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tome 2, Chapitre 9 « Impitoyable. » tome 2, Chapitre 9

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CHAPITRE IX

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Root avait trouvé la villa anormalement calme. Elle n'avait croisé personne entre la grille d'entrée et l'endroit où elle avait laissé la MV. Elle s'était d'abord arrêtée juste à la lisière du bois. Il faisait maintenant nuit et les lampadaires bordant la grande allée diffusaient une vive lumière jaune. Root avait attentivement inspecté les abords de la villa. Elle avait laissé le casque à la voiture et la brise balayait ses cheveux. Elle lui apporta le bruit d'une fusillade, mais aucun garde n'était visible. Elle regarda autour d'elle et avança la moto sous les arbres au-delà de la zone éclairée par les lampadaires. Elle devait s'assurer d'avoir un moyen de fuite rapide et la MV lui en offrait un parfait, encore fallait-il qu'elle la retrouve en partant. Elle se repassa la configuration des lieux dans la tête. Abandonner la MV devant la maison ne serait pas prudent, elles feraient ensuite une cible trop facile. La laisser ici, c'était être obligées en cas de fuite précipitée de traverser la pelouse, une zone entièrement à découvert. Par contre si elle contournait la maison, elle pouvait la laisser près de la piscine. La zone était sûrement éclairée, mais la moto serait moins repérable, elle pourrait toujours passer pour appartenir à un invité et il valait mieux sortir de la maison par l'arrière que par la porte principale. De plus, plusieurs allées partaient du périmètre et c'était autant d'options d'itinéraires possibles.

Alors qu'elle descendait de moto, elle entendit une violente explosion. Elle s'inquiétait pour Shaw. Elle ne comprenait pas ce qui avait pu la pousser à tout à coup se lancer dans une opération de… nettoyage avait dit La Machine. Mais pourquoi ? Elles avaient convenu de se retrouver dans la chambre des filles et Shaw n'avait à aucun moment fait preuve de l'envie de transformer leur mission d'extraction en jeu de tir mortel. Qu'est-ce qui avait déclenché ce soudain accès de violence ? « Je vais tous les buter » lui avait-elle lâché d'un ton froid et déterminé. Ensuite, elle avait coupé son oreillette et Root n'avait pu la recontacter.

La Machine lui indiqua que la voie était libre. Aucune unité hostile ne se trouvait dans la villa, excepté au deuxième étage, là où se trouvait Shaw. Root lui demanda la position des gardes.

« Dix-sept… dix-huit sont à terre, les autres sont en train de se regrouper sur le parking.

- Pourquoi sur le parking ?

- Ils s'équipent. »

Lourdement certainement, pensa Root. Elle déboucha dans le hall d'entrée. Six corps se vidaient encore de leur sang. Cinq d'entre eux formaient un tas de membres emmêlés. Ils avaient dû bêtement arriver groupés et Shaw avait tiré dans le tas. Le Herstal avait fait des dégâts et le résultat était digne d'un spectacle de grand guignol.

Elle monta rapidement les étages. En arrivant dans les appartements qu'occupaient les époux Zellner, Root entendit Shaw hurler le nom de Greer. Elle accéléra sa course. Elle arriva trop tard et le cri qu'elle jeta ne put infléchir le cours que Shaw avait donné au destin ce soir-là. Elle embrassa d'un seul regard la scène, la femme sanglotant à terre, Zellner le visage en sang, Shaw devant lui. Zellner avait le regard d'un homme qui savait qu'il allait mourir, les traits déformés par le canon du Herstal profondément enfoncé dans sa gorge. Shaw prononça son arrêt de mort et tira. La balle explosa la tête de l'homme, sang, os et cervelle arrosèrent le sol, giclèrent sur plusieurs mètres, constellant les meubles et les vêtements de Shaw d'une macabre bouillie rouge et blanche. Il s'affaissa brutalement sur le sol. La femme se mit à hurler, complètement hystérique.

Shaw se retourna et fit face à Root. L'ange de la mort, pensa Root. Son visage et ses mains étaient couverts de sang et Root ne put déterminer si c'était le sien ou pas. Son corps présentait un mélange fascinant de tension et de souplesse. Son regard mobile, perçant, aigu évaluait la situation seconde par seconde. Elle inspirait puissamment par les narines comme si elle humait son environnement, Root imagina que ses oreilles étaient aussi à l'affût du moindre bruit et si elle les avait vues bouger elle n'en aurait pas été étonnée. Root sentit le sang battre dans ses veines, des picotements lui chatouiller le bout des doigts. Elle se trouvait confrontée à une scène de cauchemar, mais Shaw se dressait au milieu, avec tant de présence, que la seule pensée qui lui vint à l'esprit fut qu'elle l'aimait passionnément.

« Je ne l'ai pas trouvé Root, déclara-t-elle sombrement. Mais je suis sûre qu'il est là. »

Sa phrase rassura Root, Shaw l'avait reconnue et l'avait intégrée dans son environnement sans hésiter. Ce qui ne signifiait pas que Shaw soit en phase avec le monde réel. Root n'avait pas encore assez d'éléments pour déterminer si elle avait vraiment basculé, elle ne savait où, ou si elle avait juste réagi un peu violemment à une situation qui l'avait déstabilisée. Root s'avoua que son jugement n'était pas très objectif. Elle avait peur que Shaw ait dérapé et elle ne voulait pas admettre que c'était certainement le cas. Pour l'instant Shaw était toujours avec elle, elle n'avait pas envie de la perdre. Le reste… lui importait peu, ou presque.

Shaw marcha sur la femme de Zellner et Root se mit en travers de sa route.

« Tu cherches qui Sameen ? Greer ?

- Oui.

- Il n'est pas là Sam.

- Je sais qu'il est là, je l'ai vu en bas.

- Tu as vu Greer ? s'alarma Root.

- Oui, dans le bureau avec Zellner, sur une photo. Ils sont amis Root. Elle sait où il est. »

Root l'empêcha de passer. Shaw l'avait enfin renseignée sur ce qui avait déclenché son opération de nettoyage.

« Shaw, elle ne sait rien, tenta-t-elle de la raisonner. Greer n'est jamais venu ici, en tout cas pas ce soir.

- Il est là. Dans la maison.

- D'accord Sam, accepta Root soudainement. On va ensemble faire le tour de la maison. Mais tu laisses cette femme tranquille. L'opération doit être menée en un temps maximum de quinze minutes et si on ne trouve rien, on quitte les lieux. D'accord ?

- …

- Shaw !

- On va le trouver.

- Et si non ?

- Après quinze minutes, on évacue.

- Tu le feras ?

- C'est toi qui diriges l'opération, je suis tes ordres. »

Root observa attentivement Shaw. Aller fouiller la villa était imprudent et la Machine le lui confirma sitôt qu'elle en eût pris la décision, mais c'était la seule solution que Root avait trouvée pour ramener Shaw à un comportement plus raisonnable ou simplement pour qu'elle ne tue pas cette pauvre Madame Zellner.

Elle ouvrit donc le chemin jouant le rôle étrange que lui avait assigné Shaw : chef des opérations, façon USMC. Elle n'aurait jamais pensé un jour jouer aux petits soldats, surtout pas avec elle comme officier et Shaw sous ses ordres. Elle avait l'impression d'avoir huit ans. Sauf qu'elle n'avait jamais joué aux petits soldats à cet âge-là. Ses camarades de classe l'évitaient, elle n'invitait jamais personne chez elle et elle avait déjà découvert depuis un an, la bibliothèque municipale et ses ordinateurs. Elle y passait presque tout son temps libre. C'était là aussi qu'elle avait rencontré Hanna.

Root se remémora le plan de la villa. Leur exploration devrait être méthodique, le trajet de pièce en pièce organisé pour qu'elles ne perdent aucune seconde à passer de l'une à l'autre. Plus qu'un jeu de guerre, c'était un jeu de stratégie dont l'objectif était de trouver le parcours parfait sous peine d'être éliminé... disons plutôt que l'échec serait sanctionné par un changement de mode de jeu. Elles passeraient du mode « exploration-infiltration » au mode plus bourrin de « démolisseur-soldat de choc ». Un mode auquel Shaw avait déjà commencé à jouer ce soir, elle aussi d'ailleurs. Son score personnel s'élevait déjà à quatre morts, mais c'était un faible résultat en comparaison de celui-ci affiché par Shaw. Si Root arrivait à déterminer le chemin idéal qui les mènerait de leur position actuelle à la MV garée dehors, la soirée s'achèverait peut-être sans finir par un nouveau carnage et Shaw ré-intégrerait peut-être un peu plus vite, le monde réel.

Shaw s'approcha de la femme de Zellner et lui donna un violent et très précis coup de pied dans la tempe. La femme s'écroula. Ce n'était pas encore gagné pour le mode « exploration-infiltration », ni pour le retour à un doux monde réel.

« Tu l'as tuée ? s'inquiéta Root.

- Non, juste sonnée... Euh... tu veux que je la tue ? J'avais cru comprendre que tes ordres étaient de la laisser en vie, dit Shaw en pointant son Herstal sur la femme inconsciente.

- Non, c'est bien comme ça. Très bonne initiative, mentit Root. Allez, en avant Shaw »

C'était du grand n'importe quoi, mais ça ne servait à rien d'essayer d'en faire prendre conscience à Shaw. Elles inspectèrent rapidement le deuxième étage et ne trouvèrent que deux femmes de chambres. L'une s'était réfugiée dans un placard. Shaw évidemment, l'entendit. Elle fit signe à Root de se poster dans un angle mort par rapport au placard, puis s'approcha doucement.

« Sors de là-dedans où je te flingue, cria-t-elle en guise de sommation. »

Personne ne se manifesta. Shaw tira deux fois à travers la porte du placard. Une femme hurla. Shaw arracha pratiquement la porte du placard et une seconde plus tard, elle traînait une femme hors de celui-ci par les cheveux. Elle la plaqua au sol, face contre terre, la maintint avec un genou enfoncé entre ses épaules et la fouilla. Elle ne manqua pas de lui décrire Greer et lui demanda si elle l'avait vu. La femme lâcha un « non » plaintif, puis Shaw se releva, informa Root que la femme était une civile non armée et ordonna à celle-ci de retourner dans son placard et de ne plus en bouger. Elle prit soin de s'assurer que la femme de chambre suivait bien ses recommandations et ferma elle-même la porte du placard. L'opération avait à peine duré une minute.

La deuxième femme de chambre surgit brusquement au coin d'un couloir, Root vit Shaw lever son arme, mais avant qu'elle n'ait eu le temps de la bousculer pour dévier son tir, celle-ci avait déjà pointé le canon du Herstal vers le sol. Elle avait immédiatement identifié la femme de chambre comme une cible non-pertinente. Root se détendit. Que Shaw se croie plongée dans une simulation, dans un jeu vidéo, ou dans un autre délire, qu'elle soit folle ou pas, elle n'avait perdu aucun de ses réflexes et ses capacités d'analyse étaient intactes. Il n'y aurait pas de dommages collatéraux, pour peu qu'on oublie les époux Zellner... et tous les agents. Mais pour eux c'étaient... les risques du métier. En plus ils travaillaient pour Samaritain, ils n'avaient aucune excuse. Root reconnaissait que ses arguments étaient oiseux. Elle cherchait surtout à dédouaner Shaw de ses errements et puis la suivre à travers la villa comme si elles nettoyaient, immeuble après immeuble, une ville en proie à une guérilla urbaine, lui procurait une forte montée d'adrénaline. C'était très excitant et elle n'avait aucune envie de se fâcher contre Shaw.

La Machine reprit contact avec elle alors qu'elles étaient en train de finir la vérification du premier étage. Deux vans venaient de franchir les grilles de la propriété. Seize hommes en tenue d'intervention étaient montés dedans à Newark. Les agents détachés à la protection de la propriété que Shaw ou Root n'avaient pas tué s'étaient eux, regroupés derrière la pool-house. Ils attendaient l'arrivée des vans. Huit entreraient par la porte principale, deux équipes de six par l'arrière et six autres partagés en trois équipes prendraient position autour de la maison équipés de fusil de précision. Les deux équipes de six étaient les plus vulnérables, les autres étaient des combattants aguerris et la Machine conseilla à Root de les éviter autant que possible.

« Shaw, que te reste-t-il comme munitions ?

- Un chargeur et demi pour le Herstal, un peu plus pour le Glock. Et je n'ai utilisé que trois fois le Ludis.

- Ce ne sera pas assez, il faut qu'on en récupère. »

Root lui fit un topo rapide de la situation. Shaw opta pour une récupération des armes laissées au deuxième étage. Elles remontèrent en vitesse et Shaw bourra son sac de tous les chargeurs qu'elle put trouver.

« Tu aurais dû prendre un sac Root, lui reprocha Shaw.

- Je te signale qu'on n'était pas censées participer à la défense de fort Alamo.

- Tu me préviens à chaque fois qu'un de tes chargeurs est vide, je serai ta mule. Débrouille-toi pour avoir toujours avec toi deux chargeurs de rechange pour chaque type d'arme.

- Je croyais que c'était moi qui dirigeais l'opération.

- C'est toi, mais tu dois rester en vie pour ça. Mon rôle est de m'en assurer.

- Mais, c'est pas possible ! s'exclama Root

- Quoi ?

- Je n'ai jamais rencontré quelqu'un comme toi.

- Je... je t'ai manqué de respect ? demanda Shaw confuse.

- Sam...

- …

- C'est bon, allons-y, lança Root renonçant à toute explication.

- Tu n'oublies pas pour les chargeurs.

- Je n'oublierai pas. »

Cette conversation était vraiment stupide. Shaw paraissait normale et tout à coup elle sortait une réplique complètement idiote. Root sourit, amusée par la situation complètement absurde. À part descendre tout le monde et chercher un homme qui devait être à des kilomètres d'ici en train de dresser des plans machiavéliques pour contrôler le monde à l'aide d'une IA déviante, Shaw ne s'inquiétait que de savoir si elle lui avait manqué de respect, c'était... incongru.

« Qu'est-ce qui te fait rire ?

- Rien. Shaw, j'ai garé la moto près de la piscine.

- Les autres arrivent en van, remarqua Shaw.

- Tu veux prendre un van ? s'étonna Root septique.

- Non, c'est trop dangereux, tu as raison, lui accorda Shaw. Okay pour la moto. Où sont les éléments hostiles ?

- Ils arrivent.

- Il y a un escalier de service dans les appartements de Zellner, tu fonces par là. Au premier, tu vas jusqu'à l'escalier principal et tu balances ces grenades. Une assourdissante d'abord, puis la fumigène. Prends le lance-grenade et balance-en une dans l'escalier et une dans le couloir. Retourne ensuite à l'escalier de service et attends-moi. Je te retrouverai là-bas.

- Qu'est-ce que tu vas faire ?

- M'amuser un peu avec le Ludis. Allez file.

- Sam ?

- Oui.

- Tu veux vraiment que nous séparions ?

- Oui, c'est la meilleure tactique.

- D'accord, mais tu actives ton oreillette. Tu dois être en contact permanent avec moi et La Machine. Shaw tu dois coopérer avec elle et écouter ses instructions… C'est un ordre, conclut-elle se sentant un peu ridicule dans le rôle d'un officier de l'USMC.

- Reçu.

- Et… Sam ?

- Oui.

- Tu fais attention à toi. »

Shaw la fixa bizarrement. Une petite lumière venait de se mettre à clignoter dans son cerveau, insistante. Un signal. Shaw secoua la tête, ce n'était le moment de prêter attention à ça. Elle devait d'abord... tuer tout le monde. Pourquoi ? Ah, oui ! Greer. Il était là, ou pas, mais il cherchait à la détruire. Elle regarda Root. Il cherchait à la détruire elle aussi. Il fallait qu'elles partent d'ici, deux vans venaient d'arriver, mais Samaritain en enverrait bientôt des centaines, noirs, comme autant de scarabées maléfiques, ils recouvriraient le sol, vomiraient d'autres insectes encore plus noirs, venimeux et armés jusqu'aux dents. Tant pis pour ce soir, elle le coincerait la prochaine fois, il fallait d'abord évacuer Root. Elle fit un signe à Root, celle-ci lui répondit par un hochement de tête et se mit en mouvement.

Shaw partit se poster devant une fenêtre de la façade principale. Il faudrait qu'elle soit très mobile et rapide. Elle allait d'abord tirer dans le tas avec le Herstal, puis passerait de place en place et ferait quelques cartons avec le Ludis.

Shaw déboucha dans un salon surplombant l'entrée principale au moment où les renforts envoyés de Newark traversaient au pas de course l'espace à découvert devant la maison. Elle lâcha une rafale. Les hommes s'éparpillèrent. Elle changea de pièce, échangea le Herstal contre le Ludis et aligna trois hommes. Une pluie de balle salua son exploit. Elle se replia dans le couloir et courut rejoindre une chambre dont les fenêtres s'ouvraient sur la façade est. La Machine lui avait signalé deux tireurs d'élite se mettant en position. Sur ses indications, elle les abattit avant même que l'un d'eux l'ait repérée, puis repartit.

Au premier étage, Root attendit que les premiers hommes pénètrent dans le hall pour lancer sa première grenade. Il y eut un cri et les hommes se jetèrent à terre. Elle lança la deuxième grenade, une épaisse fumée envahit le hall et monta dans la cage d'escalier. Elle s'avança jusqu'à la rambarde, épaula le lance-grenade et tira au jugé. La grenade rebondit sur le sol cinq mètres plus bas. Pof, pof, pof. Une puissante explosion retentit immédiatement suivie par des hurlements et des pas de course précipités. Une balle se ficha dans le bois de la rampe juste devant elle. Elle se retourna. Elle avait oublié la grenade qu'elle devait lancer dans le couloir. Elle lâcha le lance-grenade, dégaina un des Glock qu'elle avait récupéré sur les agents abattus à la grille et fit feu. Dans le couloir, à dix mètres un agent s'écroula, un autre regagna précipitamment l'abri du couloir par lequel ils étaient arrivés. Root tira à trois reprises, récupéra le lance-grenade, battit en retraite dans l'encoignure d'une porte, lança une grenade, attendit cinq secondes et piqua un sprint vers le fond du couloir. La grenade explosa. Les agents dans le hall n'allaient pas tarder à se reprendre et à monter, elle avait intérêt à se dépêcher et à faire la jonction avec Shaw. Mais en arrivant dans l'escalier de service celle-ci n'était pas au rendez-vous.

« Sameen, où es-tu ?

- J'arrive. Situation ?

- J'ai deux équipes qui arrivent par le premier étage, je suis dans l'escalier de service au même niveau.

- Descends.

- La Machine signale une équipe au rez de chaussée. Elle se dirige vers moi.

- Je sais, descends quand même. Garde le lance-grenade, mais surtout ne l'utilise pas.

- Reçu. »

Root dévala les marches quatre par quatre. Les agents l'accueillirent par un feu nourri, elle traversa le couloir faisant feu simultanément des deux Glock et s'engouffra dans une pièce. Mauvaise idée. C'était un grand salon et deux doubles portes ouvertes donnaient sur une salle à manger attenante. Root se retrouvait avec trois portes à garder sans compter les fenêtres. Elle se précipita sur les interrupteurs. Elle éteignit toutes les lumières et d'un même mouvement plongea derrière une bergère. Une balle claqua, brisa la vitre d'une fenêtre et fit voler en éclat le plâtre au-dessus de sa tête. Elle jura, des tireurs placés à l'extérieur couvraient la pièce et savaient maintenant exactement où elle se trouvait. La salle à manger fut plongée dans le noir. Les agents devaient être munis de lunettes à infrarouge.

« Sameen ?

- …

- Tu es…

- Silence radio, souffla sévèrement Shaw dans ses oreilles. »

Un bruit sourd retentit à l'extérieur suivi de celui d'une porte qu'on ouvre, celle par laquelle Root était rentrée. Elle alla se coller au mur et deux hommes entrèrent, le couloir était plongé dans l'obscurité, mais elle distingua leur silhouette dans le noir et ils ne firent pas plus de trois pas dans le salon. La porte fut violemment refermée.

Trente secondes de silence relatif suivirent. Root en profita pour changer ses chargeurs. C'étaient les derniers à sa disposition pour les Glocks, elle n'avait pas utilisé le SCAR. Elle se sentait plus à l'aise avec des armes de poing, plus légères et plus maniables. Avec une arme dans chaque main, elle couvrait une zone de tir dont l'angle était supérieur à 180°. Elle était ambidextre et pouvait tirer simultanément dans plusieurs directions. De plus, si La Machine lui venait en aide, sa cadence de tir n'était plus limitée que par les spécificités techniques de ses armes. Elle n'avait plus besoin de réfléchir, ses bras réagissaient à la milliseconde aux commandes sonores envoyées par La Machine, elle ne faisait plus qu'une avec elle et c'était exaltant, Root adorait ça, elle avait dans ses instants-là l'impression de faire partie intégrante de La Machine, d'avoir fusionné avec elle.

Les hommes s'étaient regroupés, ils planifiaient une attaque coordonnée. Certains heureusement devaient être aux trousses de Shaw, mais une bonne dizaine au moins s'étaient concentrés sur sa propre élimination. Elle se déplaça silencieusement vers les fenêtres, elle serait à l'abri des tireurs placés dehors et elle aurait une meilleure vue sur le salon et la salle à manger. Elle posa le SCAR à portée de main sur une commode. Elle s'en servirait quand elle aurait déchargé ses Glock. Elle inspira longuement et se prépara à l'assaut. Les portes sautèrent : c'était parti. Ce fut une tempête de cris, d'explosions, de tirs et toutes les vitres des fenêtres volèrent en éclats. Une opération vraiment bordélique, pensa Root en vidant ses chargeurs. Elle laissa tomber les Glock et s'empara du SCAR, ouvrant le feu, à peine l'avait-elle saisi, sur un agent qui arrivait sur sa droite. La Machine lui indiqua deux cibles sur sa gauche, elle sut qu'elle avait été trop lente, voilà pourquoi elle n'aimait pas utiliser des fusils. Elle eut une pensée pour Shaw, pour tout ce qu'elle n'avait pas eu le temps de lui dire, ou ce qu'elle n'avait pas osé lui dire, pour tout ce qu'elles n'avaient pas eu le temps de partager ensemble.

« Sameen, souffla-t-elle en voyant deux agents la mettre en joue.

- Baisse-toi Root ! »

Root s'accroupit instinctivement au commandement et vit les deux hommes culbuter en avant.

« À droite, bordel ! Tire ! »

Root releva le SCAR et fit feu, un homme s'effondra, un autre recula précipitamment.

« Attaque ! Sur ta droite ! Je couvre ta gauche.»

Root se releva et marcha sur la porte en tirant. Elle déboucha dans le couloir et abattit un homme dans le dos.

« Cesse de tirer ! »

Root leva le doigt de la gâchette et Shaw apparut devant elle un grand sourire aux lèvres.

« T'avais raison Root. On forme une équipe d'enfer !

- Je suis bien contente que tu partages enfin mon avis mon cœur, plaisanta Root soulagée de la voir. Et j'ose espérer que tu ne parles pas seulement de notre efficacité au combat.

- Root…

- Sameen ?

- Arrive, on reparlera de ça plus tard.

- Vraiment tu veux en parler ? s'exclama Root ravie.

- Ouais, ben pas maintenant Root, il faut évacuer là. Suis-moi.

- Je te suivrais même en enfer Sameen. Par où es-tu passée ?

- J'étais au-dessus, j'ai descendu les tireurs extérieurs, puis j'ai sauté par la fenêtre.

- Du premier étage ?

- Oui. Ensuite je suis passée par derrière et voilà.

- Je t'adore Sam, lui déclara Root enthousiaste.

- Dépêche-toi, les autres arrivent, il faut récupérer la moto avant.»

Root l'entraînait parfois dans des conversations complètement idiotes aux moments les plus mal choisis. Elle avait failli se faire descendre en plus. Shaw avait raté Greer ce soir, mais elle s'était bien amusée et elle appréciait vraiment faire équipe avec Root. Elles se complétaient à merveille et Shaw avait une confiance absolue en elle. Elles coururent jusqu'à l'endroit où Root avait laissé la MV. Shaw lui laissa le guidon, lui demanda un Glock, changea le chargeur et le glissa avec le sien dans sa ceinture derrière son dos. Root s'était débarrassée du SCAR, mais Shaw avait gardé le lance-grenade. Avant de monter sur la moto, elle tira une grenade sur la maison et une en direction des parkings puis jeta l'arme. Elle avait toujours le Ludis et le Herstal passés dans le dos, mais elle se servirait des Glock si elles rencontraient des hommes, elle gênerait moins Root. Elles arrivèrent sans encombre à la grille. Elle était grande ouverte. En récupérant, avant de venir chercher Shaw, les Glock sur les agents qu'elle avait tués en sortant avec les otages, Root avait détruit les systèmes d'ouverture, évitant ainsi le risque de se retrouver coincée à l'intérieur de la propriété. Elle avait si bien saboté le mécanisme qu'il était même impossible de fermer les grilles manuellement. Deux nouveaux agents se tenaient en faction, ils avaient entendu la MV arriver et s'étaient postés au milieu de la route. Root avait mis Shaw en garde, accéléré et au moment où les gardes s'étaient mis à tirer, avait couché la moto. Elle leur arriva droit dessus. Shaw avait sauté en route et fut sur eux en une seconde. L'un était mort écrasé, l'autre blessé fut achevé d'une balle dans la tête. Shaw aida Root à se relever, lui demandant si elle allait bien. Root avait sa robe déchirée, une jambe éraflée, mais ne souffrait d'aucune blessure grave. Elle releva la moto avec l'aide de Shaw et elles repartirent.

Les trois otages les attendaient toujours dans la voiture blindée. Root se fit reconnaître et les deux petites filles lui firent la fête. La mère regarda curieuse la nouvelle arrivée et quand Root ouvrit la portière, la lumière intérieure éclaira Shaw. La femme blêmit en la voyant. Root voyant son expression repoussa précipitamment Shaw dans l'ombre.

« Sam, tu m'accompagnes. Tu veux conduire la moto ou la voiture ?

- C'est hors de question que je vienne avec toi, Root, répondit Shaw alors qu'elle s'était accroupie pour démonter le Herstal et le Ludis et les ranger dans son sac.

- Comment ça ?

- Je ne veux pas savoir où tu les emmènes, ni où habite le moindre membre de l'équipe.

- Mais Sam…

- Je ne veux pas Root, se fâcha Shaw en se relevant. Il va le savoir si j'y vais. Il me suit, il utilise toutes les informations auxquelles j'ai accès, toutes. Et après tout le monde mourra.

- Okay, c'est bon Sameen. Prends mes clefs et rentre à la maison. Sameen, tu rentres, d'accord ? Tu sais que tu ne risques rien chez moi et que tu ne mets personne en danger si tu es chez moi. Va là-bas et attends-moi. Je peux te faire confiance ? »

Shaw hésita un instant. Root lui attrapa la main et la serra dans la sienne.

« Sam ? »

Shaw hocha la tête, dégagea sa main et se baissa pour finir de s'occuper de ses armes. Root la regarda sans bouger. Quand Shaw fut prête, elle s'inquiéta de savoir comment Root rentrerait une fois les otages en sécurité. Root lui assura que La Machine lui trouverait un moyen rapide et sûr de rejoindre Brooklyn et qu'elle n'avait pas à s'inquiéter pour ça.

« Okay, Root. Je t'attends. Si tu as un problème, tu m'appelles. »

Shaw allait se retourner, quand Root la retint par l'épaule et la serra dans ses bras. Elle avait cru mourir tout à l'heure et Shaw était arrivée. Elle commençait à prendre la fâcheuse habitude d'apparaître au moment où elle ne l'attendait pas, pour lui sauver la mise. Elle devait arrêter d'avoir peur avec elle, peur de lui parler, de la prendre dans ses bras quand elle en avait envie, arrêter de perdre du temps, rattraper celui qui s'était enfui. Vivre. Évidemment, c'était plus facile à dire qu'à faire constata-t-elle alors que Shaw se dégageait en râlant.

« Root, merde ! Tu crois que c'est vraiment le moment ? »

Root lui sourit mélancoliquement. Shaw lui tourna le dos, Root lui demanda d'attendre un instant et alla chercher le casque qu'elle avait rangé dans le coffre. Shaw l'enfila en la remerciant, enfourcha la MV, démarra et partit au ralenti. Root rejoignit la voiture et ignora le regard interrogateur de la femme de Adithya Mandvi.

Deux heures trente plus tard Root ouvrait la porte de son appartement. Adithya Mandvi avait pleuré en retrouvant sa femme et ses deux filles. Root avait un peu parlé avec Jason. Le virus d'après ce que lui en avait dit l'informaticien, était dangereux. Le genre à infecter les réseaux mondiaux, à se multiplier à l'infini. Le danger venait de la nature du virus. Son but n'était pas de s'installer dans les systèmes et de voler des données, de prendre le contrôle des appareils qu'il infectait. Son but était de détruire. Tout. De commettre un génocide numérique. Root convint avec Jason et Adithya Mandvi d'un rendez-vous pour le lendemain et prit congé. Elle voulait laisser du temps à la famille Mandvi de se retrouver. L'informaticien n'en serait que plus reconnaissant et coopératif. Et puis elle avait hâte de rejoindre Shaw.

Elle ne prit même pas le temps de chercher Shaw en pénétrant chez elle et demanda directement à La Machine où elle se trouvait. Elle l'avait laissée seule plus de deux heures, la soirée avait été… explosive, elle s'inquiétait pour Shaw et… elle avait envie de la voir. Shaw s'était réfugiée dans la chambre de Root. Elle était assise dans un coin de la chambre plongée dans le noir, dos au mur, les jambes relevées devant elle, la tête dans les bras. Root laissa la porte ouverte pour bénéficier de la lumière du couloir. Elle s'approcha d'elle et s'accroupit devant elle. Shaw s'était changée et elle avait pris une douche, ses cheveux étaient encore mouillés.

« Sameen, l'appela-t-elle, lui posant doucement une main sur le bras.

- Laisse-moi Root, murmura Shaw sans relever la tête. J'ai besoin d'être seule.

- Sam…

- S'il te plaît. Tu sais que La Machine est là. Laisse-moi. »

Root se releva lui caressant légèrement le bras en retirant sa main. Elle ferma la porte en ressortant. Elle resta un moment indécise. Shaw lui avait dit qu'elle était sous la garde de La Machine, c'était incroyable quand elle y pensait, elle n'avait donc qu'à s'en remettre pour l'instant à La Machine et les laisser… ensemble en quelque sorte. C'était une situation inattendue. Shaw qui se plaçait sous la protection de La Machine. En même temps ce n'était pas la première fois. Shaw avait déjà pris cette initiative à Cleveland. Il y avait peut-être de l'espoir pour qu'elles fassent vraiment équipe toutes les trois. Accompagnée par cette pensée réconfortante, Root décida de prendre exemple sur Shaw et partit prendre une douche. Elle passa par le dressing chercher une tenue de rechange et déposer le Glock qu'elle avait gardé. En ouvrant l'armoire des armes, elle vit que Shaw avait rangé celles qu'elle avait rapportées et qu'elle avait apparemment pris le temps de les nettoyer. Root appréciait ce côté maniaque chez Shaw. Du coup, elle déchargea son Glock et le posa sur la table basse du salon avant de partir dans la salle de bain. En ressortant, elle s'informa de Shaw auprès de La Machine. Elle n'avait pas bougé de la chambre, ni de position. Root partit à la cuisine, prépara une poêlée de légumes et une casserole de riz blanc. Shaw aurait sans doute faim si elle se décidait à réapparaître. Quand elle eut fini, elle tourna sans but dans le salon, prit un livre et s'assit dans le canapé. Elle n'avait pas envie de lire, laissa l'ouvrage fermé sur ses genoux et se plongea dans ses pensées. Celles-ci tournaient autour de Shaw et de La Machine. Cette histoire de virus avait provoqué chez elle de sourdes inquiétudes. Quant à Shaw… Elle repensait à la Shaw d'avant. Celle dont elle était tombée amoureuse avant que Samaritain n'ait décidé d'en faire son cobaye. Shaw était introvertie, mais elle pouvait se montrer souriante, drôle et pleine d'enthousiasme. Root s'aperçut que Shaw avait toujours été en fin de compte assez expressive sous ses dehors bourrus. Tandis que maintenant… Leurs relations avaient indéniablement évolué dans le sens où Root l'avait toujours espéré, mais Samaritain avait plongé Shaw dans un monde où elle avait perdu ses repères. Il l'avait forcée à vivre des événements qu'elle n'avait pas acceptés et pire, à adopter des comportements qui pour elle s'apparentaient à une trahison, il l'avait obligée à se renier. Shaw ne l'acceptait pas, elle s'en voulait. Samaritain l'avait manipulée si longtemps, avec tant d'acharnement que Shaw n'arrivait pas à retrouver ses repères et qu'elle errait entre ses souvenirs sans être toujours capable de distinguer ceux qui étaient vrais de ceux qui étaient faux. C'est du moins ce qu'elle avait expliqué à Root. Et Root se sentait impuissante. Elle ne savait pas comment elle pourrait l'aider. À quoi cela servait-il de tant l'aimer si elle ne pouvait rien faire. Et ce virus ? Et Harold ? Root sentait l'angoisse et le désespoir l'envahir. Elle devait souffrir d'une psychose se dit-elle en riant amèrement, elle n'arrêtait de passer d'un état euphorique à un état frôlant la dépression depuis que Shaw s'était réinstallée dans sa vie. Shaw, La Machine, ses deux amours brisées, bridées, pourchassées, en sursis. Elle n'en pouvait plus. Elle laissa sa tête aller en arrière contre le dossier du canapé, et sentant les larmes monter, elle ferma les yeux. La porte de sa chambre s'ouvrit.

Shaw, une fois rentrée, après s'être changée, s'être débarrassée sous la douche des traces que la nuit avait laissées sur elle, avoir nettoyé toutes les armes dont elle s'était servie et après les avoir rangées soigneusement, était allée s'asseoir dans un coin de la chambre de Root. Elle avait besoin de sentir sa présence. Depuis, elle se repassait en boucle les événement de la soirée et n'arrivait pas à distinguer ce qui était vrai ou pas. Greer avait-il été là ? Avait-elle vraiment exécuté un membre du Congrès ? Root est-elle la vraie Root ou pas ? Le monde est-il réel ou pas ? Où s'arrêtaient les simulations ? Quand commençaient-elles ? Plus les minutes passaient et plus ses pensées s'assombrissaient. Qui allait-elle tuer ? Qu'avait-elle appris à Samaritain ? Quelles informations lui avait-elle révélées ? Avait-elle encore trahi l'équipe ? Trahi une nouvelle fois Root ? John était-il mort ? Elle cherchait des réponses à chaque question et ne trouvait aucune réponse. Une solution. Il lui fallait une solution. Elle se sentait glisser et ne savait pas si elle devait tout de suite aller se tirer une balle dans la tête ou ne surtout pas le faire. Elle était arrivée à une impasse. Qui lui avait parlé d'impasse ? Root. Elle lui avait dit qu'elle ne voulait pas se retrouver dans une impasse avec elle. Qu'elle voulait aller plus loin. Shaw se leva pour aller la rejoindre, peut-être que Root lui donnerait une réponse. Elle s'arrêta la main sur la poignée de la porte.

Comment saurait-elle qu'elle n'était pas dans une simulation sans issue de Samaritain ? Qu'elle était dans la vraie vie, ou si non, dans une simulation qu'elle devait ne pas encore arrêter. Une de celles qu'elle devait continuer. Pour contrer Samaritain. Pour retourner contre lui sa propre simulation. Elle savait que c'était possible. Elle avait beaucoup appris sur lui et ceux qui le servaient au cours de certaines de ses « séances ». Et ces informations pourraient un jour lui être utiles, être utiles à Harold, à Root, à La Machine. Elles les aideraient à détruire Samaritain. Mais comment être sûre de ne pas commettre d'erreur ? Elle fit défiler dans son esprit différents types de simulations et chercha des éléments de comparaison, des éléments qui différenciaient sans erreur possible les « mauvaises » simulations, des « bonnes ». Dans les premières elle tuait John, parfois Harold, toujours Greer. Mais elle ne voulait pas attendre, elle avait peur comme à chaque fois de « lâcher » des indices. Alors quoi ? Elle revint encore à Root. Quand elle était présente dans les simulations c'était toujours de mauvaises simulations. Et leurs retrouvailles se passaient toujours à peu près de la même façon, sauf la dernière fois… sauf cette fois-ci. Pourquoi ? Parce que c'était peut-être une « bonne » simulation ou parce que ce n'était peut-être pas une simulation du tout, que c'était réel, même si Shaw en doutait fortement. Elle savait très bien ce qui avait été différent et elle savait très bien comment acquérir la certitude qu'il fallait absolument qu'elle se brûle la cervelle sans attendre. Du moins pas trop. Elle pourrait s'accorder quand même un petit plaisir avant. Elle eut un rictus carnassier et ouvrit la porte, décidée.

Root s'était levée nerveuse, en entendant la porte de sa chambre s'ouvrir. Elle partit dans la cuisine mettre à chauffer ce qu'elle avait préparé pour le dîner. Ça l'occuperait. Elle craignait un peu la confrontation avec Shaw. Non pas son état, mais parler avec elle. Root ne voulait pas passer sous silence ce qui s'était passé à la villa. Elle n'avait rien à lui reprocher, elle voulait simplement comprendre ce qui motivait ses actions. Elle ne pourrait jamais l'aider, si Shaw restait murée dans son silence. Elles devaient apprendre à discuter. Root était douée pour la conversation, mais ses talents suffiraient-ils à amener Shaw à participer à un échange ?

« Qu'est-ce que tu fais Root, demanda d'une voie sourde Shaw derrière son dos.

- J'ai préparé des légumes et du riz, je me suis dit que tu aurais peut-être faim.

- J'ai faim, mais pas vraiment de ce que tu as pu préparé pour le dîner. »

Root se retourna, elle allait sortir une plaisanterie égrillarde, quand elle remarqua l'expression de Shaw. La plaisanterie lui resta en travers de la gorge. Shaw avait le regard qu'elle avait eu dimanche soir, trois jours auparavant, juste après la course, quand elles s'étaient arrêtées sur la route de Vermillon. Pourtant rien dans son attitude n'indiquait qu'elle était partie dans un délire, qu'elle avait perdu le contrôle, au contraire elle semblait parfaitement maîtresse de la situation. Les traits de Root s'affaissèrent, Shaw était clairement déterminée à passer à l'action et Root n'envisageait pas que cela allait vraiment lui plaire. Elle n'avait rien pour se défendre et face à Shaw elle ne faisait pas le poids si elles en venaient au corps à corps. Root se sentit piégée. Pourquoi Shaw tout à coup s'apprêtait à se conduire comme une brute épaisse ?

« Viens ici, lui intima Shaw doucement. »

Root s'avança, de toute façon Shaw viendrait la chercher si elle n'obtempérait pas. Elle calculait les chances qu'elle avait de lui échapper si elle glissait rapidement le long du mur et mettait un fauteuil entre elles. Elle avait replacé un taser chargé dans le tiroir du chevet dans l'entrée. Elle pouvait aussi essayer d'accéder au dressing. Shaw prévint tout mouvement en bondissant sur elle. Elle l'agrippa par les bras et la poussa rudement contre le mur. Elle lui passa une main derrière le cou, lui enfonça les doigts dans la nuque et la tira vers elle pour l'embrasser. Root se débattit. Elle lui plaça une main sous le menton et lui bascula fermement la tête en arrière. Avant d'être forcée à la lâcher, Shaw changea de tactique. Elle se laissa tomber à terre emportant Root dans sa chute. Entraînée par son propre poids et l'impulsion que Shaw avait imprimée à son corps, Root passa par-dessus elle et se retrouva à moitié sonnée sur le dos. Elle s'apprêtait rouler sur elle-même, mais Shaw fut plus rapide et vint s'installer à califourchon sur elle. Ses genoux se refermèrent durement sur les hanches de Root et ses pieds virent lui immobiliser les jambes. Elle lui plaqua les mains au-dessus de la tête et maintint sa position. Root essaya de se dégager. Elle lutta deux minutes, puis elle abandonna soudain et leva les yeux vers Shaw. Celle-ci plongea son regard dans le sien. Une expression de carnassier grandit sur son visage. Elle se délectait de sa position dominante, de son emprise totale sur Root. Elle bougea rapidement, rabattit les bras de Root un peu plus bas et ses genoux virent les lui clouer douloureusement au sol. Elle avait maintenant les mains libres. Sans quitter Root des yeux, un sourire narquois affiché sur les lèvres, elle vint saisir le col de son tee-shirt et tira dessus. Root avait toujours été surprise par la force que dissimulait Shaw derrière sa silhouette pourtant plutôt fine. Le tee-shirt commença à craquer. Shaw le déchira avec une lenteur étudiée, puis le rabattit sur les épaules de Root. Elle la quitta un instant du regard pour détailler ses épaules l'une après l'autre. Root portait encore les marques des morsures qu'elle lui avait fait et les hématomes étaient encore loin de s'être résorbés. Shaw revint à elle.

« Tu aimes ça hein ? Baiser sauvagement, déclara-t-elle langoureusement. »

Root resta muette. Entendre Shaw sortir une obscénité, la choqua tellement qu'elle n'eut aucune réaction.

« Allez vas-y, dis-le, et je t'en redonnerai.

- Sameen, à quoi tu joues ?

- Allez Root, avoue et j'assouvirai tous tes fantasmes. »

Avant que Root n'ait eu une chance de répondre, Shaw l'embrassa. Un baiser dur, intrusif, vicieux, dégoûtant. Elle l'acheva en lui mordant la lèvre inférieure jusqu'au sang, puis se releva sourire aux lèvres.

« Alors ? lui demanda-t-elle provocante.

- Sameen, si tu as une once de sentiments pour moi, tu arrêtes tout de suite.

- Tu n'aimes pas ?

- Quoi ? Que tu me violentes ? Que tu me fasses mal ? Non, pas vraiment.

- Tu n'as pas toujours dit ça.

- Quoi ? s'étonna Root qui allait de mauvaises surprise en mauvaise surprise.

- Root, dis-moi ce que tu veux, demanda Shaw redevenue sérieuse.

- Que tu me lâches. Et que tu vires tes genoux, tu me fais mal.

- Ce n'est pas ça que je veux savoir. Réponds-moi ou je ne te lâche pas.

- Mais qu'est-ce que tu veux savoir Sameen ?

- Comment… euh, hésita soudain Shaw perdant de son assurance.

- Comment quoi ? grimaça Root.

- Comment tu veux… Comment tu aimes que…, balbutia Shaw plus du tout sûre que son idée ait été brillante.

- Tes genoux Sam, supplia Root. »

Shaw lui libéra les bras, mais resta assise sur elle. Elle se recula pour s'installer sur son bassin. Son air de prédateur avait fait place à une expression qui mêlait indécision et culpabilité. Root comprit que Shaw avait cessé de gérer la situation et qu'elle ne savait comment donner suite à son détestable comportement. Elle semblait aussi revenue à de meilleurs sentiments. Root rassurée pensa que c'était peut-être le bon moment pour avoir une petite conversation avec elle. Elle n'aurait jamais imaginé engager une discussion, à moitié nue allongée par terre, Shaw assise à cheval sur elle, mais rien n'était jamais très orthodoxe entre elle et Shaw, alors elle s'y résolut.

« Sameen, qu'est-ce que tu veux savoir ?

- …

- Sam, j'ai très bien compris que tu as décidé de pratiquement me violer pour savoir quelque chose. Alors si tu ne veux pas que je sois définitivement fâchée contre toi et que je ne te colle pas une balle dès que j'en aurais l'occasion, tu me dis maintenant ce que tu veux savoir.

- C'est que je…

- Sam, n'essaie même pas. Tu craches le morceau maintenant ou je te jure que je ne te pardonnerai jamais ce que tu viens de faire.

- Root, je suis…

- Sam !

- Okay, céda Shaw détournant le regard. Je veux savoir comment tu aimes… »

Elle n'y arriverait jamais, elle était trop débile. Elle avait trouvé son idée vraiment excellente tout à l'heure, mais ça n'avait pas du tout tourné comme elle l'avait prévu. Incertaine, elle leva les yeux sur Root. Celle-ci la regardait attentivement, attendant qu'elle se lance. Shaw était allée trop loin, elle avait merdé aussi. Elle ferma les yeux un instant et prit une une profonde inspiration.

« J'ai fait l'amour des milliers fois avec toi, c'était sauvage et très brutal. On a cassé de la vaisselle, on a fait ça sur des tables, par terre, dans la rue, dans des encoignures de portes, debout, dans des placards, n'importe où. Je t'ai déchiré tes vêtements, je t'ai mordue jusqu'au sang et tu m'as rendu la pareille des milliers de fois. Et puis après à chaque fois, un peu plus tard, tu m'as sauvée des agents de Samaritain, mais lui il était dans ma tête et il me répétait inlassablement que je devais te tuer. Et après tu sais comment ça finissait. Root, ces simulations elles étaient « mauvaises », c'était les simulations destinées à me retourner contre vous, contre toi, La Machine, pour me soumettre à Samaritain. Plus de sept milles fois, je l'ai recommencée. Au cours des autres simulations j'ai récolté des renseignements sur Samaritain. Mais, Root, je… ce soir... je ne sais pas dans quelle sorte de simulation je suis. Si c'est une simulation même. Je ne sais pas. Il faut que je sache…

- Et… ? la relança Root.

- Je… j'ai cherché un indice… quelque chose qui me prouverait que je ne suis pas dans une mauvaise simulation… et euh… je me suis dit que tu pourrais m'aider…

- Comment ?

- Nous deux ça a été toujours… comme je te l'ai dit…hésita encore Shaw

- Sauvage ? l'aida Root.

- Oui, sauf…

- Depuis que tu es revenue ?

- Oui. Chez toi, à Cleveland, ce n'était pas comme dans les autres simulations. C'était différent parce que peut-être... peut-être que ce n'est pas une « mauvaise » simulation. Mais je ne suis pas sûre d'être encore dans la bonne. Ou peut-être même que ce n'est pas une simulation, je n'en sais rien.

- Tu veux savoir ?

- Oui.

- Tu veux savoir si je veux faire l'amour sauvagement avec toi, si j'aime ça.

- Je veux savoir comment tu veux maintenant… euh…

- Je pourrais te mentir. »

Shaw n'avait pas prévu ce cas de figure. Elle se décomposa. Non, ce n'était pas possible. Si ? Non.

« Ce n'est pas possible. Tu ne m'as jamais menti à part l'autre jour pour la Machine.

- Je ne t'ai pas menti, protesta Root

- Tu ne m'as rien dit, c'est pareil, répliqua Shaw »

Root venait de recevoir beaucoup d'informations d'un seul coup. Un peu trop même. Shaw lui avait donné une des pièces du puzzle qui lui manquait quand elle tentait d'analyser son comportement, de savoir ce qui avait provoqué le brusque rapprochement que Shaw avait initié dès le deuxième soir de leur retrouvailles. Plus de sept mille fois ! Root comprenait maintenant pourquoi Shaw était si à l'aise avec elle, si entreprenante. Elle qui se vantait toujours de ne pas faire dans les relations, avait accumulé l'expérience de dix-neuf années de vie commune, de nuits communes à travers les simulations de Samaritain. Root était impressionnée que Shaw puisse avoir supporté cela. Impressionnée et plutôt flattée.

Elle observa Shaw. Elle venait de lui parler de « mauvaises » simulations et des « autres » simulations que Shaw devait donc considérer comme de « bonnes » simulations. Cette classification restait un peu obscure pour Root, mais elle avait compris que Shaw y attachait beaucoup d'importance. « Réfléchis » s'encouragea-t-elle. Si elle faisait une synthèse de ses déclarations, dans ce qu'elle identifiait comme une simulation « mauvaise », elle tuait des membres de l'équipe, Greer, ce qui était plutôt positif, et finissait par se tirer une balle dans la tête. Dans les autres les « bonnes », elle récoltait des renseignements. Shaw gardait donc un certain contrôle, en tout cas elle ne finissait pas par se tuer. Là, Shaw n'arrivait pas à distinguer dans quelle sorte de simulation elle était, si elle était encore dans une simulation ou pas. Si c'était si important pour Shaw à ce moment précis, c'est qu'elle envisageait de mettre fin à la simulation. De la même manière qu'elle l'avait toujours fait. Root fut tout à coup envahie par un sentiment d'urgence. Vite, vite. Donc bonne et mauvaise simulation ? Quel était le critère qu'avait évoqué Shaw ? Elle. Ou plutôt ses goûts en matière d'ébats sexuels. Ce n'était pas possible. Shaw avait le chic pour la prendre toujours à contre-pied. C'était plutôt elle qui s'amusait habituellement à poser ce genre de questions indiscrètes, histoire de déstabiliser son interlocuteur. Elle avait dû faire une ou deux réflexions dans ce sens à Shaw parfois, rien que pour avoir le plaisir de la voir se renfrogner ou soupirer d'exaspération. Et là, elle retournait la situation. Root se sentit rougir et se mordit la lèvre inférieure, elle grimaça de douleur, sa lèvre avait déjà gonflé suite à l'assaut de Shaw. Ce n'était pas toujours de tout repos de vivre avec elle.

Elle découvrait aussi que parler de soi n'était pas si aisé, surtout quand cela concernait un sujet aussi intime que celui dont Shaw voulait qu'elle lui parle. Root n'avait jamais abordé un tel thème avec qui que soit. D'ailleurs elle n'en avait jamais eu l'occasion, ni l'envie. Elle n'avait jamais réellement aimé personne. Elle avait toujours été solitaire. Le sexe n'avait jamais tenu une grande place dans sa vie. Non pas qu'elle n'aimait pas ça, mais elle avait peu eu l'occasion de rencontrer quelqu'un avec qui elle aurait pris du plaisir en couchant avec. Elle avait parfois utilisé son charme et couché avec des hommes, quelquefois des femmes, par intérêt, mais à de très rares occasions et seulement quand ça s'était avéré indispensable et qu'elle n'avait pu faire autrement. Sinon elle évitait. Elle n'aimait pas l'idée de devoir coucher avec quelqu'un pour qui elle n'éprouvait aucun sentiment. Elle avait toujours rêvé de rencontrer une personne qui allumerait en elle aussi bien du désir que de l'amour. Et cette personne, elle l'avait précisément assise sur elle. Elle l'avait attendue toute sa vie. Elle avait failli la perdre avant de lui dire ce qu'elle éprouvait pour elle et ce soir celle-ci lui posait une question vitale. Si Root répondait correctement elle pouvait rêver d'un avenir avec elle. Si sa réponse était erronée elle risquait de la perdre définitivement.

« Sameen, je... Tu veux des détails ? réalisa-t-elle soudain.

- Oui.

- Bon. Euh... »

Root avait besoin d'encouragements, mais Shaw ne lui en donnerait pas, elle était concentrée et attendait, anxieuse, la réponse de Root. Son attitude était raide et ses genoux s'étaient resserrés sur les côtes de Root. Root sauta dans le vide, le cœur battant et la bouche sèche.

« Sam, je n'ai pas ton expérience. J'avoue, moi aussi j'ai cru que nous deux ensemble ce serait explosif. Je vois très bien ce que tu as vécu dans tes simulations...et euh... j'imaginais des trucs comme ça moi aussi. Pas parce que ça m'excitait, mais parce que je croyais que c'était comme ça que ça passerait. Je croyais que tu étais comme ça. Que tu aimais ça, que c'était ton truc. Que tu serais brutale et égoïste. Et je... tu... et j'avais peur que ce soit comme ça, mais ça m'était égal aussi parce que ce que je voulais c'était te mettre dans mon lit. Je voulais faire l'amour avec toi et si pour toi faire l'amour, c'était baiser comme une bête, tant pis. »

Root leva les yeux, Shaw avait pris un air consterné. Elle ouvrit la bouche pour parler.

« Non Sameen, s'il te plaît ne dis rien, laisse moi parler, sinon je ne pourrai pas continuer. J'ai fait l'amour sept fois avec toi. Une fois, ça c'est passé comme dans tes simulations. Je... j'ai... enfin cette fois-là, c'est vrai je... je ne nierai pas que... je ne dirais pas que je n'ai pas pris de plaisir. J'en ai pris, tu le sais très bien, plusieurs fois même. Mais c'est parce que c'est toi, Sameen. Je ne sais pas, tu... tu sais toujours comment me toucher, où me toucher et puis je t'aime tellement, je te désire tellement qu'après quand tu me touches que ça me plaise ou pas ça ne compte plus. Je ne peux pas résister à ton désir, ni au mien. Mais je n'ai pas aimé. C'était animal, primitif. J'aime ce côté chez toi, mais pas quand il n'y a plus que ça, pas quand tu es uniquement comme ça. En tout cas, pas quand tu es avec moi, pas quand tu fais l'amour avec moi. Je me suis trompée sur toi. Ce que je croyais, c'était faux. J'ai été idiote d'avoir eu peur de toi. J'ai adoré faire l'amour avec toi Sameen. Je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi attentionné. J'ai adoré la passion dont tu sais faire preuve, ta patience, ta douceur, ta capacité à lire mon corps et mon esprit, à savoir ce que j'attends, à me faire vibrer. J'ai adoré que tu me laisses te faire l'amour comme j'en avais envie, que tu sois attentive à mes désirs et que tu cherches toujours à les satisfaire et le plus dingue c'est que tu y arrives toujours. J'aime comme tu bouges, la façon que tu as de m'embrasser, de me regarder. Mais ce que j'apprécie encore plus quand on fait l'amour ensemble, c'est qu'à chaque fois, tu m'emportes avec toi dans ton monde. Tu ne me laisses jamais seule, tu es toujours là, tu ne m'oublies jamais. Tu me fais dévaler des montagnes, tu m'emportes dans des tempêtes de sensations, parfois je ne sais même plus où je suis, mais si je tends la main, je sais que tu vas la saisir, et si je te cherche du regard je sais que je vais te trouver, que tes yeux s'accrocheront aux miens et que tu m'accompagneras jusqu'au bout, que tu ne m'abandonneras pas. »

Elle s'arrêta. Ses joues la brûlaient, elle respirait erratiquement la bouche ouverte, une boule creusait son estomac et elle se sentait bêtement très mal à l'aise. Shaw ne l'avait pas quittée des yeux durant toute sa confession. Elle fronçait les sourcils, mais mis à part cela, son visage n'exprimait aucun sentiment. Elle remonta doucement le tee-shirt qu'elle avait déchirée sur les épaules de Root et l'arrangea pour qu'il lui couvre la poitrine. Elle se releva et tendit une main. Root l'attrapa et se remit elle aussi debout.

« Attends-moi, lui demanda Shaw avant de sortir du salon. »

Root resta plantée au milieu de la pièce. Elle entendit Shaw ouvrir la porte du dressing puis celle de son bureau. Elle revint avec une chemise et un tube de pommade à la main. Elle s'arrêta devant Root. Celle-ci retira son tee-shirt. Shaw le lui prit des mains et le posa sur un fauteuil avec la chemise. Elle se retourna vers Root, ouvrit le tube et libéra doucement une des épaules de Root de sa bretelle de soutien-gorge. Elle étala la pommade sur son épaule. Ses doigts s'activaient légers et précis. Elle traita tous les hématomes les uns après les autres, puis elle remonta avec précaution la bretelle et passa à la deuxième épaule. Root se laissa soigner sans rien dire. Elle aurait aimé que Shaw réagisse autrement qu'en jouant au docteur, mais elle saisissait très bien le message. Endosser le rôle de médecin permettait à Shaw d'établir un contact sans qu'elle ne s'implique trop émotionnellement. Elle défit les boutons de la chemise qu'elle avait apportée avant de la présenter à Root et l'aida à l'enfiler. Elle la regarda pensivement la boutonner, puis tourna brusquement les talons et disparut dans le couloir.

Une odeur de brûlé chatouilla les narines de Root, elle se précipita dans la cuisine et coupa le feu sous les plats qu'elle avait mis à réchauffer.

« Root, je vais courir. J'ai gardé la puce. Ne m'attends pas. »

Root ne vit que son dos quand elle se retourna. La porte d'entrée claqua et elle se retrouva seule dans l'appartement, maudissant Shaw de la laisser se débrouiller avec ses émotions. Elle vida les casseroles dans deux plats qu'elle couvrit avec des assiettes, les lava et se prépara un double expresso bien serré. Elle avait besoin d'un remontant.

Shaw revint deux heures plus tard. Root s'était endormie sur le canapé moitié-assise, moitié-couchée. Shaw renonça à prendre une douche et vint s'asseoir sur un fauteuil face au canapé. Le froid réveilla Root, elle se tourna sur le côté, pour s'installer plus confortablement en chien de fusil. Elle s'entoura les épaules avec les bras. Un frisson la parcourut, ce n'est pas comme ça qu'elle se réchaufferait, mais la flegme l'empêchait de se lever pour aller se coucher dans son lit ou du moins pour se chercher un pull. Elle pensa à Shaw, se demanda si elle dormait depuis longtemps et ouvrit les yeux. Shaw l'observait, elle portait la tenue dans laquelle elle était allée courir et avait gardé ses chaussures. Elles restèrent sans bouger les yeux dans les yeux. Shaw semblait détendue, toute son attention tournée vers Root. Celle-ci décida alors de prendre l'initiative du prochain mouvement, elle avait appris que Shaw pouvait rester immobile très longtemps, peut-être pendant des heures, et Root n'était certainement pas capable de la battre sur ce terrain. Elle se redressa et partit s'installer sur ses genoux. Le fauteuil était large, et elle plaça ses genoux de chaque côté d'elle lui emprisonnant les hanches. Shaw ne sourcilla même pas, elle se contenta de suivre ses mouvements sans rien dire, sans rien exprimer. Root la dominait de toute sa taille, mais on ne décelait aucun rapport de force dans leur attitude. Elle pencha la tête sur le côté, ses doigts dessinèrent doucement la ligne de la mâchoire de Shaw pour finir sur son menton.

« Tu me dois des excuses Sameen.

- Je…

- Pas comme ça. »

Root se pencha et l'embrassa dans le cou. Les mains de Shaw se glissèrent sous sa chemise et remontèrent comme un souffle le long de son dos, l'effleurant doucement. Elles arrivèrent sur ses épaules, s'enroulèrent autour puis redescendirent lentement sur les côtes, arrivées à la taille, elles enserrèrent Root et Shaw la serra contre elle. Root se cambra puis se recula, baissa la tête et l'embrassa. Le baiser fut léger. Aucune des deux ne chercha à l'approfondir, elles continuèrent à s'embrasser, jouant avec leurs lèvres. Shaw relâcha son emprise, Root s'écarta un peu et Shaw défit les boutons de sa chemise un par un. Elle abandonna sa bouche et posa son front sur l'épaule de Root. Elle finit de déboutonner la chemise et la fit glisser les longs des bras de Root, celle-ci plaça les mains derrière elle pour lui faciliter la tâche. Shaw tira sur la chemise, la laissa tomber par terre et décrocha prestement l'attache de son soutien-gorge pour le lui retirer. Les mains de Root vinrent alors se placer sur ses épaules et elle s'abandonna aux mains légères posées sur elle. Jamais elle n'aurait cru éprouver autant de plaisir à être juste caressée dans le cou, sur le dos, sur les côtes, sur la poitrine. Shaw éveilla des zones érogènes que Root n'aurait jamais cru posséder. Elle dérivait de sensation en sensation, une main éveillait un frisson sur un de ses seins suivi à peine commencé, par la caresse initiée par l'autre main quelque part sur son dos, dans son cou, qui lui arrachait un gémissement, puis les mains changeaient de position et tout recommençait encore une fois. Shaw imprimait une incroyable douceur dans chacun de ses mouvements, une retenue dont Root ne l'aurait jamais crue capable. De gémissement en frissons, de mains crispées sur les épaules de Shaw en baiser toujours aussi doux, Root glissa vague après vague vers un ultime cri étouffé dans le cou de Shaw, puis les mains repartirent et Root se retrouva une autre fois emportée. Au bout d'un moment, Root prit conscience que Shaw commençait à enfoncer plus profondément ses doigts dans son dos quand elle manifestait plus intensément son plaisir. Le temps était venu de changer de position et de donner la possibilité à Shaw de libérer son désir… de lui donner à son tour du plaisir. Root releva la tête, lui attrapa le menton et l'embrassa, puis elle se dégagea du corps de Shaw, lui attrapa la main et la tira du fauteuil.

« Viens avec moi Sameen. »

Elle l'entraîna dans la chambre. Arrivée près du lit, elle la prit dans ses bras et l'embrassa, exprimant dans son baiser tout son désir et toute la passion que Shaw lui inspirait. Shaw répondit tout de suite et elles basculèrent gémissantes dans le lit. Root retrouva en Shaw toute l'ardeur que celle-ci mettait dans la recherche de son plaisir, son aptitude à les entraîner ensemble dans un tourbillon duquel Root ne savait jamais si elle pourrait sortir sans s'être noyée avant. Elles finirent l'une sur l'autre, oscillant sur le même rythme et Root atteignit la félicité totale. Elle bougeait en harmonie complète avec Shaw, elle la sentait en elle, avec elle. Elle commença à balbutier des mots sans suite tandis que Shaw grognait dans son oreille. Elle se cambra, soulevant Shaw avec elle, puis se détendit et Shaw recommença à bouger. Root repartit avec elle et continua jusqu'à ce que son corps et son esprit commencent à flotter trop loin d'elle et qu'elle avoua doucement à Shaw qu'elle ne pouvait plus continuer. Shaw l'embrassa dans le cou. Root la retint dans ses bras alors qu'elle s'apprêtait à la libérer de son poids et partir s'isoler à l'autre bout du lit.

« Reste... juste un moment. ». Le corps de Shaw se relâcha, elle glissa vers le bas pour venir reposer sa tête sur l'épaule de Root et celle-ci referma plus étroitement ses bras autour de Shaw. Elles restèrent un moment sans bouger, puis Root posa un baiser dans ses cheveux et la fit rouler sur le dos. Elle prit appui sur un coude et laissa une main reposer sur son ventre. Elle attendit que Shaw la regarde pour être sûre d'avoir toute son attention.

« Excuses acceptées Sameen, prononça-t-elle. »

Elle lui posa un bref baiser sur les lèvres et s'écarta d'elle.

« Parfois il y a des trucs pas si pourris que ça dans les simulations, murmura Shaw pour elle-même. »

Shaw se retourna, loin de Root, confiante. Elle était convaincue que celle-ci serait toujours là le lendemain matin et elle se laissa emporter sereine par le sommeil. Root sourit, Shaw se fendait parfois sans s'en rendre compte, de curieuses déclarations qui dévoilaient bien plus qu'elle ne le pensait le fond de sa pensée. Il suffisait d'être attentif, et heureusement ou malheureusement pour elle, Shaw bénéficiait de toute l'attention De Root.


Texte publié par Mélicerte, 27 août 2017 à 18h13
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tome 2, Chapitre 9 « Impitoyable. » tome 2, Chapitre 9
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