distinguer son visage, cependant l’on devine que ce sera celui d’un dieu. Déjà, un bouc dru et d’ébène voit le jour, tandis que s’enroule et émerge au sommet de son front une paire de cornes brunes et brumeuses. De son crâne s’échappent bientôt des cheveux noirs et bouclés, étoiles brillantes et vivantes dans cette nuit d’obscurité. Au loin l’on peut entendre, plus prenant, plus entêtant, plus enivrant, le rire des bacchantes auxquels se mélange le chant charmant des sylves et des sylvestres.

Perchée, à l’entrée de ce royaume plein d’étrangetés et de beautés, une fée lui tend une flûte de lin et de roseau. Il porte alors l’instrument à ses lèvres. Il joue la mélodie lancinante du présent et se mêle à cette fête qui célèbre le printemps. À ses pieds éclosent mille genêts, dont les badines mordent avec délicatesse les chairs fermes, quand ce ne sont pas les vignes qui enserrent les corps, transformant chacun d’eux en sculptures vivantes. C’est ainsi qu’il s’offre aux charmes anciens de la sylve. Et tandis que gémissent les formes, les troncs des arbres craquent et se fendent, s’écartent et libèrent les esprits sylvestres. Tout d’abord, ce ne sont que des songes, images rémanentes de souvenirs évanescents ; puis, au fur et à mesure que s’opère l’enchantement, que les foules se donnent et s’adonnent à cette passion bouillonnante et dévorante, qui sublime les sens, jaillissent les divinités oubliées.

Voici que ces ombres s’approchent et prennent possession. Elles tranchent de leurs doigts sombres les liens végétaux qui retenait les créatures – faunes et gnomes, korrigans et farfadets, hommes et gargouilles, femmes et dames blanches, d’autres encore –, puis se rejoignent dans la clairière illuminée par la lune douairière où chacun s’étreint sans fin et arrachent à la terre, ainsi qu’aux corps frémissants, gémissements et rugissements, halètements et grognements, qui nourrissent petit à petit ces esprits toujours entravés par le passé. Cependant, tandis que la magie opère, voici qu’ils se dépouillent pour revêtir les habits de la sublimation.

Dans l’ombre, Hans n’a d’yeux que pour elle ; elle qui n’est encore qu’une silhouette floue et évanescente devient contre lui présence. Il sent se presser sur son visage des paumes glaciales, qui se réchauffent en même temps que s’insinue le feu brûlant et dévorant de la passion, en même temps que les doigts diaphanes de la dryade sèment ses jalons sur son corps. Hans ferme les yeux et dessine à son tour les courbes vaporeuses de son amante. Il sculpte l’éther, sculpte la chair, sculpte la terre nourricière. D’une main ferme et assurée, il glisse le long de son échine et creuse un sillon de plaisir, puis un autre, toujours plus profond. De la seconde, plus douce et plus sucrée, plus osée sans doute, il savoure les hauts plateaux aux sommets dressés, tendres et généreux, tandis que son regard dévorant s’égare au-dessus d’une plaine duveteuse, dont les falaises caverneuses et soyeuses se dessinent à l’horizon.

Des mains se plaquent et prennent possession des siennes, elles accompagnent ses mouvements et le guide à travers ces étendues charmantes qui se changent au gré des vents en des vallées satinées et délicates. Ailleurs, des bras agiles ceignent son cou et l’enveloppent dans un voile de velours. Dans son dos, au creux de ses reins, s’allume un abysse de feu qui le dévore et le consume, flammes éclatantes, flammes arrogantes qui l’engloutissent. Il se retourne. Son amante est là. Elle se dresse, incandescente. Sauvage, il taquine sa nuque et lui arrache des cris de joie tandis qu’il scrute son corps de ses mains aveugles, l’enfouissant sous un torrent de flammes qui dévale en une cascade frissonnante. De sa bouche éblouie, il explore les abîmes intimes de son visage d’ivoire et d’opale. Sous sa fourrure drue, il goûte la finesse de sa peau contre la sienne. Elle lui rend alors ses caresses, puispose ses lèvres purpurines sur les siennes, abandonnant progressivement ses sombres oripeaux.

Mais Hans n’ose toujours pas regarder de peur de voir le charme se rompre, malgré toutes les promesses qu’elle lui professe. Avec délicatesse, elle lui susurre à l’oreille tendresses et gentillesses. En échange, il ouvre ses yeux et se noie dans le bleu divin et céruléen de ses prunelles, reflet de cieux ombrageux. Oublieux de tout, il cède aux caprices son amante. Il redevient cet enfant capable de candeur et de douceur, cet enfant doué d’émerveillement et d’emballement ; celui qui, il y a fort longtemps, tétait le sein de sa maman ; celui qui, adolescent, connut les extrêmes des tourments ; celui qui, aujourd’hui, brûle d’un amour interdit. Il se recroqueville et promène ses paumes dans son dos sur lequel elle a jeté un voile diaphane de soie et de joie.

Elle l’enveloppe alors de ses membres graciles et, de ses mains distraites, lui caresse la tête, qui repose désormais au creux de sa poitrine d’albâtre. Ainsi s’étire le délicat linceul arachnéen qui la dissimule encore, mais qu’il n’ose ôter de peur de profaner une terre sacrée. Devinant son hésitation, elle fait glisser de ses épaules ivoirines son habit mordoré et dévoile son anatomie féline mouchetée de baisers de lune. Du bout des lèvres, il embrasse la peau mise à nu. Il en explore les reliefs et les secrets au rythme du chant d’un vent qui souffle entre les cimes. Parfois, il s’attarde lorsque frémit la chair, ou alors s’enfuit tel un voleur quand il arrache un gémissement. Mais toujours il revient, dépose un baiser ou trace un sillon au creux duquel il se lovera. En même temps que son corps de dryade se cambre et s’enroule autour de celui de son amant, elle lui offre ses cités les plus obscures, son esprit de sylve jalouse et possessive tisse les rets d’un filet qui, bientôt, obombrera le cœur et la raison de ce dernier, faisant à tout jamais de lui l’un des sujets du Lechi.

Tendresse pour tendresse, caresse pour caresse, elle passe ses jambes autour de son torse ; et tapie dans son secret d’ombre, sa rose éclot. Hypnotisé, Hans s’en approche, goûte le nectar qui perle sur les rebords moussus de cette chute obscure, tandis que serpentent plus bas des doigts de soie. Pendant ce temps, la dryade resserre son piège qui entrave désormais chevilles et poignets. Néanmoins, il n’en a point conscience, car il ne cherche que la jouissance de son amante dont il pressent l’imminence.

Alors qu’elle s’apprête à faire de lui un nouvel être sylvestre, le voici qui s’échappe. Déchaîné, il brise les liens qui les unissent et s’arrache aux lianes ainsi qu’à son regard. Furieuse, la dryade essaie de le retenir, mais il se dégage de son étreinte devenue feinte et la repousse avec violence. Elle heurte le tronc d’arbre, où pendent lamentablement ses filets fanés, dans lesquels elle se prend. Et tandis qu’elle se débat, elle le voit s’enfuir vers l’objet de son désir. C’est une nymphe, mais son cœur est humain. Aveuglée par la jalousie, elle court trouver le Lechi qui s’est endormi dans la clairière de la nuit. Aussi, lentement, sans brusquerie, elle s’approche de sa tête massive taillée dans le plus vieux chêne du bois, et lui murmure les raisons de son courroux.

L’instant d’après, elle est redevenue une créature obscure qui file au travers de la forêt, à la recherche de celui qui l’a trahi. Heureusement, elle n’a pas à aller très loin, car il ne s’est guère écarté de plus de quelques foulées. Elle aperçoit la nymphe se jouer de lui, en l’esquivant à chacun de ses bonds. Dans le ciel, la lune se cache, mais bientôt elle se dévoilera et bientôt elle agira. Dissimulée derrière un tronc, elle suit le ballet de la séduction. Qu’une ombre donc se projette, elle en prendra possession et elle lavera l’affront ! Soudain, un vent violent se lève et chasse les nuages qui masquaient l’astre d’argent. Un sourire cruel se dessine alors sur ses lèvres purpurines, alors qu’elle savoure le moment précédent l’instant où elle fondra sur la ténébreuse projection et s’y confondra.

Dans l’esprit de Hans, un nouveau désir grandit et s’empare de lui ; un sentiment sauvage et implacable, barbare et impitoyable. Mais la nymphe pressent le changement et s’enfuit. Voyant cela, il éclate d’un rire sardonique dont l’écho plonge ses racines jusque dans les tréfonds de la forêt profonde, puis se lance à sa poursuite. Il la traque sans répit ni relâche. Il l’accule presque à chaque pas, jusqu’à ce qu’enfin elle trébuche sur une pierre traîtresse et tombe à terre. Dans ses oreilles résonne le martèlement de ses sabots sur le sol. Elle peut presque sentir son souffle fétide, mélange de soufre et de salpêtre. Désespérée, elle roule et heurte un tronc, tandis qu’elle l’esquive.

Hélas, ce n’est que peine perdue, car il est déjà là, il la toise de son regard avide et la domine de son élan vide des émanations de la passion. Terrifiée, elle veut s’enfuir, mais la dryade ivre de colère et de haine en a appelé à son chêne, qui maintenant l’enchaîne avec ses racines. En même temps que cet être dont les émotions ont cédé la place à la sauvagerie la supplicie, les branches de l’arbre pénètrent et déchirent sa chair, alors qu’éclate un rugissement dément.

Dans sa main, le verre n’est déjà plus qu’un souvenir. En face de lui, un homme à la face sombre et triste l’observe sans un mot. Son oiseau a, quant à lui, disparu.

– Pourquoi ai-je accepté, Loki ? Pourquoi ai-je accepté de le servir et pourquoi t’ai-je laissé partir ? Je ne veux plus lire l’avenir et je veux échapper à la surprise, au chaos de la vie…

Ainsi murmure Alexandre, tandis qu’il sent perler aux coins de ses yeux les larmes amères de son chagrin.

Alors que Hans s’enfonce dans le tourment, un oiseau s’envole au firmament. À tire d’aile au-dessus de la ville assoupie, seulement troublée par quelques noctambules et autres passagers de la nuit, Loki répond à l’appel du mystère. Il ignore le dôme de l’opéra Garnier qui scintille sous les reflets de la lune. Il se déplace vers le palais du Louvre, dont toute la cour est étrangement plongée dans l’ombre. Une fois de plus, il le dépasse sans le voir, hypnotisé et obsédé par cet appel qui résonne dans sa tête. Ce n’est pourtant qu’un écho ténu et lointain, mais son pouvoir est plus grand encore. Il est un élixir de nuit semblable à celui dont s’enivrent les nocturnes les jours de pleine lune.

Bientôt, il arrive au-dessus de la Seine où se reflète la figure fanée de l’orbe lunaire ; un visage ridé et parcheminé, mais dont le sourire lui va à ravir. Ayant franchi les limites de l’Île de la Cité, il poursuit sa route dans le ciel, puis il survole les jardins merveilleux du Montparnasse qui, hélas, n’éveillent en ce soir aucun de ses souvenirs joyeux. Ainsi voit-il Paris. Et que voit la ville ? Seulement une ombre filante qui traverse la voûte céleste. Dans une rue, il lui semble apercevoir un couple étrange, mais ce n’est là qu’une illusion de ses sens.

Infatigable, il arrive au-dessus de la forêt de Meudon, d’où s’échappe une lueur teintes pastel. Il tournoie quelques instants, tel un oiseau de proie, puis fond aussitôt sur un menhir pour s’y poser. Aussitôt l’aura palpitante se met à grandir, puis l’engloutit. Plongé dans cette lumière aux nuances de l’arc-en-ciel, Loki, frappe la pierre plusieurs fois millénaire – tic, tic, tic – et celle-ci se fissure.

Dans le cœur minéral, il est une créature obscure aux yeux mercuriels. Dès qu’elle aperçoit Loki, elle ouvre une bouche gigantesque ; son regard se ternit et s’assombrit jusqu’à ne devenir que deux flaques sépia, où ne s’expriment que la colère et la haine la plus noire. Loki se tord de douleur, tandis que le monstre de Ténèbres étend son emprise sur lui, pénétrant et brûlant sa chair mise à vif, surgit de son être un reflet d’ombre.

– Qui es-tu ? souffle avec un air mauvais la créature à la silhouette qui lui fait désormais face. Écarte-toi de mon chemin, à moins que tu ne veuilles que je te réserve un sort pire que la mort !

L’autre se contente de sourire.

– Pourquoi ris-tu ainsi ? rétorque-t-elle, fielleuse, d’un ton plus glacial que qu’effrayé.

– Toi ! lui réplique l’étrange personnage, d’une voix posée où perce une ironie certaine.

– Moi ! Oserais-tu te moquer ? Sais-tu seulement qui je suis ?

– Bien sûr.

Comme la créature semble surprise et le couve d’un regard empli de rancœur, il s’empresse d’ajouter :

– Pardon, quand je t’ai dit « Bien sûr », ma réponse était à tes deux questions. Ai-je droit à un prix spécial parce que je t’ai donné les bonnes ?

Piquée au vif, l’onde noire fond d’un coup sur l’homme, qui ne bouge pas d’un pouce et se met à bâiller ostensiblement.

– Ah ! Quand cesseras-tu tes enfantillages ?

– Comment !?! Pourquoi n’ai-je aucune emprise sur toi ?

– Ah, la, la, la… La solution est sous ton nez et tu restes là, sourd et aveugle. Tu devrais t’en être aperçu : je suis déjà mort, je ne suis plus qu’une âme pas tout à fait errante.

– Je ne le sais que trop. Pourquoi ne puis-je me saisir de ta part d’Ombre ?

– Tout simplement parce qu’elle et moi avons appris à nous connaître, il y a fort longtemps de cela, et nous nous sommes apprivoisés mutuellement. Ce faisant, nous nous confondons l’un et l’autre et donc je ne projette plus d’ombre, sur laquelle tu pourrais asseoir ton emprise. Alors à quoi bon t’acharner ainsi ? Et rassure-toi, je te ferai grâce du sempiternel et larmoyant « Oh, non ! Relâche mon ami Loki, vile créature ! » De même, épargne-moi tes simagrées et dis-moi plutôt ce que tu désires pour le libérer.

Estomaquée et vexée par tant d’audace, l’Ombre recule et maugrée :

– Très bien ! Voici mes conditions : que celui qui fut démon, avant de devenir presque homme, m’affronte.

– D’accord ! Sur quel terrain ?

– Sur un échiquier ! C’est toi qui seras son adversaire, toi dont le cœur renferme ma proie. La part de mon être qui l’imprègne guidera tes mouvements.

– Cela me convient. Et maintenant libère-nous, je rentre.

– Accordé, mais je ne comprends pas.

– Qu’y a-t-il ?

– Eh bien, tu ne me demandes pas de jurer, de promettre, de tenir ou donner ma parole, alors que je pourrais me dédire.

– Non ! Je ne te le demande pas, car ce serait te faire injure, car telle n’est pas ta nature. Tu ne peux mentir, même si tes manières laissent terriblement à désirer. Tu n’es que vérité. Le mensonge ne naît que de l’incompréhension, du refus, ou de la peur de sa propre nature.

– Tu as un cœur noble et sage. Je saisis pourquoi tu m’accordes ta confiance et je t’en remercie. Mais avant que tu ne disparaisses, accepteras-tu de me donner ton nom ?

L’homme croise le regard d’ébène de la créature et murmure :

– Je suis Alvaro Estrango.

– Va-t’en ! Vite ! Avant que je ne change d’avis.

Alvaro retient de justesse un sourire et sort du menhir, coiffé de son éternel haut-de-forme, sa canne à la main.

– Heureusement que je ne suis qu’à quelques heures de marche, soupire-t-il tandis qu’il s’enfonce dans le brouillard.

BL : Aislune


Texte publié par Diogene, 5 décembre 2016 à 20h40
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