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- Jour de l'Eau -

Il y a trois jours de cela, alors que nous étions arrivés à Ecphrasis la veille pour les vacances du solstice d'été, Astéisme et moi partîmes aux aurores avec Père, pour l'une de ces longues sh'levauchéee qu'il affectionne tant lorsque reviennent les beaux jours. A présent, j'y suis accoutumé.

Le plus difficile à supporter lors de ces excursions, hormis les insectes qui la nuit, lorsque nous dormons à la belle étoile, sont fort incommodants, est le fait de ne pouvoir écrire dans ce journal. Je ne l'emène pas avec moi car je ne veux point risquer que Père le voit: je ne sais s'il approuverait que je le tienne… Il pourrait vouloir le détruire, ce qui m'attristerait fort, ou pire, m'ordonner de le lui laisser lire. Il serait alors fort probable qu'il trouve à redire sur le contenu de certaines de mes entrées… Je le tiens d'ailleurs hors du vu et du su de Mère pour les mêmes raisons. En fait, seul Astéisme est au courant de son existence. Encore qu'il se peut qu'il l'ait oubliée.

Mais revenons-en à notre promenade.

Père ayant cette fois décidé de partir vers le Nord de la principauté, nous arrivâmes, à la midi de notre seconde journée de sh'levauchée, sur les rives du lac de Rim.

Après avoir pris notre frugal déjeuner de voyage, Astéisme et moi demandâmes et obtînmes la permission de nous y baigner.

Nous nous dénudâmes donc et courûmes jusqu'à l'onde claire. Elle était très fraîche, et nous jouâmes à nous éclabousser puis à nous arroser l'un l'autre avec des sorts d'eau, et pûmes ainsi bientôt nous y plonger jusqu'à la taille sans trop de difficultés.

Après quelques jeux, Astéisme se proposa de m'aider à améliorer mes mouvements de natation – car je nage trop à la verticale, m'a-t-il expliqué. Il entreprit donc de m'apprendre à me tenir allongé et pour cela glissa une main sous mon ventre afin de me soutenir. Ce contact produisit sur moi un effet très étrange entre mes cuisses. Je ne m'attendais nullement à une telle réaction de mon corps et en fus très troublé! Je me redressai un peu et jetai un coup d'œil à mon frère, inquiet qu'il ait pu sentir l'émoi qu'il m'avait causé. Il se tenait debout, tout près de moi, aussi nu que je l'étais et je me sentis soudain pleinement conscient de cette proximité et de cette nudité – qui pourtant jusque là ne m'avait point dérangé. L'eau lui montait jusqu'à l'aine, et sa transparence me laissait voir, à peine imprécis à travers les agitations de la surface, les contours de sa virilité. Cette vue ne fit qu'ajouter à ma gêne, et je me sentis rougir jusqu'à la pointe des oreilles. Je crus être percé à jour, mais il me sourit et me dit d'une voix douce: "Allons, allonge-toi, n'aies pas peur. Je te tiens." Je me sentis si confus à ces paroles que je me plongeai aussitôt le visage dans l'onde, espérant sa fraicheur ferait au moins passer ma rougeur. De fait, l'eau glacé me saisit le cœur si brusquement que je fus soudain pris de vertige et perdis connaissance.

Lorsque je rouvris les yeux, j'étais allongé sur l'herbe, et le guérisseur de la Garde Royale était penché sur moi. Il m'expliqua que je venais de subir une hydrocution, du fait de la différence de la température de l'eau avec celle de mon corps. Je me sentis rougir à nouveau, ce dont il s'inquiéta. Je dus rester allongé à l'ombre tout le reste de la journée et nous ne rentrâmes donc qu'aujourd'hui. Je subis de surcroit les réprimandes de Père, qui me reprocha d'avoir été bien trop cajolé et m'ordonna de prendre désormais une douche d'eau glacée chaque matin et chaque soir afin d'endurcir ma constitution. Je doute que cela puisse réellement empêcher qu'une telle situation ne se reproduise…

Je m'interroge encore sur cette mésaventure. Etait-ce la chaleur qui troubla ainsi mon esprit, ou bien mes pensées qui m'échauffèrent exagérément la tête?