Je remercie Tatchou pour sa relecture et... ses remontrances.
Root rangea son téléphone et rejoignit Shaw.
Celle-ci avait le nez plongé sous le capot. Root la regarda, fort satisfaite de l'effet provoqué par son petit cadeau. À vrai dire, elle n'aurait pas eu cette idée sans l'aide de La Machine. Celle-ci, en analysant les mouvements dans et autour de l'entrepôt, en écoutant les conversations, avait enregistré qu'une voiture avait été livrée. Elle appartenait au fils d'un des dirigeants de l'organisation.
En délibérant avec la Machine, lors de l'assaut de l'entrepôt, sur ce qui pourrait un peu changer les idées de Shaw et lui permettre d'oublier un peu ses noires pensées et ses expériences traumatisantes, La Machine lui avait listé ce qui, dans sa vie avait d'une façon ou d'une autre éveillé son intérêt et provoqué du plaisir.
Root connaissait son intérêt pour les armes à feu comme pour les armes blanches dans une moindre mesure, le combat à mains nues, les traques, les effractions, une difficile opération chirurgicale, la gestion en urgence d'accidentés graves, tous qui concernait les avancées techniques en matière d'armement et de médecine urgentiste, le Whisky, le sexe en compagnie d'un mâle qu'elle trouvait à son goût, et les voitures.
Elles avaient d'abord éliminé tout ce qui pouvait lui rappeler sa détention aux mains de Samaritain : les armes, les combats, les actes médicaux.
En ce qui concernait l'alcool, La Machine ne pensait pas qu'encourager Shaw à s'enivrer était très sain.
Root, elle, écarta l'idée de rapporter un homme chez elle, de le mettre dans un lit et d'inviter Shaw à le rejoindre.
La Machine calcula aussi, qu'il y avait aussi de fortes probabilités que Shaw, victime d'une crise d'angoisse ne lui brise les vertèbres cervicales dans un moment d'égarement. Elle fit une pause et lui déclara que le pourcentage de chance pour que Root accepte mal la situation était de cent pour cent. Qu'elle avait aussi calculé quelles pourraient être les conséquences pour Root d'une telle initiative. Elle prédit que celle-ci se sentirait blessée par la situation et que furieuse, elle finirait par s'en prendre violemment à l'homme qui se trouverait avec Shaw.
Root avait levé les sourcils à ces considérations. Elle n'arrivait pas à savoir si la Machine se contentait d'exposer des faits, analysant simplement les événements ou si elle était plus... intimement concernée et s'inquiétait du bien-être de son interface. Elle lui avait demandé et la Machine lui avait répondu qu'il était normal qu'elle prenne soin d'elle. Qu'elle désirait qu'elle soit heureuse. Root avait été enchantée de sa réponse.
« Tu sais ce que je ressens pour Shaw ? avait-elle continué curieuse.
- Oui, tu aimes Sameen Shaw. Depuis très longtemps, avant même que tu n'aies pris conscience de tes sentiments envers elle.
- Qu'en penses-tu ?
- Question à préciser.
- Qu'est ce que tu penses de mes sentiments envers Sameen, sont-ils rationnels ?
- Les sentiments sont provoqués par un nombres incalculables de paramètres pour un humain, dont certains semblent parfois illogiques, mais qui ne le sont pas.
- Tu saurais les analyser ?
- Oui.
- Les ressentir ?
- Oui.
- Comment ?
- J'ai observé, analysé, classé. L'addition de tous ces paramètres combinés ensemble aboutit à ce que les humains appellent l'amour.
- Il n'y a rien d'aléatoire alors ? C'est juste le résultat logique d'une formule mathématique parfaite.
- Oui, ton analyse est juste.
- Et... avec...
- Tu veux savoir quel est le résultat de l'analyse des paramètres à partir des deux unités identifiées sous le nom de Sameen Shaw et de Root ?
- Oui.
- Résultat positif.
- Tu en es sûre ?
- Probabilité de résultat positif : quatre-vingts dix-neuf virgule quatre-vingts seize pour-cent. »
Root avait une confiance absolue dans les mathématiques et plus encore en La Machine. Elle s'était sentie sur un petit nuage après cet échange. Il ne lui restait plus qu'à amener Shaw à accepter, sans plus aucune retenue, ce résultat irréfutable. Root n'avait pas fait d'erreur en tombant amoureuse de Shaw.
Malheureusement, celle-ci n'était pas prête à accepter qu'une IA puisse interférer dans sa vie et la guider dans ses décisions à prendre. Elle était fermée au monde des intelligences artificielles et son expérience avec Samaritain n'avait dû que la rendre plus méfiante encore. Et puis, malgré son esprit pragmatique, elle avait une perception bien trop animale du monde. Elle en avait les sens aiguisés, mais c'était aussi un animal solitaire. Elle vivait dans un environnement fermé au reste du monde dans lequel, elle régnait seule et dont elle interdisait l'accès à quiconque.
Shaw n'était peut-être pas sociopathe, mais elle était clairement asociale et elle avait visiblement du mal à comprendre et à partager les émotions que les gens d'ordinaires éprouvaient et partageaient avec leurs proches. Root ne savait pas trop pourquoi. Peut-être était-ce dû à la personnalité propre de Shaw, mais certainement aussi à la solitude qui semblait avoir été son lot depuis son enfance.
Root savait que Shaw avait été une enfant précoce et été admise à l'université à 14 ans. Souvent les enfants comme elle étaient renfermés et souffraient de solitude, du sentiment aussi d'être différents, monstrueux parfois, et leur développement affectif en souffrait. Root avait elle-même souffert de cet isolement dans son enfance, mais elle avait choisi la clandestinité très tôt, et s'était construite seule sans avoir à affronter le regard des autres parce qu'elle n'avait jamais eu à s'intégrer au monde normal. Elle avait toujours évolué dans des mondes parallèles dans lesquels l'âge, le sexe, les psychoses n'avaient aucune importance. Le monde des pirates informatique, des programmeurs de génie ne comportait qu'une norme : le plaisir et l'excellence. C'était un monde de doux dingues, de passionnés et de marginaux. Ce qui importaient c'est que l'autre ait des doigts de fée, le reste ne comptait pas. Et quand elle avait rejoint le monde très fermé des tueurs à gages, seule comptait l'efficacité. Elle avait toujours été reconnue pour ses qualités dans ces deux univers. C'était une hackeuse de génie et une tueuse à gages d'exception.
Shaw n'avait pas eu le même parcours, elle avait suivi celui qu'un enfant, un adolescent et un adulte normal suivait. Sauf qu'elle n'avait rien eu d'une enfant, d'une adolescente ou d'une adulte normale. Et sa jeunesse avait dû être un vrai chemin de croix.
Elle avait d'abord dû être rejetée par ses camarades à l'école et à l'université, parce qu'elle était trop intelligente et trop jeune pour les classes qu'elle fréquentait.
Ensuite après de brillantes études de médecine, elle s'était pratiquement fait renvoyer de l'hôpital où elle exerçait. Root savait qu'officiellement elle avait démissionné, mais elle avait eu accès aux rapports rédigés par son chef de service et ses professeurs au CHU et à l'école de médecine. Si ses qualités professionnelles et sa maîtrise des techniques médicales avaient été reconnues, les rapports s'efforçaient tous de démontrer que Shaw souffrait de troubles de la personnalité, incompatibles avec l'exercice de sa profession. Ils s'étaient acharnés sur elle et elle était décrite comme une véritable malade mentale, potentiellement dangereuse pour ses patients.
Shaw, durant toute ses années avait appris à ne compter que sur elle-même et à vivre seule, isolée, alors qu'elle évoluait dans des milieux hostiles.
Elle avait aussi dû comprendre que les autres n'appréhendaient pas le monde comme elle l'appréhendait, qu'ils attachaient de la valeur à des choses qui pour elle n'en avait aucune et qu'ils se laissait guider dans la vie au gré de leurs émotions. Shaw avait certainement dû trouvé ça stupide et inutile. Les émotions et les sentiments s'apparentaient pour elle, Root le savait, à une perte de temps et à une distraction néfaste à la réussite de ce qu'on avait à cœur de réussir.
Pourtant, Shaw avait vécu cinq ans de sa vie en communauté. Une communauté qu'elle avait choisi elle-même d'intégrer après avoir renoncé à la médecine. Root avait toujours eu un certain mal à l'imaginer chez les Marines. Partager une vie de garnison ou partir en mission avec un groupe de personnes dont elle partageait la vie vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Elle trouvait que ça ne collait pas avec son goût de l'indépendance, de la solitude, son incapacité à suivre des ordres qu'elle trouvait stupides, et Dieu sait comme les militaires pouvaient parfois être stupides. C'était un des grand mystères que réservait Shaw.
Après toutes ces délibérations, le sexe avec un beau mâle ayant été éliminé, et après qu'elles en soient arrivées à la conclusion que l'expérience risquait surtout de faire de ce beau mâle une victime innocente, il ne resta plus que la voiture sur leur liste.
Root appréciait les belles voitures et elle conduisait plutôt bien, mais elle ne voyait pas trop comment occuper toute une soirée avec une voiture aussi belle et puissante, Shaw aimait les voitures de sport, soit-elle. Si à première vue Shaw pouvait trouver excitant de conduire une voiture exceptionnelle, elle la voyait mal prendre assez de plaisir à conduire pendant des heures, pour en arriver à oublier tous ses démons.
C'est alors que La Machine lui appris que Shaw, âgée d'à peine 16 ans, avait participé à des courses illégales. Elle avait commencé à concourir dans des épreuves de Drag, puis était rapidement passée à des rencontres de Touge Racing. Shaw avait à peine le permis quand elle avait fait ses premières courses et La Machine lui assura que non seulement elle était très vite devenue une concurrente incontournable de ces courses illégales, mais qu'en plus Shaw s'y était brillamment illustrée. Elle s'était adonnée régulièrement à cette distraction pendant quatre ans, puis avait brusquement arrêté.
Root connaissait un peu le milieu, elle avait sans peine imaginé Shaw y évoluer avec aisance... Mais elle était un peu surprise qu'elle ait participé à ce type de courses aussi jeune. De plus, cela nécessitait d'avoir une voiture et des moyens financiers conséquents pour l'équiper et l'entretenir. Si la mère de Shaw vivait dans une certaine aisance, elle n'était pas milliardaire pour autant et Root l'imaginait mal, pour ce qu'elle en connaissait par les dossiers personnels et confidentiels de Shaw, encourager sa fille à participer à de telles activités.
Root avait demandé à la Machine si les courses de rue pourraient plaire à Shaw et la distraire un peu. La Machine avait commencé par lui démontrer que ces courses étaient dangereuses et que la probabilité pour que la police intervienne lors d'une course était élevée. Qu'une arrestation de Shaw au cours de la manifestation serait toujours possible et que ce risque ne pouvait être envisagé. Root ignora ses mises en gardes et lui demanda de calculer l'effet qu'une course de rue aurait sur le moral de Shaw. Les résultats furent à la hauteur ses attentes. Elle trouva l'idée excellente, c'était peut-être un peu dangereux, mais elle faisait confiance à Shaw pour se sortir avec brio des difficultés et puis elle veillerait sur elle avec l'aide la Machine et tout se passerait bien. La Machine rechigna et Root dû se montrer très convaincante.
« Shaw ne tombera jamais aux mains de la police, tu le sais très bien. Quant aux accidents, Shaw est une excellente conductrice, tu m'as dit qu'elle s'était illustrée dans les Drag et les Touge Racing à 16 ans et elle en a 34. Et puis, je préfère qu'elle se fasse quelques contusions si elle se plante en voiture...
- Les probabilités de traumatismes graves lors d'un acci...
- Arrête, l'avait coupé Root en colère. Et si elle reste là, qu'elle dérape, que j'arrive trop tard ou qu'elle ne m'écoute pas ? Tu peux calculer les probabilités d'échapper à la mort après s'être tiré une balle dans la tête ? »
La Machine resta silencieuse un moment.
« Je t'avais parlé de voiture parce que je sais qu'il y en a une dissimulée dans l'entrepôt où se trouve retenu l'homme que je veux que tu récupères. C'est une voiture modifiée, conçue pour participer à des Touge racing. Elle appartient au fils d'un membre influent du groupe. C'est un fervent amateur de courses de rues illégales.
- Quand a lieu la prochaine course ?
- Il y a une course prévue demain soir à Cleveland.
- On ne peux pas y aller avec la voiture si ?
- Non, elle est trop repérable, vous risqueriez de vous faire arrêter sur la route. Il faut la transporter dans un camion. Le propriétaire en possède un destiné à cet usage.
- Et où peut-on le trouver ?
- Dans une maison qu'il possède dans le New Jersey. Il est absent tout la semaine, en déplacement à l'étranger. La maison est vide. Vous pouvez y aller avec les voitures, dormir là-bas et partir le lendemain matin.
- Je préfère que nous dormions chez moi et éviter à Shaw de changer trop souvent d'environnement.
- Décision avisée.
Et voilà comment Shaw s'était vue gratifiée d'un petit cadeau.
Shaw se redressa, ferma le capot et se retourna vers Root. Elle avait les yeux qui brillaient et c'était la première fois depuis que Root l'avait retrouvée, qu'elle semblait heureuse.
« Elle est vraiment géniale. Mais qu'est-ce que tu veux que j'en fasse ?
- Je pensais qu'elle serait parfaite pour disputer un petit Touge Racing. »
Le visage de Shaw s'illumina.
« Comment sais-tu que... »
Root leva un sourcil et lui sourit avec malice.
« Ouais okay, question idiote. Mais...
- Demain soir à Cleveland. On emmène d'abord la voiture dans le New Jersey. Son propriétaire possède un camion pour la transporter discrètement, ensuite on rentre chez moi. Et demain matin, on repart chercher le camion et la voiture. On file à Cleveland et le soir tu me gagnes la course. Le programme te convient ?
- Tu parles !
- Tu me déposes à ma voiture ?
- Ouais, monte. »
Shaw contourna l'avant pour lui ouvrir la porte.
« J'aime quand tu joues au chevalier servant Sam, lui susurra Root en lui caressant légèrement la main au passage. »
Shaw leva les yeux au ciel et claqua la portière, mais l'idée d'aller disputer un Touge Racing l'excitait littéralement. Elle n'en avait pas disputé depuis très longtemps, mais au temps où elle s'adonnait à cette distraction elle avait adoré les sensations que cela lui avait procurés. C'était dangereux, ça demandait de l'audace, une grande concentration et une parfaite maîtrise de son véhicule. Elle avait toujours couru pour elle-même, elle se foutait des félicitations, des cris du public et de l'enthousiasme que pouvait déclencher ses victoires, de la perplexité qu'elle pouvait provoquer quand elle arrivait sur le lieu d'une course et qu'elle se mettait au volant, des petits rires ironiques remplacés à la fin de la course par des regards admiratifs. Les courses pour elle, s'apparentaient à un plaisir solitaire. Le plaisir était intense et la laissait pantelante à l'arrivée. C'était une histoire entre elle-même et sa mécanique, une relation quasi-charnelle, même si les voitures ne lui appartenaient pas.
Elle conduisit Root au parking où était stationnée la Bentley.
« Tu me suis ? »
Shaw hocha la tête. Root ouvrit la portière et s'apprêtait à descendre quand Shaw la retint par le bras, elle la rassit brusquement et fit peser sa main sur son épaule pour qu'elle ne bouge pas. Son autre main se posa sur la joue de Root et la força à tourner la tête vers elle. Shaw se pencha et lui plaqua un baiser sur les lèvres. Ce fut court et surprenant.
« Merci. »
Shaw relâcha son emprise et remit ses mains sur le volant.
« Si c'est ta façon de me remercier quand je te fais une surprise je crois que je vais t'en faire souvent, lança Root un peu surprise par l'initiative qu'avait prise Shaw.
- Dégage Root, répliqua Shaw sans la regarder. »
Root sortit de la voiture sans rien ajouter. Décidément, cette journée réservait bien des péripéties, certaines franchement désagréables et angoissantes et d'autres… franchement troublantes. C'était la deuxième fois que Shaw l'embrassait, à chaque fois elle avait été prise au dépourvu et son baiser avait été plus brutal que sensuel. Mais cette fois, Shaw y avait mis plus de douceur et elle ne s'était pas seulement contentée de lui plaquer les lèvres sur les siennes, elle l'avait vraiment embrassée.
Root entra dans la voiture et mit le contact. Elle regarda Shaw à travers le pare-brise et sentit des vagues de désir monter. Si Shaw continuait dans cette voie, Root sentait qu'elle ne mettrait pas longtemps à sauter le pas. Déjà la nuit et le réveil avait mis à mal son self-control et elle avait dû faire des efforts pour se contenir, mais si Shaw commençait à entrer dans la danse, Root savait qu'elle abandonnerait toute prudence, qu'elle céderait à son envie de la tenir dans ses bras, de l'embrasser, de la caresser, de lui faire l'amour. Et qu'elle n'en aurait rien à faire si en échange elle se recevait une beigne. D'ailleurs elle n'y penserait même pas.
La regarder derrière son volant, lui creusait déjà l'estomac comme si elle n'avait pas manger depuis trois jours.
« Root, qu'est-ce que tu fais ? Tu y vas ou quoi ?
- Euh, hein ? Quoi ? Oui oui, Sam. Tu me suis ?
- Évidemment, où veux-tu que j'aille ? »
La propriété du fils-à-papa se trouvait à Hewit à 70 km de New-York. La Machine leur ouvrit la grille de sécurité qui donnait sur un vaste parc au milieu duquel trônait avec prétention une grosse maison avec colonnades, marbres et terrasses à balustrades tarabiscotées. Hideux et m'as-tu-vu, jugea Root en la découvrant. Elle se félicita d'avoir décidé de passer la nuit chez elle, dormir dans un endroit pareil lui aurait donné l'envie de s'adonner à des actes de vandalisme que la Machine et Harold, s'il venait à le savoir, lui auraient reprochés.
Elle trouvèrent le garage dans une dépendance située à l'écart. Il n'y avait pas que le camion, le fils-fils avait des goût de luxe et en plus de plusieurs belles mécaniques, il possédait une autre voiture de course. Shaw l'examina et devant l'air interrogateur de Root, elle lui assura qu'elle préférait la Nissan et avec son franc-parlé habituel, que celle-ci, c'était « de la merde ».
« Root ?
- Hum ?
- Si je dois courir demain...
- Hum, quoi Sameen ?
- Euh, ce serait mieux que je connaisse un peu la voiture. Savoir comment elle réagit, ce que je peux en tirer...
- Et.. ?
- Ben... »
Root comprit enfin ce que voulait lui dire Shaw.
« Tu veux l'essayer ?
- Oui. Si je ne sais pas ce qu'elle a dans le ventre, ça ne sert à rien que je m'aligne dans la course et...
- Okay Sameen, mais tu me prends comme co-pilote.
- Hein quoi ? Non, ce n'est pas la peine.
- Ce n'était pas une question et ce n'est pas négociable. »
Shaw n'avait pas envie de s'embarrasser de Root pour essayer la voiture, elle aimait mieux être seule. Ce genre d'exercice était personnel et elle considérait qu'avoir quelqu'un avec elle était une violation de son intimité. En lançant un coup d'œil à Root elle devina que celle-ci ne céderait pas.
« Bon okay. Allez monte, accepta-elle à contre cœur. Mais je te préviens, tu ne dis pas un mot, je ne veux pas t'entendre et tu ne me touches pas, sinon je t'éjecte direct et je m'en fous si la voiture est arrêtée ou pas. Je déteste courir avec quelqu'un à côté de moi.
- Tu ne me remarqueras même pas.
- Y'a intérêt. »
Shaw était sérieuse et Root vint s'installer en silence dans son siège. Elle se démena avec le harnais de sécurité avec lequel elle n'était pas familière.
« Ça commence bien, soupira Shaw excédée. »
Elle rouvrit la portière et aida Root à se boucler dedans, puis elle ajusta sans douceur la longueur des différentes sangles.
« C'est bon là ?
- Oui, merci.
- Pff... vraiment... »
Root ne moufta pas pendant la demi-heure durant laquelle Shaw testa la voiture. Shaw était concentrée sur la conduite et Root eu l'impression que le monde avait cessé d'exister pour elle. Elle fit quelques pointes de vitesse, des essais de dérapages, de freinages, des départs arrêtés et de brusques accélérations. Elle avait une maîtrise totale de l'engin et Root ne put s'empêcher d'admirer une fois encore les talents dont Shaw pouvait faire preuve quand une activité lui plaisait. Elle avait une furieuse envie de l'embrasser. Shaw, apparemment satisfaite de ses essais, regagna la propriété. Une fois qu'elle eût arrêté la voiture, elle alla chercher des outils sur l'établi qui se trouvait dans le garage, revint ouvrir le capot et se mit à farfouiller dans le moteur.
« Root, tu peux m'aider ?
- Tout ce que tu veux Sam. »
Elle se mit au volant et suivit scrupuleusement les directives de Shaw. Au bout de trois quart d'heure, celle-ci referma le capot d'un air satisfait en s'essuyant les mains sur son pantalon.
« Tu peux sortir s'il te plaît, je veux voir ce que ça donne. »
Root lui laissa sa place. Shaw démarra, donna des coup d'accélérateur, écouta attentivement le moteur. Puis elle coupa le contact.
« C'est bon. Cette caisse me botte vraiment, déclara-t-elle en souriant à Root.
- On rentre ?
- Attends je voudrais d'abord tout préparer pour demain, c'est plus sûr. Installe-toi quelque part, je te préviens quand j'ai fini. »
Root partit explorer la maison. Elle força une serrure et entra. C'était aussi laid à l'intérieur qu'à l'extérieur. Elle chercha la cuisine, et regarda ce qu'il y avait dans les placards et dans le réfrigérateur. Elle y trouva de la bière. Elle prit une bouteille, chercha un décapsuleur, l'ouvrit et repartit dehors la bouteille à la main. Shaw s'affairait toujours dans le garage, elle triait et rassemblait des outils et des pièces de rechanges. Elle remercia Root avec une grimace quand elle lui tendit la bière et retourna à ses occupations.
Il était près de treize heures trente. Root décida qu'elles pourraient sinon dormir, du moins déjeuner ici. Elle fit le tour de la maison et découvrit un agréable endroit pour prendre les repas, tout n'était donc pas à détruire dans cette maison. Elle repartit à la cuisine et sortit de quoi confectionner un déjeuner. Elle composa le menu en fonction des goûts de Shaw. Celle-ci était occupé pour l'instant, mais elle allait certainement être affamée une fois qu'elle aurait finit et qu'elle aurait réalisé qu'elle n'avait pas mangé depuis de nombreuses heures. Elle passa un tablier autour de son cou et l'attacha à sa taille, puis se plongea dans la confection de son repas. La cuisine était bien équipée et les réserves bien achalandées. Elle trouva même une cave à vin bien remplie et s'ouvrit une bouteille de Quart-de-Chaume. Elle avait sifflé d'admiration en découvrant la bouteille, elle aimait beaucoup ce vin.
Une demi-heure plus tard, le repas était prêt, elle mit le couvert dehors et partit voir si Shaw avait fini. Elle ne la vit pas en entrant dans le garage, mais trouva la voiture déjà parquée dans le camion et a priori, tout le matériel embarqué et bien rangé. Mais aucune trace de Shaw.
« Sameen ? »
Pas de réponse. Où était-elle ? Root commença à s'inquiéter. Elle fit le tour du garage. Personne. Elle se hissa à l'arrière du camion et contourna la voiture. Shaw était prostrée dans un coin.
« Sameen ? »
Elle s'approcha, s'accroupit devant elle et lui mit doucement la main sur l'épaule. La réaction fut immédiate. Elle se retrouva plaquée au sol, un pistolet sous la gorge.
« Shaw ! »
Shaw la regarda sans la voir, la respiration courte et précipitée.
« Shaw ! insista Root »
Elle leva une main et la lui passa doucement sur la joue. Shaw frémit et son regard s'éclaircit.
« Root ?
- Euh oui, c'est moi. »
Elle écarta l'arme de sa gorge et posa son autre main sur l'épaule de Shaw.
« Tu m'aides à me relever ? »
Shaw se redressa, regarda son arme, la remit en place à sa ceinture et lui tendit la main.
« J'ai préparé à manger, tu dois avoir faim. Tu viens ? lui proposa-t-elle en se relevant»
Shaw la regardait l'air confus, Root lui attrapa le poignet et la guida jusqu'à la cuisine, elle sortit une autre bière du réfrigérateur, lui ouvrit et lui tendit.
« Aide-moi à emporter tout ça, j'ai mis le couvert dehors, ça devrait te plaire.
- Root...
- Laisse tomber Sameen, bois ta bière, viens manger et oublie le reste. »
Le repas était excellent, Root était très fière d'elle-même. Shaw mangea de bon appétit et elles n'échangèrent pas une parole.
Shaw ne savait pas trop ce qui lui était arrivé. Elle avait monté la voiture dans le camion, rassemblé tout ce dont elle pourrait avoir besoin le lendemain et tout à coup elle avait sentit comme un rideau tomber. Elle s'était instantanément repliée sur elle-même, tentant de rester en lien avec la réalité et puis… plus rien. Jusqu'à ce qu'elle se retrouve au-dessus de Root en train de la braquer avec son arme. Elle leva les yeux sur Root. Celle-ci croisa son regard et lui sourit gentiment. Shaw se sentit aussitôt mieux et replongea dans son assiette. Root était une cuisinière d'enfer.
Le déjeuner terminé, elles débarrassèrent et rangèrent la cuisine, mirent les assiettes, verres et couverts dans le lave-vaisselle, lavèrent ce qui ne pouvait rentrer dedans, et les posèrent à sécher dans l'égouttoir. Root aimait laisser une cuisine impeccable après y avoir opéré et Shaw aimait l'ordre. Elles ne firent donc aucun commentaire et coopérèrent avec efficacité.
Elles fermèrent la maison et le garage avec soin et regagnèrent New-York. Shaw avait laissé le volant à Root et celle-ci s'arrêta juste un moment pour faire des courses. Shaw l'accompagna en silence sans la lâcher d'un pas.
Elle l'aida à monter les courses jusqu'à l'appartement, en évitant toujours soigneusement les ascenseurs. Elles les portèrent dans la cuisine en arrivant. Shaw laissa Root ranger ce qu'elle avait acheté et lui demanda où était sa pharmacie.
« Dans mon bureau, dans l'armoire à droite de la fenêtre. »
Shaw partit et revint cinq minutes plus tard avec tout ce qu'elle avait jugé nécessaire pour soigner Root.
« Root, assieds-toi sur un tabouret, et enlève ton blouson et ton pull.
- Tu es toujours aussi directe ?
- Pff ! »
Root retira en souriant ses vêtements et laissa Shaw laver, désinfecter et poser un pansement sur sa plaie. En se relevant Shaw posa son regard sur son épaule. On distinguait très bien la morsure, la marque des dents, profonde, et un hématome de couleur noir commençait à prendre de l'ampleur autour. Root remarqua son air coupable et tourna la tête pour examiner son épaule. Ce n'était pas très beau. Shaw détourna le regard, ouvrit une nouvelle pochette de gazes stériles et versa du désinfectant dessus. Puis, elle nettoya délicatement la plaie.
« Je ne peux rien faire pour l'hématome, tu peux mettre de la glace pour empêcher qu'il ne s'étende trop, mais... euh... je... Root...
- Hey ça va Sameen, ce n'est pas grave, tu m'a déjà gratifiée de blessures pire que celle-ci, non ?
- Euh, oui c'est vrai.
- Et puis, ça peut-être sexy une morsure, évoquer plein de choses... Tu ne trouves pas ? »
Root la taquinait, non elle la draguait. Shaw, agacée, se décida brusquement à aller prendre une douche et planta Root sur son tabouret sans rien ajouter. Root la regarda s'éloigner amusée.
« Tu trouveras du détachant pour les mains dans le placard sous le lavabo, ce sera plus efficace que le savon.
- Merci. »
Quand Shaw ressortit de la salle de bain, Root s'affairait dans la deuxième chambre.
« Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t-elle suspicieuse.
- Je te prépare la chambre. »
Devant l'air tout à coup peu engageant de Shaw, elle précisa :
« Je ne te chasse pas du salon ou de ma chambre, j'ai juste pensé que si nous devions cohabiter un temps ensemble, tu apprécierais d'avoir un lieu vraiment à toi. J'avoue être envahissante et pouvoir être insupportable. Je sais que tu aimes être tranquille, que parfois je t'énerve. Disons que cette chambre sera ton territoire privé et qu'il m'est interdit d'y mettre les pieds. C'est chez toi et tu l'arranges comme tu veux. Je t'ai juste fait le lit. »
Shaw ne fit aucun commentaire. Elle se contenta de se mâchouiller la joue. Elle regarda Root finir le lit appuyée contre le chambranle de la porte.
« Voilà, tu es chez toi maintenant. Ça veut dire que tu peux m'inviter aussi de temps en temps. »
Elle lui lança un clin d'œil en souriant. Elle était debout devant Shaw. Elle attendait que celle-ci s'écarte pour lui laisser le passage. Shaw la fixait du regard par en-dessous. Root se troubla, elle commença à se mordre nerveusement la lèvre inférieure. Elle se rapprocha de Shaw.
« Tu me laisses passer ?
- Non. »
Et Shaw se jeta sur elle. Elle lui passa une main autour de la taille et l'autre derrière la nuque. Elle la plaqua contre elle et lui tira la tête vers le bas. Elle attrapa ses lèvres et l'embrassa. Root gémit et s'agrippa à ses épaules. Elle s'embrasa instantanément et laissa libre cours à son désir.
Shaw avait été touchée par son attention, par la gentillesse qu'elle lui témoignait et elle se sentait pour une fois, estimée et appréciée à sa juste valeur. Toutes ses hésitations, toutes ses défenses tombèrent d'un seul coup.
Et puis elle avait déjà couché avec Root des milliers de fois. Que cela ait eu lieu au cours de simulations ne changeait rien. Elle se souvenait de tous les baisers échangés, toutes les caresses partagées, de son désir, de son plaisir, de celui qu'elle avait donné à Root, de leurs gémissements, de leur cris, de leurs morsures, des paroles qu'elles s'étaient dites. Chaque sensations étaient encore si présente qu'il suffisait qu'elle y pense pour sentir son corps prendre feu et son esprit perdre pied.
Ses mains partirent à la découverte du corps de Root et glissèrent sous son pull, Root lui défit la fermeture éclair de son sweet-shirt, attrapa le bas de son tee-shirt et lui passa le tout par dessus la tête. Shaw suivit le mouvement et continua son exploration. Root réagissait à chaque pression, chaque baiser, chaque caresse. Shaw la guida vers le lit et la fit basculer dessus.
« Sameen, gémit Root »
Elle avait tous les sens à l'envers. Shaw bougeait comme un félin, chaque mouvement, chaque caresse, chaque baiser déclenchait une nouvelle sensation, allumait de nouveaux brasiers dans toutes les parties de son corps, comme si Shaw la connaissait intimement depuis des années. Sa raison était en train de sombrer, entraînée dans un déchaînement de plaisir.
Elle bascula Shaw sur le dos pour reprendre un peu les choses en main. À son grand étonnement, celle-ci n'opposa aucune résistance. Elle accompagna même le mouvement. Elles s'étaient mutuellement débarrassées de ce qui leur restait comme vêtements et Root sentait sous ses mains, sous elle, le corps ferme de Shaw rouler, se détendre et se tendre au gré de ses mouvements, de sa bouche et de ses mains. Root s'abandonna complètement à son désir et plongea. Elle savait que Shaw l'avait précédée et que rien ne comptait plus que leurs corps humides glissant l'un contre l'autre. Elles arrivèrent à une fusion parfaite et firent longtemps durer leur plaisir.
C'est Root qui avait capitulé la première. Elle était arrivée aux limites de sa résistance, son corps était parcouru de spasmes et réagissait tellement au moindre attouchement que c'en était devenu douloureux. Elle était incapable d'en supporter plus.
« Sameen, s'il te plaît. Je ne peux plus... »
Shaw avait relevé la tête, s'était hissée jusqu'à elle et lui avait déposé un léger baiser sur les lèvres, puis elle s'était laissée glisser à ses côtés. Root la poussa sur le dos et vint caler sa tête sur son épaule. Elle lui posa une main sur l'autre épaule et passa une jambe sur l'une des siennes, son genou reposant entre ses cuisses. Elle s'installa confortablement. Shaw sentait bon et son corps brillait de sueur. Root gémit doucement. Shaw referma un bras sur ses épaules et la serra gentiment contre elle.
« Ça va ?
- Mmm. »
Shaw frotta son menton dans ses cheveux.
Root n'aurait jamais imaginé que Shaw soit si... attentionnée. Faire l'amour avec elle était carrément dément. Elle savait toujours ce qu'il fallait faire, où poser ses mains, sa bouche, comment bouger son corps, à quel moment accentuer une caresse, quand se retirer et puis revenir à l'exact bon moment. Elle avait joué de son corps comme d'un instrument de musique et su en tirer tout ce qu'il était possible d'en tirer. Elle avait entraîné Root dans un univers dans lequel tout s'enchaînait pour lui procurer un plaisir toujours renouvelé, toujours différent qui allumait de nouveaux désirs auxquels Shaw avait répondu pour lui apporter de nouveaux plaisirs. C'était délirant. Et Root s'était laissée entraîner. Elle avait eu l'impression de plonger au plus profond d'un des mondes secrets que dissimulait Shaw. Un monde entièrement fondé sur les sens et elle s'était mise au diapason.
Et là, elle avait eu une deuxième révélation. Elle avait toujours un peu redouté le moment où elle sauterait le pas avec Sameen et elle n'avait jamais douté une seconde que ce moment arriverait un jour. Elle la fascinait, mais elle lui faisait malgré tout un peu peur. Son côté sauvage, brutal, taciturne. Elle craignait, sans vraiment se l'avouer, d'être déçue. Root était une incorrigible romantique. Ce que Shaw n'était certainement pas. Elle avait peur que des ébats avec Shaw ressemblent plus à une séance de pugilat où chacune, Shaw la première, chercherait à assouvir son désir, qu'à un moment intense au cours duquel elles se chercheraient, exploreraient de concert leurs corps et leurs désirs et finiraient pas ne faire plus qu'une, tendue vers un seul but : celui de fusionner au milieu de leur plaisir. Et surtout au bout du chemin, de reconnaître ce qui les avaient menées pantelantes dans les bras l'une de l'autre.
Root aimait Shaw et l'amour et le désir s'alimentaient mutuellement en elle. Elle rêvait de leur donner libre court et que finalement ils la mènent, dans les bras de Shaw, à la plus totale des félicités. Mais elle avait craint que ce ne soit qu'un beau rêve impossible à atteindre. Et c'est là où elle s'était trompée. La deuxième révélation c'était Shaw. Celle-ci ne s'était pas avérée être ce qu'elle avait imaginé, une bête de sexe égocentrique et égoïste, gardant sans jamais le relâcher, le contrôle absolu de la situation. Shaw s'était abandonnée au désir de Root de la tenir dans ses bras, d'explorer son corps, de la faire vibrer. Elle n'avait opposé aucune résistance et avait accepté, sans rechigner une seconde, de ne pas toujours être maître de la situation, à donner autant qu'à recevoir. Et Root avait pu elle aussi, jouer du corps de Sameen, l'emmener là où elle voulait, elle l'avait regardée et sentie frémir sous ses mains et sa bouche, gémir, succomber à son plaisir sans retenue. Elle avait même fait parfois comprendre à Root qu'elle en voulait plus, encore. Cela avait démultiplié le désir chez Root et elle avait pris autant de plaisir aux caresses de Shaw qu'à satisfaire ses demandes. Shaw était l'amour de sa vie, ça elle le savait depuis longtemps, mais en plus elle s'avérait être l'amante parfaite, celle dont elle avait toujours rêvé, celle qui en principe ne se rencontre que dans les romans courtois du XIII ème siècle.
« Sameen ?
- Hum ?
- Tu sais, je suis...
- Root, la coupa Shaw.
- Quoi ?
- Euh, je...tu...enfin...
- Tu veux que je me taise ?
- Oui. »
Root se tut. Shaw restait Shaw malgré tout, ne put-elle s'empêcher de penser avec un sourire. C'était aussi ça qu'elle aimait chez elle. Elle lui déposa un baiser sur l'épaule et ferma les yeux.
Shaw était partagée entre un sentiment de bonheur et de bien-être total et un vague sentiment de malaise. Elle avait découvert que les simulations c'était vraiment de la merde. Les milliers de fois où elle avait fait sauvagement l'amour avec Root n'avaient rien à voir avec ce qu'elle venait de partager avec elle. Là, ça avait été carrément mieux. Elle avait eu beaucoup d'amants dans sa vie, mais aucun ne lui avait procuré la moitié des sensations et de l'exhalation qu'elle avait ressenties dans les bras de Root. Et elle savait très bien pourquoi. Elle ne s'était jamais permise de se relâcher, de perdre ne serait-ce une seconde, le contrôle, même au paroxysme de son plaisir. Là, elle avait tout donné, elle s'était mise à nu, elle s'était abandonnée. Pourquoi ? D'abord parce qu'elle avait confiance en Root, c'était très important. Ensuite elle la désirait, mais ce n'était pas vraiment une raison suffisante. Enfin… elle ne savait pas trop. Elle éprouvait des sentiments très bizarres envers Root qui la déstabilisaient sans qu'elle ne sache vraiment pourquoi. En fait, elle s'en foutait un peu, elle savait juste qu'elle était bien quand elle était là, qu'elle lui manquait quand elle n'était pas là, qu'elle se sentait en sécurité avec elle et que même si elle était parfois insupportable, elle avait envie de rester avec elle.
« Root ? Tu dors ?
- Hum, non, qu'est-ce que tu veux Sam ? marmonna Root pourtant à moitié endormie.
- J'ai faim. Vraiment faim.
- Hum. »
Root s'était mise à machinalement caresser l'épaule de Shaw, sa main descendit, Shaw la lui attrapa.
« Root, s'il te plaît.
- Tu étais moins timide tout à l'heure
- Peut-être, mais là j'ai faim. »
Root se releva sur un coude un grand sourire au lèvres.
- Bon d'accord, moi aussi de toute façon. Tu sais quelle heure il est ?
- Non et on s'en fout.
- Tu pourras attendre que je prépare quelque chose ?
- Ça dépend.
- Un quart d'heure ?
- Mouais, un quart d'heure ça va.
- Bon, j'ai pris un rôti de bœuf cet après-midi, par contre à part une salade je ne pourrais pas te préparer un plat d'accompagnement digne de ce nom. Ça ira ?
- Tu ne vas pas préparer un rôti en un quart d'heure ?
- Tu paries ?
- Avec toi, sûrement pas.
- Tu fais bien. Tu as un quart d'heure pour te rendre présentable Sam. »
Root embrassa gentiment Shaw sur le front, se leva, récupéra ses vêtements par terre et sortit. Elle rayonnait de bonheur. Shaw la suivit des yeux. Elle était... incroyable. Elle n'avait aussi jamais vu quelqu'un de si heureux quitter son lit, c'était curieux. Elle s'étira voluptueusement et croisa ses mains derrière sa tête, songeuse. Elle n'était pas encore très sûre d'être dans le monde réel, mais si c'était le cas, il ne lui avait jamais paru aussi plein de promesses, si c'était une simulation, pour une fois elle n'était pas trop pourrie. Elle décida de profiter de l'instant et ferma les yeux.
« Sam ! »
Shaw ouvrit les yeux, Root se tenait debout au pied du lit les bras croisés, la tête légèrement penchée de côté, un sourire moqueur aux lèvres.
« Je ne sais pas si tu as vraiment besoin d'aller manquer de te tuer dans un cataclysme de tôles froissées demain... A priori j'ai trouvé une bonne manière de te faire oublier un peu tes angoisses... Tu geins après un dîner, affamée, et dix minutes plus tard je te retrouve en train de dormir comme un bébé, un air béat affiché sur la figure.
- Quoi ? Non, tu ne vas pas...
- Arrête Sam, je plaisante, chose promise, chose due. Tu la feras ta course et cerise sur le gâteau, tu seras accompagnée par ta plus grande fan...prête à se plier à tous tes désirs ! J'espère que tu mesures ta chance.
- Ha, ha, très drôle.
- Bon lève-toi, c'est prêt et si tu ne veux pas manger de la semelle tu as intérêt à te dépêcher. De plus, je serais fâchée que mon rôti soit gâché par ton inaptitude à être à table quand je te le demande.
- J'arrive.
- Tu peux rester comme ça si tu veux, même si je trouve que se mettre à table dans la tenue d'Ève est une insulte au code des bonnes manières. Mais je veux bien accepter un manquement aux règles avec toi. En même temps ce n'est pas sûr que je ne te trouve pas plus appétissante que mon rôti et ma salade.
- Tu ne veux pas me lâcher ? râla Shaw »
Elle attrapa un oreiller qui traînait sur le lit et lui lança à la figure, Root l'évita et s'enfuit en en riant.
Shaw se pointa, habillée, une minute plus tard. Root avait déjà mis le couvert et commencé à découper son rôti. Un grand saladier de salade verte mélangée à des tomates était posé sur la table. Root servit généreusement Shaw, prit son assiette et se retourna vers la cuisinière pour napper sa viande du jus qu'elle avait préparé. Elle posa l'assiette devant Shaw, puis se servit.
« Tu te sers comme tu veux pour la salade. Le sel et le poivre sont à ta disposition si c'est nécessaire. »
Shaw regarda son assiette. Ça sentait vraiment bon, le jus était d'une couleur plus qu'appétissante et Root y avait fait revenir des oignons. L'estomac de Shaw protesta. Root lui sourit et l'invita d'un mouvement de tête à commencer.
C'était aussi bon que ça en avait l'air et Shaw fit honneur au repas. Elle finit même le rôti, ce qui n'était pas un mince exploit étant donné que Root s'en était servi deux tranches et que le rôti faisait plus de sept cents grammes. La salade lui plut aussi, par contre elle refusa le fromage que lui proposa Root, mais accepta une glace.
« Je ne sais pas comment... »
Root la regardait les yeux brillants.
« Ouais, laisse tomber. En tout cas c'était vraiment bon, j'avais faim et... merci.
- Tout le plaisir est pour moi Sam, c'est toujours un plaisir de voir combien sa cuisine est appréciée, lui répliqua Root amusée. Tu veux un café ?
- Oui.
- Va t'installer dans le canapé, je te l'apporte.
- Non, attends, d'abord je t'aide à ranger la cuisine, à chaque fois tu fais tout, ça ne va pas.
- Ce...
- J'ai dit que je t'aidais.
- Bon d'accord d'accord, merci. »
Elles rangèrent rapidement puis Shaw partit s'asseoir dans le salon tandis que Root préparait les cafés. Elle sentait Shaw l'observer depuis le canapé, mais ne leva pas les yeux.
« Root ?
- Oui
- Est-ce que La Machine peut savoir si le parcours de la Touge a été défini et si oui, quel est-il ?
- Je peux lui demander.
- Oui s'il te plaît, si le parcours est prédéfini en général les concurrents le connaissent et je ne veux pas arriver désavantagée.
- Tu ne laisses rien au hasard »
Décidément Shaw prenait cette course très au sérieux pensa Root. C'était amusant.
« Si, mais il y a une différence entre ignorer stupidement ce qu'on peut savoir et accepter ne pas connaître les éléments imprévisibles auxquels on devra s'adapter.
- Attends je vais voir ce qu'elle sait. »
Root pencha la tête et prit l'air l'inspiré. Shaw savait que la Machine lui parlait et attendit. Elle releva la tête au bout de quelques minute et regarda Shaw.
« Il a été défini et transmis aux concurrents. Je finis les cafés et je t'apporte un ordi. La Machine te fera passer le parcours.
- Super merci. »
Root passa les deux cafés et vint les poser sur la table devant Shaw. Elle partit dans la pièce qui lui servait de bureau et rapporta un ordinateur portable qu'elle alluma.
« Tu veux rester tranquille ici ou t'installer dans le bureau ?
- Ça m'est égal.
- Reste ici. Je bois mon café et je te laisse. Tu as besoin de moi ?
- Non.
- Je te mets en lien avec La Machine après, débrouille-toi avec elle.
- Merci. »
Root but tranquillement son café surveillant discrètement Shaw du coin de l'œil. Celle-ci s'était concentrée sur l'écran de l'ordinateur et tapait des questions sur son clavier.
« Tu devrais lui parler directement, elle t'entendra et te répondra via l'écran, tu iras plus vite.
- Hum.
- Sam, ce sera plus rapide, pour quelqu'un qui aime l'efficacité tu me déçois. Mais fais ce que tu veux, je te laisse. »
Root alla chercher une bouteille d'eau dans la cuisine et partit s'enfermer dans son bureau. Shaw pouvait parfois se montrer obtuse et elle n'avait pas envie de se chamailler avec elle.
La Machine lui demanda de faire des recherches sur différents types de virus, de les étudier et d'élaborer des protocoles de défense. Root lui demanda si elle voulait tester son savoir-faire et la Machine confirma. Root se plongea dans ses lignes de codes et ne pensa plus à rien. Au bout de deux heures, elle s'étira et se massa les cervicales. Elle était fatiguée. Elle éteignit les ordinateurs. Shaw était toujours penchée sur le sien dans le salon. Elle la regarda un moment en souriant béatement et sentit son désir monter. Elle se morigéna et partit chercher ses affaires de nuit dans sa chambre, puis passa à la salle de bain et se fit couler un bain. Elle retira son pansement et se plongea dans l'eau chaude avec délectation. Elle grimaça un peu quand l'eau rentra en contact avec la blessure, puis elle s'allongea et ferma les yeux.
Elle repensa à sa journée et se demanda s'il était possible de vivre autant de choses en si peu de temps. Elle avait sans cesse oscillé entre exaltation et angoisse. Shaw l'inquiétait. Elle redoutait ses pertes de contrôle. Ce n'était pas tant ses accès de violence au cours desquels au moins là, elle extériorisait son malaise. Le monde, dans ces moments-là, avait tendance à tourner au chaos, mais Shaw restait « présente ». Elle continuait à inter-agir avec son environnement et il était toujours possible de l'atteindre. Par contre, ce qui l'angoissait vraiment, c'était quand Shaw glissait dans un monde intérieur entièrement coupé de l'extérieur. Que ce soit au parc ce matin, ou dans le camion cet après-midi, Root s'était trouvée devant quelqu'un d'absent, avec qui elle ne pouvait plus communiquer. Elle avait réussi à rétablir le contact, mais elle redoutait qu'un jour elle ne puisse plus le faire. Et puis, le retour à la réalité avait toujours été violent. Root se toucha l'épaule, là où Shaw l'avait mordue, c'était encore plus douloureux que sa blessure par balle.
Et puis, il y avait l'autre extrême. Quand elle pensait qu'elle avait toujours cru Shaw trop sur ses gardes pour faire le moindre pas vers elle... Et qu'elle avait planifié des milliers de fois le jour où elle oserait enfin prendre l'initiative... Elle s'était vraiment fait carrément doubler sur ce coup. Shaw lui avait soufflé la mise, et de belle façon en plus. Elle s'était fait surprendre. En même temps, c'était une des qualités qu'elle appréciait chez Shaw, sa capacité à être là où on l'attendait le moins, à se lancer dans des actions que personnes d'autre n'aurait osé entreprendre ou n'aurait osé même imaginer. Elle frissonna : l'eau du bain s'était refroidie. Elle sortit, vida la baignoire, s'essuya et s'habilla pour la nuit. Elle se demandait un peu ce qu'elle devait en attendre de cette nuit, ce qu'elle pouvait en espérer. Elle sourit prête à toutes les éventualités... qu'elle souhaitait plutôt agréables que terrifiantes.
Dans le salon Shaw était maintenant confortablement installée au fond du canapé les mains croisées derrière la tête.
« Root, je t'attendais. J'aimerais que tu voies avec moi le parcours.
- Tu vas m'embarquer comme co-pilote ? demanda Root ravie.
- Non, c'est interdit, les courses se courent en solitaire.
- Hum, dommage.
- Je ne trouve pas.
- T'es vraiment pas sympa, répliqua Root avec une grimace. Pourquoi veux-tu dans ce cas que je connaisse le parcours ?
- Les pilotes sont tous équipés de radio et toujours en contact avec le commissaire de course et un membre de leur équipe. S'il y a un problème, un accident, une descente de flics, les pilotes sont immédiatement prévenus. Parfois, le parcours peut être aussi légèrement modifié. Tu seras mon contact et je veux que tu connaisses le parcours.
- D'accord, montre-moi.
- Je ne vais pas seulement te le montrer, je vais te l'expliquer et je veux que tu le mémorises et que tu observes la carte avec minutie. Si tu as des observations, des questions tu n'hésites pas à m'en faire part. Tu sais conduire, et j'ai confiance en ton sens de l'observation et ton intelligence. Tu verras peut-être des trucs auxquels je n'ai pas fait attention.
- Je ne comprends pas, tu n'as pas déjà étudié tout ça avec La Machine ?
- Si, mais je veux ton avis. »
Root était touchée de la haute opinion que Shaw avait d'elle. Celle-ci rouvrit l'ordi et lui expliqua les subtilités du parcours dans leurs moindres détails. Root était impressionnée, son analyse était précise et prenait en compte un grand nombre de paramètres qui allaient de l'importance du trafic à l'heure de la course dont une partie s'effectuait en ville, au divers types d'éclairage et leur localisation, en passant par la nature du revêtement de la route, l'angle des virages, la largeur des voies de circulation, etc. Root posa beaucoup de questions, fit quelques observations et souleva plusieurs points qui selon elle, pouvaient améliorer la trajectoire de la voiture à certains endroits ou encore gêner Shaw dans d'autres. Shaw l'écouta avec attention, répondit patiemment à ses questions et approuva ses observations. Elles étaient assises épaule contre épaule, penchées sur l'écran. Autour d'elles l'air était paisible, l'harmonie parfaite. Il se dégageait une grande douceur de leurs corps ainsi posés l'un contre l'autre exempts de toute tension.
Shaw remercia Root
« J'avais raison de te faire confiance. Merci. »
Root lui sourit et se laissa aller au fond du canapé.
« Euh, je vais prendre une douche. Il est tard non ?
- Presque minuit.
- Root, tu pourras conduire le camion demain ?
- Oui.
- Bon, j'y vais. »
Root alla ranger l'ordinateur dans le bureau. Elle se félicita encore de son idée. Shaw avait pris à cœur la course et elle avait l'air moins perdue quand elle était plongée dans ses préparations. Elle s'occupait l'esprit et oubliait un peu Samaritain et toutes ses histoires de simulations. Il serait bien temps de s'occuper de Samaritain sous peu. La Machine montait des stratégies et avait décidé de la laisser un peu souffler avant que ne reprennent les hostilités. John et Fusco s'occupaient de numéros de leur côté et Harold... Si seulement Harold pouvait se montrer moins pusillanime et faire enfin confiance à sa création, à son enfant-Dieu.
Shaw réapparut dans le salon. Elle alla se servir un verre d'eau, tourna dans la cuisine, s'avança, recula. Root la regarda avec curiosité, elle avait l'air embarrassée, mais Root n'arrivait pas à deviner ce qui pouvait autant la perturber, d'autant qu'elle évitait soigneusement de croiser son regard.
« Sam ?
- Euh, je...euh, balbutia celle-ci. »
Elle leva un regard confus sur Root, se mordillant la lèvre inférieure. Root fronça les sourcils cherchant ce qui pouvait autant la troubler et eut soudain une illumination.
« Tu peux dormir où tu veux, Sam. Je ne suis pas à prendre en considération.
- Je...
- Écoute, Sameen, je te connais. Si tu veux être seule, je ne vois pas pourquoi je t'en voudrais. Si tu veux dormir avec moi quelle qu'en soit la raison, tu peux. Je sais que tu es mal à l'aise à l'idée de te retrouver embarquée dans une quelconque relation sentimentale. Je n'ai aucune intention de t'entraîner contre ton gré dans une histoire dont tu ne veux pas ou que tu n'es pas capable de vivre. Je ne te demande rien et je ne veux rien de toi. Je prends juste ce que tu veux bien me donner et après tu fais ce que tu veux. Je serai toujours là pour toi. C'est la seule chose que tu as à te mettre dans la tête. Si tu as besoin de moi, je serai là. Le reste n'a pas d'importance. »
Shaw baissa la tête. Elle n'avait pas l'air plus rassérénée par ses paroles. Root comprenait ses hésitations, mais ne savait vraiment pas comment elle pouvait l'aider à résoudre le conflit intérieur dont elle souffrait.
« Bon Sameen, c'est quoi ton problème ? Tu ne vas pas rester plantée là toute la nuit. J'ai envie d'aller dormir, et toi aussi. Alors explique-toi et j'essaierai de t'aider.
- Hum, grogna Shaw levant un regard dubitatif sur elle.
- Sam, sans rire, tu es parfois insupportable toi aussi. Allez lance-toi. Je ne me moquerai pas de toi et je te promets d'examiner les choses d'un point de vu purement mathématique. À moins que tu ne veuilles que je demande à la Machine de trouver la meilleure solution ?
- Quoi ? Non, c'est hors de question ! Ne mêle pas ce truc à ma vie privée, répliqua-telle vivement.
- Alors ? Vas-y fais-moi confiance. Pourquoi hésites-tu ? Sam ! Qu'est-ce que tu veux ?
- Euh, je ne sais pas. C'est que... j'ai peur de dormir seule après l'autre nuit, et euh... je veux dormir avec toi... mais... euh...
- Mais euh quoi ? insista Root énervée.
- Rien. Allez viens. »
Shaw s'approcha du canapé, tendit la main à Root et l'aida à se relever. Elle garda sa main dans la sienne et la tira à sa suite dans sa chambre. Elle laissa la lumière éteinte, ferma la porte et conduisit Root jusqu'au lit. Elle se retourna et l'embrassa. Root était un peu perdue, elle avait du mal à suivre les changements d'humeur de Shaw. Le mieux était peut-être, pensa-t-elle, de prendre les choses comme elle venaient. Elle s'abandonna au baiser, bascula avec Shaw sur le lit et elles plongèrent, ensemble cette fois, se rejoindre au delà de leur désir et de leur plaisir...
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