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tome 2, Chapitre 5 « Interstate 80. » tome 2, Chapitre 5

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Je remercie une fois encore TaTchou pour sa relecture et ses deux trois sourires.

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Chapitre V

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Root se réveilla au milieu de la nuit et chercha Shaw. La sentir contre elle lui manquait. Elle ouvrit les yeux et distingua sa silhouette dans le noir. Elle lui tournait le dos et s'était réfugiée sur l'extrême bord du lit. Root encore plongée dans les brumes du sommeil, se rapprocha d'elle et se lova contre son dos, posant une main sur sa cuisse.

« Root. »

Shaw n'avait pas paru particulièrement amicale. Root se réveilla tout à fait.

« Je suis désolée Sameen. »

Elle commença à bouger pour rejoindre le bord opposé du lit. Mais Shaw attrapa sa main posée sur sa cuisse avant qu'elle ne soit éloignée et la retint contre-elle. Elle ramena sa main devant elle et mêla ses doigts aux siens.

« Reste, ce n'est pas grave. »

Elle serra son bras contre elle, se lova à l'intérieur du corps de Root et ne bougea plus. Root avait d'abord juré silencieusement quand Shaw l'avait interpellée. Comment avait-elle pu être aussi idiote pour venir se coller à Shaw alors qu'elle s'était clairement isolée à l'autre bout du lit ? Et puis encore une fois, sa réaction l'avait prise de court. Shaw n'était pas si farouche que ça tout compte fait. C'était étrange de découvrir qu'une bête sauvage et solitaire pouvait être si... tendre ? Incroyable. Captivant.

Elle l'embrassa doucement dans le cou. Shaw gémit et son corps se colla plus encore à Root. Root continua traçant son chemin jusqu'à son oreille. Elle lui mordilla le lobe. Shaw se retourna et l'embrassa. Puis ses mains prirent possession du corps de Root et doucement l'emportèrent vers son plaisir. Root ne partit pas seule, elle savait que Shaw l'accompagnerait si elle l'emmenait avec elle, et que celle-ci attendait que Root ne l'oublie pas en route. Shaw s'endormit tout de suite après qu'elles aient fini pantelantes et en sueur par arriver là où leur désir les avait conduites. Elle était à demi-couchée sur Root et son souffle léger et régulier lui caressait doucement la peau. Root la serra prudemment dans ses bras pour ne pas la réveiller. Elle sentait son cœur gonfler comme une baudruche dans sa poitrine. Des larmes piquèrent ses yeux et elle les laissa couler.

Elle était si heureuse. Jamais elle n'avait cru qu'un jour elle connaîtrait le bonheur, la paix. Elle pensait aussi que, depuis longtemps, elle avait perdu ce droit. Elle avait fait trop de mal, tué pour de l'argent ou juste pour s'occuper, détruit des vies, déclenché des faillites. Et puis elle avait rencontré Shaw. Elle avait d'abord lu son dossier et elle avait été intriguée. Son profil avait allumé son intérêt et elle mourrait d'envie de la connaître. Et quand elle l'avait rencontrée la première fois, ça avait été drôle et vraiment excitant. Après elle s'était amusée avec Shaw, et puis elle avait fini par tomber amoureuse. Elle l'avait honteusement draguée, poussée dans ses retranchements. Elle savait que Shaw n'était pas indifférente, mais même si Shaw alimentait ses fantasmes, Root n'avait jamais vraiment cru pouvoir l'apprivoiser. La pousser dans son lit oui, mais avoir ce qu'on appelait une vraie relation avec elle, non. Et, là...

Root sentait que Shaw avait changé. Du moins, son comportement envers elle avait changé. Pourquoi ? Il n'y avait qu'une réponse possible. Samaritain. C'était lui le responsable. Comment avait-il procédé ? Elle n'en avait aucune idée. Il y avait bien ce que lui avait avoué Shaw qui lui avait expliqué que sa présence dans les simulations l'avait sauvée et empêchée de sombrer définitivement. Qu'elle n'avait jamais pu la tuer, qu'elle avait préféré se tuer elle-même et ainsi obliger Samaritain, à chaque fois, à arrêter la simulation en cours pour en recharger une nouvelle. Mais ça ne suffisait pas à tout expliquer. Il devait y avoir d'autres facteurs pour que Shaw se montre tout à coup si... surprenante. Mais lesquels ? Elle n'en savait rien. Quoique en y réfléchissant bien... peut-être qu'en lui demandant, Shaw accepterait de lui apporter quelque éclaircissements.

Shaw se mit à gémir, à se raidir et à transpirer.

« Sameen, l'appela-t-elle doucement »

Root referma ses bras plus fermement autour d'elle et lui caressa le dos.

« Sam, réveille-toi »

Elle lui embrassa gentiment le front. Shaw s'agrippa à elle.

« Sameen, continua-t-elle sans élever la voix. »

Shaw râla et lui enfonça douloureusement les ongles dans la chair, le corps tendu.

« Shaw, tu me fais mal, dit Root plus durement en lui donnant une claque dans le dos.

- Root ? demanda Shaw se réveillant brutalement.

- Tu t'attendais à quelqu'un d'autre ? Si c'est le cas, j'en serais extrêmement contrariée, je te préviens.

- Qu'est-ce que tu racontes ? On est où là ?

- Sameen !

- Quoi ?

- Rien, tu es chez moi, dans mon lit, dans mes bras, et à ma plus grande satisfaction complètement nue...

- Ah.

- Sameen, ça va ?

- Euh oui, oui. Je… J'ai fait un cauchemar ?

- Oui.

- Je t'ai fait mal ?

- Non, ça va. Rendors-toi Sam, on a une longue journée demain, et je ne voudrais pas que tu perdes ta course. Ça me priverait du plaisir de fêter ta victoire de façon... vraiment excitante.

- Root de quoi parles-tu ?

- Rien. Dors maintenant.

- Hum. »

Shaw se frotta la joue contre l'épaule de Root et se laissa glisser à côté d'elle, la libérant de son poids. Elle mit un peu distance entre elles, mais colla son front contre son épaule.

« Tu restes là ? murmura-t-elle.

- Oui.

- Okay. »

Et elle se rendormit.

Root résista à l'envie de la reprendre dans ses bras, elle avait conscience que Shaw avait délibérément mit un espace entre leurs deux corps et qu'elle devait respecter cette volonté. Mais elle n'avait cependant pas chassé Root de son territoire, elle avait juste regagné un peu de liberté, d'autonomie. Elle l'avait éloignée tout en la maintenant à portée. Root le comprenait intuitivement et elle se contenta du contact que Shaw avait pris soin de maintenir entre elles.

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« Root !

- …

- Root, debout !

- Sam ?

- Allez dépêche-toi, claqua Shaw déjà habillée de pied en cap. Je t'ai préparé le petit dej, il faut qu'on parte.

- Mais...

- Root, Cleveland n'est pas la porte à côté, je ne veux pas partir tard et devoir me grouiller après. Lève-toi. Maintenant. Sinon je t'éjecte de ton lit.

- Tu ferais ça ?

- Je me gênerais, j'ai viré assez des bidasses de leur lit. Je peux t'assurer que ma technique est très au point.

- Ça devait être génial de t'avoir comme supérieur.

- Tu ne peux pas savoir à quel point, grimaça-t-elle. Un... Deux... »

Shaw ne plaisantait pas, Root se dépêcha de sauter hors du lit, elle n'avait aucune envie de tester une sortie de lit musclée spécial Shaw.

« J'y vais, j'y vais.

- Dans deux minutes tu es habillée. Après tu vas manger et on file.

- Je peux prendre une douche ?

- Non, pas le temps.

- Tu n'avais qu'à me réveiller avant. Si je dois conduire le camion, je veux prendre une douche avant de partir.

- T'as trois minutes

- Quoi ? Tu plaisantes ? Tu n'as même pas de montre !

- Je ne plaisante pas et j'ai un téléphone grosse maligne ! C'est parti Root, bouge.

- Mais c'est pas vrai, qu'est-ce que tu as ce matin ?

- Deux minutes trente pour la douche, déclara Shaw »

Root s'enfuit. Elle remarqua deux sacs de voyage et un petit sac à dos près de la porte d'entrée, mais ne s'attarda pas à regarder ce qu'ils contenaient, s'engouffra dans la salle de bain et fila directement sous la douche. Elle avait moyennent apprécié le réveil façon caserne que lui avait infligé Shaw et elle se détendit au contact de l'eau chaude sur son corps. Elle se lava rapidement, mais s'attarda ensuite et ferma les yeux.

Elle hurla soudain. L'eau d'un coup était devenue glacée. Elle ouvrit les yeux recroquevillée dans un coin de la douche. Shaw lui barrait le passage de la sortie.

« Les deux minutes trente sont passées.

- Mais tu es vraiment folle Shaw, ça va pas ! »

Shaw la regardait les traits impassibles. Root ferma l'eau.

« Je te retrouve dans deux minutes habillée dans la cuisine. Tu n'as pas intérêt à être en retard.

- Sinon quoi ? Tu vas me faire faire des pompes ?

- Ouais, pourquoi pas.

- Tu es vraiment... »

Mais Shaw avait déjà quitté la salle de bain. Root partit au pas de course dans le dressing et se choisit une tenue confortable et des chaussures à talons plat pour une fois.

« Root ! »

C'était du harcèlement. Elle accourut néanmoins en quatrième vitesse dans la cuisine.

« Assieds-toi »

Shaw poussa devant elle une théière, une tasse et deux assiettes, l'une garnie d'œufs, de saucisses et de rondelles de tomates et l'autre de quatre toasts.

« Miel ou confiture ?

- Miel.

- Vas-y, ça va être froid.

- Tu ne manges pas ?

- C'est déjà fait et il faudra que je t'achète du vrai thé. »

Root la regarda étonnée. D'où lui sortait-elle cette histoire de thé ? En plus elle n'avait jamais vu Shaw boire une seule tasse de thé depuis qu'elle la connaissait.

« Qu'est-ce que tu reproches à mon thé ?

- Ce n'est pas du vrai thé.

- Et qu'est-ce que c'est du vrai thé ?

- Pas le temps de parler de ça maintenant. Mange.

- S...

- En silence ! aboya-t-elle.»

Root jura entre ses dents. Elle regretta de ne pas avoir pensé à prendre un taser dans le dressing, Shaw méritait une petite séance de secousse électrique, vraiment.

« Ça va, c'est bon ?

- ...

- Les œufs Root !

- Euh oui, merci »

Shaw s'impatientait, elle tapotait nerveusement la table avec ses doigts. Root se dépêcha de finir son petit déjeuner. Elle qui aimait prendre son temps le matin, c'était raté. Puis elle se leva et prit ses assiettes pour aller les laver.

« Laisse Root, va finir te préparer, je m'occupe de ça. »

Root obtempéra sans protester. Quand elle sortit de la salle de bain, Shaw l'attendait devant.

« Va prendre ce dont tu as besoin dans ton bureau, ordinateur, oreillettes ou autres, tout ce que tu juges indispensable comme équipement électronique.

- Il faut que je me prépare un sac de voyage aussi.

- Pas la peine je m'en suis chargée, des armes aussi. Allez Root ! File.

- Attends Sameen, tu ne m'as pas préparé mon sac de voyage ? Sans me demander mon avis ?

- T'inquiète, tu ne manqueras de rien.

- Sam...

- Root t'as trois minutes.

- Non, mais je rêve, grommela celle-ci. »

Elle s'exécuta quand même et se rendit dans le bureau. Elle était en train de choisir avec soin le matériel qu'elle emmènerait, quand Shaw fit irruption dans la pièce. Root se retourna vivement.

« Sans rire Shaw, tu me donnes encore un ordre... je te règle ton compte tout de suite. Je me fous que tu sois une experte en art martiaux et que tu joues à la sale dure-à-cuir d'officier emmerdeuse comme pas deux. Je te jure que tu vas regretter ton prochain ordre, l'avertit Root furieuse, je ne peux pas préparer sérieusement le matériel dont nous aurons besoin, si tu me harcèles constamment. Alors maintenant tu la fermes et tu sors ! »

Shaw se figea. Elle regarda Root attentivement puis tourna les talons et sortit du bureau sans rien dire. Root soupira, elle ne savait même pas l'heure qu'il était. Elle attrapa son téléphone et l'alluma. six heures zéro huit ! Shaw devait s'être levée à cinq heures.

« Root ! »

Elle n'avait pas pu s'en empêcher. Root mit son sac sur l'épaule et la rejoignit toujours aussi furieuse.

« Vraiment Shaw, je vais te tuer.

- Pas maintenant. Plus tard si tu veux, répliqua-telle sans plaisanter. Tu as tout ce qu'il te faut ?

- Pour le matériel oui, mais pour le reste je n'en sais rien. C'est toi qui a fait mon sac et je ne sais pas ce que tu as pris.

- Bon, donc c'est bon, tu as tout, allez viens. »

Elle ramassa les sacs et les passa sur son épaule. Derrière elle, Root leva les yeux au ciel, ce n'était même pas la peine de chercher à discuter. Elle ferma la porte à clef et suivit Shaw qui était déjà loin devant elle.

« Je conduis, tu n'as même pas l'air d'être bien réveillée.

- Parce que tu crois qu'un réveil comme celui dont tu m'as gratifiée est une bonne façon de commencer la journée ?

- Le genre de réveil dont tu rêves n'aurait pas aidé à partir tôt. »

Shaw avait prononcé la phrase d'un ton bourru, mais Root ne put s'empêcher de hausser les sourcils.

« Non, c'est vrai. Mais … ne me dis pas que tu y as quand même pensé Sam, répliqua Root nettement de meilleure humeur. »

Shaw lui adressa une grimace.

« Je ne veux pas arriver trop tard à Cleveland. »

Root sourit et ouvrit la bouche pour parler.

« Root, garde ça pour toi et reste tranquille.

- Bon, c'est demandé si gentiment. Mais tu me revaudras ça Sam. Je n'ai vraiment pas apprécié ton réveil.

- Mouais. »

Root une fois montée dans la voiture, croisa les bras et prit l'air contrariée. En fait elle ne l'était pas, elle était plutôt contente. Shaw était focalisée sur la course à venir et la voir se démener ainsi en prévision de ce soir lui faisait très plaisir.

Il y avait peu de circulation et elles rejoignirent vite Hewitt. Shaw gara la Bentley dans le garage et transporta les bagages dans la cabine du camion. Elle hésita un moment pour savoir ce qu'elle prenait comme armes avec elles. Elle opta pour quelques grenades assourdissantes, cinq pains de Semtex, deux fusils d'assaut Herstal qu'elle avait récupérés dans le dressing de Root et le Ludis, sans oublier une quantité qu'elle jugeait suffisante de munitions. Elle partait disputer une course, mais ce n'était pas autant qu'elle en oubliait Samaritain. Et celui-ci ne l'avait certainement pas rayée de ses préoccupations sous prétexte qu'elle avait réussi à lui fausser compagnie. Root était aussi dans son collimateur. Si elles devaient être repérées, elle n'avait pas envie de se retrouver face aux agents de Samaritain avec trois ridicules armes de poing quelle que soit la dextérité avec laquelle, elle et Root s'en servaient.

« Tu sais Root, le Ludis est une bonne arme, mais tu devrais te procurer un 338. Un PMG Mini-Hecate par exemple, il est muni d'un chargeur de 10 balles et il est plus puissant. C'est mieux que le Ludis selon les circonstances et il ne pèse pas vraiment plus lourd.

- Je te remercie du conseil. Et je rêve de faire amoureusement du shopping avec toi main dans la main, surtout si c'est pour acheter ce genre de matériel.

- Pff, vraiment Root...

- Allez souris chérie, et pense à cette nuit »

Elle lui fit un clin d'œil, s'approcha d'elle, lui prit le visage entre les mains et l'embrassa sur le front.

« Tu es trop craquante quand tu parles d'armes à feu.

- Je vais te casser la gueule si tu continues, lui lança Shaw, se dégageant rudement.

- Vraiment ?

- Non. Mais va t'installer derrière ton volant, j'ai tout chargé et il est temps de partir. »

Le réponse lui était venue du fond du cœur, Root l'énervait, mais elle n'avait vraiment pas envie de lui balancer une droite en pleine figure. Ce genre d'envie et surtout de plaisir que ça pouvait lui procurer, faisaient, depuis longtemps, partie du passé. Cela donnait peut-être des cartouches à Root pour lui pourrir la vie, mais elle en acceptait les conséquences et s'était résolue à faire avec.

Root, un grand sourire aux lèvres, alla s'installer sur son siège, prit quelques minutes pour effectuer le réglage des rétroviseurs, de son siège et du volant et démarra le moteur. Shaw l'aida à la manœuvre pour sortir, puis ferma le garage et la rejoignit dans la cabine.

« Prête pour l'aventure Shaw ?

- Démarre Root. »

Root ne répliqua pas, mais elle surprit un léger sourire se dessiner sur les lèvres de Shaw et cela suffit à la rendre définitivement de bonne humeur. Elle passa la première et se concentra sur la route.

Root décida de passer au sud par la 80, avec un peu de chance elles devraient mettre un peu plus de huit heures. Elles arriveraient entre seize et dix-sept heures à Cleveland. Elles pourraient faire halte vers Kylertown. C'était à mi-parcours et Root doutait pouvoir conduire huit heures de suite sans s'arrêter. Une halte lui permettrait au moins de se dégourdir les jambes et de déjeuner. Le camion était agréable à conduire et elle était contente que Shaw soit à ses côtés. Shaw se retourna vers l'arrière de la cabine et se pencha pour récupérer le petit sac à dos. Elle le ramena sur ses genoux.

« Root, j'ai préparé un thermos de café ce matin. Il y a aussi des gâteaux et des sandwichs au fromage. Je pensais que tu apprécierais au moins une boisson chaude. On pourra ré-remplir le thermos lors d'un arrêt. Je te mets ça là. Dis, ça te dérangerait si j'allais dormir un peu derrière. Je me suis levée tôt et je suis crevée. »

Shaw avait vraiment tout prévu et Root se sentait très touchée par la délicatesse dont elle faisait preuve. Son estomac se creusa, vivre au côté de Shaw s'avérait émotionnellement troublant.

« Non, vas-y, je n'ai pas besoin de toi. Shaw... l'appela-t-elle avant qu'elle ne disparaisse derrière. Merci pour le thermos... et le reste. »

Shaw s'immobilisa. Elle se retourna et regarda Root qui avait les yeux fixés sur la route. Elle contempla sa nuque un long moment sans bouger. Elle remarqua soudain le regard de Root qui la dévisageait dans le rétroviseur. Elle rougit.

« Pas de quoi, balbutia-t-elle. »

Et elle disparut.

Root continua de rouler sans s'arrêter jusqu'à ce qu'elle aperçoive le panneau indiquant la sortie 133. Elle hésita à l'emprunter. Peut-être trouverait-elle un restaurant plus accueillant et plus tranquille aux abord de Kylertown que ceux qui s'alignaient sur les aires d'autoroute. Elle perçut la respiration de Shaw à l'arrière. Celle-ci dormait profondément et s'agitait parfois dans son sommeil. Root avait craint qu'un cauchemar ne vienne la hanter quand, une heure après s'être couchée, elle avait commencé à gémir et à se retourner dans un sens, puis dans l'autre sur sa couchette. Root avait juré entre ses dents. Même si la circulation était fluide, elle ne pouvait se permettre de s'arrêter n'importe où sur le bas-côté. Les autoroutes étaient sous surveillance vidéo et l'arrêt d'un camion sur le bord de la route, ne passerait certainement pas inaperçu dans les centres de surveillance. Elle n'avait aucune envie de voir débarquer une patrouille, d'autant plus qu'elle n'avait pas pris soin de faire mettre à jour son permis par La Machine.

Ces derniers temps, elle avait plutôt incarné des femmes faisant partie de la haute société, avocate, femme d'affaire, ou riche héritière et son permis à ces occasions, n'était valable que pour la conduite de véhicules légers ou de motos. La Machine avait jugé qu'il serait suspect qu'une jeune femme de bonne famille soit munie d'un permis poids-lourd. Elle n'avait d'ailleurs pas trouvé non plus qu'il était nécessaire qu'elle soit en possession d'un permis moto parce que là encore, c'était peu compatible avec le profil de ses personnages, mais Root adorait piloter des motos et avait supplié la Machine de lui accorder cette faveur.

Elle avait conservé, depuis l'opération Little Chuck, l'identité de Jennifer Chandler. C'était un peu stupide, mais d'autres préoccupations plus importantes, Shaw pour tout dire, l'avaient distraite et comme la Machine ne lui avait fait aucune observation à ce sujet, elle n'avait pas pensé à évoquer le sujet avec elle.

Quand Shaw avait commencé à se débattre dans son sommeil, Root avait soudain réalisé avec angoisse que si Shaw tombait sous l'emprise d'un cauchemar comme l'autre soir ou pire, qu'elle se réveillait et continuait à le vivre comme si celui-ci était une réalité, la situation deviendrait incontrôlable. Elle avait pris soin de se munir d'un taser et de le garder avec elle dans sa poche de blouson, mais elle connaissait Shaw. Il fallait la prendre par surprise, sinon il y avait peu de chance de pouvoir la maîtriser. Et là, Root conduisait un camion sur une quatre-voies au milieu d'autres véhicules filant à tout allure, Shaw dans son dos. Si celle-ci dérapait tout finirait dans un vacarme immense qui tournerait la paisible autoroute en enfer de feu, de hurlements, de sang et de carcasses tordues. Le résultat de cette petite sortie entre filles serait catastrophique.

Elle avait senti ses mains devenir moites au fur et à mesure que les gémissements de Shaw s'étaient intensifiés. Elle avait surveillé ses arrières en jetant sans cesse des coups d'œil dans son rétroviseur et failli percuter un camion qui avait ralenti devant elle.

Elle avait alors commencé à parler, sans s'arrêter, de n'importe quoi, répétant régulièrement et fréquemment comme un litanie le prénom de Shaw au début, au milieu et à la fin de chacune de ses phrases. Elle lui avait raconté comment elle avait souffert après sa disparition, comment elle avait gardé espoir de la retrouver, comment elle avait tué avec un plaisir sadique Martine, ses luttes, ses échecs, ses doutes, sa haine envers Samaritain, ses inquiétudes à propos de Harold, son amour et son admiration pour l'enfant-Dieu, ce qu'elle avait ressenti en la retrouvant l'autre soir dans le parc, ce qu'elle éprouvait pour elle, comment elle ne voulait plus jamais la quitter et tous les espoirs qu'elle fondait sur l'avenir, son discours sans cesse entrecoupé de « Sameen » ou de « Sam ».

Elle déversait toutes ses pensées dans un flot incessant de paroles plus ou moins censées. Elle ne pouvait plus s'arrêter. C'était difficile de parler à Shaw. Root l'avait toujours vue éviter les conversations, d'autant plus si elle les considérait comme du verbiage destiné à créer ou à maintenir des liens sociaux et même lors des briefings avant une mission, Root avait remarqué que Shaw s'impatientait très vite si les consignes et les explications ne se contentaient pas d'être précises et concises. Il fallait que Shaw se sente particulièrement détendue pour qu'elle consente à participer à une vraie conversation. Et souvent celle-ci tournait autour des missions en cours ou achevées, des armes, de traitements médicaux ou d'autres sujets techniques que Shaw appréciait. Avoir ce que Root appelait une conversation entre filles, semblait inenvisageable.

Alors, dans la cabine du camion, tenaillée par l'angoisse et accompagnée par les gémissements de Shaw, elle s'était confiée à la seule personne à qui, en dehors de la Machine, elle avait envie de se confier. Même si celle-ci ne pouvait pas l'entendre, au moins elle espérait l'atteindre quelque part dans son subconscient, l'empêcher de glisser et de se perdre dans les brumes que Samaritain avait fait naître dans son esprit. Elle espérait la ramener telle qu'elle était avant, ou juste maintenant, là sur cette autoroute traversant la Pennsylvanie, la sortir de son cauchemar et qu'elle revienne prendre sa place auprès d'elle, silencieuse ou pas elle s'en foutait, mais qu'elle soit là.

Elle renonça à emprunter la sortie de Kylertown et continua à rouler. Plus loin un panneau annonçait la présence d'une grande aire de service. Il y avait des pompes à essence, des boutiques, un self, un fast-food et même un motel. Elle débraya et s'engagea sur la voie de sortie. Elle jeta un regard derrière elle. Shaw dormait en chien de fusil, elle avait l'air d'un enfant, c'était étrange de la voir comme ça. Root se dirigea vers les pompes pour refaire le plein. Le réservoir contenait encore assez d'essence pour parcourir de nombreux kilomètres, mais si elle effectuait un plein maintenant elle n'aurait plus à s'arrêter avant Cleveland. Il fallait aussi qu'elle s'occupe de réserver une chambre pour la nuit prochaine.

Elle avança le camion aux pompes, vérifia que Shaw était calme, puis descendit. Un jeune pompiste se précipita pour l'aider dès qu'il la vit. Il était plein de bonne volonté et visiblement sensible à son charme. Root se put s'empêcher de jouer avec lui mettant un point d'honneur à le rendre encore plus rouge que la veste de la tenue qu'il portait. Elle lui dédia force sourires et clins d'œil provocateurs. Il manqua de s'arroser d'essence en sortant la buse avant d'avoir fini le plein, parce que Root lui avait déclaré qu'elle le trouvait sexy sa buse à la main suggestivement enfoncée dans la bouche de son réservoir. C'était plus fort qu'elle, elle adorait exercer son pouvoir sur les autres, les déstabiliser, même si ces autres étaient de pauvres jeunes petits pompistes de province.

« Tu ne peux pas t'en empêcher hein ? »

Shaw se tenait à côté du camion, elle avait les cheveux en bataille et ses vêtements était froissés. Elle observait Root d'un air amusé. Root s'aperçut qu'elle était pieds nus, elle n'avait pas dû prendre le temps de mettre ses chaussures, inquiète peut-être de se retrouver seule dans le camion à l'arrêt. Elle avait l'air d'une sauvageonne. Root sourit. Elle était... superbe.

Le silence avait réveillé Shaw, elle avait appelé Root et en l'absence de réponse, avait soudain réalisé que le camion était arrêté, et qu'elle était seule dans la cabine. Elle s'était précipitée dehors prête à descendre ou à étendre quiconque se retrouverait sur son chemin. Objectif un : trouver Root et s'assurer qu'elle allait bien. Root allait très bien. Alors qu'elle contournait le camion, elle l'avait entendue parler avec la voix qu'elle employait quand elle se lançait dans une honteuse entreprise de séduction. Quand elle l'avait découverte de l'autre côté du camion, c'était exactement ce qu'elle était en train de faire, elle draguait sans vergogne un pauvre pompiste. Shaw l'observa. Root sortit une plaisanterie égrillarde et le pauvre pompiste fut à deux doigts de s'embraser comme une torche au sens propre comme au sens figuré. Root était tarée.

Il était arrivé à Shaw pour les besoins d'une mission d'user de ses charmes, mais c'était un moyen comme un autre d'arriver à ses fins, une simple option parmi d'autres. Root y prenait plaisir, ça l'amusait, Shaw le savait très bien, elle avait assez été victime de ses entreprises de séduction. Elle avait cette façon de regarder, de plonger ses yeux dans ceux de son vis-à-vis, de lui sourire en coin, de prendre une posture provocante et surtout... surtout de lancer des phrases assassines qui prenaient au dépourvu son interlocuteur et ce, au moment où il s'y attendait le moins. Des phrases auxquelles, du moins Shaw ne trouvait jamais rien à répondre. C'était énervant parce que Root faisait mouche à chaque fois. Et que Root en était parfaitement consciente.

« Shaw ! »

Elle dédia un sourire lumineux à Shaw, clairement aux anges de la voir.

« Attends, je règle mon charmant petit pompiste et j'arrive. »

Le pompiste rougit jusqu'aux oreilles. Shaw secoua la tête, Root était incorrigible. Il lui tendit le terminal pour carte de crédits qu'il avait sorti de sa ceinture, Root régla et s'éloigna non sans lui avoir envoyé un baiser avec la main et gratifié d'un :

« J'ai adoré le service, merci. »

Elle lui tourna le dos contente d'elle et focalisa son attention sur Shaw.

« Tu vas bien ?

- Oui, pourquoi ?

- Pour rien. Tu n'as pas de chaussures Shaw.

- Euh, non, je me suis réveillée et euh... On ne roulait plus... tu n'étais pas là... Alors...

- Oh, je t'ai manqué alors ?

- Non, j'avais faim.

- Ah ! Et tu vas toujours manger pieds-nus quand tu t'arrêtes sur une autoroute ? »

Root se foutait d'elle, Shaw se renfrogna. Elle ne lui avait pas manqué, elle avait eu peur quand elle avait réalisé qu'elle était seule. Et cette abrutie n'avait rien trouvé de mieux que de plaisanter.

« Ne fais pas la tête Sameen, je me suis justement arrêtée pour déjeuner. Je suis fatiguée aussi et j'ai besoin de me détendre avant de reprendre le volant.. Alors, s'il te plaît, sois sympa. »

Elle lui sourit timidement.

« Sam.

- Ouais ouais, d'accord. »

Elles regagnèrent le camion et Root démarra. Elle se gara sur le parking réservé aux poids lourds. Shaw remit ses chaussures et lissa ses vêtements de la main. Elle avait l'air de sortir de son lit ce qui était le cas. Elle libéra ses cheveux et se passa les doigts dedans en guise de peigne.

« Tu devrais les laisser détachés de temps en temps, ça te va bien.

- Ouais, bonne idée Root, c'est super pratique les cheveux dans les yeux, surtout quand tu tires et pire encore quand tu te frottes à un gorille, soupira Shaw avec condescendance.

- Pourquoi ne les coupes-tu pas alors ?

- Je déteste les coiffeurs.

- Tu les portais long chez les Marines ?

- Oui. Pourquoi ?

- Je ne sais pas, j'imagine que partir en opération dans les montagnes d'Afghanistan comme ça t'est arrivé, avec des cheveux longs, ça ne devait pas être très pratique. Et puis même à la base, les cheveux longs demandent un minimum d'entretien. Et comme je sais que tu es quelqu'un doté d'un esprit très pragmatique... Ça m'étonne un peu.

- Ouais ben si c'est tout ce à quoi tu as à penser, t'as bien de la chance »

Bon, la discussion était close comprit Root.

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Shaw avait toujours porté les cheveux longs même petite. Pas aussi aussi longs qu'à présent, mais jamais courts non plus. Elle ne savait pas trop pourquoi elle tenait tant à ses cheveux longs. À l'USMC, on lui avait plusieurs fois conseillé de les couper. Un de ses supérieurs, une femme, lui avait même donné un ordre dans ce sens un jour. Elle s'était bien gardée d'obtempérer. Devant son refus, l'officier l'avait alors menacée de les lui couper pendant son sommeil. Shaw l'avait mise au défi d'essayer, l'air vraiment mauvais, lui assurant qu'aucune sanction ne la ferait changer d'avis et que même un mois de trou ou la perspective d'être rétrogradée si elle lui cassait la gueule, lui serait égale. L'officier avait accusé le coup et devant son air buté avait renoncé et n'y avait jamais plus fait aucune allusion. Shaw avait gardé ses cheveux longs. Tant pis s'ils lui tenaient chaud et que c'était parfois une vraie galère pour les entretenir.

Cet entêtement à les garder longs était en partie dû, elle le savait, à sa mère. La raison en restait floue pour Shaw, mais quand elle pensait à sa mère, elle revoyait une belle femme portant comme une précieuse parure de joyaux, une magnifique chevelure. Elle était brune avec des reflets auburn. Elle possédait une qualité de cheveux exceptionnelle, du moins pour les États-Unis parce que Shaw plus tard, s'était aperçue que beaucoup de femmes venues du Proche ou du Moyen Orient bénéficiaient de cheveux comparables : épais et brillants, tantôt raides comme elle, ou bouclées lâchement comme sa mère. Sa mère avait toujours pris extrêmement soin de ses cheveux et Shaw avait bénéficié de sa part des mêmes attentions. Elle n'avait pas spécialement apprécié que sa mère la coiffe, elle détestait qu'on lui touche les cheveux, lui confectionne régulièrement des masques capillaires fabriqués à base d'huiles parfumées qu'elle l'obligeait ensuite à garder pendant une nuit entière la tête enroulée dans une serviette de toilette, ou lui fasse régulièrement des réflexions excédées parce que Shaw ressemblait à une sauvage, les cheveux ébouriffés et souvent emmêlés.

Elle n'avait jamais été proche de sa mère. Celle-ci était distante, montrait peu de tendresse en privé, comme en public. Curieusement, elle manquait de spontanéité dès qu'elle se trouvait avec sa fille et lui témoignait très peu d'affection. Pourtant, elle n'avait jamais rejeté ses responsabilités et elle avait suivi de très près les études de Shaw. Elle s'était battue bec et ongles avec les institutions académiques pour que sa fille soit reconnue à sa juste valeur. Si Shaw avait pu rentrer à l'université à 14 ans c'était grâce à elle. Elle avait aussi veillé à ce que Shaw reçoive une bonne éducation et sache se comporter correctement en société, même si elle avait très vite remarqué que celle-ci haïssait les mondanités ou tout ce qui de près ou de loin, s'apparentait à des activités sociales. Cela l'avait désespérée et elle s'en était souvent plainte à son mari avant qu'il ne meure. Après ses reproches était allés à Sameen qui se contentait de hausser les épaules quand elle lui reprochait son comportement de sauvage insensible. Mais cette histoire de cheveux longs restait liée à l'image que Shaw avait de sa mère. C'était idiot elle le reconnaissait, mais elle ne se résoudrait jamais à les porter court, ça elle le savait très bien, même si c'était complètement absurde.

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Elles était attablées dans un espèce de Snack se vantant d'être « le meilleur rendez-vous des routiers ». Root aurait préféré un autre restaurant, mais Shaw lui avait assuré qu'elles y mangeraient mieux et que la nourriture servie y serait plus abondante.

« De toute façon, on ne va s'éterniser non ?

- Non, tu as raison. »

Root commanda un repas léger, pour peu que ça existe vraiment dans ce genre d'endroit et Shaw un menu spécial routier. Root se demandait comment Shaw pouvait ne pas être obèse avec tout ce qu'elle ingurgitait à chaque repas et même en dehors de ceux-ci, elle devait être dotée d'un métabolisme vraiment particulier. En plus elle arrosait la plupart de ses repas à la bière. Pas cette fois cependant. Elle commanda un café et Root prit un thé noir.

« Shaw, il faut que je réserve une chambre pour cette nuit. J'ai sélectionné un hôtel près des Sept Collines au sud du centre-ville. C'est juste à une sortie 155 de la 77. C'est bien situé, il y a des restaurants sympa à côté, un grand parking pour le camion et l'hôtel possède un restaurant, un bar, une salle de fitness et même une piscine intérieure.

- Je n'ai pas de maillot

- Ce n'est pas vraiment difficile à trouver Sam. Tu sais nager au moins ?

- T'es vraiment con Root parfois. »

Root s'esclaffa.

« Bon, je réserve alors ? Une ou deux chambres ? »

Shaw plongée le nez dans son dessert releva la tête. Root pétillait. Ça y est, elle se foutait encore d'elle.

« Tu me saoûles vraiment Root. Prends une chambre, je dormirai dans le camion.

- Bon va pour une chambre. Mais il est hors de question que tu dormes dans le camion. Je ne pourrais pas veiller sur toi et tu m'as expressément demandé de t'avoir à l'œil. Je ne reviendrai pas sur ma promesse. Et sans rire, après la route je n'ai aucune envie de passer une nuit dans une boîte de conserve, même si c'est avec la perspective d'être sensuellement collée à toi, vu la largeur de la couchette. Je rêve déjà de mon plonger dans un bain chaud. Je ne vais pas y renoncer même pour tes beaux yeux. De plus, je veux être présentable pour t'accompagner à la course ce soir et ne pas avoir l'air d'une SDF sortie toute froissée de son carton.

- Fais ce que tu veux. De toute façon ce n'est pas la peine d'essayer de discuter avec toi.

- Exact, tu as tout à fait raison. »

Root prit son téléphone et effectua la réservation au nom de Jennifer Chandler.

« Voilà, c'est fait. Tu as fini ?

- Oui je voudrais juste faire remplir le thermos, tu en as bu ce matin ?

- Oui, j'avoue que tu as été bien inspirée sur ce coup, merci. »

Shaw lui adressa une grimace et se leva le thermos à la main, pour demander à la serveuse de lui remplir.

Root de son côté régla l'addition et alla attendre Shaw dehors. La halte l'avait détendue.

« Alors la petite dame ? On prend l'air ? »

Deux routiers l'observaient goguenards.

« Ça ne vous dirait pas de tenir compagnie à deux joyeux drilles en goguette et en mal d'affection.

- Vous êtes gentils, mais non. J'attends quelqu'un de tout façon.

- Ouais, on a vu. Vous êtes avec une autre fille. Bah nous sommes deux, vous êtes deux... Vous voyez nos routes étaient faites pour se croiser. »

Il s'approcha de Root et vint lui prendre le menton entre les doigts, Root s'était préparée à lui faire une clef au poignet, mais avant qu'elle n'ait bougé l'homme fut brutalement éjecté à plusieurs mètres. Shaw vérifia que Root allait bien, plongea la main dans la poche de son sweet-shirt, en ressortit son couteau et fit jaillir la lame.

« Shaw ! s'exclama Root en lui posant la main sur le poignet

- Hola, la petite dame, on se calme. On ne veut rien de mal, faut pas le prendre comme ça. »

Shaw avait les mâchoires crispées, le regard noir et le corps tendu, prêt à bondir. Elle tenait son couteau souplement devant elle, le bras légèrement replié. Il ne manquait qu'une impulsion et comme un éclair elle attaquerait. Elle égorgerait l'homme sans ciller puis par rebond sauterait sur le deuxième qui mourrait tout aussi brutalement avant d'avoir seulement pu bouger d'un millimètre. Leur arrêt de mort était inscrit sur ses traits. Root accentua la pression sur son poignet.

« Sam ! »

Shaw fixait toujours intensivement sa proie, Root passa devant elle et se plaça entre l'homme et elle.

« Filez, vite, dit-elle précipitamment en se tournant vers l'homme derrière elle. »

Puis elle reporta son attention sur Shaw, elle appuya sur son poignet la forçant peu à peu à baisser son arme.

« Oh, Sam ! Tu m'entends ? »

Shaw sembla avoir un déclic, elle secoua la tête et leva les yeux sur Root. De la colère, mais aussi de l'incompréhension se lisaient dans son regard.

« Root ! Qu'est-ce que...

- Sam, ton couteau. »

Shaw regarda sa main, prit l'air confus, le retourna dans sa main et le tendit à Root.

« Non, tu peux le garder, rentre la lame et range-le seulement. »

Shaw s'exécuta.

« Allez viens, on s'en va.

- Root... hésita Shaw

- Sam, ça va. Enfin non, ça ne va pas, mais bon, on gère pour l'instant non ? Et tu comprends pourquoi ton idée de dormir dans le camion est complètement idiote, même si c'était une plaisanterie, tu t'abstiendras dorénavant d'en refaire une du même genre. »

Shaw ne répondit pas. Elle regagnèrent le camion, Shaw s'installa sur le siège passager. Root démarra et rejoignit l'autoroute. Il lui restait au plus quatre heures de route, mais elle se sentait en forme et si la circulation ne devenait pas difficile, le trajet se s'avérerait pas trop pénible. Elle jeta un coup d'œil à Shaw en passant ses vitesses. Celle-ci était plongée dans ses pensées. Pas très joyeuses à voir l'expression sombre qu'elle affichait.

« Sam... »

Shaw baissa la tête. Elle était inquiète. Il y avait trop de coupures au cours de ses journées. Parfois, elle sentait comme un rideau tomber et elle perdait tout contact avec la réalité, pire elle avait conscience que dans ces moments là, elle ne se contrôlait plus.

« Root, je ne sais pas si c'est vrai.

- Qu'est-ce qui n'est pas vrai, Sam ?

- Tout. Toi, moi, le camion, tout ce qu'on fait. Il y a des trous.

- Donne-moi ta main Sameen. »

Root n'attendit pas que Shaw la lui donne, elle alla la chercher. Elle mêla ses doigts aux siens. Shaw la regarda faire fixant intensément leur mains enlacées.

« Tu sens ma main ?

- Mmm

- Sameen, il n'y a que ça que tu as à savoir. Cette sensation... Elle te paraît réelle ou pas ?

- Réelle, répondit Shaw en refermant doucement ses doigts sur ceux de Root.

- Pour moi aussi c'est réel Sameen, plus que réel même, alors accroche-toi à ça et ne pense plus à rien. D'accord ?

- D'accord. »

Il n'y eu ni ralentissement, ni bouchons jusqu'à Cleveland et Root n'eut pas à passer de vitesse avant de prendre l'embranchement de la 77. Durant les un peu plus de quatre heures qu'avait duré le trajet, Shaw n'avait pas prononcé un mot, elle avait fixé la route devant elle le visage impassible. Elle n'avait pas non plus lâché la main de Root.

Ensuite, elle mirent une cinquantaine de minutes pour rejoindre l'hôtel que Root avait choisi. Une fois le camion relancé sur la 77, Shaw avait repris sa main sans la regarder pour le reste du trajet et ne la lâcha qu'une fois que Root fut arrivée à la sortie 155 et n'ait quitté définitivement l'autoroute. L'hôtel n'était qu'à un quart d'heure. Il était près de 18 heures. La course était prévue à 23h30, ça leur laissait le temps de se détendre et de se préparer.

Shaw refusa de monter tout de suite, elle voulait préparer la voiture en prévision de la course. Root s'étonna. Elle croyait que Shaw avait déjà tout réglé.

« Je veux faire une révision complète avant, expliqua-t-elle, après je veux revoir entièrement le parcours avec toi, mais nous avons le temps.

- Tu ne veux pas faire une reconnaissance sur place ?

- Non, ce serait bien, mais nous n'avons pas le temps. De toute façon les cartes et les plans disponibles sont suffisants pour que j'aie une connaissance parfaite du parcours. Je n'ai pas besoin de le voir en vrai.

- Bon je te laisse alors... Sam ?

- Oui.

- Si... quelque chose ne va pas... Tu me préviens. Je peux te faire confiance ? Écoute, laisse ton téléphone près de toi. Et euh... et arrange-toi pour qu'il te regarde.

- Tu veux m'espionner ?

- Oui, je suis désolé, je sais que tu n'aimes pas ça, mais si le téléphone te regarde elle peut te regarder aussi et... euh... elle me préviendra si... s'il t'arrive quelque chose. »

Shaw la regarda et eut soudain une illumination.

« Chez toi... elle regarde n'est-ce pas ?

- Euh...

- Ta foutue machine, lança Shaw en colère, a un œil dans toutes les pièces, c'est comme ça que tu as su pour la première nuit et l'autre matin dans la salle de bain.

- …

- Root !

- Euh... Oui, c'est vrai.

- Tu fais chier Root, barre-toi maintenant, laisse-moi.

- Shaw...

- T'inquiète, je vais installer ce foutu téléphone comme tu me l'as demandé pour que ta foutue Machine et toi puissiez me voir me curer le nez à tout instant. Mais tu me laisses Root, je ne veux plus te voir... pour l'instant. »

Shaw était furieuse, Root avait prévu qu'elle le prendrait très mal si elle s'apercevait que la Machine la surveillait, la voyait, la regardait vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Elle n'avait pas eu tort. Les gens n'aimaient pas être regardés dans leur intimité. Shaw pourtant était différente, ça l'étonnait quand même que cela puisse la rendre si furieuse. Mais c'était peut-être juste parce que Root ne lui avait rien dit et qu'elle ignorait que La Machine ne la quittait jamais des yeux.

Root avait peut-être mal joué sur ce coup là. Elle prit les sacs de voyage à l'arrière.

« Shaw je peux monter ton sac dans la chambre ?

- Fous le camp Root !

- Bon, je le prends. »

Shaw fulminait littéralement et Root se dépêcha de sortir.

Shaw donna un grand coup de poing dans la parois du camion.

« Merde ! Fais chier ! »

Elle écrasa un nouveau poing et grimaça à l'impact. Elle était vraiment stupide. Ce n'était pas vraiment le moment de se blesser. Elle regarda son poing. Elle saignait aux jointures. Elle soupira encore furieuse. Puis elle se tourna vers la voiture et caressa doucement la carrosserie. Elle fit le tour de la Nissan sa main épousant chaque courbe. Elle sentait sa paume réagir aux moindres aspérités, au moindre changement de direction de la courbure des formes. Elle tendit sa main doigts relevés gardant juste un contact avec le creux de sa paume. Elle frémissait de plaisir, tous ses sens exacerbés par sa caresse et laissait le désir monter en elle. Au bout de quelques minutes, haletante, elle retira sa main. Puis elle se concentra, avec calme et méthode sur la préparation de la voiture.

Root retira les clefs à la réception. Elle abandonna son idée de partager une chambre avec Shaw et s'arrangea pour obtenir deux chambres communicantes. Elle redoutait de se retrouver coincée avec Shaw si son humeur ne s'améliorait pas. De toute façon Shaw ne le supporterait pas. Les chambres communicantes lui semblaient un bon compromis. Shaw et elle-même pourraient s'isoler si elles le souhaitaient, tout en restant à proximité.

L'hôtel n'était pas extraordinaire, confortable oui, mais pas vraiment très luxueux. Elle l'avait surtout choisi parce qu'il ne comportait que cinq niveaux et que tous les étages restaient accessibles par les escaliers. Sa proximité avec l'autoroute présentait aussi des avantages. Elle laissa une clef et une recommandation pour Shaw au réceptionniste et monta.

Elle avait envie de prendre un bain. La route l'avait fatiguée et son accrochage avec Shaw l'avait achevée. Elle ouvrit les sacs de voyage, le premier appartenait à Shaw, le second était celui que celle-ci lui avait préparé. Elle était toujours contrariée que Shaw puisse s'en être chargée sans lui avoir demandé son avis, mais curieuse de savoir ce qu'elle avait mis dedans, Root le posa sur le lit et entreprit d'en faire l'inventaire. Elle resta sidérée par ce qu'elle y trouva. D'abord, il lui confirma que Shaw possédait une haute science du rangement. Tout était plié méticuleusement et rangé pour que les vêtements se froissent le moins possible. Ensuite, elle y trouva tout ce dont elle pouvait avoir besoin en déplacement. Tout. Rien ne manquait. Tout ce qu'elle aurait aimé trouver y était. C'était complètement dingue. C'était même encore mieux que si elle l'avait elle-même préparé. Elle oubliait toujours quelque chose quand elle partait en voyage. Et là, il ne manquait absolument rien. Ce n'était même pas la peine de vérifier point par point, elle était sûre qu'il n'y manquait rien. Shaw avait même prévu l'imprévu. Il y avait plus de sous-vêtements que pour les deux ou trois jours prévus, une tenue de soirée pas trop habillée, un tailleur pantalon, deux tenues de nuit, une tenue de sport. Et au fond du sac Shaw avait pris soin de ranger deux de ses armes de poings préférées, des munitions et un taser.

Root resta interdite un moment. Comment Shaw pouvait-elle aussi bien la connaître ? La Machine elle-même, si elle s'en était chargée n'aurait pas fait mieux et Root n'était même pas sûre qu'elle ait fait aussi bien. Root se sentit tout à coup plus légère et franchement joyeuse. Elle choisit une tenue de nuit, un short et un tee-shirt, la trousse de toilette que lui avait préparée Shaw et partit en chantonnant prendre son bain.

Quand elle réapparut dans la chambre, Shaw était installée sur l'un des lits, le dos calé par des oreillers. Elle avait gardé ses chaussures et consultait un ordinateur posé sur ses genoux.

« Shaw, tu pourrais au moins retirer tes chaussures. »

Shaw les défit avec ses pied et les balança au milieu de la chambre, sans rien dire. Elle continuait à taper sur son clavier.

« Charmant, soupira Root.

- Arrête de geindre Root. Viens ici. Je veux faire le point avec toi maintenant. »

Root la rejoignit sur le lit et s'installa épaule contre épaule, à côté d'elle. Shaw avait l'air de meilleure humeur et elle n'allait certes pas la contrarier. Et puis replonger dans la course relâcherait les tensions entre elles. Elles repassèrent tout le parcours en revue. Ensuite, Shaw lui expliqua en détail comment se déroulaient les épreuves et par quelles règles elles étaient régies. Root l'écouta attentivement, demanda deux ou trois éclaircissements et assura à Shaw qu'elle avait tout enregistré. Shaw referma l'ordinateur et le posa sur la table de chevet.

« Root, il faut que je me détende. Le quartier est très boisé un peu plus au sud-est, je vais aller courir. »

Root le regarda étonnée et un peu inquiète.

« J'ai besoin de me défouler, se justifia Shaw. Courir me fait du bien, moins qu'un combat, mais il n'y a pas de salle à proximité et de tout façon je ne combattrais pas à la loyale, je suis trop énervée, ça ne serait pas une bonne idée. Une heure me suffira.

- Tu veux partir, là, maintenant, courir une heure dans la nature ?

- Oui, mais euh... je sais que tu ne vas pas m'accompagner.

- Ah ça, ça ne risque pas.

- Mais euh... hésita Shaw en détournant le regard.

- Qu'est-ce que tu veux Sam, demanda doucement Root. Vas-y dis-moi.

- C'est euh... notre accord.

- Notre accord ? Quel accord ?

- Tu dois me surveiller.

- Ah !

- Écoute Root, donne-moi une oreillette, garde le contact avec moi, je veux te sentir avec moi pendant que je cours et... euh... Dis à La Machine de... euh... enfin tu sais.

- Tu veux que la Machine veille sur toi ? s'étonna Root.

- Oui.

- Mais Sam, je croyais...

- Mais t'es vraiment une abrutie Root, s'énerva soudain Shaw. Tu piges vraiment rien. Je m'en fous de La Machine. Enfin non, je ne m'en fous pas, mais c'est toi le problème.

- Moi ?

- Tu m'as menti, hurla Shaw. Tu es la seule putain de chose à laquelle je crois et je m'aperçois que tu m'as menti.

- Sameen, je...

- Je me fous de tes excuses Root, je ne veux pas que tu me mentes. Rien n'est vrai autour de moi, je ne crois plus à rien, je sais plus si les choses sont réelles ou pas. Il n'y a que toi Root, tu es mon seul point d'attache. Si tu me lâches, je me noie. Ne me mens plus jamais. Jamais. »

Root hocha la tête. Elle se leva, chercha une oreillette dans le sac où elle avait rangé tout son matériel électronique et la lui tendit.

« Je vais me changer. »

Elle se changea devant Root comme si elle n'avait pas été là, ou comme si ça avait été la plus naturelle des choses.

« Parle-moi pendant que je cours.

- Tu veux que je te parle pendant une heure ?!

- Euh non, juste fais... fais comme si j'étais avec toi.

- Tu sais en général on ne parle pas beaucoup quand nous sommes ensemble.

- Ouais, ben fais un effort pour une fois, répliqua Shaw sèchement. »

Elle finit de nouer ses chaussures et partit, laissant Root ébahie. Elle se demanda si ce n'était pas elle qui était plongée dans une simulation, parce que non seulement elle avait entendu Shaw lui demander d'être placée sous la surveillance de la Machine, mais en plus de lui parler pendant une heure via une oreillette alors qu'elle partait s'adonner à une activité solitaire. C'était complètement sur-réaliste.

Elle se garda bien cependant, de ne pas répondre aux attentes de Shaw et à vrai dire elle prit beaucoup de plaisir à babiller pendant une heure, goûtant la joie d'être écoutée et de ne pas être en butte à des soupirs exaspérés ou des remarques désobligeantes sur la vacuité et l'ineptie de ses paroles. Bref, elle passa une heure absolument délicieuse.

« Ce que tu peux être bavarde, déclara Shaw quand elle rentra une heure plus tard, dégoulinante de sueur. »

Root lui sourit et Shaw lui renvoya son sourire. Root la gonflait parfois, mais elle avouait avoir apprécié sa compagnie durant sa course. Il ne faisait pas trop chaud, l'environnement était agréable et elle s'était efforcée de maintenir un rythme soutenu pendant tout le parcours. C'était la première fois qu'elle courait juste pour le plaisir depuis... depuis qu'elle était tombée aux mains de Samaritain. Elle avait été envahie par un merveilleux sentiment de liberté, et la voix babillarde de Root l'avait protégée des noires pensées qui parfois l'assaillaient et menaçaient de l'étouffer. La course, Root, La Machine, elle s'était sentie totalement libre et en parfaite sécurité.

Shaw prit une douche et elle partirent dîner dans un petit restaurant à proximité de l'hôtel. Ils servaient des grillades, des pan-cakes, des sandwichs chauds ou des clubs. C'était parfait pour un repas rapide. Elles mangèrent assez léger. Root parce qu'elle ne mangeait jamais beaucoup, Shaw en prévision de la course. Le dîner fini, elle rentrèrent à l'hôtel. Il était un peu plus de 21 heures.

Shaw s'étendit sur un lit et ne bougea plus.

« Sam ? Tu connais tes concurrents ?

- Non.

- Je pensais que connaître ses adversaires étaient stratégiquement un avantage. Pourquoi n'as-tu pas demandé à La Machine qui concourait ce soir ?

- Parce que ça n'a aucune importance. Je cours pour moi. Les autres ne comptent pas. »

Une heure plus tard, elles se préparèrent à partir. Shaw recommanda à Root de porter le tailleur pantalon, lui précisant qu'il serait judicieux qu'elle tienne ce soir son rôle d'avocate d'East Side. Root obtempéra. Une fois habillée et maquillée, elle accrocha un pistolet à l'arrière de sa ceinture, vérifia le bon fonctionnement de son taser et le glissa dans une poche de sa veste. Shaw se munit pour une fois d'un holster qu'elle fixa à sa ceinture sur le côté, à l'endroit où il la gênerait le moins quand elle piloterait, et s'assura de la présence de son couteau dans sa poche. Elle regagnèrent le camion et Shaw sortit la voiture. Root referma le camion et vint s'installer à ses côtés. Elle boucla, cette fois sans difficulté son harnais et adressa un grimace pleine de promesses à Shaw.

« Emmène-moi au septième ciel Sameen ! »

Shaw sourit en coin et démarra. Elle, elle était déjà au septième ciel ou... ça n'allait, de tout façon, pas tarder.


Texte publié par Mélicerte, 18 décembre 2016 à 21h34
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