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tome 1, Chapitre 3 tome 1, Chapitre 3

Le garçon trainait derrière lui une imposante valise à roulettes de couleur noire. On aurait dit qu'il y avait entassé l'intégralité de sa chambre. Alex aurait aimé que quelqu'un lui rappelle qu'il ne déménageait pas encore. Lui s’était figé. Lentement ses mains refermèrent la porte presque contre son gré. Un coup d'œil derrière et il vit l’intrus s'avancer tranquillement vers le grand salon, engloutie par la véranda de la façade sud. Le soleil se rapprochait doucement de son zénith et la lumière d'automne complimentait à merveille la haie de platanes au loin et devant eux la piscine couverte, encerclée par la pelouse et les feuilles mortes. Il parla sans se retourner :

« Tu as une très très belle maison. »

Elle était bien mieux quand tu n'y habitais pas.

« Merci, » répondit-il sobrement.

Pour être honnête, il ne savait pas quoi faire ni par où commencer. D'ailleurs il n'avait même pas envie d'être poli. C’était suffisamment dur pour lui de supporter ses mauvais traitements au lycée, il devait à présent voir sa tête pendant les vacances. Et il n'avait jamais détesté sa mère, jamais. Jusqu'à ce qu'elle ouvre la porte de son seul sanctuaire à l'un de ses bourreaux, qu’elle laisse l’angoisse coloniser jusqu’à sa vie intime. Le dernier endroit où il se sentait encore en sécurité, le dernier endroit encore propre, sans tâche honteuse, sans moqueries, sans coups, était en train de se dissoudre dans l'acide du temps.

Dany se retourna. Il compris que c'était à son tour de dire quelque chose :

« On a préparé la chambre d'amis. C'est par là. »

Sans attendre, il se dirigea vers le couloir sur sa droite qui faisait un angle. Derrière lui, il entendait les roues de la valise qui le suivaient. Tout au bout, il ouvrit la porte pile en face, qui donnait sur une petite chambre avec un lit deux places, une armoire et un bureau carré. La fenêtre était ouverte et donnait sur le chemin en gravier. De là on pouvait apercevoir les visiteurs qui dévalaient le chemin de terre.

« C'est la seule chambre au rez-de-chaussée, » continua Alex en fermant la fenêtre. « L'armoire est vide. Pour la salle de bain tu devras aller à l'étage, première porte sur la droite. »

Il repassa sans un regard devant l’intrus. Cet idiot faisait bien une bonne tête de plus que lui. Cela avait le don de l'enrager.

« Les toilettes sont là, » dit-il en entrouvrant la porte sur la droite du couloir, puis en désignant l'autre porte juste en face « La pièce ici sert de débarras pour l'instant. Ma mère veut la réaménager parce qu'elle est plus grande. Je te laisse t'installer. »

Sur ces mots il repartit en sens inverse :

« On a des lasagnes à midi, j'espère que tu n'es pas allergique au cheval. »

Il fallait qu'il mette de la distance entre eux. Ce type venait à peine d'arriver et il avait déjà le souffle court. Une fois dans la cuisine, il pinça l'arrête de son nez, un peu comme s'il venait de sortir de son sommeil, puis par pur réflexe, il remonta le pont de ses lunettes du bout du doigt, avant d'aller jusqu'au frigo. Il détestait les plats tout prêts, mais en l'absence de sa mère, cela devrait suffire. Et il ne comptait pas se casser la tête pour l'autre crétin qui squattait son “chez lui”. Il trouva la grande barquette, enleva l'opercule avec difficulté et programma le four.

« J'ai cru comprendre… »

L'adolescent sursauta malgré lui. Il ne l'avait pas entendu arriver.

« Tu le fais exprès ou quoi ? »

Il manqua de renverser leur déjeuner sur le carrelage de la cuisine.

« Désolé. J'ai enlevé mes chaussures. » Lança-t-il, les deux mains en l'air comme si on le braquait.

Alex pris une grande inspiration pour se calmer, avant de regarder la température sur le thermostat et d'enfourner la barquette d'un geste un peu brusque. Puis il fut pris d'un faible remord :

« Je déteste manger ça comme ça. Tu veux un autre truc à côté ?

— Hum, je sais pas. Tu vas manger quoi toi ?

— Je comptais faire une salade d'endive. Il y a de la mâche si tu préfères.

— Non, de l'endive c'est très bien. Tu as besoin d'aide ?

— Il n'y a pas besoin d'aide pour mettre trois feuilles et du fromage dans un saladier. »

Le jeune homme aux yeux clairs acquiesça bêtement. Il y eut un grand et inconfortable silence. Ne sachant visiblement pas quoi faire de ses mains, il finit par les caler dans ses poches.

« Du coup, repris Dany, c'est ta tante qui a hérité de la tâche ingrate, si j'ai bien tout compris ? »

L'hôte décida de patiemment tenir la conversation tout en lavant et coupant ses endives.

« Oui, c'est tante Lucie qui va nous “garder”. Ca ira, elle est plutôt cool et beaucoup moins stricte que ma mère. Elle est déjà sur la route. Elle ne devrait pas arriver avant tard ce soir, donc on sera seuls la journée. »

L'autre acquiesça à nouveau. Le repas fut mangé dans la cuisine, dans un silence assourdissant. Ils ne voulaient même pas se regarder. Après qu'Alex ait débarrassé la table, son invité indésirable toussota dans un coin :

« C'est calme ici. Vous êtes pas mal excentrés.

— Oui, il y a beaucoup de forêt tout autour. »

Puis, comme frappé par une idée soudaine :

« Je peux t'emmener faire le tour si tu veux. Pendant qu'il y a encore pas mal de lumière...

— Laisse-moi deviner, tu comptes me perdre pour ne pas avoir à passer la semaine avec moi.

— Bien sûr que oui.

— Ok. Je vais mettre mes chaussures. »

Ils sortirent en tenues décontractées, après avoir pris garde de bien verrouiller la maison. La tête vide, l'adolescent aux cheveux sombres pris les devant et traversa le jardin, à l'opposée du chemin, et descendit les marches derrière le muret en pierres taillées. De là ils pouvaient rejoindre l'étendue d'arbres.

« Fais attention où tu marches. Cette partie n'est pas entretenue. C'est plus court par là. »

Bientôt, ils avancèrent dans une mer de terre humide, de mousse émeraude, de champignons blancs et de branches fines et grises, cassantes. Chacun de leurs pas craquaient, comme un monstre mâcherait des os. Tout semblait uniforme et cendré, mis à part les feuilles mortes qui déjà commençaient à hanter le sol. La rosée du matin avait été préservée sur les arbustes par la fraîcheur ambiante et donnait aux pousses une aura chatoyante et floue. Au loin on entendait des dizaines de piaillements. Surement les nuées d'oiseaux migrateurs qui se regroupaient dans un champs. Assez rapidement, ils rejoignirent un terrain plus dégagé ou un minuscule sentier, assez large pour une personne semblait avoir été tracé au fil des passages.

« Il vaut mieux faire du bruit, lança soudain Alex. S'il y a encore des chasseurs dans les parages, on risque de recevoir du plomb.

— Haha, très drôle.

— Je ne plaisante pas ! » S'exclama-t-il avec un regard noir assez pointu pour lui faire ravaler ses moqueries.

Ils arrivaient en vue d'un haut pilier de calcaire recouvert de lichen, monolithe solitaire, presque invisible au milieu de tout ce bois. Sur son sommet on distinguait une vieille croix en fer forgée, rouillée et repliée sur elle-même, abîmée par le passage des ans.

« Qu'est-ce que c'est que ça ?

— Je ne sais pas. Je l'ai toujours vue là. Il y avait beaucoup de religieux par ici à une époque. Comme personne n'en prend soin, elle se détériore rapidement. J'ai l'impression quelle plie de plus en plus ces derniers temps. »

Tous deux continuèrent vers l'est. La balade était apaisante. C'était surprenant. Il expliqua calmement où ils allaient et où ils pouvaient rejoindre les grands chemins de randonné qui allaient au travers des collines.

« Tu aimes marcher ? Demanda l'intrus de but en blanc.

— Oui. Je trouve ça très reposant après avoir passé des heures et des heures enfermé et assis. Ca m'aide à oublier. »

Surtout tout ces gens qui vous balancent des trucs à la tête.

Pour la première fois depuis leur départ, le jeune homme jeta un œil par dessus son épaule. Dany le talonnait le nez en l'air, visiblement à l'aise dans l'air froid et automnal. Il n'avait pas l'air essoufflé. Ils avançaient pourtant à bonne allure. Alex avait oubliait à quel point ce grand benêt était athlétique. Taillé en “V” et haut comme une tour, il passait déjà pour un garçon de vingt ans et quelques. Il se demandait même s'il ne faisait pas exprès de cultiver ce malentendu.

« Hum, tu es dans un club non ? »

L'adolescent ne savait pas s'il posait la question pour meubler le silence ou par véritable curiosité. Peut-être un peu des deux.

« Ouais. Club d'escalade. Depuis mes dix ans. »

Pas étonnant qu'il avait l'air si baraqué pour son âge. Avancer dans les bois, au milieu des branches et des épineux, devait être une promenade de santé pour lui. Il se sentait ridicule d'avoir envisager ne serait-ce qu’une seconde l'idée de le semer.

« Tu as déjà essayé ?

— Quoi donc ?

— L'escalade ? »

Il se retourna encore, surpris par la question.

« Non. Pas vraiment. J'en ai fait un peu au primaire.

— Tu as le vertige ?

— Bien sûr que non. »

Tout à coup, il sentit une pression sur son bras. Il baissa les yeux sur la main pâle qui le tenait au niveau du coude. Dany le tirait hors de chemin, vers leur droite.

« Viens, je vais te montrer un truc, ça va être cool. »

Il l'emmenait vers un gros rocher qui marquait le début d'un pic d'une quinzaine de mètres, juste avant les collines. Immédiatement, un millier d'alarmes se mirent à retentir dans sa tête. C'était cette même angoisse qui l'emportait chaque matin en prenant son vélo. Il n'avait aucune confiance en ce type.

« Dany, lâche-moi. Je ne suis pas sûr...

— Tu en a déjà fait, non ? Viens, c'est juste pour s'amuser.

— Je vais tomber...

— Mais non, ce bout de caillou est à peine plus grand que moi. Tu vas voir, c'est facile. »

Il détacha son bras de son emprise d'un coup d'épaule sec. Le sang lui montait à la tête.

« J'ai dit non ! Tu m'entends ?

— Ca va, ça va. Pas la peine de crier comme une… »

Le lycéen se stoppa net dans sa phrase.

« Comme quoi exactement ? Demanda Alex, au bord de l'explosion.

— Rien. »

Cette réponse avait été un peu trop sèche et, si l'on en croyait l'expression gênée de ces yeux clairs, l'adolescent le savait très bien.

« J'en ai assez, je rentre. »

La gorge serrée et la tête bourdonnante, Alex fit demi tour sur le chemin et s'éloigna à grandes enjambés, sans la plus petite hésitation, sans un regard en arrière.


Texte publié par Yon, 27 octobre 2016 à 10h45
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