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tome 2, Chapitre 6 « Touge racing in Cleveland » tome 2, Chapitre 6

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Sincères remerciements à TaTchou pour ses relectures.

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CHAPITRE VI

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Le lieu de regroupement se trouvait à Slavic village. Le quartier avait été ravagé par la crise des subprimes et même si Cleveland depuis s'était relevée de cette catastrophe économique, le quartier n'avait pas retrouvé son lustre d'antan. Pratiquement entièrement abandonné par ses habitants au plus fort de la crise, il s'était transformé en un village fantôme. Différentes bandes s'était taillées des territoires à coup de couteau ou en alignant les biftons, et y était restées. Mais elles avait maintenu entre elles une certaine harmonie. Une loi tacite et inviolable régnait. Slavic Village était devenue une espèce de zone franche où chacun vaquait à ses affaires. Les affrontements étaient bannis, et le moindre dérapage sévèrement puni. Qui à Slavic, cherchait la bagarre trouvait la mort. C'était l'endroit parfait pour un rendez-vous clandestin de Touge Racing.

Shaw mit à peine quinze minutes pour se rendre à destination.

Quand elles arrivèrent, une foule déjà nombreuse se pressait sur la route et les trottoirs, envahissait les pelouses des maisons encore pour la plupart à l'état d'abandon. Testostérone et plantureuses rondeurs féminines s'étalaient partout. Les filles semblaient concourir pour le prix de qui montrerait le plus de formes généreuses et de peaux nues luisantes et bronzées, tandis que les hommes ressemblaient à des caricatures de mâles en rut sculptés dans des salles de musculation, aussi couverts d'or que des idoles. La bière coulait à flot, parfois le long des corps à moitié dévêtus de filles hilares que léchaient comme des chiots, des idiots qui se pavanaient ensuite levant les doigts au ciel. La musique se déversait bruyante, de plusieurs sonos, plongeant la rue dans une cacophonie assourdissante.

« C'est cool, osa Root les sourcils levés.

- Ah, tu trouves ?

- Euh, non pas vraiment. On va où là ?

- Un peu plus loin, sous les panneaux là-bas.

- Dis-moi Shaw, demanda Root pensant soudain à quelque chose. Il n'y a pas d'enjeu ?

- Si.

- Quoi ?

- Du fric.

- Combien ?

- 15 000. Mais c'est juste pour la participation, après il y existe tout un système de paris. Si tu rajoutes du fric ou un enjeu quelconque tu as le droit à un pourcentage sur les paris, enfin si tu gagnes ou que tu te classes.

- Attends. 15 000 ? Et... tu les as ?

- Bien sûr, qu'est-ce que tu crois ?

- Tu te moques de moi ?

- Non.

- Comment as-tu eu cette somme ? Tu viens juste de..., Root hésita.

- Revenir ?

- Euh oui.

- J'ai récupéré la somme ce matin, avec un petit extra.

- Ce matin ?

- Oui, avant que tu ne te lèves.

- Quoi ?! Mais où ?

- Dans un coffre de voiture.

- Mais... que...

- Un petit tuyau qu'on m'a gentiment refilé, expliqua Shaw se fendant d'une grimace entendue.

- Attends, tu ne veux pas dire que...

- Si. Elle m'a refilé le tuyau hier soir quand j'ai examiné le parcours avec elle. De l'argent sale qu'un avocat marron n'a pas eu le temps d'aller le livrer à la blanchisserie. Sympa non ?

- Traître ! s'exclama Root à l'attention de la Machine. »

Elle croisa les bras et s'enfonça dans son siège, vexée d'avoir été tenue à l'écart de leur petite affaire.

Shaw lui adressa une moue provocatrice, heureuse de lui avoir rivé son clou. Hier soir, quand elle s'était branchée avec la Machine sur l'ordinateur de Root, elle avait pris connaissance des conditions de participation. Il fallait une bonne voiture, être recommandé et aligner 15 000 dollars.

Elle avait la voiture. De toute façon, les organisateurs s'en fichaient. Si un cave se présentait avec une antique Ford T 1925 et qu'il raquait ses 15 000 dollars, on ne le refusait pas. Il prendrait le départ comme outsider et sa voiture ne serait pas considérée officiellement, comme participant à la course. Avant le départ, les organisateurs inspectaient chaque voiture voulant participer à la Touge Racing. Selon ce que le mécanicien « officiel » déclarait, la voiture était classée comme outsider ou comme concurrente.

C'était pareil pour les pilotes. Si un pilote était connu ou parrainé par quelqu'un de confiance, il rejoignait la caste des concurrents, si c'était un inconnu, il était outsider. Les outsider partaient derrière les concurrents. Ils étaient le plus souvent en butte à des saccages en règle et finissaient généralement dans le décor. On les éliminait dès le début de la course. Personne ne venait pour voir courir des amateurs et ils n'étaient pas le bienvenus, d'autant plus qu'ils mettaient souvent tous les autres en danger. Quand la police débarquait, les amateurs encore en lice se faisaient toujours coffrer et ça, ce n'était vraiment pas acceptable.

Pour la recommandation la Machine s'en était occupée, comme elle s'était chargée de son inscription à la course. Restait l'argent, ce qui ne lui posa aucun problème. Elle avait juste communiqué l'emplacement de la voiture à Shaw et celle-ci s'était rendue sur place tôt le matin. Elle avait manqué à sa parole de ne pas sortir sans avoir l'aval de Root, mais La Machine lui avait assuré, avant qu'elle n'émette la moindre réserve, que l'opération ne prendrait que dix minutes aller-retour et que tout se passerait bien.

Et tout s'était très bien passé.

Shaw conduisit lentement la Nissan, là où, expliqua-t-elle à Root, les voitures et les pilotes passaient leur examen de passage. Elle n'eut pas besoin de klaxonner une seule fois, la foule s'écartait naturellement au bruit de son moteur. Root avait l'étrange impression de se retrouver plongée dans un film d'animation scientifique expliquant les phénomène liés à la mécanique des fluides. À leur approche, les gens s'écartaient doucement, pour se rejoindre de façon plus ou moins anarchique derrière la voiture. Leur pénétration dans la foule était d'une fluidité extrême C'était un peu comme l'image d'une balle tirée dans un élément liquide. Les turbulences après leur passage étaient provoquées par les mouvements liés à la surprise, aux regards appréciateurs ou juste au désir de certains de rejoindre des personnes dont ils avaient été séparés au passage de la Nissan.

« Shaw, tu ne peux pas garder ton arme sur toi, il y a trop de monde. Si tu ne veux pas t'en séparer, cache-la sous ton siège ou ailleurs, mais ne la garde pas sur toi. »

Shaw fit un signe de tête, détacha le holster de sa ceinture et coinça l'arme hors de portée de vue entre son siège et le grand vide-poche situé entre les deux sièges avant. Elle sortit aussi son couteau de la poche de son sweat-shirt et le glissa dans la poche arrière de son pantalon. Root avait raison, c'était plus prudent, d'autant plus que parfois la direction de la course soumettait les pilotes à une fouille. Ils n'appréciaient guère que ceux-ci soient armés. D'abord, parce que si par malchance, ils se retrouvaient au trou, la possession d'une arme à feu jetterait le discrédit sur leurs activités. Non pas que les courses de rue aient bonne presse, mais même la police considérait que ceux qui y participaient n'étaient avant tout que des délinquants de la route, ce qui déjà, n'était pas rien. Et les amateurs de Touge Racing n'avaient aucune envie de se voir inscrits sur les listes recensant les criminels appartenant au grand banditisme. Ensuite, il y avait eu un ou deux cas de règlements de compte longtemps auparavant. Des histoires de pilotes ou de « mécènes » mécontents, qui dans un moment de colère, avaient soulagé leur frustration d'avoir perdu en tuant, ou en tentant de tuer, le pilote plus adroit qui leur avait soufflé la victoire qu'ils espéraient tant.

Shaw coupa le moteur, attrapa un sac derrière son siège et descendit. Elle ôta son sweat-shirt, le lança à l'arrière et se pencha pour parler à Root.

« Tu fais gaffe à toi Root.

- Tu t'inquiètes pour moi Sameen ? Je suis touchée.

- Arrête tes conneries, fais gaffe c'est tout. »

Shaw se redressa.

« Et viens avec moi. »

Elle claqua sa portière et attendit que Root sorte, puis elle se dirigea vers un groupe d'hommes que Root identifia comme étant les organisateurs de la course de ce soir. Elle reconnut parmi eux le commissaire et le mécanicien officiel. Shaw alla se planter devant le commissaire. Elle dégageait une telle aura que tout le groupe se tourna vers elle. Root regardait la scène avec une certaine fascination, tentant d'analyser comment une femme de si petite taille, Shaw mesurait à peine un mètre soixante, pouvait par sa seule présence, autant en imposer aux autres. Elle étaient entourée de types, pour la plupart grandes gueules, plus grands d'au moins vingt bons centimètres et dont le plus mince pesait autant de kilos de plus qu'elle. Mais Shaw les tenait sous son emprise et à son arrivée tous, instinctivement avaient adopté une attitude défensive, tendue dans l'attente de son prochain mouvement. Root sourit nonchalamment, sa présence derrière Shaw détendit brusquement l'atmosphère. Excepté le commissaire de la course, les autres avaient détourné leur attention sur Root et la dévisageaient l'œil curieux ou appréciateur. Root commençait à trouver tout compte fait, la soirée très « cool ».

« Ah ! C'est toi la fille ? Je ne sais pas trop d'où tu sors, mais tes recommandations sont okay. Tu as l'argent ? »

Shaw tendit le sac au commissaire. Il l'ouvrit, regarda dedans et le confia à un homme en costume-cravate derrière lui, le comptable certainement, ou un avocat pensa Root.

« Et ta caisse ? »

Shaw lui désigna du menton la Nissan derrière elle.

« Tu permets que le mécano la contrôle ? »

Shaw lança les clefs au mécano. Il les attrapa et siffla en faisant un signe de la main. Un gars et une fille apparurent des boîtes à outils à la main. Une partie de l'assemblée les suivit curieuse de découvrir une nouvelle voiture. Shaw ne bougea pas. Le commissaire l'observait et elle croisa les bras, les yeux dans les siens. Autour de la voiture, sifflements d'appréciation et exclamations d'admiration se succédaient au fur à mesure que le mécanicien examinait la voiture, ouvrait le capot, détaillait les caractéristiques mécaniques et électroniques de la Nissan. Quand il mit le moteur en route et fit vrombir le moteur, l'enthousiasme monta d'un cran. La confrontation muette entre Shaw et le commissaire commençait à mettre Root mal à l'aise. Elle n'arrivait pas à déterminer si elle participait à un rite propre à la course ou si c'était plus sérieux. Le mécano revint le sourire au lèvres, rendit les clefs à Shaw et déclara au commissaire que la voiture était vraiment chouette et digne de concourir. Le commissaire hocha la tête, mais continua à fixer Shaw.

Il ne savait pas d'où cette fille sortait. Il avait reçu son inscription et elle était recommandée par des gars qu'ils connaissaient, mais aucuns n'étaient présent ce soir. Il avait surtout remarqué son tatouage sur son avant-bras droit. Une ex-Marine. Déjà, il était rare de voir sortir des filles de là-dedans, mais en plus celle-ci... Elle ne lui disait rien qui vaille. Il avait peur que ce ne soit un flic pour tout dire. Il se méfiait et hésitait à accepter sa participation. Il sentait aussi une aura de violence planer autour d'elle. Il s'essuya les mains sur son pantalon et la femme en face de lui adressa un sourire narquois. Sa colère monta.

« Sameen ! Sameen Shaw ! Je n'y crois pas. »

Un type bien bâti, d'une cinquantaine d'année, habillé avec soin, encore assez beau gosse malgré son âge, surgit de la foule écartant vivement tous ceux qui se trouvait sur son passage. Shaw se retourna et l'homme la prit dans ses bras sous le regard interloqué de Root. Il garda à peine une seconde Shaw dans ses bras, se recula vivement et s'excusa en riant :

« Désolé Sameen, mais je suis si surpris. Ça fait combien ? Quinze ans ? Ne me dis que tu viens courir ? »

Shaw lui adressa une grimace.

« Mais comment est-ce possible que je ne sois pas au courant ? Will ? demanda-t-il en regardant le commissaire. Je n'ai pas vu son nom.

- Elle n'est pas inscrite sous ce nom, mais sous celui de... Jennifer Chandler, précisa le commissaire en regardant son agenda électronique. »

Il jeta un regard suspicieux à Shaw.

Root intervint et expliqua qu'elle était Maître Jennifer Chandler et que c'était elle qui avait inscrite Shaw sous son nom pour des raisons pratiques. Elle monta de toute pièce une histoire de poursuite judiciaire dont Shaw était la malheureuse victime, et qu'étant son avocate elle préférait que le nom de sa cliente ne circule pas sur la toile, spécialement s'il était lié à des activités illégales. Les organisateurs avaient beau utiliser des moyens de cryptage ou des serveurs à l'étranger on n'était jamais à l'abri des fouineurs du FBI ou de la DEA. Root était furieuse, Shaw ne lui avait pas précisé qu'elle s'était inscrite sous son nom, ou que La Machine l'avait inscrite sous son nom. Mais à quoi jouaient-elles toutes les deux. Shaw affirmait se méfier de La Machine et ne vouloir entretenir aucun rapport avec elle et voilà que Root découvrait pour la deuxième fois en à peine une demi-heure, qu'elle et La Machine s'était entendues comme larrons en foire dans leur préparation de la course. Et en plus, elles s'entendaient derrière son dos pour monter leurs affaires. Root aurait pourtant dû se féliciter que Shaw et La Machine coopèrent ainsi ensemble. Elle avait toujours été un peu blessée par les réserves que Shaw exprimait dès qu'il était question de La Machine. Elles les aimait toutes les deux et elle rêvait d'une relation harmonieuse entre elle deux, entre elle trois en fait. Mais là... Oui bon, elle était jalouse, s'avoua-t-elle.

L'inconnu la coupa dans ses réflexions

« Ah, vous êtes sa mécène ? lui demanda-t-il sur un ton qui sous-entendait un contenu graveleux. »

Il se tourna vers Shaw.

« Tu as toujours eu très bon goût Sameen. »

Il jeta un regard appréciateur à Root. Shaw s'assombrit, puis elle regarda Root qui semblait ne rien comprendre à la situation. C'était marrant de la voir ahurie, complètement larguée. Elle qui ne perdait jamais son aplomb quelles que soient les circonstances. Shaw pouvait compter sur les doigts de sa main le nombre de fois où Root s'était fait surprendre : quand elle avait découvert la disparition de La Machine et que Shaw lui avait tiré dessus, quand elle lui avait balancé une droite après qu'elle eût sauvé Jason Greenfield, quand elle l'avait embrassée à la bourse et que Martine l'avait abattue... Et deux trois fois depuis qu'elle l'avait retrouvée, c'était tout. Elle hésita. D'un côté ça ne l'amusait pas vraiment qu'on puisse penser que Root était ce genre d'avocate perverse en mal de sensations fortes, qui payait les passions coûteuses d'une fille qui l'excitait à la seule condition que celle-ci la baise aussi souvent qu'elle en avait envie. Elle croisa le regard interrogateur de Root et elle eut la confirmation que cette idée ne lui plaisait pas du tout. D'un autre côté, Mark la connaissait et si elle avouait que oui, elle baisait Root, il ferait passer le mot et personne ne tenterait de la draguer ou de l'agresser pour lui soutirer de l'argent ou n'importe quoi d'autre. Mark savait très bien qu'on ne touchait jamais à ce qui lui appartenait, qu'il valait mieux ne jamais la contrarier, qu'elle avait un sale caractère et qu'elle pouvait se montrer dangereuse.

À l'époque où il l'avait connue, même à 16 ans ou à 20 ans, Shaw avait déjà une mauvaise réputation de dure-à-cuire à qui il ne valait mieux pas chercher des poux. Son père l'avait initiée au combat à mains nues petite et une fois rentré aux États-Unis, il l'avait inscrite dans un club de Krav Maga. Il voulait que sa fille sache se défendre. Il avait aussi remarqué qu'elle aimait se battre et que elle, souvent si sombre, souriait souvent lors des séances d'entraînement, qu'elle rayonnait même parfois de joie. Il adorait sa fille et elle semblait souvent si... lointaine, si fermée, introvertie. La voir sourire le transportait de joie. Et puis, elle était douée. Rapide, tonique, vive, toujours calme, elle était terriblement efficace et avait vite gagné ses écussons. À seize ans, elle portait l'écusson bleu. À vingt ans, trois bandes bleu marine figurait dessus.

Root déstabilisée regarda Shaw. Elle cherchait à savoir ce qu'elle devait répondre à l'inconnu, quelle attitude adopter. Elle vit que Shaw était contrariée et tentait visiblement de résoudre un épineux dilemme. Shaw se résolut finalement à la solution qu'elle jugeait la plus appropriée. Elle adressa une grimace entendue à l'inconnu.

« Tu as déjà eu un doute là-dessus ? lui lança-t-elle avec arrogance.

- Jamais, s'esclaffa-t-il, et j'en suis le premier flatté. »

Root était médusée, ce gars draguait Shaw, lourdement en plus. Et Shaw ne se rebiffait même pas. Elle décela leur regard complice. Ils se connaissaient c'était certain, et il était évident que leurs relations ne s'étaient pas limitées, dans le passé, à de la simple camaraderie. L'homme était beaucoup plus vieux que Shaw et Root se demanda ce qui avait vraiment lié la Shaw même pas âgée de vingt ans à un homme qui à l'époque devait en avoir au moins trente cinq. Comment il lui avait mis le grappin dessus et pourquoi Shaw y avait consenti. Une petite enquête s'imposait. Pour l'instant, elle devait d'abord s'efforcer d'ignorer les regards plein de sous-entendus que lui lançaient la plupart des hommes présents. Elle surprit aussi deux ou trois regards de connivence du côté des femmes dénudées accrochées aux bras de leur costauds et quelques autres nettement plus méprisants. Elle prit conscience des conséquences de la dernière réplique de Shaw. Elle rougit, mal à l'aise. Elle trouvait très désagréable de s'être fait coller sur le front, contre sa volonté qui plus est, l'étiquette de lesbienne de la haute qui venait s'encanailler au bras d'une bad girl qui la baisait comme une sauvage derrière des bennes à ordures, dans des squats pourris ou à même son bureau dans son cabinet huppé de East Side. Elle n'avait qu'à regarder la tronche de tous ceux qui l'entouraient pour lire très exactement cette idée inscrite derrière leur front. Elle était furieuse et très embarrassée.

« Si quelqu'un la touche, je le crève, entendit-elle Shaw prononcer d'un ton menaçant.

- Hou la, t'inquiète Sameen. Je vais veiller sur elle, il ne lui arrivera rien, tu peux me faire confiance. Will, je retire mon poulain de la course, mais garde mon fric, je mise tout sur cette fille. Tu vas casser la baraque Sameen et me rapporter des tas de biftons... Comme toujours.

- Tu mises 15 000 dollars sur elle ? s'étonna le commissaire.

- 20 000. Et les yeux fermés Will. »

Il sourit et donna une tape sur l'épaule de Shaw. Il lui proposa ensuite d'être son contact pendant la course comme au bon vieux temps, précisa-t-il, mais Shaw refusa son offre et lui assura que sa mécène tiendrait ce rôle à la perfection. Il s'étonna un peu de cette affirmation. Shaw lui rappela alors, qu'elle savait choisir ses partenaires et qu'elle ne commettait jamais d'erreurs. Il confirma et de plus en plus interloquée Root l'entendit présenter courtoisement ses excuses à Shaw. Il s'approcha ensuite de Root et lui tendit la main.

« Je m'appelle Mark Hendricks, je suis heureux de vous rencontrer. Je vous laisse avec Sameen le temps que vous finissiez de vous préparer. Mais venez me rejoindre ensuite. Donnez-moi votre téléphone, je vais vous taper mon numéro. En principe je serais dans une camionnette jaune garée sur le parking de la South Hight School, vous pourrez suivre le déroulement de la course en direct avec moi. C'est moi qui en assure la retransmission. Si vous rencontrez un problème ou que vous ne me trouvez pas, appelez-moi.

- Euh merci, répondit Root frappée par tant de sollicitude.

- Pas la peine de me remercier, je ferais n'importe quoi pour Sameen. »

Root lui tendit un peu hésitante son téléphone, il tapa son numéro et attendit que son propre téléphone sonne, puis rendit le sien à Root en souriant.

« À tout à l'heure, dit-il s'adressant aussi bien à Root qu'à Shaw. »

Root le suivit du regard alors qu'il s'éloignait. Elle était songeuse. Elle se tourna vers Shaw. Celle-ci était en train de régler les derniers détails de son inscription. Le commissaire lui demanda si elle possédait une radio dans sa voiture, elle confirma et il lui transmit le numéro du canal qu'ils utiliseraient pendant la course. Les pilotes avaient pour consigne de ne passer aucun message sur ce canal sous peine de disqualification. Enfin, Shaw reporta son attention sur Root. Elle s'avança et la prit par le bras.

« Je suis désolée Root, s'excusa-t-elle d'un air coupable.

- De quoi Sam ? De tes petits secrets partagés avec la Machine ? De m'affubler d'une réputation qui même à moi me fait honte ? De me balancer dans les bras d'un de tes anciens amants ? De quoi exactement, il y a encore autre chose peut-être ?

- …

- J'avoue, je suis furieuse. Mais il y a vraiment de quoi. »

Shaw ne répondit rien et accéléra le pas. Arrivée à la Nissan, elle s'appuya contre le capot, croisa les bras et fixa le sol devant elle. Root vint prendre place à ses côtés. Quand le commissaire envoya des aboyeurs annoncer aux pilotes qu'ils devaient rejoindre leur voiture, brancher leur radio et suivre les directives qui les conduiraient à la ligne de départ, elles n'avaient pas échangé un mot. Shaw se redressa et se tourna vers Root.

« Root, je compte sur toi. »

Et avant que Root n'ait pu lui retourner une remarque acide :

« Ferme-la Root, cracha-t-elle avec véhémence. C'est à toi que j'ai demandé d'être mon contact. Rien qu'à toi, à personne d'autre. Je veux faire la course avec toi, alors fais pas chier. »

Root releva la tête, Shaw se tenait raide devant elle, ses traits exprimaient un mélange de colère, de culpabilité, de contrariété et d'hésitation. Elle hocha la tête. Elle avait amené Shaw ici, ce soir, pour lui apporter autre chose que de la souffrance, de la haine, de la peur. Pour qu'elle oublie ne serait-ce qu'un temps, tout ce qui la torturait, tout ce qui l'avait torturée. Root avait organisé cette sortie avec La Machine parce qu'elle voulait voir s'épanouir sur son visage un sourire heureux. Elle n'allait pas tout gâcher maintenant.

Shaw lui lança un regard reconnaissant et tourna les talons. Elle allait ouvrir sa portière quand une main se referma sur son épaule et la retourna vigoureusement. Root la plaqua brutalement contre la voiture. Elle lui glissa une main derrière la tête et lui enfonça douloureusement les ongles dans la nuque. Elle plaqua sa bouche contre la sienne et en força l'entrée. Des sifflements appréciateurs fusèrent dans la foule qui les entourait. Shaw se retrouva complètement submergée par un baiser vorace, brutal et intrusif. Elle n'arrivait même pas à respirer. Root se recula l'air narquois. C'était sa vengeance.

« Ça, c'était de la part de Jennifer Chandler, et entre nous, je la déteste »

Puis, elle lui déposa un léger baiser sur la joue.

« Ça, c'est de ma part, murmura-t-elle doucement. »

Elle sourit gentiment à Shaw.

« Gagne cette course Sam, amuse-toi bien et sois prudente.

- Je le suis toujours.

- Je sais. Ça n'empêche pas que je m'inquiète quand même pour toi. Je peux non ?

- Si ça t'amuse, répliqua Shaw en haussant les épaules. »

Root rit. Shaw s'engouffra dans la Nissan et brancha la radio. Le commissaire fit donner l'ordre du départ et elle mit le contact. Root tapa deux coups sur la vitre. Shaw tourna la tête vers elle et son regard plongea dans le sien. Root ne lui dédia ni grimace, ni sourire elle se contenta juste de soutenir son regard. Shaw y lut la confiance que Root avait en elle, de la complicité et de l'affection. En temps normal, cela l'aurait énervée ou mise mal à l'aise, mais elle y trouva du réconfort et se sentit tout à coup euphorique. Elle allait laisser sur le carreau tous ses concurrents et cette course allait être d'enfer. Elle était sûre de la remporter, mais elle allait s'en mettre plein la vue et gagner avec panache. Elle serait contente de sa course et si elle pouvait en plus, épater Root ce serait le bonus de la soirée. Elle s'étonna un peu d'avoir une telle pensée. Elle s'en foutait de l'avis des autres en général, mais ce soir elle avait aussi envie de gagner pour voir à son arrivée la fierté briller dans les yeux de Root. Ouais, pensa-t-elle, c'était peut-être débile, mais ça aussi ce serait le pied.

Root regarda la voiture partir. C'était la première fois qu'elle se trouvait séparée de Shaw depuis qu'elle l'avait retrouvée. Il y avait deux jours à peine, réalisa-t-elle. Elle avait l'impression que le temps s'était étiré à l'infini. Ces deux jours lui semblaient avoir duré une éternité. Une sensation de vide l'envahit cruellement et elle serra les poings. C'est à ce moment que la Machine choisit d'intervenir. Elle prononça des paroles apaisantes, assurant à Root que tout se passerait bien et que les probabilités pour que Shaw gagne la course et revienne en bonne santé et d'excellente humeur étaient proches de 100%.

« 100% ? Vraiment ?

- Oui.

- Ce n'est pas possible.

- Remettrais-tu mes calculs en question ?

- Non. Mais je crois que... tu... que tu me mens... Que tu cherches à me rassurer.

- Exact.

- Pourquoi ?

- Je t'aime Root, et... La Machine s'arrêta. »

Root hallucinait. Non seulement la Machine lui mentait, mais en plus elle faisait preuve d'hésitation. Elle devait souffrir d'un dysfonctionnement.

« Es-tu opérationnelle ?

- Pourquoi cette question ?

- Euh... tes réponses sont irrationnelles...

- Comme ton amour pour Sameen Shaw ? »

Root ouvrit la bouche et resta béate de surprise. La Machine faisait de l'humour à présent.

« Tu as beaucoup appris, observa-elle radieuse. Mais tu n'as pas fini de répondre à ma question tout à l'heure.

- Pourquoi je cherche à te rassurer ?

- Oui .

- Parce que je t'aime et que j'aime Sameen Shaw. »

Root se retint de hurler et de sauter en l'air en levant les bras au ciel, mais un immense sourire s'épanouit sur ses lèvres. Elle était presque au comble du bonheur. D'un coup elle oublia toutes ses rancunes, elle pardonna à La Machine aussi bien qu'à Shaw de l'avoir laissée en dehors de leurs petits arrangements. Savoir que son enfant-dieu l'aimait et aimait également Shaw la transportait de bonheur. Aucune drogue existante ou ayant existée sur Terre n'aurait pu la mettre dans l'état dans lequel elle était plongée à présent. Il n'y avait que Sameen qui pouvait surpasser cet effet. C'était d'ailleurs le moment de répondre à l'invitation de Mark Hendricks. Il avait affirmé pouvoir suivre la course en direct et elle n'allait certainement pas rater ça. Mais d'abord elle voulait palier à toute éventualité. Elle s'adressa à voix basse à La Machine, l'écouta puis hocha la tête en souriant.

Elle se faufila parmi la foule et marcha un peu plus loin sur Fleet Avenue, jusqu'à une maison plongée dans le noir. Root vérifia que personne ne l'observait trop attentivement, s'engagea dans l'allée qui menait à la maison , grimpa les cinq marches donnant accès à la véranda et s'introduisit discrètement à l'intérieur de la petite villa. Elle fut accueillie par des hurlements provenant de l'étage. Apparemment une femme subissait les assauts de quelque amant et y prenait beaucoup de plaisir. Root se déplaça en silence dans la maison. Elle se rendit à l'étage et soupira quand elle comprit que ce qu'elle était venue chercher se trouvait dans la pièce d'où provenaient les manifestations exagérées de plaisir. Elle s'avança lentement. Elle posa la main sur la poignée et ouvrit la porte sans trop de précautions, les cris couvriraient le bruit qu'elle pourrait faire. Elle s'accroupit et se dirigea vers le lit. Elle avança une main et balaya le sol à la recherche d'un pantalon. Le couple s'activait avec tant d'entrain qu'elle n'entendait pratiquement pas la Machine lui parler. Elle mit enfin la main dessus, fouilla les poches et trouva ce qu'elle était venue chercher, un trousseau de clefs. Elle rebroussa chemin, referma précautionneusement la porte et regagna le rez-de-chaussé en sifflotant, curieuse de découvrir ce que La Machine lui avait réservé.

Dans le salon elle ramassa deux blousons en cuir, deux paires de gants et deux casques. Ce couple était bien équipé et vraiment charmant. Elle vérifia avant de partir, que la carte grise de la moto se trouvait bien dans une poche de l'un des blousons. En ressortant, elle contourna la maison et ses yeux s'allumèrent de plaisir en découvrant son petit cadeau. Une MV... Et pas n'importe laquelle, une Agusta Brutale 800 RR. La petite dernière des Brutales sortie il y avait quelques mois à peine. Elle était magnifique, c'était la première que Root voyait et elle était à elle. Elle remercia chaleureusement la Machine. Elle passa un casque autour de son avant bras, noua un blouson autour de sa taille, enfila l'autre et coinça les gants dans la ceinture de son pantalon. Elle bascula la moto, replia la béquille et la poussa jusqu'à la rue. Elle l'enfourcha et démarra. Conduire cette MV même au ralenti était jouissif. Elle était aussi belle que ses spécificités techniques étaient exceptionnelles. Root n'avait plus qu'une hâte, voir ce qu'elle réservait vraiment sur de longues distances, lancée à pleine vitesse, ce serait grisant, plus encore si elle avait la chance d'avoir Shaw assise derrière son dos.

Quand Shaw lui avait demandé d'être son contact pendant la course, elle avait tout de suite pensé qu'il lui faudrait un moyen de la rejoindre rapidement en cas de problème. Quoi qu'il puisse arriver, Root devait pouvoir être en mesure de récupérer Shaw où qu'elle soit et de l'extraire si besoin d'une situation délicate. Elles étaient venues avec le camion et la Nissan. Root s'imaginait mal courir au secours de Shaw au volant d'un poids lourd. Elle avait demandé à la Machine de lui procurer une moto, elle avait déjà le permis et c'était le moyen de transport idéal pour se déplacer vite et se faufiler partout. Et La Machine avec son efficacité habituelle et son incomparable... gentillesse, lui avait fourni l'une des plus belles motos disponibles sur le marché.

Elle roula jusqu'à la South Hight School et décida de dissimuler la MV dans le petit jardin attenant. Elle hésita à prendre avec elle les casques. Mais elle avait peur de se les faire voler. Elle les emporta donc avec les blousons et les gants. En arrivant sur le parking, elle repéra tout de suite la camionnette jaune de Mark Hendricks. Elle se fraya un passage entre les voitures et toute une foule d'aficionados. Tout le monde criait, riait, les moteurs vrombissaient, l'ambiance était surchauffée, mais restait bon enfant. Elle remarqua de nombreux écrans installés un peu partout. Des ordinateurs portables, mais aussi des téléviseurs et même un écran de toile de dimensions assez imposantes monté sur un châssis en aluminium. A priori la course serait retransmise en direct. Un site en ligne dédié aux courses illégales devait avoir été crée sur le dark net, dissimulés aux yeux des autorités et impossible à localiser. Un type aux gros biscottos l'interpella soudain, la gratifiant d'un :

« Poupée, viens voir ce que c'est qu'un vrai homme. Tu vas voir qu'une chatte ça ne vaudra jamais une bonne grosse queue correctement maniée. »

C'était charmant. Root avait déjà mis la main sur son taser, quand un grand costaud surgit brusquement derrière gros biscotto et l'agrippa par l'épaule, l'empêchant de faire un pas de plus vers elle.

« T'es taré ou quoi ? Mark Hendricks a fait passé le mot que c'était « pas touche » avec la fille habillée comme si elle sortait d'un cabinet d'avocat de Manhattan. Et cette fille, tu vois crétin, c'est elle. Il a prévenu qu'elle était maquée avec une tarée hyper violente et que si ce n'était pas elle qui se chargeait du premier qui lui manquait de respect, il s'en chargerait lui-même. T'as intérêt à lui faire fissa des excuses, mon pote. »

Gros biscotto blêmit.

« Je... je suis désolé M'dame, balbutia-t-il maladroitement. Je... je ne voulais pas vous manquer de respect.

- Bien sûr que si, idiot sans cervelle. »

Root s'approcha de lui d'un mouvement rapide et le frappa violemment sous le nez de bas en haut, avec la paume de sa main libre. Le cartilage craqua, l'homme émit un cri rauque et s'écroula à terre. Tout le monde s'écarta et le silence tomba.

« Je comprends que Sameen vous ait à la bonne. lança en riant quelqu'un derrière elle. »

Elle se retourna et se retrouva face à Mark Hendricks. Il lui souriait à pleines dents. Il regarda l'homme à terre et lui donna un grand coup de pied dans le ventre. Il le traita alors d'imbécile et lui conseilla de déguerpir au plus vite avant que ne revienne la future gagnante de la course, ce qui éviterait à ses potes de gaspiller de l'argent pour la couronne mortuaire qu'ils seraient obligés de déposer le lendemain sur sa tombe. Laissant l'homme geindre à terre, Mark Hendricks reporta son attention sur Root et lui fit signe de le suivre. Il la guida jusqu'à sa camionnette, lui ouvrit la porte et l'invita à rentrer. Un jeune homme, visiblement de mauvaise humeur était assis sur un canapé à l'intérieur. La camionnette était luxueusement aménagée, et malgré le petit espace disponible, offrait tout le confort dont on pouvait rêver. Quand Mark Hendricks entra le jeune homme se leva furieux.

« Qui est-ce ? demanda-t-il hargneux en la montrant d'un doigt menaçant.

- Mon hôte, Maître Jennifer Chandler, répondit Mark Hendrick courtoisement. Maître, je vous présente Ethan Jacobson.

- Quoi ? s'exclama ce dernier. C'est la fille qui était avec l'autre. Celle sur qui vous avez parié 15 000 dollars.

- 20 000. Et Ethan, j'aimerais bien que tu arrêtes de crier, s'il te plaît.

- Mais cette course était pour moi, je me suis entraîné, pendant des semaines. Vous m'avez donné un vrai bolide, une voiture épatante, et vous m'avez assuré que j'étais le meilleur. Et là, vous plantez tout ? s'énerva-t-il. Vous me retirez de la course et vous pariez l'argent de mon inscription sur une parfaite inconnue.

- Ce n'est pas une inconnue et je n'engage pas un perdant dans une course de cette importance. J'ai une réputation à tenir, répliqua froidement Hendricks.

- Un perdant ? Moi ?! hurla le jeune homme. Je suis le meilleur, martela-t-il encore.

- Certainement pas cette fois. »

Le jeune homme se précipita vers la porte, l'ouvrit et sortit en la claquant violemment derrière lui.

« Je suis désolé, s'excusa-t-il auprès de Root.

- Vous vous êtes fait un ennemi.

- C'est mon poulain, il n'est pas mauvais, mais je ne parierais pas un cents sur lui face à Sameen.

- Pas sûr qu'il vous le pardonne.

- J'ai un don pour découvrir des talents et beaucoup d'argent. S'il me lâche, je saurais le remplacer très vite. Mais je vous en prie, asseyez-vous. Vous désirez boire quelque chose ? Bière, alcool ? Ou bien une boisson chaude si vous préférez, j'ai du thé et du café. »

- Un thé serait parfait.

- C'est parti ! »

Il remplit une bouilloire, sortit une théière d'un placard, lui proposa de choisir entre thé vert et thé noir. Root se demanda si Shaw aurait apprécié le thé de « Mark » ou l'aurait critiqué comme elle l'avait fait pour le sien. Elle sourit à cette pensée. Pendant que l'eau chauffait, il s'installa devant un ordinateur et se mit à taper sur le clavier. Root se leva et regarda ce sur quoi il travaillait. Il avait apparemment piraté le réseau de surveillance de la ville. C'était donc lui l'administrateur du site de diffusion des courses en ligne, ou peut-être en était-il juste le propriétaire, elle ne trouvait pas que son profil correspondait à celui d'un hacker.

« Hum, pas mal, le félicita-t-elle appréciative.

- Oh je n'ai aucun mérite, juste de l'argent et quelques amis influents. Mais malgré ça je n'ai pas accès à l'intégralité du parcours.

- Pourquoi ?

- Il y a d'abord des zones d'ombre et une partie du réseau bénéficie d'un niveau de sécurité supérieur. Ni mes influents amis, ni les hackers que j'ai pu engager ne sont arrivés à me brancher dessus.

- Oh. Je peux peut-être arranger ça si vous le permettez. Pour les zones d'ombres, il n'est pas certain que je puisse résoudre le problème, mais pour le réseau...

- Vous réservez bien des surprises Maître. Je suis un peu étonné qu'une avocate new-yorkaise soit si... talentueuse en de si... nombreux domaines.

- Que voulez-vous, minauda Root. La fréquentation des délinquants oblige à être polyvalente et vous ne sauriez soupçonner tout ce qu'on peut apprendre en leur compagnie. »

Hendricks, dubitatif, ne croyait pas trop à ses airs d'ingénue. Il lui céda la place devant l'ordinateur. Root ne mit pas longtemps à cracker les codes donnant accès au réseau de surveillance sur lequel Hendricks n'avait pu se brancher, puis elle tenta de combler les zones d'ombre à l'aide de La Machine. Après cinq minutes, ils bénéficiaient d'une vue complète sur l'ensemble du parcours. En regardant l'heure, Root compta qu'il devait rester cinq à dix minutes avant le départ officiel de la course. Hendricks possédait un grand écran. La tête de course serait affichée en image de fond et des fenêtres permettraient de suivre ce qui se passait derrière ou d'afficher des événements particuliers. Root avait aussi programmé un système de reconnaissance qui permettait que chaque voiture soit, à l'aide d'étiquettes, identifiée avec ses caractéristiques et celles de son pilote. Quand le résultat s'afficha sur l'écran, Hendricks ne put retenir un cri d'admiration et lui proposa de l'engager sur le champs. Il ne savait pas qui était cette avocate, ni comment elle avait croisé le chemin de Sameen, mais elle n'était vraiment pas ordinaire. Il la regarda sourire, elle avait les yeux brillants d'intelligence, elle pétillait et elle dégageait un charme solaire. Décidément, pensa-t-il piqué par la jalousie, Sameen savait vraiment choisir ses partenaires.

« Venez vous asseoir, l'invita-t-il en regardant l'écran. Je vais vous servir votre thé. La course va bientôt commencer. Voilà, ils sont tous là. »

Il monta le volume de la radio posée sur un meuble à côté du canapé, elle retransmettait les annonces du commissaire de la course. Root prit place à ses côtés. Hendrick lui versa une tasse de thé et poussa un sucrier vers elle, sans détourner les yeux de l'écran.

« Comment l'avez-vous connue ? lui demanda-t-il soudain.

- Dans un hôtel, une rencontre électrique à vrai dire.

- Avec Sameen, ça ne m'étonne pas.

- Et vous ?

- Je vous raconterai après, ils vont donner le départ. »

C'était étrange de l'entendre toujours appeler Shaw par son prénom. Celle-ci se présentait toujours en ne donnant que son nom de famille et rare étaient ceux qui usaient de son prénom. Harold jamais, Reese jamais, il n'y avait que Fusco qui avait dû l'appeler ainsi une ou deux fois. Et puis elle bien sûr. Mais ce Mark Hendricks l'appelait exclusivement « Sameen ». Peut-être parce qu'il l'avait connue jeune et surtout, avant qu'elle n'intègre le corps des Marines. Là-bas, l'usage voulait qu'on n'utiliser que les noms de famille ou les grades, rien d'autre. Et Root ne put s'empêcher de penser que Shaw avait dû adorer cette tradition, parce qu'elle rendait difficile toute tentative de familiarité, d'affection.

Sur l'écran les voitures se mirent en place.

« Root tu m'entends ?

- Cinq sur cinq Sam.

- Tu me vois ?

- Oui.

- Tu ne me contactes que si c'est impérativement nécessaire. Qu'il y a urgence. Je ne veux pas t'entendre jacasser dans mes oreilles, compris ?

- Cinq sur cinq, affirma Root en souriant.

- Arrête de te foutre de moi, râla Shaw devinant son sourire. Si j'ai un problème je te contacte. Quoiqu'il se passe durant le course, je ne veux pas t'entendre, sinon je balance l'oreillette par la fenêtre.

- Sam, tu risques de prendre froid si tu ouvres ta fenêtre en pleine course.

- Root.

- C'est bon Sam, j'ai compris. Tu n'auras rien à me reprocher.

- T'as intérêt.

- Tu n'as pas confiance ?

- Si. Transmission terminée. »

À quelques kilomètres de Slavic Village, au rond point de Shaker boulevard, pour Shaw, les deux mains sur son volant, plus rien n'existait. Il n'y avait que la course. Elle et la Nissan ne faisait plus qu'une, Shaw et la voiture s'était fondues en une parfaite symbiose. Elles avaient rejoint tranquillement le lieu de départ de la course. Shaw avait vu certains concurrents s'essayer à des pointes de vitesses, des démarrages sur les chapeaux de roues, des dérapages. Ils tentaient d'impressionner les autres. Elle les jugea stupides. Les frimeurs avaient toujours existé, elle les avaient toujours méprisés. Ils gaspillaient leur énergie et de l'essence pour que dalle, c'était ridicule. À Shaker, ils étaient neufs alignés, si on pouvait appeler alignement leur regroupement anarchique. C'était beaucoup. Le parcours aussi l'avait étonnée par sa longueur, la course durerait presque une heure. C'était rare autant de concurrents, un si long parcours. Elle comprenait mieux la présence de Mark et ses raisons d'avoir désengagé son pilote. Il devait y avoir des sommes colossales en jeu. En tout cas, la soirée s'annonçait excitante. Elle ne savait pas si Root ou La Machine avait prévu que la Touge Racing de Cleveland serait exceptionnelle, que ce serait le genre de course qui n'a même pas lieu une fois par an. Elle grimaça un remerciement à l'intention de La Machine et de son interface fanatique. Elle allait bien s'amuser.

Plusieurs voitures avaient accompagné les concurrents. Des aficionados, mais aussi des membres de l'équipe dirigeante. Le commissaire lui même descendit d'un 4x4 et accompagné d'une garde de filles dénudées et surexcitées, il vint se placer devant les voitures. Il repoussa les filles qui l'entouraient pour qu'elles regagnent la sécurité des trottoirs, mais deux restèrent à ses côtés. L'une lui tendit un casque audio muni d'un micro, l'autre brandit au-dessus de sa tête deux drapeaux à damiers noirs et blancs. Shaw prit une grande inspiration.

« Cinq... quatre... trois... deux... prêt au départ ?... Partez ! vociféra-t-il dans son micro.

- Yip yie ! hurlèrent les deux filles en réponse. »

Les moteurs rugirent, les pneus crissèrent et la course commença. Les voitures passèrent en trombe autour du commissaire et de ses deux assesseures, ils étaient complètement givrés ou particulièrement téméraires pour se tenir au milieu de la route au départ d'une course. Certaines voitures chassaient au départ et rien ne garantissaient qu'ils ne soient pas violemment heurtés par l'arrière d'une d'entre elles. Ils pourraient ensuite compter leurs abatis s'ils en était encore capables.

Shaw n'était pas partie en pôle position. Ce n'était pas très grave, la première partie du parcours était en ligne droite. La route était étroite, mais si les concurrents ne se liguaient pas entre eux pour boucher le passage, il serait toujours possible de se faufiler. Les pilotes profitèrent de la longue ligne droite offerte par Shaker Avenue pour « roder » leur moteur. La vitesse était élevée, mais on sentait que la course n'était pas vraiment commencée. Shaw doubla deux concurrents. Elle passa le premier sur sa gauche, accéléra et passa comme l'éclair sur la droite d'un autre. Devant, deux voitures, une Honda NSX et une Mitsubishi Lancer identifia Shaw, lui bloquaient la route. Visiblement de mèche, les deux pilotes roulaient décalés, l'un à côté de l'autre empêchant tout passage. Elle jura entre ses dents et se promit de leur régler leur compte plus tard. Une Mustang noire vint se placer à sa hauteur sur sa gauche et ne la lâcha plus. Au croisement de Warrensville Center Road, la course obliqua à droite et s'engagea sur South Park Avenue. La route était à présent bordée d'arbres. Shaw se déporta légèrement sur la gauche, le mouvement était infime, mais il suffit à faire peur au gars qui la collait, il ralentit et se plaça derrière elle. Elle savait qu'un peu plus loin, il y avait une courbe serrée pour rejoindre North Park Avenue et elle n'avait aucune envie d'avoir à gérer un type à côté d'elle. C'était un coup à se planter. Une sortie de route n'était pas une catastrophe sauf si la route, comme c'était le cas ici, serpentait au milieu d'une forêt.

En arrivant à la pointe du Shaker Lake Park, les deux gars devant elle ralentirent. Le premier, au volant de la Honda passa devant, effectua un dérapage et négocia parfaitement son virage. Le second attendit que Shaw soit engagée pour lui freiner sous le nez et repartir à la suite de son co-équipier. Shaw jura et appuya brusquement sur la pédale de frein. La Nissan chassa sur la droite, elle donna un coup de volant pour la redresser, rétrograda, donna un coup d'accélérateur et récupéra sa trajectoire. Mais cela avait suffit pour qu'elle se fasse dépasser par la Mustang qui lui collait au derrière. Elle prédit au connard qui lui avait concocté cette crasse qu'il la regretterait bientôt. Elle relança la voiture sur la ligne droite, une MG monta sur sa gauche, elle accéléra. Elle ne le laisserait certainement pas passer. Shaw remonta, doubla son pot de colle et se lança à la poursuite de la Mitsubishi qui avait tenté de l'envoyer dans le décor. Elle la rattrapa et patienta, attendant le bon moment. Elle avait décidé de s'en débarrasser, après avoir quitté le parc, juste après le passage sous les lignes de métro. Elle vint se placer derrière lui, pratiquement pare-choc contre pare-choc. Puis quand ils passèrent sous les ponts, elle se colla littéralement à lui. La Mitsubishi tenta de lui échapper, sans succès. Shaw ne la laissa même pas prendre un centimètre d'avance. Quand ils arrivèrent au croisement de Cedar Avenue, Shaw accéléra brusquement. Le pilote paniqua. Il ne put prendre le virage à droite. Poussé par 550 chevaux de la Nissan, il partit tout droit, évita un lampadaire en catastrophe, tapa sur un arbre, traversa une autre voie et alla s'encastrer dans les grilles entourant les jardins d'un bâtiment administratif.

Shaw sourit méchamment et reprit sa course.

Dans la camionnette Mark Hendricks exultait.

« Ah ah ! Sameen n'a vraiment pas perdu la main. J'avais pourtant prévenu tout le monde de ne pas lui chercher des noises. Il y en a toujours qui se croient plus malins. J'adore cette fille. »

Root, en experte de la conduite avait aussi apprécié la manœuvre, mais s'inquiétait de la détermination que Shaw avait mis à son exécution. Elle ne l'avait pas encouragée à participer à cette course pour qu'elle ait l'occasion de laisser libre cours à sa violence. Qu'elle évacue ses tensions au cours d'une compétition multipliant les dangers et les défis oui, mais qu'elle la tourne en course de stop-car ultra violente, non. Elle regardait le tas de tôles froissées, d'où émergeait en titubant le pilote en sang. Il se mit à courir, vers le carrefour. Hendricks lui expliqua qu'une voiture le récupérerait sous peu. Il y avait des équipes postées tout au long du parcours. Elle étaient chargées d'évacuer les pilotes qui seraient forcés d'abandonner la course suite à un accident ou à un ennui mécanique. Root s'étonna auprès d'Hendricks que des pilotes puissent au cours d'une Touge « sortir » des concurrents et lui demanda si Shaw risquait des sanctions.

« Ce genre d'incident est très rare. Les voitures sont de vrais petits bijoux de technologie et personne, que ce soit les pilotes ou les propriétaires qui engagent des pilotes pour conduire leur engins, n'a envie de voir partir en fumée des centaines de milliers de dollars investis dans la préparation des voitures. Tout le monde évite donc les accrochages. Un pilote est aussi respecté parce qu'il sait ramener intacte sa voiture course après course. On n'est jamais à l'abri d'un accrochage, entre autre avec des automobilistes qui n'ont rien à voir avec la course, ou d'un virage mal négocié. Mais ces erreurs ne doivent pas se répéter trop souvent. Pour le cas présent, le type a volontairement cherché à sortir Sameen à l'entrée de Shaker Lake. C'est le genre d'initiative très mal vue des organisateurs comme du public. Les gens viennent assister à une vraie course, pas à un rodéo organisé par des bouseux où ne concourent que des caisses pourries bonnes pour la casse. Le gars n'a eu que ce qu'il était en droit d'attendre. Sameen mérite plus des applaudissements que des sanctions. Elle se trouve maintenant en quatrième position. Je ne connais pas le pilote de la Honda qui a priori faisait équipe avec celui de la Mitsu. Ni celui-ci d'ailleurs. Par contre, je connais les deux devant. Ce sont des anciens, ils ont de bonnes voitures et ce sont vraiment des pointures. Andrew Johnson qui pilote la BM est invaincu depuis plus d'un an. Il a participé à toutes les Touge Racing organisées sur le territoire et n'en perdu aucune. C'est un véritable as du volant, intelligent, déterminé et un grand tacticien. Mike Evans derrière lui, est au volant d'une Mazda RX8. Il est le seul à pouvoir rivaliser avec Johnson et il est bien décidé à mettre fin à sa domination. Mais je crois qu'ils vont être déçus ce soir.

- Vous pensez vraiment que Sameen va gagner ?

- Vous croyez que j'aurais parié 20 000 dollars, si je n'étais pas sûr de gagner ? J'ai connu Sameen elle n'avait même pas 17 ans. J'ai beau de pas l'avoir vue depuis près de 15 ans, je suis sûr qu'elle n'a pas changé. Une fille comme elle, ne change jamais. Pour tout vous dire, elle m'a encore plus impressionné qu'avant, ce soir. Elle a toujours été... Mais ce soir... Regardez ! Ils arrivent sur la Martin Luther King Avenue, la rue est un peu plus large, mais elle est sinueuse ça promet un joli spectacle avant qu'il ne rejoignent l'autoroute. Par contre, il y aura plus de circulation. J'en connais qui vont faire dans leur pantalon ! »

Shaw s'engagea à plein gaze dans la Martin Luther King Avenue. Les voitures pouvaient profiter de la largeur de quatre voies, même si l'une d'entre-elle était réservée au stationnement. Il était tard et il y avait peu de voitures arrêtées. Dans le sens de la course, une seule voie était ouverte à la circulation contre deux dans le sens inverse. Dans la deuxième partie de l'avenue par contre, il n'y avait pas de voie de stationnement et la largeur était de trois voies, mais l'une était interdite à la circulation des particuliers. La Martin Luther King avenue offrait donc un parcours sinueux, prometteur de sensations fortes, sauf que... il y avait de la circulation. Pas énormément, mais assez pour ne pas pouvoir foncer sans un minimum de précautions. Shaw s'amusa beaucoup. Un ou deux pauvres automobilistes terrorisés finirent sur les bas-côtés en la voyant arriver à fond face à eux et elle en croisa d'autres sortis par les trois voitures qui se trouvaient encore devant elle. Elle remonta la Honda petit à petit, mais ne chercha pas à la dépasser. Ils allaient bientôt rejoindre la 90, et une fois sur l'autoroute, elle comptait enfin mettre à contribution son V6 sur-gonflé.

Elle prit son élan dès qu'elle s'engagea sur la bretelle d'accès à la 90. Elle avait moins de trois minutes pour d'abord se débarrasser de la Honda, puis pour remonter les deux voitures qui se trouvaient encore devant elle et pour en doubler au moins une si c'était possible.

À peine engagée sur la 90, Shaw offrit une brillante démonstration de conduite. Devant leur écran, les aficionados, qu'ils soient dans les rues, sur les parking de Slavic Village ou vautrés chez eux sur leur canapés, trépignaient d'excitation, hurlaient à chaque dépassement, retenaient leur souffle quand elle traversait les quatre voies presque à l'horizontale passant sous le nez d'une voiture pour en frôler une de l'arrière et redresser sa trajectoire en accélérant. Elle ne donna pas un coup de frein, ne ralentit jamais. Sa voiture semblait glisser avec une grâce incroyable parmi la circulation. Le pilote de la Honda quand il la vit passer devant lui, tenta de s'accrocher derrière elle. Mais c'était impossible, Shaw choisissait instinctivement la meilleure trajectoire, au centimètre près. Elle appréhendait et anticipait la vitesse et le déplacement de tous les véhicules.

Root était fascinée. Sa conduite était si parfaite... Elle qui connaissait si bien la Machine, son mode de fonctionnement, croyait assister à la démonstration de ce que serait la réalisation d'un de ses rêves les plus fous : la fusion d'un humain avec une IA. Que ce soit Shaw qui en soit l'héroïne la laissait sans voix, le ventre noué par l'exaltation.

« J'ai toujours dit que cette fille était un génie, s'extasia Hendricks. »

Autour de la camionnette, la foule criait son enthousiasme.

Il restait cinq cents mètres avant la sortie 180b. La Mazda louvoyait habilement juste devant elle, un peu plus loin la BM fut surprise par l'accélération brutale d'une Chevrolet. Le conducteur avait dû les voir arriver et décidé de se joindre à la course, à moins que ce soit le genre de type qui ne supportait pas qu'on roule plus vite que lui et qui mettait un point d'honneur à démontrer qu'il était le plus fort. Juste au moment où le BM était remontée à sa hauteur pour lui passer devant par la droite, la Chevrolet avait fait un bond. La BM se retrouva coincée derrière un pick-up. Son pilote ralentit pour passer derrière la Chevrolet, mais celle-ci ralentit aussi. la Mazda, Shaw et la Honda passèrent devant la BM. Son pilote devait être furieux, pour lui la course était finie. Il ne regagnerait jamais la première place. Il avait suffi d'un excité pour mettre fin à plus d'une année de domination absolue. Il s'était fait avoir comme un débutant.

C'est alors que le pilote de la Honda commit une erreur encore plus grave que celui de la BM. Il mettait tant de hargne à vouloir rattraper Shaw, qu'il perdit toute notion de prudence. Il avait assisté à l'arrivée de Shaw à Slavic Village et n'avait pu retenir une moue de mépris. Comment une fille pouvait prétendre se mesurer à de vrais pilotes ? Il avait détesté sa morgue, son arrogance et quand il avait surpris la bourge qui l'accompagnait lui rouler un patin, ça l'avait dégoûté. Un gars à côté de lui avait lancé une blague salace. Il s'était tourné vers lui et avait reconnu un pilote qu'il avait parfois croisé lors de Touge Racing et qui allait prendre comme lui, le départ de la course. Ils avaient convenu de donner une leçon à la fille. De l'éjecter dans la première partie de la course ou de lui faire assez peur pour qu'elle se retire. Ils avaient raté leur coup à l'entrée de Shaker Lake Parc. Elle avait visiblement de bons réflexes. Puis il avait aperçu dans son rétroviseur son compère partir dans le décor et quand il avait vu la Nissan déraper juste derrière, il avait compris furibond que la fille n'était pas étrangère à l'accident. Quand elle le dépassa sur la 90, il vit rouge et se promit de lui régler son compte. Il lui colla au train. Mais Shaw était plus rapide, plus calme, plus adroite. Il évalua mal la vitesse d'un véhicule. Devant lui, Shaw se faufila entre un camion et une berline, passa sur la voie extérieure, doubla une petite Chevolet sur sa gauche, se rabattit sur la deuxième voie pour doubler sur sa droite un pick-up et se retrouver juste derrière la Mazda. Il passa derrière elle devant la berline, mais au moment de passer la petite Chevrolet, celle-ci ralentit, Shaw avait fait peur à son jeune conducteur, il se déporta en catastrophe sur la voie extérieure sans voir qu'un pick-up arrivait à pleine vitesse et lui bloquait l'accès, il le percuta de l'arrière. Sa voiture s'envola.

Shaw ignorante du drame qui venait de se jouer déboula en trombe sur Waterloo Road. Elle brûla le feu à l'intersection de la 152 ème, lancée dans un fabuleux dérapage et reprit immédiatement de la vitesse. Elle avait quatre voies ouvertes devant elle, un seul virage à l'embranchement d'Ivanhoé Road et aucun obstacle sinon une série de feux de signalisation. Si elle passait la Mazda dans cette partie du parcours, elle avait gagné la course. Il lui suffirait ensuite de ne commettre aucune faute et de courir pour elle-même, contre elle-même. Et ça, c'était la partie la plus excitante. Elle passa la Madza sur Ivahoé Road, le pilote avait été gêné à un croisement par des véhicules qui s'étaient engagés dans la rue à la faveur d'un feu vert, Shaw avait anticipé le passage des voitures et passa à fond entre deux d'entre elles, au millimètre près .

« Elle a gagné, se félicita joyeusement Hendricks. »

Root sourit, elle se demandait comment elle avait pu un instant douter de cette évidence, et se reprocha de ne pas avoir fait preuve d'autant de confiance qu'Hendricks. Elle devait des excuses à Shaw. Elle aurait pourtant dû savoir que Shaw ne décevait jamais quand elle s'était lancée dans une entreprise. Elle allait toujours au bout et n'échouait jamais.

« Pour le reste de la course, Sameen va juste nous offrir une démonstration de sa virtuosité. C'est toujours comme ça avec elle, dès qu'elle s'est débarrassée de tous ses concurrents, elle se lâche entièrement et là, le spectacle commence vraiment. Vous l'avez déjà vue courir ?

- Non.

- Alors préparez-vous à un feu d'artifice, c'est maintenant que commence le meilleur moment de la course. J'ai toujours eu l'impression que Sameen ne courait que pour cet instant, quand elle se retrouve enfin seule. Que son véritable adversaire c'était elle et elle seule. Je l'aime beaucoup, mais elle est bizarre. Tellement distante, si habitée pas la rage parfois. Quand j'ai découvert qu'elle était en fac de sciences et qu'elle se destinait à des études de médecine, j'ai cru tomber à la renverse.

- Pourquoi ?

- Elle ne ressemblait pas l'idée que je me faisais d'un futur médecin.

- Et vous l'imaginiez faire quoi ?

- Franchement je n'en sais rien. Sameen n'avait rien de commun avec personne, elle détonnait complètement. Tout ce que je savais c'était que cette fille était un génie, qu'elle était incroyablement taciturne, que rien ne la démontait jamais et qu'elle était fascinante.

- Vous étiez amoureux ?

- Sous le charme oui, amoureux non, elle était trop jeune quand je l'ai connue et malgré son côté dure-à-cuire, je lui ai toujours trouvé quelque chose de fragile. Pas fragile, mais... comment vous dire...

- Quelques chose de touchant ?

- Oui. C'est ça. Comme si c'était un animal blessé. Un farouche animal solitaire qui au fond ne comprend pas vraiment pourquoi il est si différent des autres. Personne n'a jamais ému Sameen. J'adorais cette fille, je lui aurais tout donné, mais elle est toujours restée distante, même si on a partagé de bons moments.

- Des moments intimes ?

- Oui, ça aussi. Avec elle, c'était difficile d'y échapper dans certaines circonstances... Et je préférais que ce soit avec moi qu'avec un type plus ou moins louche qu'elle avait ramassé dans la rue. »

Root haussa les sourcils.

« Vous n'avez, je vois, aucune idée de ce que peut être une fin de course avec Sameen, lui expliqua-t-il. J'espère que vous avez la santé. En tout cas, ne la laissez pas vous fausser compagnie si vous tenez à elle. »

Il la regarda l'air songeur.

« Vous n'êtes pas son mécène, n'est-ce pas ? L'image que Sameen a voulu donner de vous n'est pas exacte. Je ne suis même pas sûr que vous soyez avocate, et franchement la connaissant, je vois mal Sameen se faire serrer par la police. Mais ça m'est égal, continua-t-il afin de prévenir toute réaction d'inquiétude de la part de la jeune femme assise à ses côtés. Vous n'êtes pas avec elle pour vous payer du bon temps, c'est plus profond que ça. Écoutez, je peux vous conduire à Shaker Boulevard. En se dépêchant, on arrivera juste après l'arrivée. Vous pourrez mettre la main sur Sameen avant qu'elle n'ait une chance de disparaître pour la nuit.

- J'ai de quoi me rendre là-bas rapidement, lui déclara-t-elle en lui montrant les casques posés par terre.

- Ouais. Et bien filez en quatrième vitesse. Récupérez Sameen et prenez soin d'elle. Empêchez-là de faire n'importe quoi. J'ai toujours détesté quand elle se conduisait comme... »

Il regarda Root d'un air un peu triste.

« ...comme quelqu'un qu'elle n'est pas. Confiez les clefs de sa voiture au commissaire de ma part, il me la rapportera ici. Et euh... vous logez où ?

- Au Hollydays Inn Cleveland-S Independance.

- Près de la faculté de pédiatrie ?

- Oui.

- N'allez pas dormir là-bas ce soir.»

Il se pencha pour attraper un sac posé sur le sol, fouilla un moment dedans et en ressortit un trousseau de clef qu'il lui tendit.

« Prenez ça. J'ai une petite villa à une centaine de kilomètres d'ici. Juste après le golf de Vermillon sur Lake Road. Je vous inscris l'adresse, vous trouverez facilement. Passez la nuit là-bas. Vous y trouverez tout ce dont vous avez besoin. La villa est toujours prête à recevoir des invités. Faites-y comme chez vous.

- Pourquoi faites-vous ça ?

- Vous connaissez Sameen et vous l'aimez. Comment je ne sais pas et ça ne me regarde pas, mais je sais que vous l'aimez, donc vous savez très bien pourquoi je fais ça. De plus vous m'êtes particulièrement sympathique, lui dit-il en souriant. Allez dépêchez-vous. Vous pouvez rester chez moi aussi longtemps que vous le voulez. Quand vous serez prêtes à partir téléphonez-moi, je vous rapporterai la voiture.

- Je...

- Ne dites rien, occupez-vous de Sameen et nous serons quittes. »

La fin de course se passa exactement comme Hendricks l'avait prédit. Le pilote de la Mazda ne put jamais revenir sur Shaw. Elle continua la course comme si elle avait le diable à ses trousses. L'accident sur la 90 avait alerté la police. Les flics posèrent un barrage sur Mayfield Road et la course fut détournée. Shaw eut le plaisir de continuer sur Belvoir Boulevard. Deux voies en sens unique, dix minutes de parcours sinueux à faire hurler la boîte de vitesse. Ensuite, c'était les cinq voies de Cedar Avenue en ligne droite, puis les deux de Brainard Road. Peu de circulation et aucune surprise. Shaw arriva sur les chapeaux de roues au rond point de Shaker boulevard, là où un peu moins d'une heure plus tôt, le départ avait été donné.

Une foule en liesse l'attendait. Elle ralentit et fut bientôt contrainte de s'arrêter. Elle sentait son cœur marteler durement et très lentement l'intérieur de sa poitrine, elle respirait doucement et profondément. Les vociférations du public venu la féliciter lui parvenaient étouffées, elle était encore plongée dans la course. Son intense concentration la déconnectait entièrement du monde extérieur. Quand elle le réintégrait, l'adrénaline qu'elle avait secrétée durant l'épreuve laissait violemment la place à une énorme quantité de dopamine. Shaw serra les mains sur son volant, elle chercha à se contrôler. Elle avait l'esprit embrouillé, mais quelque part dans son cerveau, dès qu'elle avait arrêté la Nissan une sirène avait commencé à retentir, lui intimant de ne pas céder. Ne pas céder à quoi ? se demanda-t-elle. Et là, elle sentit le désir tordre ses entrailles, humidifier son entre-jambe. Le tension de la course avait été trop forte, elle devait l'évacuer. Elle jeta un regard de prédateur à travers son pare-brise, cherchant la proie idéale. C'était plus fort qu'elle, l'instinct du dominateur triomphant. Elle devait l'assouvir, maintenant, tout de suite, tant pis pour la sirène.

Quelqu'un frappa sur sa vitre. Le commissaire. Elle ouvrit la portière et sortit de la voiture. Il la félicita et lui tendit un petit sac de sport noir.

« Voilà l'argent. Vous voulez compter ?

- Non, répondit-elle en le jetant à l'arrière de la Nissan.

- Vous êtes impressionnante, votre course vraiment...

- Ouais ouais, désolée j'ai à faire. »

Elle avait repéré sa proie. Elle claqua la portière, et se mit en marche écartant brutalement les gens présents entre elle et sa victime. Arrivé devant elle, elle lui enfonça un doigt au milieu de la poitrine.

« Toi, t'as une bagnole ?

- Euh oui, répondit l'homme en souriant.

- Qu'est ce que t'attends ? On y va. »

Un peu surpris, le gars la regarda et son sourire disparut remplacé par une expression de bête traquée...

« Bouge, lui ordonna-t-elle sèchement.

- Euh... c'est par là. »

Quand il l'avait vue se diriger vers lui, il était plutôt fier, mais là... Il ne l'était plus du tout. Il avait passé toute la fin de la course à plaisanter grassement à son propos avec ses copains et voilà qu'elle l'embarquait il ne savait où et il se sentait tout à coup plus l'âme d'un poulet qu'on menait à l'abattoir que celle d'un étalon apprécié pour ses performances. Parce qu'il avait très bien compris, avec appréhension, quelles étaient ses intentions. Une moto rugit derrière eux.

« Shaw. »

Le nom tomba, tranchant, rude, glacial. Shaw et l'homme sur qui elle avait jeté son dévolu se retournèrent. Shaw cligna des yeux. Qui osait ? Une seconde après Shaw sut enfin pourquoi des sirènes avaient hurlé si fort dans un coin de son esprit. Root. Elle fronça les sourcils, elle avait oublié qu'elle l'attendait… Où ? Avec Mark... Oui c'était ça. Elle était venue avec elle à Cleveland et elle l'avait oubliée. Elle était folle. Elle resta sans bouger. Root releva la visière de son casque.

Shaw s'était figée dès qu'elle l'avait vue, non plus exactement dès qu'elle l'avait reconnue. Root avait lu un moment d'hésitation dans ses yeux. Une fraction de seconde Shaw n'avait pas su à qui elle faisait face. Root en arrivant s'était tout de suite dirigée vers le centre d'attraction de la foule. Elle y avait retrouvé le commissaire de la course et la Nissan, mais pas Shaw.

« Où est-elle ? avait-elle demandé sans descendre de sa VM

- Je ne sais pas, elle est sortie de sa voiture sans dire un mot ou presque. Elle a pris l'argent, puis elle a harponné un type et ils sont partis.

- Où ?

- Par-là avait-il répondu en montrant une direction de la main.

- Voici un double des clefs de la Nissan. Conduisez-la à Mark Hendricks, il vous attend. Et surtout ne touchez à rien.

- Vous pouvez compter sur moi. »

Il avait pris les clefs et Root avait lancé la moto à la poursuite de Shaw.

« Shaw, tu laisses ton mec ici et tu montes.

- Quoi ? »

Un rictus mauvais se dessina sur les lèvres de Shaw. Root avança la moto jusqu'à sa hauteur et plongea son regard dans le sien. Shaw l'avait reconnue, mais il était clair qu'elle n'avait aucune envie de l'écouter ou de la suivre. Root mit machinalement la main dans sa poche et sa main se referma sur son taser.

« Shaw j'attends, s'impatienta Root.

- Va te faire f... »

La gifle claqua. Shaw accusa le coup et fit un pas de côté pour compenser la violence de son impact. Elle fit face à Root, le regard meurtrier.

« Sam, s'il te plaît, murmura Root. »

Root avait l'air blessée. Shaw desserra les poings qu'elle avait refermés au moment où elle avait été frappée. Son regard s'éclaircit. Root lui tendit un casque et un blouson. Shaw les enfila et ajusta la jugulaire du casque. Puis Root baissa les cale-pieds et Shaw monta derrière elle. Elle posa les mains sur le réservoir et Root passa la première.

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Notes de fin de chapitre :

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NB : Le parcours de la course peut être entièrement consulté sur Google map.

Krav maga :

Écusson bleu : niveau gradé 1. (s'apparente en gros à un niveau 1er dan dans les arts martiaux japonais)

Écusson bleu à trois bandes bleu-marine : gradé niveau 3


Texte publié par Mélicerte, 4 janvier 2017 à 11h19
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tome 2, Chapitre 6 « Touge racing in Cleveland » tome 2, Chapitre 6
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