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tome 1, Chapitre 10 « Un Songe du passé » tome 1, Chapitre 10

La lune brillait, tel un énorme œil aveugle ouvert dans la face du ciel. D’or pâle, elle devint rousse, puis écarlate…

Trois silhouettes drapées de voiles hiératiques se tenaient les mains, dans le parfum des cistes et du romarin, sous les rameaux argentés des oliviers. Les insectes crissaient doucement dans les profondeurs des bosquets. Elles psalmodiaient d’une voix basse et vibrante…

L’une d’elles releva un regard d’ombre et de sang, empli d’une fièvre malsaine, dans un visage blême aux lèvres décolorées. Il tressaillit, craignant qu’elle ne le voie avant de se rappeler qu’il n’existait que dans un rêve.

Le rêve se mêla à la réalité tandis qu’il s’abandonnait à la somnolence, dans le berceau des arbustes odorants. Plus tard, avant que l’argent de l’aube ne vienne affadir le velours de la nuit, il sentit une main froide se poser sur sa nuque. Il se retourna pour rencontrer un regard aux reflets de sang, des lèvres pâles et cependant sensuelles… Le malaise laissa place au désir, enfiévrant tout son corps.

Elle se pencha vers lui, saisissant ses épaules pour le coucher dans les herbes aux senteurs entêtantes, dans la mélodie saccadée des créatures nocturnes. Quand elle s’étendit à ses côtés, tout à la fois brûlante et glacée, elle chuchota à son oreille :

« Je savais que tu nous observais…

— Mais tu n’as rien dit…

— Pourquoi punir ton audace quand elle est ton trait le plus séduisant ? »

Ses mains expertes voyagèrent sur son corps dénudé, suivant les lignes élancées de ses membres, la courbe encore juvénile de sa mâchoire, se perdant dans le fouillis de ses boucles éparses.

« Tu es une énigme, murmura-t-elle. Tu es un enfant du ciel et de la terre, mais aussi des mondes obscurs… et cependant, il y a tant de lumière encore en toi… Si seulement je pouvais en prendre une part pour moi-même, pour alléger les ombres qui m’habitent ! Mais je ne te donnerais en échange que des ténèbres plus profondes encore, je te ferais choir dans mes abîmes… Alors, je me contenterai des étoiles et de la lune comme seuls luminaires sur ma route. »

Elle l’étreignit fébrilement, le visage niché au creux de son cou. Il sentait ses doigts mordre dans son dos, ses courbes épanouies épouser sa mince forme d’éphèbe, comme leurs deux corps fusionnaient dans la touffeur de la nuit…

Autour d’eux, les senteurs changèrent… Des odeurs de terre, d’humidité et de végétaux fanés s’élevèrent du sol. Les nuées envahirent le ciel, masquant les étoiles, habillant la lune de voiles fantomatiques. La pluie commença à tomber, d’énormes gouttes amères et glacées, tandis que les oliviers laissaient place à une étrange forêt minérale : chapelles étroites, croix et frontons noircis par l’âge, allégories dissimulant leur chagrin dans les replis d’amples manteaux, anges au visage éploré, faux dolmens abritant la ressemblance des défunts, à jamais figée dans la pierre et le bronze…

Elle se dressait là, ses yeux sans âme perçant les ténèbres, comme pour rechercher celui qui avait troublé sa quiétude. Ses dents brillèrent entre ses lèvres pâles, dans un sourire de mort…

« Ce que donne la nuit, la Vierge filera…

Ce que le temps a pris, la Tisseuse rendra…

Ce qui défie la vie, la Lune reprendra…

* * *

Le jeune homme s’éveilla en sursaut, les doigts douloureusement crispés sur le médaillon de lune. Il s’obligea à ouvrir la main et fit jouer ses muscles raidis. Repoussant ses draps trempés de sueur, il se redressa, écartant de son front ses cheveux humides. Il savait qu’il ne retrouverait pas le sommeil de sitôt – et il ne le souhaitait pas réellement.

Se dégageant complètement des couvertures, il se leva sur des jambes légèrement tremblantes. Sa peau moite de transpiration luisait doucement dans la semi-pénombre, dans l’éclat des dernières braises qui mouraient dans la cheminée. Ce corps mince et agile, à la musculature élancée, qui lui obéissait si parfaitement, semblait lui être devenu comme étranger. Il frissonna légèrement et réalisa qu’il ne portait rien sur lui. Il récupéra à tâtons la robe de chambre que lui avait prêtée Léo et alla ouvrir en grand la fenêtre ; l’air glacé le frappa durement, mais éclaircit immédiatement ses pensées.

Ses yeux se levèrent machinalement vers le ciel : l’astre nocturne était plein cette nuit ; malgré le rideau de nuages qu’il embrasait de sa froide clarté, il illuminait toute la ville. Une occasion semblable ne se présenterait pas…

Et cependant, il doutait encore. Devait-il attendre, repousser l’instant fatidique ? Ou bien suivre l’appel de la lune et se transporter droit où, très probablement, il trouverait la créature… et celle qui l’avait invoquée sur cette terre ? Était-il prêt à lui faire face, sans se retrouver hanté par les émotions d’un autre âge ?

Il ferma les yeux, revoyant en esprit les images qui avaient hanté ses nuits, avant même qu’Alexandre ne l’approche : rangées après rangées de crânes grimaçants, dont les orbites vides le fixaient, dont les mâchoires sans lèvres et sans langue ne pouvaient que silencieusement lui crier de leur rendre la paix. Ses talents divinatoires étaient toujours plus puissants pour ce qui touchait au territoire de la mort.

Il observa dans la faible lueur l’horloge posée sur la cheminée : les aiguilles indiquaient tout juste minuit. Il avait encore le temps… Il activa l’électricité, referma la fenêtre et commença à s’habiller.


Texte publié par Beatrix, 29 juin 2017 à 02h25
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