En l'an de grâce 1942, durant la période des grandes découvertes, un explorateur du nom de Leonar de Ghafamen fit armer un navire et mit le cap vers l'Ouest du nouveau monde.
Les hommes de science avaient déjà établi que la planète était sphérique et non plate comme on l'avait cru à une époque plus reculée. Mais à cette époque où l'obscurantisme religieux n'avait pas tout à fait disparu, nombreux étaient encore ceux qui avaient la certitude qu'il n'y avait au-delà de l'horizon rien d'autre que le néant et que l'on ne pouvait y trouver que la mort.
Néanmoins, la découverte du continent camerian par Moris Pageecuvis quelques cinquante années auparavant avait donné aux peuples occidentaux une soif de voyage inédite. Soldats et mercenaires se rêvaient conquérants glorieux de contrées hostiles, paysans et parias espéraient fonder des sociétés idylliques sur ces terres vierges et les souverains traçaient déjà sur des cartes aux détours à peine dessinés des frontières à se disputer.
Leonar de Ghafamen avait, lui, la certitude de pouvoir découvrir au-delà des mers une route nouvelle vers les pays orientaux, riches en épices et en essences rares, dont les cosmographes avaient estimé que les côtes devaient se trouver à quelques 2 000 miles à l'Ouest de la Cameria.
Navigateur aguerri et déterminé, il parvint à obtenir les soutiens politiques et financiers nécessaire à son expédition auprès d'un roi progressiste et, surtout, avide de conquêtes.
Ce qu'il découvrit par-delà les mers, aucun savant, aucun conquistador ni aucun aventurier avant lui ne l'avait jamais vu.
Le 28 octobre 1942, l'équipage du Samaritain arrive en vue d'une côte large et accidentée qui ne correspond à aucune carte des empires orientaux alors connus. Ghafamen croit d'abord avoir découvert une île et longe le rivage à la recherche d'une baie où accoster. Mais la terre s'étire à n'en plus finir et il finit par avoir l'intuition qu'il a, contre toute attente, découvert un troisième continent.
Dans le journal de bord, il relate les premiers contacts qu'il établit sur ces terres étranges :
"Certes, je suis maintenant certain de ne pas avoir trouvé la route commerciale attendue, mais la perspective de vastes territoires à annexer pour la gloire de la grande Pratuguœs n'est pas moins alléchante." Ecrit-il le 11 novembre.
"J'ai posé le pied sur cette plage encore inconnue armé d'un drapeau aux couleurs du royaume Pratuguœs. Accompagné de mes hommes, j'ai gravi les falaises de craie blanche et ai planté notre fier pavillon sous le vent marin. Je baptise cette terre "La Blanche Galos" car ses escarpements me rappellent les côtes de ma région natale, bien qu'ils soient plus hauts et taillés dans une roche immaculée. Le père Augusto a béni ce pays nouveau et nous avons bu à la santé du roi un bon rhum. J'ai ensuite envoyé un mousse à la recherche d'un point d'eau douce et donné des ordres pour l'édification d'un fort. Le reste de l'équipage, hormis les hommes de quart, nous ont rejoint au fur et à mesure, apportant le matériel nécessaire. Le temps est clément, la roche crème est tendre sous les pioches et les choses vont bon train. Après quelques heures, nous avons vu revenir notre mousse, courant comme s'il avait le diable aux trousses. Il affirme avoir vu dans une vallée en contrebas une ville de maisons de pierres presque semblables aux nôtres, dominée par une citadelle. Il a sans doute attrapé la fièvre ou bien le mal de terre. Même si des gens vivaient dans ce pays, il est impossible qu'ils soient civilisés: l'exploration de la Cameria nous a prouvé à maintes reprises que les peuples indigènes sont toujours des sauvages dont même l'Eglise peine à établir s'ils ont ou non une âme. Le prêtre lui a fait dire des prières et le médecin du bord a pratiqué sur lui une saignée. "
Une semaine plus tard, il poursuit :
"Un matelot dit avoir "fait connaissance" avec une jolie fillette venue par ici faire la cueillette des mûres. Il a décrit une enfant aux oreilles longues dont les cheveux étaient si blonds qu'ils en paraissaient blancs, et a prétendu qu'elle avait au bas du dos une queue de crin, comme un petit cheval. Par malheur, il l'aurait ensuite laissée échapper. Les hommes ont ri et ont mis son récit sur le compte du manque de femmes, qui lui aura fait confondre une pauvre chèvre avec une fille, mais je commence quant à moi à avoir des doutes: si ce que cet homme et mon mousse ont dit a ne serait-ce qu'un fond de vérité, la contrée pourrait bien être habitée. J'ai ordonné que l'on hâte l'érection des fortifications et ai fait doubler les tours de garde."
Le premier contact survient le lendemain :
"La première palissade a été achevée hier au soir, conformément à mes ordres. Or, ce matin même, aux premières lueurs de l'aube, deux cavaliers sont arrivés devant notre porte.
De ma vie je n'ai vu êtres plus étranges : ils ne montent pas des chevaux, mais des bêtes pareilles aux gargouilles qui ornent les toits des églises, immenses, griffues, la gueule armée de crocs acérés. Eux-mêmes n'ont rien de commun avec les autochtones des Camerias: leur peau n'est ni rouge ni noire, ni même jaune comme celle des habitants de l'Orient lointain. Elle est plus pâle que celles de nos dames les plus élégantes. Je ne leur ai pas vu de queue, car leur dos était dissimulé par une cape, mais leurs oreilles sont en effet fines et pointues telles celles des chats. Pourtant, leur visage n'a rien de bestial. Au contraire, leurs traits sont si fins et leurs cheveux si longs que de prime abord, nous les avons pris pour des femmes et nos marins les ont accueillis avec force exclamations comme le font souvent les hommes d'équipage.
L'un d'eux s'est alors dressé sur ses étriers et, levant une main, a imposé à tous le silence, d'un seul mot. L'autre a lancé sa bête contre la porte et celle-ci s'est abattue dans un nuage de poussière au milieu du campement. Les hommes ont couru à leurs armes mais, dans un souci d'apaisement, je leur ai défendu de tirer. J'ai fait apporter de la verroterie et leur en ai fait présent, mais ils ont rejeté les colifichets dans la poussière et ont parlé dans une langue étrange avec des accents de colère. Nous avons alors compris qu'il s'agissait d'hommes, sans doute de haut rang d'après la qualité de leur habit.
Comme il est impossible de comprendre le moindre de leur mot, je leur ai montré notre vaisseau et notre drapeau. Ils ont semblé prendre grande offense de voir nos couleurs hissées sur leur côte. Celui qui m'a paru être le plus jeune des deux a crié et, comme sous le coup d'un mauvais sort, le pavillon s'est enflammé. Alors les hommes ont pris peur. L'un d'eux a fait feu de son mousquet et l'a touché, à l'épaule, m'a-t-il semblé.
De la lutte qui s'en est suivie, je ne garde que peu de souvenir tant la confusion fut grande. Il y eu tant de coup de feu tirés qu'un épais brouillard de poudre a presque aussitôt envahi tout le fortin. Sept marins ont été déchiquetés par les griffes et les crocs des montures monstrueuses de ces êtres et une quinzaine d'autres sont morts des incendies qui se sont déclarés dans l'enceinte du fort. La croix que nous avions élevée a été brûlée également. L'œuvre d'une semaine de travail acharné est partie en fumée. Quant à nos visiteurs, que déjà mes hommes nomment "sorciers", ils ont disparu je ne sais comment, au beau milieu de la mêlée. Nous avons regagné en hâte notre galion. Je pensais chercher une contrée plus aimable où aller jeter l'ancre, mais la destruction de sa chapelle et surtout la perte des reliques sacrées qui lui avaient été confiées ont mis notre prêtre hors de lui. Depuis, il n'a de cesse d'exacerber la rancune de l'équipage à l'égard des indigènes, les pousse à venger leurs camarades tombés et surtout à mener au bûcher nos agresseurs impies. Je ne puis risquer une mutinerie maintenant, aussi nous irons. Bêtes et tours de passe-passe ne pèseront pas lourd face aux mousquets."
Comme chacun sait, l'expédition punitive que mena l'équipage du Samaritain le lendemain se solda par le massacre de tous les hommes qui y participèrent ainsi que de Ghafamen lui-même.
Seuls les marins et officiers de quart survécurent à cette première expédition au-delà de la Cameria. Tous les corps coloniaux envoyés par la suite connurent le même sort pendant un demi-siècle, les rescapés revenant avec des histoires toujours plus extravagantes de magie, de monstres fabuleux et d'être invincibles et prodigieusement beaux.
Puis, alors que la Cameria était presque tout entière conquise, le roi de Danngel, dont l'empire colonial s'étendait sur la majeure partie du Nord de ce continent, envoya une flotte puissante pour attaquer les côtes de craie blanche décrites par Ghafamen. Mais sans que l'on sache comment, après une traversée de plus de trois mois, cette armada atteignit les côtes de l'Orient. La route de l'Orient était ouverte. Le troisième continent avait disparu.
… C'était il y a de cela presque 1800 ans. Et malgré des dizaines de tentatives toujours plus aventureuses, nul n'en retrouva jamais la route. Ni par l'Ouest de la Cameria, ni par l'Est des terres d'Orient.
Certains racontent qu'il fut engloutit par les eaux, victime d'un châtiment céleste; d'autres, que Dieu lui-même l'aurait soustrait à toute atteinte humaine pour des raisons de lui seul connues. Pour la majorité de nos contemporains, toutefois, il n'a jamais été qu'un mythe, produit de l'imagination souvent trop fertile des marins, si prompte à inventer des monstres là où la nature n'a placé qu'un récif. Le "continent mystique", comme aiment à l'appeler les romantiques, a suscité de nombreux fantasmes, tourmenté bien des esprits avides de mystères ou de complots et inspiré bien des artistes.
Mais la science rattrape aujourd'hui la légende et les premières images globales de notre planète que nous rapporterons bientôt les explorateurs de notre temps, partis à la conquête de nos deux satellites, apporteront des réponses sûres et incontestables à toutes les questions qui planent depuis des siècles à propos de ce troisième continent.
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