Chapitre XII
Shaw broyait de noires pensées, le regard plongé dans le troisième verre de Whisky qu'elle s'apprêtait à boire cul sec. Elle avait commandé une bouteille à l'hôtesse de bord avant de la libérer pour la nuit. Root dormait, un peu plus loin derrière elle. Elles avaient embarqué dans un jet à La Gardia, Root s'était vu gratifiée du titre de « Madame la présidente » par l'équipage composé d'un pilote, d'une co-pilote et d'une hôtesse. Shaw avait renoncé à lui demander à quoi correspondait ce titre ronflant, Root qui avait l'air d'excellent humeur en aurait profité par minauder et la charrier, Shaw ne s'était pas sentie d'humeur à ça. De toute façon, elle lui expliquerait bien assez tôt les tenants et les aboutissants de leur mission. Quand elle le jugerait utile.
Elles avaient décollé un peu avant minuit. L'hôtesse leur avait servi à dîner. À ce moment Shaw avait refusé de boire ne serait-ce qu'un verre de bière. Root avait levé les sourcils à son refus et Shaw avait soigneusement évité de relever le sous-entendu. Shaw n'avait presque pas touché à son dîner, elle n'avait pas faim. Elle avait remarqué l'inquiétude de Root monter et s'était obligée à manger un minimum. Elle mâchouillait et Root avait fini par lui dire de ne pas pas se forcer si elle n'avait pas d'appétit. Shaw avait reposé ses couverts et s'était laissée aller contre le dossier de son siège. Root avait continué seule son repas, s'efforçant de prendre un air indifférent. Le dîner débarrassé, elles étaient restées l'une en face de l'autre sans parler. Root avait fini par se lever et fouiller dans l'un de ses sacs. Elle revint s'asseoir en face de Shaw et lui tendit le livre et le dictionnaire que Shaw avait laissé dans le bureau. Elle posa ensuite un ordinateur devant elle et porta son attention dessus. Shaw prit le livre sans un mot et chercha la page où elle s'était arrêtée. Elle n'avait pas vraiment envie de lire, mais elle fut touchée par l'initiative de Root. Elle la regarda discrètement. C'était quelqu'un de bien conclut-elle après quelques minutes.
Depuis qu'elle étaient montées dans la limousine et plus encore dans l'avion, Shaw avait senti doucement l'angoisse la gagner. Elle essayait de se contrôler et cela requérait toute sa concentration. Elle commençait à lâcher prise. Elle releva la tête s'apprêtant à lui parler quand elle surprit Root papillonner des yeux. Elle était en train de lutter contre le sommeil. Shaw eut pitié d'elle.
« Va dormir Root.
- Hein ? Non, ça va.
- Root… Tu me prends pour une idiote ? Tu veux que je te fasse la liste des symptômes qui montrent que tu as besoin, maintenant, d'aller te coucher ?
- Non, épargne-moi un cours Sameen.
- Alors va te reposer.
- Tu viens avec moi ?
- Non.
- Je…
- N'insiste pas, c'est hors de question. Va te brosser les dents. Il reste sept heures de vol, ce sera amplement suffisant pour que tu te sentes bien en arrivant. Root, tu ne peux pas arriver crevée à Chihuahua si La Machine t'a programmé une mission casse-cou.
- Qu'est-ce qui te fait croire que ce sera une mission casse-cou ?
- On va à Chihuahua Root, pas à Lausanne !
- Mmm, tu n'as pas tort.
- Alors va dormir… S'il te plaît. »
Root regarda attentivement Shaw, ferma son ordinateur et sans plus chercher à protester se rallia au conseil de Shaw. Elle devait reconnaître qu'elle était fatiguée. Ses journées avaient été bien occupées depuis le retour de Shaw et ses deux dernières nuits agitées avaient mordu sur son temps de sommeil. Le jet était doté d'une salle d'eau de dimensions respectables. Elle ressortit récupérer la valise que Shaw lui avait préparée. Elle profiterait du vol pour s'accorder une bonne nuit. Elle prit une douche, se démaquilla et se changea. De toute façon elle pourrait prendre son temps le lendemain matin. Le jet lui était réservé jusqu'à dimanche soir, l'équipage se tiendrait à sa disposition quand elle déciderait de rentrer. Il avait des chambres réservées dans un hôtel proche de l'aéroport et elle n'aurait qu'à l'appeler pour qu'en à peine une heure, l'avion soit prêt au décollage. L'hôtesse vint gentiment l'aider à préparer son siège pour la nuit. Il fut transformé en lit et quand Root se coucha, elle le trouva aussi confortable qu'un véritable lit. Elle feignit d'ignorer Shaw, se tourna vers la paroi du jet et s'endormit rapidement.
Shaw avala son troisième verre en grimaçant. Le Whisky lui brûla l'estomac, sa résistance à l'alcool en avait clairement pris un coup. Si elle continuait à boire, elle allait être malade. Elle était pitoyable. Faible. Elle avait besoin d'alcool, mais son corps refusait d'en absorber un verre de plus. Elle laissa tomber son front sur la table devant elle. Trouver quelque chose. Combattre son angoisse. Alcool ? Non, elle en avait eu son compte. Auto-mutilation ? Non, Root ne lui pardonnerait pas. Elle se tordait les mains sous la table, crispait ses paupières sur ses yeux, tachant de se concentrer et de ne pas se laisser envahir par l'angoisse. Elle se leva et se dirigea vers l'arrière. Elle s'arrêta devant le siège où reposait Root. Celle-ci dormait paisiblement. Elle s'était retournée dans son sommeil et faisait face à Shaw. Ses traits étaient détendus. Elle semblait si douce, si sereine. Shaw s'assit par terre, elle prit une de ses mains dans la sienne et posa sa tête sur le siège. La main de Root était tiède au creux de sa paume. Shaw focalisa ses pensées sur la sensation et ferma les yeux, s'efforçant d'oublier tout ce qui l'entourait.
Root fut réveillée par une vive douleur. Avec la sensation que sa main gauche était prise dans un étau prêt à lui briser tous les doigts. Elle lâcha un cri de douleur. Il fut immédiatement suivi par des gémissements, qui montèrent très vite en intensité. Root ouvrit les yeux. Elle découvrit Shaw installée par terre, la tête posée à côté d'elle sur le siège. Root lui passa la main sur le front. Shaw transpirait abondamment. Plongée en plein cauchemar, son corps était agité de frissons et se tendait à intervalles réguliers. Root l'appela doucement. Shaw continua à s'agiter. Tout à coup, elle se redressa, serra plus encore si c'était possible, la main de Root et hurla. Root s'assit, se tourna vers elle, posa les pieds par terre et lui entoura les épaules avec le bras qui lui restait, la serrant contre elle. Shaw libéra sa main et resta pantelante appuyée sur elle. Elle glissa doucement et sa tête vint se poser sur les cuisses de Root, tandis que ses bras s'enroulaient autour d'elle. Root attendit quelques minutes avant de briser le silence.
« Sameen, ça va ?
- Oui.
- Viens, l'invita Root en la tirant vers elle.
- Non. Recouche-toi, je reste là.
- Sam…
- S'il te plaît Root. »
Shaw libéra Root de son étreinte et attendit qu'elle se recouche. Root s'installa sur le flanc face à Shaw. La main de celle-ci vint se glisser dans la sienne, sa tête chercha sa place et finit par reposer au niveau de son ventre. Root bougea, s'approcha, établissant un contact. Shaw se frotta doucement à elle, accueillant le lien ainsi crée par un grognement. Root lui caressa le front, repoussant la sueur qui l'inondait encore, vers les cheveux. Shaw avait la tête tournée vers ses jambes et Root se servit de sa main pour lire ses traits. Crispés qu'ils étaient, sourcils profondément froncés, mâchoires serrées, ils se détendirent peu à peu sous les doigts caressants, attentionnés de Root. Quand la main de celle-ci s'immobilisa définitivement sur son cou et que Root s'endormit, Shaw avait recouvré son calme. Elle resta longtemps, sans bouger. Elle sentait contre sa tête, le ventre de Root se gonfler et se dégonfler au rythme lent de sa respiration, une de ses mains relâchée dans la sienne, l'autre doucement abandonnée sur son cou. Tendrement. Un trait indissociable de la personnalité de Root.
Shaw avait soupçonné cet aspect chez Root, bien avant que Samaritain ne lui tombe dessus. Au départ, elle n'y avait pas prêté attention parce qu'elle avait catalogué Root dans la catégorie folle furieuse ultra dangereuse. Root était dangereuse, Shaw n'avait jamais remis ce jugement en cause, encore moins aujourd'hui qu'hier. Folle furieuse ? Folle ? Certainement, mais qui ne l'était pas ? Furieuse ? Non. C'était après qu'elle avait remarqué que certains de ses sourires n'étaient pas tous emprunts de moquerie, de provocation, de supériorité, qu'ils lançaient d'autres messages. Et quand ils lui étaient destinés, Shaw avait choisi de les ignorer, de rapidement regarder ailleurs. Elle n'avait pas aimé ce qu'elle y avait lu, compris. Mouais, elle avait eu peur. Le genre d'émotions que Root exprimait dans ces moments-là étaient de l'ordre de celles que Shaw ne maîtrisait pas et qu'elle ne savait pas gérer, auxquelles elle était incapable de faire face, de trouver une réponse adéquate. Bref, elle s'était encore comportée comme une parfaite abrutie durant toutes ces années. Parce qu'elle avait fini par comprendre cette semaine, qu'elle n'avait rien à faire, rien à répondre, que Root dans ces moments-là n'attendait rien d'elle en retour. Elle laissait juste filtrer un sentiment qu'elle éprouvait envers Shaw, qu'en général elle s'efforçait de garder pour elle parce qu'elle savait que c'était le genre de sentiments que méprisait Shaw, que ne comprenait pas Shaw. Elle n'avait pas vraiment tort. Sauf que… Si Shaw avait du mal à l'appréhender, elle ne le méprisait pas. Plus. Question d'expérience. La main posée sur son cou, s'ajoutait à la liste des expériences qu'elle avait trouvées… agréables, réconfortantes. À la liste des expériences qu'elle espérait renouveler. Désirait renouveler.
Root lui offrait aussi une porte de sortie, un espoir. Elle ne se leurrait pas sur son état. Ça ne servait à rien de se voiler la face, d'ignorer les symptômes. Shaw était médecin, elle avait été officier d'active engagée dans un conflit difficile. Elle avait croisé des soldats, Marines ou autres, Américains ou pas, des civils aussi, brisés, dévastés, souffrant d'anxiété, d'insomnie, de cauchemars récurrents, se réfugiant dans l'alcool, la drogue, la violence. Dans le déni. Ils avait tous été traumatisés par des événements qu'à un moment donné leur esprit n'avait plus supportés. Les causes en étaient multiples, attentats, massacres, mort d'un proche, détention trop longue, torture, stress à répétition. Parfois des populations entières étaient atteintes, des villages, des familles. Les conséquences, si aucune prise en charge n'était assurée, pouvaient s'avérer désastreuses. Shaw s'était intéressée à ce phénomène en tant qu'officier et en tant que médecin. Ce qu'elle n'avait pas prévu, c'est que tout ce qu'elle avait appris sur les causes, les symptômes et les conséquences des traumatismes liés à des événement violents s'appliqueraient un jour à elle.
Shaw était une solitaire. Mais son séjour chez Samaritain avait changé la donne. Elle ne s'en sortirait jamais seule, ce n'était pas la peine de jouer, dans ce cas-là, à la dure à cuire. Personne ne se sortait de ce genre de stress seul, pas atteinte comme elle l'était. Certains peuples pourtant, s'en sortaient plutôt pas mal.
Au cours d'une conférence à laquelle elle avait assisté en 2013, une jeune doctorante ukrainienne avait affirmé que les Bosniaques, les Kurdes étaient des populations très résistantes au stress post-traumatique. Les Kurdes, avait-elle expliqué, parce que leur culture traditionnelle était dynamique, vivante, le tissu social dans les régions qu'ils habitaient très dense, l'entraide au sein de la population, des villages, des membres d'une même famille très forte. Bref, tout ce qui faisait qu'ils ne souffraient ni d'isolement, ni de solitude. Un autre point de sa conférence avait particulièrement intéressé Shaw, même si la jeune chercheuse avait précisé que les études sur ce phénomène étaient toujours en cours. Shaw pensa à Root et elle était prête à parier que celle-ci aurait illustré à la perfection, la théorie déjà fortement étayée, avancée par l'Ukrainienne. Shaw avait été impressionnée par l'absence de conséquences qu'avait semblé avoir eu la détention de Root aux mains de Contrôle. Shaw ne connaissait pas Contrôle intimement, mais elle connaissait les méthodes de l'ISA et le peu qu'elle avait vu de Contrôle lui avait fait comprendre qu'elle était impitoyable et qu'elle ne s'embarrassait d'aucune considération morale. Root était ressortie de ses mains, après une incroyable évasion, indemne. Que Shaw crut à cette époque que Root avait un grain, ne changeait rien. Elle la connaissait déjà mieux et elle était restée incrédule quand Root était revenue, égale à elle-même. Elle avait cherché à savoir ce qu'elle avait subi durant sa détention et le seul fait que Contrôle l'ait opérée à vif et handicapée pour la vie l'avait glacée, surtout vu le manque de répercussion que cela avait eu sur Root. Celle-ci en avait juste profité un peu plus tard, pour se faire greffer son fichu implant. C'était incroyable. Sauf si... Root faisait partie de ces personnes qui pour une raison encore inconnue étaient immunisées contre le stress post-traumatique.
Shaw se rappelait avoir écouté fascinée cette nouvelle donnée. Le corps de ces sujets exceptionnels était capable de fabriquer des hormones qui les protégeaient du stress post-traumatique. La jeune chercheuse avoua que l'état des recherches actuelles ne permettait pas encore de savoir comment cela était possible, et que les études sur le fonctionnement du stress post-traumatique et le fonctionnement de l'immunité étaient en cours. De toute façon, Shaw ne bénéficiait malheureusement pas de cette spécificité.
Donc, il ne lui restait que peu d'options :
Option 1, la plus probable au vu de son profil psychologique : l'auto-destruction programmée. Une descente dans une spirale de violence et d'alcool. C'était une chance qu'elle ne soit pas portée sur les drogues, sinon elle s'y serait plongée aussi. Et si elle n'en crevait pas, son taux de CRP augmenterait et elle développerait de l'hypertension, du diabète ou une autre saloperie qui lui bousillerait la santé. De toute façon, elle deviendrait tarée, elle l'était déjà, elle le savait parfaitement, et finirait par se tirer une balle dans la tête ou par se faire descendre au cours d'un de ses dérapages à répétition.
Option 2 : une psychothérapie. Ce n'était même pas envisageable. Shaw savait très bien qu'elle serait incapable de parler à un type ou une femme qu'elle ne connaissait pas. Elle n'avait jamais parlé à personne, alors un psychothérapeute...
Option 3 : Root. Elle l'avait appelée ce matin, elle était allée la trouver cet après-midi et Root l'avait repêchée, juste avant qu'elle ne se noie. Ce n'étaient pas les premières fois, ça avait fonctionné avant aussi. À Vermillon en particulier. Elle s'était réveillée la nuit du lundi au mardi, après un cauchemar, terrorisée. Elle avait été chercher refuge contre Root. Shaw avait su qu'elle l'avait réveillée, mais Root n'avait rien dit et l'avait laissée, sans tenter un mouvement, retrouver son calme accrochée à elle comme à une bouée. Quand Shaw s'était sentie mieux, elle s'était écartée de Root et celle-ci ne l'avait pas retenue et ne lui avait pas reparlé de l'incident par la suite. Root était discrète et respectait son besoin de silence, d'isolement, elle ne la harcelait jamais quand elle se sentait mal. Elle était là, disponible, attentive à ses besoins et Shaw le savait. Root avait eu raison ce matin, elle avait réussi pour la première fois à ne pas glisser et la même chose s'était répétée l'après-midi. Ça marchait. Avec Root. Si elle travaillait avec elle. Si elle acceptait de se reposer sur elle. Sa fierté en prendrait un coup, mais c'était ça ou revenir à l'option 1. La stupide option 1. Shaw releva la tête et observa Root. Elle pouvait lui faire confiance, elle était sûre qu'elle ne le regretterait pas. L'option 3 apporterait aussi peut-être plus de sérénité dans leur relation. Rassurerait Root. La rassurerait elle. Shaw avait pris sa décision, elle tenterait le coup avec Root. Elle lui serra doucement la main et partit s'arranger un siège. Elle avait elle aussi, besoin de dormir.
Root se leva une heure avant l'atterrissage. Elle chercha Shaw du regard sitôt debout et la trouva en train de dormir. Elle s'était couchée toute habillée. Elle avait juste enlevé ses chaussures. Heureusement que Shaw portait des chemises de bonne qualité. Elles étaient pratiquement infroissables. Root lui caressa doucement la joue en passant à côté d'elle pour aller se préparer. Elle la réveillerait après. Elle appela l'hôtesse et lui demanda de servir le petit déjeuner après dix minutes. Shaw mangeait quand elle sortit de la salle d'eau. Elle prit place en face d'elle.
« Sam, je représente un groupe financier international. Le siège social est domicilié à Hong-Kong. Je m'appelle Lynne Marchmont, je t'épargne ma formation universitaire brillante, et mes diverses expériences fort réussies, comme administratrice auprès de plusieurs compagnies. Je possède un porte-feuille conséquent et surtout le groupe que je représente est fort intéressé par un partenariat avec une entreprise très lucrative installée au Mexique. Je suis là pour entamer les négociations, d'abord avec leur représentant et puis si tout se passe bien, avec leur dirigeant. Mais je ne suis pas seule. D'après ce que j'ai compris nous avons de sérieux concurrents.
- Qui ? Et en quoi consiste vraiment la mission ?
- Je ne sais pas encore. À nous de le découvrir.
- Je suis sûre qu'elle le sait. Pourquoi ne te le dit-elle pas ?
- Pour le fun.
- N'importe quoi !
- C'est une question de libre-arbitre Sameen. Je ne sais pas trop comment t'expliquer. Elle me donne des instructions, des pistes et à moi de me débrouiller.
- Elle utilise ta capacité à improviser ? Elle veut savoir comment toi, tu vas analyser les données et ce que tu vas en faire ? C'est ça ?
- Oui, en gros c'est ça.
- C'est sympa.
- … ?
- Elle a confiance en toi. Elle t'aime bien. »
Root sourit, heureuse que Shaw comprenne la relation établie entre elle et la Machine.
« Root ? Je peux te poser une question… en fait deux questions à propos de La Machine ?
- Oui, vas-y.
- Pourquoi La Machine n'a-t-elle pas de voix ? Samaritain en a une. Pourquoi pas elle ?
- C'est quoi ta deuxième question Sameen ? demanda Root détournant le regard.
- Euh… hésita Shaw remarquant que sa question avait blessé Root.
- Vas-y, pose là.
- Non, ce n'est pas important.
- Sam !
- Je… Tu es proche d'elle non ? Elle te parle tout le temps, tu… Je sais que tu la considères comme une personne. Mais euh… Quand tu parles d'elle, tu l'appelles toujours La Machine.
- …
- C'est pas un nom, La Machine. Elle n'a pas de nom ? Tu ne lui en as pas donné un ? »
Root fixait les nuages derrière le hublot, Shaw se maudit d'avoir abordé le sujet. Depuis longtemps, ce problème la tracassait. Depuis Samaritain. Lui avait une voix, un nom. Shaw ne comprenait pas pourquoi la Machine n'en avait pas. Elle s'étonnait surtout que Root au moins, ne lui ait pas donné un nom. Elles étaient très intimes. Et Root passait son temps quand elle parlait aux gens à les interpeller à l'aide de tout un panel de noms. C'était rare qu'elle s'adresse à quelqu'un sans prononcer plusieurs fois, son nom, son prénom, un sobriquet qu'elle lui avait attribué. Shaw en comptabilisait pour sa part, au moins quatre. Et la Machine ? Zéro ? C'était bizarre. Mais elle s'aperçut qu'elle avait sans le vouloir touché une corde sensible chez Root. Elle fit marche arrière.
« Je suis désolée Root. Je ne voulais pas te blesser. »
Root tourna la tête vers elle, elle avait des larmes dans les yeux, mais elles ne coulèrent pas, elle adressa un sourire triste à Shaw et se recomposa une attitude désinvolte, s'intéressant tout à coup à son petit déjeuner. Le commandant de bord, avec beaucoup d'à propos, pensa Shaw, leur annonça leur arrivée à Chihuahua et l'imminence de l'atterrissage.
Une mauvaise surprise attendait Shaw à la descente de l'avion. Un gorille se précipita au bas de la passerelle et s'empara de leur bagage, Shaw lui aurait sauté à la gorge si Root n'avait pas prévenu son mouvement en lui posant une main sur l'avant-bras. L'homme la regarda avec attention, il avait relevé sa réaction.
« Miss Harper, je vous présente…
- Anton Matveïtch. Et voici Fédor Chouvaloff, Alexeï Borkoof, Anna Borissovna, le chauffeur s'appelle Yvan Korotkov, dit-il en désignant les deux hommes et la femme debout près de la voiture blindée.
- Miss Harper est mon chef de la sécurité, elle vous briefera une fois à l'hôtel.
- Bien Madame. »
La femme monta s'asseoir auprès du chauffeur, les trois autres hommes prirent place dans une voiture garée derrière celle destinée à Root et Shaw.
« Root qu'est-ce que c'est que ça ?
- Ce n'est pas toi qui disais que Chihuahua n'était pas Lausanne ?
- Tu te fous de moi, ces types sont des mercenaires russes n'est-ce pas ? Qu'est-ce qu'il foutent avec nous ? Je ne veux pas de mecs que je connais pas dans les pattes.
- Sam, je ne peux pas me présenter ici avec un seul garde du corps aussi létal qu'il soit et être crédible. De plus, tu es une femme.
- Quoi ?! s'exclama Shaw de plus en plus furieuse.
- Nous sommes au Mexique Sam…
- C'est n'importe quoi. C'est toi ou ta boîte de conserve qui a monté cette histoire débile ?
- Ils ont tous été recrutés par La Machine, tu pourrais lui faire confiance.
- Donne-moi une oreillette, je te jure que je vais la tuer. »
Root s'exécuta sans discuter. Shaw passa le reste du trajet à passer en revue les dossiers des cinq mercenaires. Elle avait commencé par insulter vertement La Machine, puis s'était peu à peu calmée, mais avait exigé de tout savoir sur l'équipe que la Machine avait osé engager sans la consulter.
Arrivées à l'hôtel, Shaw entraîna les mercenaires à sa suite. Ils se rendirent, par les escaliers, ce qui ne manqua pas d'étonner les cinq Russes bien qu'ils ne fissent aucune remarque à ce propos à Shaw, dans la suite qu'avait réservée la Machine à leur intention. Celle-ci était située au même étage que celle attribuée à Root et Shaw. Shaw mit les points sur les « i ». Ils étaient chargés de la protection de la présidente et de celle de quiconque Shaw en déciderait. Elle était la responsable de la sécurité et c'était elle qui donnait les ordres. Ils ne dépendaient que de son bon vouloir. Elle n'accepterait aucun manquement à ses ordres.
Une demi-heure plus tard, elle rejoignit Root d'un peu meilleure humeur. Les mercenaires s'avéraient compétents, expérimentés, certainement honnêtes et elle avait finalement conclu qu'il étaient fiables et méritaient sa confiance. Le point qui l'avait le plus contentée c'est qu'ils s'étaient naturellement soumis à tout ce qu'elle avait exigé. À son autorité. De toute façon, elle les avaient prévenus, le moindre écart serait sanctionné par une balle entre les deux yeux. Les cinq mercenaires l'avait jaugée dès sa descente de l'avion et savaient qu'elle ne bluffait pas. Ils avait reconnu en elle, un combattant de leur espèce, un chef aussi, à qui il ne valait mieux pas déplaire. Leur discipline militaire acquise principalement sur les champs de bataille en Tchétchénie, puis un peu partout au Proche ou au Moyen-Orient, et le salaire promis avaient fait le reste.
Il n'empêchait que Shaw n'appréciait pas ce genre de surprise et elle rentra dans la suite qu'elle partageait avec Root en maugréant. Au moins elles étaient bien logées. La suite, luxueuse, était immense, elles avaient deux chambres à leur disposition, un salon, une kitchnette. Root lui présenta un café quand elle arriva. Shaw le prit sans la remercier et s'installa devant la fenêtre pour le boire. La vue était dégagée. Le paysage se composait de collines sèches pratiquement désertiques. L'hôtel était situé à la périphérie de la ville, à l'extrémité Est de celle-ci, près du Parque Métropolinato Presa el Rejon. Shaw se dit que certains endroits ressemblaient vraiment aux représentations qu'on s'en faisait. La dernière fois qu'elle avait mis les pieds au Mexique, elle venait du Guatemala. Le trajet avait été épuisant et son passage clandestin de la frontière avec les États-Unis aventureux.
« Sameen, le cocktail est prévu à l'hôtel Casa Grande. C'est à vingt minutes d'ici en voiture. L'invitation précise qu'il débutera à midi, les convenances veulent que j'arrive au moins une bonne demi-heure en retard… Il est à peine neuf heures… Tu crois que trois heures te suffiront ?
- Pour quoi faire ? demanda Shaw sèchement. »
Root se glissa derrière elle et lui posa les mains sur les hanches.
« Ce que tu m'as refusé hier soir, lui souffla-t-elle dans le cou.
- J'ai mis un garde en faction devant la porte, répliqua Shaw toujours aussi revêche.
- Pudique Sameen ? C'est touchant, mais la suite est entièrement insonorisée. Tu peux crier autant que tu veux, personne ne t'entendra… À part moi bien sûr.
- Tu m'embêtes Root.
- Oui ? lui murmura Root à l'oreille.
- Ou… »
Son « oui » se transforma en gémissement. Root avait glissé ses mains sous sa chemise et lui traçait du bout des doigts des cercles autour du nombril, ses ongles lui griffaient légèrement la peau. Elle accompagna sa caresse par un baiser déposé dans son oreille, puis ses dents s'emparèrent de son lobe et le mordillèrent doucement. Shaw balança sa tasse par terre, lui attrapa la nuque d'une main tandis que l'autre se plaquait contre sur son dos pour la serrer contre elle.
« Je t'embête toujours ? Tu veux que j'arrête ? lui demanda Root détachant sa bouche de son oreille.
- Non. »
Root plongea la tête dans son cou. Elle adorait provoquer Shaw, allumer son désir. La voir y succomber. Shaw chercha à se retourner, mais Root la maintint et lui demanda de ne pas bouger. Elle lui déboutonna d'abord sa chemise et ses mains prirent le temps d'éveiller la moindre parcelle de son buste. Shaw portait une brassière de sport et le tissu fin ne constituait en rien une barrière entre sa peau et les mains de Root. Ses caresses étaient aussi efficaces que si elle avait eu les seins nus. Elle avait posé les mains sur les vitres de la fenêtre, ses biceps étaient contractés, elle tachait de garder la fenêtre à une certaine distance de son corps, de ménager un espace pour que les mains de Root puissent parcourir son ventre, sa poitrine alors qu'elle s'appuyait contre elle. Si Shaw relâchait ses bras elle serait écrasée contre la vitre. Root parcourait des lèvres, de la langue, son cou dans un sens, dans l'autre. Shaw avait la tête basculée en arrière et gémissait à chaque baiser. Son désir monta en intensité quand elle sentit les doigts de Root lui déboutonner son pantalon et tirer la fermeture de celui-ci vers le bas. Une main remonta sur sa poitrine tandis que l'autre se glissait entre ses jambes.
« Root… arrête, demanda soudain Shaw entre deux gémissements.
- Tu es sûre Sameen ? lui demanda Root en lui arrachant un cri.
- Oui.
- Je ne suis pas sûre que ce soit ce que tu veux.
- Root… lâche-moi… s'il… te plaît, l'implora Shaw. »
Root retira ses mains du corps du Shaw et se recula. Le ton suppliant l'avait glacée. Elle avait commis une erreur, elle ne savait pas laquelle, mais si il y avait bien quelque chose qu'elle ne souhaitait pas, c'était de mettre Shaw mal à l'aise. Mais celle-ci une fois libérée du poids qu'exerçait Root sur elle, se retourna et la prit brutalement dans ses bras, Root fut submergée par sa bouche et perdit tout son souffle. Shaw lui empoigna les revers de sa veste et la lui retira, elle défit ensuite la fermeture éclair de son top dans le dos et le lui passa par-dessus la tête sans ménagement, son soutien-gorge suivit aussitôt le chemin de la veste et du top. Puis Shaw la poussa plus ou moins au jugé dans la première chambre qu'elle trouva, bousculant au passage, les chaises et les guéridons qui se trouvaient en travers de son chemin. Arrivée devant le lit, elle lui défit, d'une main impatiente, la fermeture de sa jupe et la fit glisser à terre avec ce qui lui restait de sous-vêtements, Root se débarrassa de ses escarpins et entraîna Shaw avec elle sur le lit. Après, elle resta accrochée à elle, du moins à ce à quoi elle pouvait s'accrocher. Shaw se déshabilla hâtivement et libéra d'un coup toute la tension que Root avait fait naître en la coinçant debout dans le salon. Root se retrouva roulée, soulevée, pétrie, prise dans un ouragan qui ne s'arrêta que lorsque Shaw après lui avoir retourné tous les sens finit tellement excitée en se frottant sur son corps, qu'elle bascula avec elle en criant.
« Je croyais que tu voulais arrêter, observa Root cherchant à reprendre son souffle. Si c'est ça que tu entends par arrêter, il faudra que tu m'expliques deux-trois trucs, Sameen.
- Je ne voulais pas… Pas comme ça, souffla Shaw.
- Comment ça ?
- Je voulais… je voulais juste… hésita Shaw, dissimulant son visage dans le cou de Root.
- Juste ? l'encouragea Root curieuse de savoir ce qui avait déclenché la réaction de Shaw dans le salon.
- Juste… juste être avec toi. »
Root ne trouva rien à répondre. Sa formulation était bizarre, mais Root comprit parfaitement ce que Shaw voulait lui dire. Shaw avait rejeté le jeu instauré par Root devant la fenêtre. Elle n'avait pas voulu jouer. Le sexe avec Root impliquait pour elle, une relation qui allait au-delà de la satisfaction de ses désirs, une porte qui s'ouvrait entre elles, qui les rapprochait. Shaw qui avait parfois tellement de mal à communiquer avait découvert que le sexe avec Root était un formidable moyen de communication. Quand elle faisait l'amour avec elle, elle avait la grisante impression que les distances les séparant s'amenuisaient, d'être proche d'elle, d'effacer les barrières qui se dressaient entre elles, entre leur esprit. La sensation était un peu étrange, mais Shaw, parce qu'elle se sentait en sécurité avec Root, qu'elle y trouvait du plaisir et un sentiment de plénitude, s'y abandonnait avec confiance. Et Root partageait cette vision. La seule différence c'est qu'elle, identifiait et pouvait formuler le phénomène. L'amour et le désir se fondaient en un seul sentiment, s'alimentaient mutuellement. Shaw se contentait de le vivre et à vrai dire c'est ce qui importait à Root. Elle eut une fois encore la confirmation que les calculs de La Machine étaient exacts. 99,96 % de compatibilité hein ? Root voyait mal comment un pourcentage plus élevé pouvait lui apporter plus que ce que lui donnait Shaw. Elle s'appuya sur un coude pour consulter l'heure sur le réveil posé sur la table de chevet à côté du lit.
« Il reste deux heures… Tu tiendras la distance ?
- C'est toi en général qui jettes l'éponge.
- C'est vrai. »
Root plongea sur Shaw. Deux heures plus tard, elle demanda grâce. Shaw réclama un dernier round que Root lui accorda en évitant soigneusement de se faire entraîner à sa suite. Son corps ultra-sensible aurait été incapable de supporter un nouvel assaut. Shaw bascula et Root s'installa ensuite confortablement dans le creux de son épaule, laissant ses doigts lui écrire des messages sur le ventre. Shaw lui caressait doucement le dos, puis après quelques minutes, sa main tomba inerte et Root l'entendit doucement ronfler. Root tourna la tête. Il était presque midi. Elle lui accorda dix minutes avant de la réveiller.
« Sam, réveille-toi, il faut y aller.
- Hein ? Quoi ? Euh oui. Il faut que je m'habille comment ? On emmène les Russes ?
- Tu as pris une tenue de cocktail ?
- Oui, confirma Shaw en se levant.
- Mets-la, mais arrange-toi pour être armée, tes chaussures sont à la réception, je vais les faire monter. Et oui, on emmène les Russes, les cinq. Ils sont bien ?
- Ouais, pas mal. Tu es sûre que je dois me mettre en robe et en escarpins ?
- Oh oui Sameen. D'abord parce que j'aime bien quand tu portes des tenues sexy. Ensuite, je te veux près de moi avec les yeux et les oreilles qui traînent, et il n'y rien de mieux qu'une jolie femme pour détourner l'attention et passer curieusement inaperçue. On ne prend jamais une très jolie femme au sérieux.
- Bon, comme tu veux, se renfrogna Shaw.
- Sameen ne commence pas à faire la tête. Dis-toi seulement que tu es bourrée de talents. Le fait que tu puisses être très séduisante n'enlève rien à tes autres qualités, dont celles que je qualifiais de létales ! Pourquoi crois-tu que ton cadeau m'ait tant plu ? Quand tu seras prête je te donnerai des oreillettes pour les gardes. Elle seront réglées sur une fréquence à laquelle seuls toi, moi et eux aurons accès. Toi, bien sûr tu bénéficies d'un accès privé à La Machine et… à moi, au cas où l'envie te prendrait de me murmurer des mots doux, conclut Root.
- Tu es débile Root. »
Shaw partit se préparer, Root appela la réception et un groom monta cinq minutes plus tard avec un paquet qu'il remit à Shaw. Le sac contenait deux boîtes d'escarpins. Deux paires de 38. Shaw les ouvrit, mais incertaine apporta les boîtes à Root. Celle-ci s'illumina quand Shaw les lui présenta. Elle s'attribua, guidée par La Machine, l'une d'entre elles et s'extasia de plaisir en découvrant une très belle paire de Louboutin. Shaw soupira, Root se conduisait comme une gamine, n'empêche qu'elle ne put s'empêcher de lui envier sa paire d'escarpins, des Décolletés 554 en veau velours de couleur orthodoxe. Les siens n'étaient pas mal, en daim noir, mais ceux de Root…
« Privilège de la classe dirigeante mon cœur, la taquina Root surprenant sa déception. Si tu arrives à la réception aussi bien chaussée que moi, on risque de se poser des questions sur les relations que Madame la Présidente et son chef de la sécurité entretiennent en privé. À moins... que tu ne veuilles officialiser notre relation aux yeux de tous, à vrai di…
- Root, si tu sors un mot de plus, il te faudra déployer tout ton art du maquillage pour dissimuler le superbe coquard dont je t'aurais gratifiée. »
Shaw tourna les talons furieuse, abandonnant Root hilare dans sa chambre. Elle allait la tuer si ça continuait. Du coup, quand elle frappa à la porte des Russes, elle bouillait encore de colère et ne leur passa aucun détail. Elle critiqua le nœud de cravate de Fédor Chouvaloff, ajusta sèchement la veste d'Anna Borissovna, exigea de vérifier leurs armes. Elle constata avec soulagement qu'ils étaient tous armés de Serdyukov, le modèle SPS/Gyurza SR1. Si elle les avait surpris avec des Yarigin, elle les aurait agonis d'injures et de mépris. Les Yarigin étaient de la merde. Ils manquaient de puissance et elle trouvait ridicule que des professionnels puissent être équipés d'une arme dont la portée n'excédait pas cinquante mètres. Que des policiers s'amusent avec pourquoi pas, mais les autres. Par contre les Serdyukov tenaient la route. Ils étaient dotés de chargeurs de 18 balles, avaient une portée de 100 mètres et pouvaient percer un Kelvar de niveau 3. De la bonne camelote. Pas étonnant que les Spetsnaz, les unités des forces spéciales russes, les aient adoptés. Ces gars savaient choisir leur matériel.
Elle leur demanda s'ils planquaient d'autres armes dans leurs bagages. Matveïtch lui expliqua qu'ils avaient découvert tout un arsenal dans le coffre d'une des voitures en les récupérant à l'aéroport. Principalement de fabrication russe dont ils faisaient usage habituellement. Il ne savaient pas qui s'était chargé de la livraison, mais c'était du matériel neuf. Shaw savait très bien qui s'était chargée de la livraison et grogna sa satisfaction à l'attention de La Machine. Les Russes pensèrent qu'elle s'adressait à eux et lui sourirent. La Machine reçut le message et lui adressa un « À ton service Sameen. » dans l'oreille, que Shaw accueillit avec une grimace.
Les mercenaires disposaient pour chacun d'entre eux, en plus de leur Serduykov, de la dernière version ultra moderne des Kalashnikov, un fusil d'assaut AEK 971. Le coffre recelait aussi deux Mitrailleuses lourdes, des Kalashnikov PKM avec trépied et Chouvaloff, le tireur d'élite du groupe avait, quant à lui eu le plaisir de découvrir un Sako TGR M10 agrémenté de kits 308 Winch et 338 Lapua magnum. Shaw apprécia. Le Sako, un fusil de précision de fabrication finlandaise était presque aussi performant, selon Shaw, que SRS dont elle fait cadeau à Root.
Rassurée, mais toujours énervée, Shaw leur distribua les oreillettes, leur en expliqua les spécificités et leur ordonna de la suivre. Elle les conduisit jusqu'à l'hôtel Casa Grande. Elle s'était arrogée les clefs d'une de leurs voitures et passa une partie de ses nerfs sur la route. Korotkov, au volant de la deuxième voiture, dut user de tous ses talents de chauffeur pour ne pas la perdre de vue.
Une fois à la Casa Grande, ils passèrent en revue les lieux de la réception. Le service de sécurité de l'hôtel les accueillit avec suspicion, mais Shaw avait pris soin de se munir des invitations que Root avait récupéré à leur arrivée auprès de la réception de l'hôtel. Les leurs étaient spécialement destinées aux services de sécurité et leur permettaient de rentrer armés. Les agents vérifièrent attentivement leur identité. Ils ne manquèrent pas de lancer des regards étonnés à Shaw et à Anna Borissnova, et quand ils osèrent vouloir les fouiller les deux femmes eurent la même réaction : elle attrapèrent la main de l'agent ayant eu l'audace de poser la main sur elles et les deux agents se retrouvèrent grimaçant de douleur à genoux devant elles. Elles relâchèrent les pauvres hommes dans un ensemble parfait et se jetèrent un sourire de connivence. Anna Borissnova remonta tout à coup dans l'estime de Shaw et quand elle surprit le regard amusé et plutôt très fier des quatre autres Russes, elle retrouva soudain sa bonne humeur.
Ils entrèrent et firent le tour de la salle dans laquelle se pressaient déjà, de nombreuses personnes. Les Russes se dispersèrent. Shaw observa les invités présents. Elle fronça les sourcils. Certains visages lui semblèrent familiers. Elle repéra d'autres gardes du corps. Certains ressemblaient plus à des hommes de mains qu'à de véritables agents de sécurité. Elle se mit à se mâchouiller la joue quand elle surprit une homme et une femme discuter près d'une table un verre à la main. Leurs vêtements, qui puaient les achats bons marchés, leur attitude, leur tronche d'Américains propres sur eux, Shaw identifia sans erreur possible, des agents fédéraux américains, DEA, ATF ou CIA, elle n'en était pas sûre. Cette réception avait tout d'un panier de crabes, la moitié de l'assistance au moins était armée et un quart seulement semblait composée d'honnêtes citoyens. Elle enjoignit à ses Russes d'être vigilants et prudents. Ils accusèrent réception dans un bel ensemble. Elle les prévint qu'elle allait chercher la présidente et regagna le Staybridge.
Root l'attendait à l'un des bars de l'hôtel. Elle flirtait éhontément avec un client visiblement sous le charme. Shaw s'adressa cavalièrement à elle, lui attrapa le bras et la tira sans ménagement hors du bar. Root s'excusa auprès de son galant lui expliquant que son chef de la sécurité était très très protectrice, qu'elle était désolée, mais qu'elle avait un rendez-vous important. Qu'ils se retrouveraient peut-être le soir au bar ou au restaurant ou pourquoi pas à la salle de sport, à la piscine, qu'il avait l'air d'un athlète. La fin de son discours se perdit quand elle fut poussée dehors par une Shaw exaspérée.
« Tu vas être en retard.
- J'espère que tu es consciente Sameen que tu es bien plus sexy que ce pauvre homme et nettement plus athlétique aussi, qualité que j'apprécie beaucoup chez toi.
- Root, arrête tes plaisanteries débiles, lui intima fermement Shaw. Tu sais en quoi consiste cette réception ? La salle est remplie de types armés jusqu'au dents, il y a des agents fédéraux américains et je suis sûre que la moitié des truands présents sont des membres d'un ou plusieurs cartels de la drogue.
- Un seul, le Cartel de Silanoa. Ce sont eux que je dois rencontrer.
- Quoi ? Tu as prévu de rencontrer El Chapo ?
- Oui.
- C'est du délire.
- Mais c'est nécessaire.
- Pourquoi ?
- En fait, j'ai cru comprendre que nous avions une double mission à remplir. D'abord, faire capoter un accord entre le cartel et la CIA.
- La CIA veut conclure un accord avec le Cartel de Sinaloa ?
- Non, plutôt une alliance.
- Encore ?
- Oui encore. Je vois que tu connais tes classiques.
- Je croyais qu'après le désastre de l'opération « Fast and Furious » de l'ATF, le gouvernement avait décidé d'arrêter ses conneries avec les Cartels mexicains.
- Tu as oublié que Samaritain s'est depuis invité dans la partie. Je ne suis pas sûre d'ailleurs que ce ne soit pas lui qui ait planifié l'évasion d'El Chapo en juillet dernier.
- Samaritain veut s'allier avec le Cartel de Sinaloa ?
- C'est le plus puissant du Mexique. Il est possible qu'il veuille d'abord s'en servir pour éliminer les autres.
- Ouais, c'était le plan de la CIA au départ, ça été un beau bordel ensuite.
- Samaritain a d'autres moyens dont ne bénéficiait pas la CIA.
- Et ensuite que fera-t-il ?
- Je ne sais pas. Les possibilités sont multiples : il peut continuer à se servir des ressources du Cartel pour détruire d'autres organisations criminelles aux États-Unis, au Canada, sur tout le continent américain et ailleurs peut-être. Ou les éliminer. Ou, grâce à eux, inonder le monde entier de drogue et débarrasser ainsi l'humanité de tous les faibles incapables de résister à l'appel des paradis artificiels. Un grand ménage grâce auquel tous ceux qui veulent planer finiraient par s'écraser.
- Ça serait bien un plan digne de son esprit tordu.
- Son esprit ? releva Root étonnée.
- Samaritain est un esprit pervers Root, que ce soit une boîte de conserve n'y change rien, gronda Shaw.
- Je sais, lui accorda Root lui posant une main apaisante sur l'épaule.
- Et la deuxième partie de la mission ?
- Une femme. Une députée. Elle est en danger, je crois qu'elle veut dénoncer l'accord que s'apprête à passer le Cartel avec la CIA. Elle rassemble encore des preuves. Elle a été jusqu'à présent prudente, mais elle s'est fait repérer. Si Samaritain la prend dans son radar, sa vie est en danger.
- Pourquoi ne pas l'évacuer maintenant ?
- La Machine veut lui donner une chance. Elle passera peut-être au travers du filtre de Samaritain. Elle est jeune et… elle est enceinte de quatre mois.
- Ne me dis pas qu'elle a plein de marmots et qu'il va falloir s'en charger.
- Non, c'est son premier.
- Et son mari ?
- Elle est célibataire.
- Mexicaine ?
- Oui, mais nouvelle génération. En fait, c'est arrivé un peu par hasard et elle a décidé de garder l'enfant considérant que c'était une occasion qui ne se représenterait peut-être pas.
- … ?
- Elle n'est pas très branchée relations sentimentales et préfère souvent les femmes aux hommes.
- Et c'est La Machine qui t'a raconté tout ça ?
- Oui.
- C'est flippant tout ce qu'elle peut déballer sur la vie privée des gens.
- Ça te gêne ?
- Bah, sincèrement, si ça me gênait tant que ça, je te fuirais comme la peste. De toute façon, entre elle et Samaritain, je me demande s'il me reste encore quelque chose de privé dans ma vie, déclara sombrement Shaw. »
Root ne sut que lui répondre. Elle vivait naturellement sous l'œil de La Machine, elle ne voyait pas en quoi c'était différent de ceux qui, par exemple, croyaient à un dieu omniscient, et à part quelques fanatiques, personne ne s'était privé de vivre depuis que l'humanité avait créé ses dieux. Elle n'avait jamais abordé avec Shaw le sujet de ses croyances religieuses et ne savait pas si Shaw était croyante ou pas, en quoi elle croyait. La Machine était bienveillante, elle aimait Shaw. Samaritain lui, avait utilisé ce qu'il savait sur Shaw, ce qu'elle lui avait dévoilé, pour lui faire du mal. En ça, Shaw avait raison, il était pervers. Root ne s'était jamais vraiment demandée ce que pouvait ressentir Shaw de se savoir observée quoiqu'elle fasse. Elle la regarda inquiète, peut-être Shaw n'était-elle pas si sereine que ça. Et Root ne pouvait pas l'aider. Il fallait qu'elle l'accepte et si elle le vivait mal, qu'elle fasse avec, il n'y avait pas d'autre solution. En même temps, Shaw n'avait jamais semblé très préoccupée par l'idée que la Machine assiste à leur ébats.
Cette pensée rassura Root et elle se persuada que le problème de Shaw concernait Samaritain et lui seul. Elle n'en était pas sûre, mais si elle avait eu le courage d'en parler à Shaw, celle-ci le lui aurait confirmé. Shaw avait intégré la présence de La Machine dans sa vie, elle l'avait acceptée, d'abord à cause de Root et ensuite parce que cela lui avait semblé naturel et qu'elle n'y avait plus prêté attention. De toute façon, elle ne pouvait pas changer cet état de fait, donc elle s'était adaptée en conséquence. Question de survie.
Elles firent sensation à leur arrivée. De nombreux regards convergèrent vers elles. On était au Mexique, il y avait peu de femmes à la réception et la plupart de celles présentes au cocktail étaient âgées. Root portait une robe assortie à la couleur de ses chaussures, qui mettait en valeur sa silhouette élancée. Les Louboutin lui faisaient des jambes interminables et Root arborait un sourire qui charmait tous ceux à qui elle l'adressait. Shaw en général la trouvait séduisante, mais quand elle s'habillait, elle était belle, très belle. Et Shaw ce jour-là, la jugea resplendissante. Ce qui n'empêcha pas qu'elle surprit plus d'une fois, le regard de Root aussi appréciateur que le sien, quand celle-ci posait les yeux sur elle en souriant. Shaw était pourtant sobrement vêtue d'une robe noire de coupe simple, mais celle-ci exposait à la vue de tous, ses lignes généreuses. Elle avait la taille fine et assez de courbes idéalement situées pour attirer les regards. S'il n'y avait eu affiché sur son visage une expression revêche, Shaw se serait sans doute attirée autant de succès que Root. Mais elle était en mode chien-de-garde. Elle ne laisserait personne flirter avec elle et elle n'activerait pas son détecteur de jolis petits culs. Le fait était aussi, qu'elle n'avait plus vraiment besoin de plan cul et ce n'était pas sûr qu'elle en ait encore besoin un jour, pensa-t-elle en regardant d'un air songeur, Root papillonner parmi les invités.
Peu après leur arrivée, il y eut un léger remous à l'entrée. Shaw contacta Anton Matveïtch, chargé de surveiller celle-ci. Elle s'adressa à lui en russe, elle doutait qu'à part les mercenaires, elle et Root, beaucoup de gens présents dans la salle maîtrisent cette langue. Matveïtch marqua un temps de silence surpris, puis s'empressa de lui répondre. Une jeune femme venait d'arriver escortée par un conséquent service de sécurité. Une députée lui déclara Matveïtch. La foule s'écarta et son entrée fut saluée par des applaudissements. La jeune femme se dirigea vers une estrade, son service de sécurité fendant la foule devant elle. Un homme monta sur l'estrade et lui souhaita chaleureusement la bienvenue. Shaw apprit à cette occasion que le cocktail célébrait l'arrivée d'une pièce de collection au musée Casa Chihuahua. La députée avait apparemment usé de son influence pour que l'objet rejoigne les collections permanentes du Musée. Il s'agissait d'un sabre ayant appartenu à Miguel Hidalgo y Costilla, le père de la Nation mexicaine. La légende voulait que ce fut celui qu'il brandissait lors de la bataille victorieuse de Ganajuato le 28 septembre 1810. Le conservateur du musée succéda au maire. Il remercia lui aussi Maria Alvarez pour son engagement envers la ville qui l'avait vue naître, puis se lança dans une enthousiaste rétrospective du rôle qu'avait joué Miguel Hidalgo y Castilla dans le déclenchement de la guerre d'indépendance mexicaine. Root écouta attentivement son exposé contrairement à la plupart de l'assemblée, occupée à discuter, à boire, à se surveiller.
Shaw de son côté observait. Elle remarqua ennuyée que la jeune députée semblait attirer beaucoup de regards, pas toujours très sympathiques. Comme toute une bande de sales gueules qui, elle l'aurait parié, appartenait au Cartel de Silanoa et les agents de la CIA qui tentaient, sans succès, de passer inaperçus. Des amateurs. L'espoir que Maria Alvarez échappe à l'attention de Samaritain et du Cartel lui semblait fortement compromis. Shaw porta son attention sur elle. Une emmerdeuse, décréta-t-elle. Le genre de politicienne honnête qui avait des convictions et était prête à les défendre au péril de sa vie. Le genre arrogante, tenace, incontrôlable. Le genre qui poserait des problèmes. Le genre dont Shaw détestait avoir la garde. Elle laissa échapper un soupir contrarié.
« Quelque chose vous chagrine Miss Harper ? lui demanda Root, ayant surpris son soupir.
- On aurait du l'attraper avant et la séquestrer dans le coffre d'une des voitures blindées. Elle est dans le collimateur de Samaritain et du Cartel. Elle a l'air aussi chiante que toi et ça va être une vraie galère de la sauver d'elle-même, lui répondit Shaw en russe.
- Je ne pensais pas que tu parlais aussi bien le russe.
- Je me suis tapée des cours particuliers pendant des années.
- Ta vie est pleine de surprises Sam.
- Ouais, heureuse que ça te plaise. Qu'est-ce qu'on va faire avec elle ?
- Dis à tes petits copains de garder un œil sur elle. Colles-en trois à ses basques.
- Okay. »
Shaw assigna Anna Borissnova, Anton Matveïtch et Fédor Chouvaloff à la protection de Maria Alvarez, avec permis de tuer tous ceux qui l'approcheraient de trop près. Elle attira particulièrement leur attention sur son service de sécurité. La menace avait des chances de venir de ce côté. Si le danger s'avérait trop pressant, il avait ordre de l'évacuer.
« Vous avez de quoi la droguer si c'est nécessaire ?
- Oui.
- Bon, alors si c'est nécessaire, vous l'invitez dans votre chambre. Discrètement. Vous me prévenez évidemment et nous aviserons à ce moment-là.
- Comme vous voulez.
- Matveïtch ?
- Madame.
- Je vous fais confiance, ne me décevez pas.
- Ça n'arrivera pas Madame. »
Shaw aimait bien ces gars décidément. Elle sourit.
« Tu vois que tu peux faire confiance à La Machine, lui déclara Root, Elle sait te choisir tes partenaires. »
Shaw lui renvoya une grimace et reporta son attention sur l'assemblée.
Le maire fit signe à un serveur qui apporta trois flûtes de champagne jusqu'à l'estrade et les lui présenta sur un plateau. Le conservateur en prit une, le maire en tendit une autre à la jeune députée en souriant et leva la dernière dans sa direction, puis dans celle de l'assemblée.
« Je bois à l'avenir de la Nation, puissiez-vous, Madame, la servir encore longtemps avec dévouement. »
Maria Alvarez le remercia, porta la flûte à ses lèvres, puis la leva et déclara avec emphase :
« Longue vie au Mexique ! »
La foule applaudit et le maire déclara le buffet ouvert. Un bon nombre de sales types avaient accueilli les vœux du maire avec un rictus narquois. Shaw donnait peu de chances à la jeune femme d'exercer encore longtemps ses fonctions au service du gouvernement mexicain. Laissant Matveïtch s'occuper de ce problème, Shaw colla aux basques de Root. Tant et si bien qu'au bout d'un moment celle-ci agacée par son attitude sur-protectrice, lui demanda d'aller lui chercher un verre de jus de fruits.
« Il y a des serveurs pour ça, protesta Shaw irritée.
- Miss Harper, lui conseilla Root d'un ton railleur. Vous devriez vous détendre un peu, je ne risque pas de me perdre, la salle n'est pas si grande et je vous ferai signe sans attendre si j'ai besoin de vos services. »
Shaw la regarda furibonde, rien que de l'entendre l'appeler « Miss Harper » l'énervait prodigieusement. Root pencha la tête et leva un sourcil, affichant un de ses insupportables sourires moqueurs au coin de la bouche. Shaw lui tourna le dos et partit lui chercher son verre avec la furieuse envie de le lui lancer à la tête quand elle reviendrait. Elle fendit la foule comme un brise-glace s'avance au milieu de la banquise. Root était en pleine conversation avec un homme entre deux âges impeccablement vêtu, quand elle lui rapporta son verre. Root la remercia et du regard lui intima de rester à ses côtés. L'homme la regarda curieusement.
« Mon assistante, Miss Harper, le renseigna Root. »
Il grogna et oublia aussitôt Shaw. Un sous-fifre, un col blanc, pas très observateur jugea Shaw. Par contre, les quatre hommes qui sans en avoir l'air les entouraient avaient l'air nettement plus lucides. Leur attention se focalisa autant sur Root que sur elle. Root et le col blanc bavardaient amicalement. Root lui expliquait combien elle admirait Miguel Hidalgo y Castillo, son côté non conformiste, il avait eu maîtresses et enfants alors qu'il était prêtre, sa détermination, son courage. Le col blanc, Monsieur Garcia l'appela une fois Root, était visiblement surpris par la connaissance que Root avait de l'histoire du Mexique et il s'engagea avec elle dans un débat passionné sur les raisons qui avait entraîné le repli d'Hidalgo, alors qu'après sa victoire contre Trijillo à Monte de las Cruces le 30 octobre 1810, il était prêt à prendre Mexico. Shaw ne comprenait pas pourquoi Root et ce Garcia, visiblement envoyé comme contact par le Cartel de Silanoa perdaient leur temps dans des conversations de salon. Garcia insista pour présenter Root à la plupart des notables de la ville. Il connaissait tout le monde. Il l'introduisit auprès du maire en lui précisant qu'elle envisageait pour le compte de sa société conclure des accords très prometteurs à Chihuahua. Maria Alvarez se joignit à eux.
Elle interrogea Root sur son groupe financier, sur ses projets, lui posant des questions très précises et manœuvrant habilement pour découvrir ce que Root venait faire à Chihuahua et quels étaient ses véritables objectifs. Elle était retorse, intelligente. Root prit très vite plaisir à se mesurer à elle. Elles s'affrontèrent verbalement à travers un échange souligné de sourires hypocrites. Elles se firent mutuellement des compliments sur leur travail respectif, sur leur réussite dans le domaine qu'elles avaient choisi et emportées dans leur joute, finirent même par se poser qui une main sur le bras, qui une main sur le poignet. Root s'amusait. Shaw admirait la capacité des deux jeunes femmes à mener une conversation, à passer d'une langue à l'autre. Maria Alvarez s'était d'abord adressée à Root en anglais, puis Root était passée à l'espagnol et prises ensuite dans leur échanges, elles alternaient anglais et espagnol. C'était amusant et dénotait chez les deux jeunes femmes d'une grande maîtrise des deux langues, des deux cultures qui y était attachées.
Le conservateur du Musée de la Casa Chihuahua vint arracher la jeune députée à Root et celle-ci prit congé en souriant. Elle n'avait pas obtenu grand-chose de Root, mais la reconnaissait comme une adversaire de valeur. Une femme à abattre. Maria Alvarez soupçonnait que Root venait, comme les agents de la CIA qu'elle avait repérés dès son entrée dans la salle, conclure des affaires avec le Cartel de Silanoa. Elle nota qu'il faudrait qu'elle fasse des recherches sur sa société en rentrant chez elle. Un nouvel acteur venait d'entrer en lice et elle voulait savoir à qui elle allait devoir se mesurer.
« Une femme… intéressante, déclara Root à Garcia.
- Un peu trop curieuse.
- Gênante ?
- Pas pour longtemps, je pense qu'elle va quitter sous peu Chihuahua, répliqua-t-il sur un ton doucereux. »
Root jeta un coup d'œil à Shaw. Les Russes avaient intérêt à assurer.
« Madame Marchmont, ne voudriez-vous pas poursuivre cette intéressante conversation ailleurs ?
- Monsieur Garcia ! minauda Root.
- J'aimerais juste un peu plus de tranquillité, se défendit-il
- Où souhaiteriez-vous m'emmener ?
- Juste dans une pièce dans laquelle nous pourrons convenir d'un rendez-vous avec mon patron sans que des oreilles indiscrètes puissent nous écouter.
- Je vous suis. Puis-je me faire accompagner d'un agent de ma sécurité et de mon assistante ?
- Si vous le jugez nécessaire.
- Je vous remercie de votre compréhension, je laisserai mon agent à la porte, mais je ne me sépare jamais de mon assistante. Une vraie perle rare.
- Si vous le dîtes, répliqua Garcia peu convaincue par l'air désagréable qu'affichait Shaw campée à côté de Root. »
Root demanda à Garcia la permission d'attendre que Shaw aille chercher Yvan Korotkov. Shaw s'exécuta et évita d'utiliser son oreillette pour contacter le Russe. Elle prévint juste Alexeï Borkoff et réitéra à Matveïtch de se tenir sur ses gardes. Shaw trouvait que cette mission puait les complications. Elle se retrouvait avec deux cibles potentielles à protéger et devait se reposer sur des hommes que, même s'ils avaient l'air fiables, elle ne connaissait pas. Elle revint avec Korotkov. Et lui, elle, Root, Garcia et les quatre gorilles qui l'accompagnaient, quittèrent la salle de réception. Leur départ n'échappa pas à Maria Alvarez et la conforta dans son idée que Root représentait une société engagée dans des opérations malhonnêtes et qu'elle s'apprêtait à s'allier avec le Cartel de Silanoa. Elle savait très bien que Jésus Garcia travaillait pour eux. Elle possédait un conséquent dossier sur lui et attendait le bon moment pour le faire tomber et l'enfermer pour le restant de ses jours derrière les barreaux d'une prison.
La conversation privée entre Root et Garcia fut de courte durée. Garcia lui demanda de confirmer le désir que la société qu'elle représentait avait de conclure un marché avec le Cartel. Elle dut préciser pourquoi ses dirigeants avait choisi leur organisation, ce qu'ils attendaient et ce qu'ils proposaient. Root lui proposa de joindre un des membres du conseil d'administration à Hong Kong, mais il lui assura que ce n'était pas nécessaire, qu'il avait reçu toutes les garanties la concernant et qu'il ne remettrait pas en question les instructions qu'El Chapo lui avait données de traiter avec elle. Elle exposa donc les projets et les attentes de sa société. Shaw fut encore une fois, impressionnée par la maîtrise que Root avait d'un sujet qui devait lui être à peu près étranger deux jours auparavant. Elle n'avait jamais assisté à ce genre de performance.
Quand Root l'avait emmenée en mission, elle avait couvert ses arrières et elles avaient surtout mené des assauts. Shaw n'avait jamais vraiment vu Root opérer en mission d'infiltration, quand elle incarnait un personnage. Elle savait qu'elle était géniale, mais assister à une de ses performances était… impressionnant. Shaw n'aimait pas se déguiser, elle avait du mal à se glisser dans la peau de quelqu'un d'autre, surtout si son profil psychologique était trop éloigné du sien, si son métier était trop différent d'un de ceux qu'elle avait exercés. Elle n'avait aucun talent pour la dissimulation.
Root et Garcia se mirent rapidement d'accord pour passer à l'étape supérieure des négociations. Garcia lui proposa de venir la chercher à son hôtel en début de soirée. Elle accepta, mais à ses conditions. Elle se rendrait à son rendez-vous dans sa propre voiture accompagnée de son chauffeur, d'un garde du corps et de son assistante. Garcia lui assura que cela ne poserait aucun problème. La première étape était close. Ils prirent courtoisement congés l'un de l'autre et Root regagna la réception.
Shaw contacta Matveïtch, il lui apprit que Maria Alvarez s'apprêtait à quitter la réception. Elle logeait au sein de l'hôtel, il avait son numéro de chambre et Anna Borissnova avait pris des dispositions pour poser des dispositifs de surveillance. Shaw ne chercha pas à savoir comment elle s'y était prise et félicita juste Matveïtch pour leur efficacité. Root s'attarda encore une heure. Elle renoua la discussion avec le maire qui parut enchanté de retenir l'attention d'une aussi jolie femme. Elle fit ensuite signe à Shaw et escortées par Alexeï Borkoof et Yvan Korotkov, elles rejoignirent le Staybridge. Shaw envoya les Russes dans leur suite, leur conseillant de se tenir à carreau, de rester éloignés du mini-bar et d'attendre ses ordres. Ils hochèrent la tête et tournèrent les talons. Root s'éloigna. Shaw rappela Korotkov et lui demanda d'aller faire le plein et de la prévenir quand il reviendrait. Elle avait des bagages à mettre dans le coffre. Elle lui lança les clefs et rejoignit Root. Celle-ci attendait l'ascenseur. Quand elle vit Shaw arriver, elle eut un moment d'hésitation et décida de ne pas bouger, puis elle remarqua que Shaw ralentissait le pas au fur et à mesure qu'elle se rapprochait d'elle, de l'ascenseur. Ses traits doucement commencèrent à s'affaisser, l'angoisse naquit puis grandit dans son regard. Elle marcha sur Shaw et l'entraîna vers les escaliers.
« Il faudra un jour ou l'autre régler ce problème Sameen.
- … ?
- Ton truc avec les ascenseurs. »
Shaw blêmit.
« Ne panique pas mon cœur, je ne vais pas m'attaquer à ça maintenant, nous avons autre chose à faire, mais j'aimerais bien qu'un jour tu m'en parles.
- Je ne panique pas et il n'y a rien à dire, affirma Shaw sur un ton agressif.
- Sam, ne fais pas l'enfant.
- Quand je te dis qu'il n'y a rien à dire, c'est qu'il n'y a rien à dire, murmura Shaw le regard fuyant.
- Tu veux dire que tu ne sais pas pourquoi tu… n'aimes pas les ascenseurs... euh, tu n'aimes plus les ascenseurs ?
- Non.
- Il faudra qu'on résolve ça Sameen. Tu ne peux pas continuer comme ça.
- …
- Sam, je ne plaisante pas. C'est un problème, tu le sais très bien et souhaite ne pas avoir à le regretter un jour. J'espère aussi que ce jour-là, je ne serais pas concernée par ta phobie des ascenseurs et que je me ne retrouverai pas avec une balle dans la tête parce que tu auras été incapable d'en prendre un.
- Root...
- Tu oserais me donner tort Shaw ?
- Non.
- Alors ?
- Je ne sais pas pourquoi… je… je ne peux pas m'approcher de ces trucs.
- On trouvera une solution, mais il faudra que tu y mettes du tien. Tu es prête à l'accepter ?
- Avec toi, oui.
- Bon, je prends note et on n'en parle plus pour l'instant. »
Shaw se mordit les lèvres, le sujet la tourmentait depuis qu'elle en avait pris conscience. Bien avant d'avoir retrouvé Root, peu après son retour à New-York, alors qu'elle pistait un agent de Samaritain, elle avait été prise d'une crise de panique au moment de s'introduire en sa compagnie dans un ascenseur. Elle avait été incapable de se contrôler, elle s'était mise à transpirer, à trembler et avait précipitamment battu en retraite. Elle avait tué l'agent plus tard dans la nuit alors qu'il s'apprêtait à monter dans sa voiture. Depuis, elle gardait une distance prudente entre elle et les ascenseurs et évitait soigneusement d'y penser. C'était débile et Root l'avait brutalement mise en face de sa lâcheté. En même temps, elle ne voyait pas trop comment remédier à sa phobie si elle ne savait pas quelle en était la source. Root ? Elle posa ses yeux sur elle. Celle-ci montait les escaliers d'un pas alerte. Ses yeux se portèrent sur ses jambes, elle ne posait pas les talons sur les marches et le mouvement lui dessinait des très jolies jambes. Son regard monta plus haut et elle la détailla des chevilles à la tête. Elle aurait pu tomber plus mal. Au moins son… sa… comment pouvait-elle appeler ça ?
Elle repensa à ses années de fac. Tutrice ? Elle en avait soupé lors de sa première année de Bachelor. Une connasse qui ne lui avait jamais pardonné d'être une gamine de 14 ans et encore moins de lui être supérieure dans toutes les matières scientifiques. La fille était juste meilleure qu'elle en anglais, et encore. Elle avait eu le même problème en entrant dans le cycle pré-médical. Par contre, elle avait bénéficié en première année de cycle clinique de l'attention bienveillante d'un vieux médecin qui l'avait prise sous son aile. Il avait su éveiller son intérêt dans de nombreux domaines et ne lui avait jamais reproché d'être silencieuse et introvertie. Il avait deviné qu'elle se sentait différente, qu'elle dissimulait une part d'ombre. Elle était persuadée qu'il savait qu'elle participait à des courses de rues, mais il ne lui en avait jamais parlé. Il lui avait proposé d'être son tuteur dès qu'il l'avait vue, devinant ses brillantes capacités, pariant sur sa réussite. Shaw ne lui avait jamais témoigné aucun sentiment chaleureux, mais le vieux médecin ne s'en était pas formalisé. Bref, le tuteur parfait pour Shaw qui détestait qu'on s'occupe d'elle. Alors ouais, en ce qui concernait son « traitement » Root pouvait bien être sa tutrice. La dénomination lui convenait. Ça n'impliquait pas de dépendance, ni de réelle hiérarchie entre elles. Et au moins sa tutrice donc, était pleine d'attraits.
Shaw se changea en arrivant. Root lui demanda de ne pas quand même se transformer en baroudeuse prête à sauter dans la jungle et de garder un minimum l'apparence d'une honnête assistante. Shaw remit la tenue qu'elle avait portée pendant le voyage. Elle y rajouta une veste. Elle pourrait dissimuler une arme, plus accessible à la ceinture que dans un stupide sac à main. Root opta pour sa part pour un tailleur-pantalon et lui demanda la permission d'emprunter ses escarpins en daim noir. Shaw ne put s'empêcher de maugréer en lui disant de ne pas se gêner. Partager ses affaires ne faisait pas vraiment pas partie de ses habitudes. Root l'embrassa sur la joue en la remerciant, Shaw contrariée l'envoya balader et partit se réfugier dans l'une des chambres.
A 17h30, la réception de l'hôtel appela et annonça à Root qu'un certain Jésus Garcia demandait à lui parler. Root prit la communication et se contenta d'acquiescer à tout ce que lui dit son interlocuteur. Shaw déboucha dans le salon immédiatement après la fin de la conversation.
« Sameen, peux-tu nous préparer une valise, ou deux comme tu veux pour la nuit ? Nous sommes invitées à rester ce soir chez El Chapo. Préviens les Russes aussi.
- On va dormir là-bas ?
- Pour la nuit Sam, c'est bien ce que je t'ai dit. Appréhenderais-tu de devoir passer une nuit dans un autre lit que le mien ? Je sais, c'est triste, mais nous nous rattraperons plus tard.
- Pff, tu ne changeras jamais, râla Shaw en levant les yeux au ciel.
- Je ne voudrais pas te décevoir Sameen. »
Contre toute attente, Shaw esquissa un sourire que Root accueillit avec un haussement de sourcil complice. Shaw secoua la tête et partit s'occuper des valises. Elle remplissait parfaitement la fonction d'assistante observa Root. Elle se garderait bien de le lui dire, en tout cas sérieusement. Elle doutait que Shaw accueille favorablement le compliment.
« C'est bon Root, tout est prêt, Borkoof et Korotkov nous attendent en bas.
- Et qu'as-tu fait des Herstal et du SRS que tu as pris à la… chez moi ?
- Ils sont restés dans le coffre de la voiture, avec le reste.
- Le reste ?
- Mouais j'ai pris quelques grenades, des assourdissantes, des explosives, des fumigènes et deux pains de Semtex. Il y aussi ce que Matveïch a pris soin de déposer dans notre voiture pour Borkoof et Korotkov.
- Alors, allons-y mon cœur. »
Jésus Garcia se précipita vers Root en la voyant arriver. Il lui proposa de monter avec lui dans sa voiture et afficha une grimace contrariée quand elle refusa poliment, lui assurant qu'elle préférait user de la sienne. Ils sortirent de l'hôtel. Korotkov avança aussitôt leur voiture et Borkoff leur ouvrit la portière. Jésus Garcia tendit une main pour aider Root à entrer, puis il frappa à la portière avant et Korotkov baissa la vitre passager.
« Voici ma voiture, lui dit-il en lui désignant un luxueux 4x4 blanc qui attendait moteur allumé juste en face. Suivez-nous. Une voiture prendra place derrière vous. C'est une mesure de sécurité. Nous sommes au Mexique et nous avons à parcourir une centaine de kilomètres. Mon patron n'aimerait pas qu'il arrive quoi que ce soit de fâcheux à Madame Marchmont. Évitez pour les même raisons de vous faire distancer. Mon chauffeur de toute façon, gardera un œil sur votre véhicule. Madame, je vous retrouve à l'hacienda. Je vous souhaite une bonne route »
Root le remercia. Les portières claquèrent et le convoi se mit en marche.
« On ne risque pas de s'échapper, observa Shaw en se retournant pour regarder la voiture qui avait pris place derrière eux.
- Il n'y a pas de raison pour que nous en ayons envie.
- Pour l'instant.
- Pour l'instant, confirma Root. »
Le trajet emprunta l'autoroute Fédérale 16. Ils roulèrent presque une heure, puis au panneau Presa El Granero, les voitures tournèrent à droite et s'engagèrent sur un chemin carrossable.
« Root ?
- Mmm ? répondit distraitement l'intéressée plongée dans la contemplation du paysage désertique.
- Je peux te prendre la main ? »
L'incroyable requête et le ton sur laquelle celle-ci avait été formulée, détourna vivement Root de la fenêtre. Shaw se tenait tendue à côté d'elle, les yeux fixés devant elle, les traits contractés. Des gouttes de sueur perlaient à la racine de ses cheveux.
« Sameen ? Qu'est ce qui ne va pas ?
- Le convoi. »
Shaw serrait ses genoux entre ses doigts écartés, contractés par l'effort. Root avança une main et la posa sur celle de Shaw. Elle la lui recouvrit doucement, puis ses doigts se glissèrent sous la main crispée. Shaw relâcha la pression qu'elle exerçait sur son genou et laissa Root lui prendre la main. Celle-ci la détacha du genou et posa leurs mains enlacées sur le siège entre elles. Shaw referma ses doigts étroitement, mais sans violence. Root l'observait du coin de l'œil. Elle la voyait lutter contre l'angoisse, tenter de contrôler sa respiration. Elle ne lui dit rien et ne fit aucun autre geste que celui souhaité par Shaw. Elle était inquiète, mais si elle l'avait pu, elle aurait bien hurlé de joie. Pas parce qu'elle tenait la main de Shaw, mais parce que celle-ci avait fait pour une fois, fi de sa fierté. Lui faire cette demande, comme un enfant qui a peur du noir le demanderait à sa mère la nuit sur un chemin sombre, devait paraître à Shaw mortifiant... ou pas justement, ce qui serait encore plus extraordinaire. De toute façon, elle avait eu assez confiance en Root pour oser franchir le pas. Root l'aurait bien serrée dans ses bras et embrassée en la félicitant chaleureusement. Ce qui serait exactement le meilleur moyen de faire fuir Shaw. À éviter donc. Elle fut submergée par une énorme vague d'optimisme. Shaw s'en sortirait. Elle était volontaire, tenace, résistante et pour une fois acceptait de l'aide. Root ne la laisserait pas tomber. Elle serait toujours là pour elle. Elle lui serra la main.
Leurs oreillettes leur transmirent en même temps une demande de communication de Matveïtch.
« Madame ?
- Je vous écoute Matveïtch.
- On a un problème. Maria Alvarez est partie en compagnie de types louches et surtout armés. Plus étrange encore, elle n'a été accompagnée par aucun membre de son service de sécurité. Anna lui a glissé une puce dans sa veste à la réception de l'hôtel juste avant qu'elle ne parte. Nous les avons suivis. Ils sont partis vers l'est et après une heure, se sont enfoncés sur une route carrossable. Elle a été conduite dans une grande propriété perdue au milieu des montagnes. Le coin est désertique, mais offre pas mal de caches. Nous sommes en position aux abords de la maison. J'ai laissé Anna avec Chouvaloff sur l'avant de la propriété, au Nord-Nord Est. Ils ont une vue dégagée sur l'entrée et la cour. J'ai fait le tour et je me suis posté au Sud-Ouest. Nous sommes en hauteur et couvrons pratiquement tous les extérieurs. Anna, en cas de besoin, reste mobile. Chouvaloff est armé de son Fuko. Vu le nombre d'hommes, leur armements, les systèmes de sécurité que nous avons pu détecter, les véhicules, la présence de deux hélicoptères, je peux vous assurer à 90% que la propriété est occupée par un groupe appartenant à un cartel. Je vous contacte pour vous demander des instructions.
- Pourquoi seulement maintenant ?
- Il n'y a pas eu d'acte de violence et Maria Alvarez n'a pas montré en partant de signes de peur ou d'angoisse. Elle semblait juste se rendre à un rendez-vous déjà prévu. Aurais-je commis une faute ?
- Non.
- Quels sont vos instructions Madame ?
- Restez en position, pour l'instant. Attendez la nuit. Vous ne lui avez pas posé un micro ?
- Si, mais elle n'a pas échangé un mot durant tout le trajet et la communication n'a plus fonctionné une fois qu'elle est entrée dans la villa. Et à l'hôtel, elle a juste reçu un appel de la réception lui annonçant qu'elle était attendue.
- Bon, si rien ne bouge d'ici la nuit, attendez. Préparez l'exfiltration. Je vais voir comment vont se passer les choses de notre côté. Si jamais nous ne pouvons pas vous rejoindre...euh... »
Shaw consulta Root du regard. Celle-ci hocha la tête.
« Exfiltrez-là.
- Bien reçu.
- Matveïtch nous arrivons, je dois vous laisser. Mais je veux un rapport toute les demi-heures sur la situation, compris ?
- Compris... euh... Madame... Attendez... Chouvaloff ! Demande de confirmation.
- Confirmation. Madame, j'ai votre voiture en visuel, annonça Chouvaloff
- Madame, reprit inquiet Matveïtch, vous êtes localisée au même endroit que Maria Alvarez. On va perdre le contact.
- On ne le perdra pas, ne vous inquiétez pas, intervint Root.
- Matveïtch, l'interpella Shaw, rapport complet de la situation toutes les heures. Vous me prévenez si vous remarquez quoi que soit qui vous semble bizarre, même si vous trouvez ça idiot, ne passez rien sous silence. Je vous recontacterai pour la suite.
- Bien Madame.
- Communication terminée. »
Shaw se retourna vers Root, ses yeux se baissèrent sur leur mains enlacées. Root lui serra brièvement les doigts et retira sa main. L'angoisse de Shaw s'était envolée, repoussée par l'imminence du danger. La voiture s'arrêta, les portières s'ouvrirent et la lumière inonda l'habitacle. Root, Shaw et les deux Russes sortirent. Un homme corpulent, de petite taille, le visage carré orné d'une épaisse moustache vint à la rencontre de Root, un sourire bienveillant aux lèvres.
« Madame Marchmont ? C'est un plaisir de vous rencontrer. »
Elles le reconnurent aussitôt : Joaquín Archivaldo Guzmán Loera dit « El Chapo ».
NOTES DE FIN DE CHAPITRE :
Conférence sur les troubles de stress post-traumatique :
Cette conférence à laquelle Shaw a assisté, a vraiment eu lieu.
Elle s'est tenue en février 2013, au sein du département de psychologie de la faculté des lettres et des langues de l'université Salahaddine à Erbil, au Kurdistan irakien.
L'intervenante était bien une doctorante ukrainienne.
Ce qui est relaté dans le chapitre à propos de ces troubles ( causes, conséquences psychologiques et physiologiques, résistances particulières, immunité...) provient pour une bonne partie, de notes prises durant la conférence.
Le Cartel de Sinaloa :
Organisation criminelle internationale spécialisée dans le trafic de stupéfiant. Le Cartel Silanoa doit son nom à la région du même nom situé sur la côté Pacifique du Mexique. Le Cartel doit son origine à une organisation criminelle née dans les années soixante. C'est dans les années quatre-vingts que le Cartel prend réellement de l'importance. En 2003, suite à l'arrestation du chef du Cartel du Golf principale organisation rivale du Cartel de Silanoa à cette époque, celui-ci devient l'une des plus puissante organisation criminelle du continent américain.
Historiquement spécialisé dans la culture du pavot (pour la production d'héroïne) et du cannabis, le Cartel produit aussi des méthamphétamines et importe d'Amérique du Sud, principalement de Colombie, de la cocaïne pour la revendre aux États-Unis.
Le Cartel contrôlerait d'après la DEA (l'équivalent de la brigade des stups) 25% du marché de la drogue aux États-Unis. (sources : RFI août 2015, Mexique : le tout puissant Cartel de Sinaloa du « Chapo » Guzmán.)
Joaquim Guzmán, dit « El Chapo » : Chef du cartel Silanoa.
El Chapo avait été arrête pour la deuxième fois le 22 février 2014 dans une opération conjointe entre La marine Mexicaine et la DEA américaine. Enfermé dans une prison de haute sécurité, il s'évade le 11 juillet 2015 par un tunnel, creusé entre sa cellule et un bâtiment en construction, de plus d'1,5 km de long !
Donc au moment où Root va rencontrer El Chapo celui-ci est en cavale depuis un peu plus de trois mois (La tombe de John Reese porte la date de 13 novembre 2015... de triste mémoire pour POI, comme pour la France.).
El Chapo a été de nouveau arrêté le 8 janvier 2016 par la police mexicaine.
La CIA, la DEA, l'ATF, le gouvernement fédéral américain et Le Cartel de Sinaloa :
selon une enquête du journal mexicain « El Universal », le gouvernement fédéral américain aurait contacté à plusieurs reprise le Cartel entre 2006 et 2014. des agents de la DEA se seraient alliés en particulier avec le Cartel Silanoa pour, avec son aide lutter contre les autres Cartels mexicains.
Un courriel révélé par Wikyleaks atteste que le gouvernement américain aurait pris fait et cause pour le Cartel Silanoa dans le but que soit conclu des accords entre les différents Cartels afin que cessent les violences entraînées par la guerre d'influence entre eux. ( À titre d'exemple entre 2007 et 2014 : 83 234 homicides liés au crime organisé et plus de 20 000 personnes disparues). Le but était aussi, non plus de stopper le trafic des stupéfiants entre le Mexique et les États-Unis, mais de le contrôler.
Cette version a été confirmée par Vicente Zembala Niebla, l'un des lieutenant d'EL Chapo arrêté en 2009 au Mexique puis extradé au États-Unis.
Opération « Fast and Furious » : Oui, c'est bien inspiré du film du même nom !
Opération menée par l'ATF (Organisation américaine : bureau du tabac, de l'alcool, des armes et des explosifs) entre 2009 et 2010. Une opération digne de la fiction la plus tordue. L'idée était de faire passer des armes légalement achetées aux États-Unis, donc enregistrées, illégalement au Mexique...
Vous n'avez rien compris ? Je reprends :
L'ATF a organisé un trafic d'armes vers le Mexique avec comme but de faire arrêter les commanditaires Mexicains.
Vicente Zembala Niebla (celui du dessus) a lui affirmé que cette opération avait pour véritable but un accord entre la Cartel Silanoa et le gouvernement américain : armes contre renseignements sur les autres cartels. (sources : Slate, 16 janvier 2014, Les États-Unis ont entretenu des relations avec les plus gros cartels de drogues du Mexique. RFI, août 2015 cf ci-dessus... )
La mort d'un douanier le 14 décembre 2010, interrompit cette opération.
Bilan de l'opération : un mort officiel, 2500 armes passées au Mexique, 600 récupérées, le directeur de l'ATF demis de ses fonctions, tout comme le procureur général de l'Arizona partie prenante de l'affaire.
Les armes manquantes ont parfois été identifiées lors d'attaque contre l'armée mexicaine, et d'assassinats divers, dont le frère de l'ex-procureure générale de Chihuahua, Patricia Gonzalez Rodriguez affiliées au Cartel de Juarez (elle les protégeait et leur commanditait des assassinats !), enlevé et assassiné par le Cartel de Silanoa...(Les deux Cartels se livrent une guerre sans merci entre autre pour le contrôle de Chihuahua et de Ciudad Juarez, ville-frontière entre les USA et le Mexique.)
Le monde est petit ! Silanoa, Chihuahua, ATF, DEA, etc.
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