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tome 1, Prologue « Chapitre 1 » tome 1, Prologue

On s'habitue à voir faire le mal, à le laisser passer ; on commence par l'approuver puis on finit par le commettre.

Nous vivons dans un monde injuste, arrogant et foncièrement impitoyable.

Bienvenue dans la réalité.

Que l'on ne vienne pas me parler de Dieu, car cela fait bien longtemps qu'il ne nous adresse plus le moindre signe. En même temps, nous occupons-nous des petites fourmis travaillant durement dans notre jardin ? Je ne crois pas, non.

Nous sommes en plein hiver. Du moins, logiquement nous devrions l'être, mais l'absence de neige et les températures au-dessus des dix degrés donnent l'impression d'être au printemps. Je ne vais pas m'en plaindre, mais cela ne signifie pas que je ne m'en préoccupe pas. Comme cette vieille qui s'exclame tous les matins qu'il ne neigera pas aujourd'hui.

Bah ouais... Réchauffement climatique, tout ça.

Il fait nuit. La ruelle tangue. Soit la Terre est devenue un immense bateau naviguant sur une mer houleuse, soit je dois être bien bourrée. Et je pencherais plutôt pour la réponse numéro deux. Comme tous les soirs, ou presque. Quand on a une vie de merde, l'alcool offre un piètre réconfort qui, si l'on omet les conséquences qui le ceignent, est toujours le bienvenu.

Bien que je sois saoul, j'entends d'horribles geignements provenant d'une ruelle à ma droite droite. Et bien que peinant à marcher, je me dirige vers la source de ces infâmes bruits. Je vois alors un homme assis contre une poubelle, près des égouts.

Il semble être dans un état lamentable, et je distingue une étrange flaque épaisse s'écouler près de lui. Mais lorsque je m'approche et que je vois la couleur bordeaux de celle-ci, c'est l'angoisse.

Et sitôt que l'homme en question braque un flingue sur moi, je panique.

Motif du décès : victime de sa curiosité malsaine.

Il abaisse son bras et gémit de douleur. C'est à ce moment-là que je remarque qu'il compresse sa côte. Je devine qu'il cache une importante blessure.

Il n'y a pas mieux pour cuver.

"Écoute mec. Si tu ranges ton flingue et que tu restes sage, je crois pouvoir te soigner. Tu piges c'que je dis ?"

En réponse, je n'ai droit qu'à son regard assassin.

N'écoutant que mon courage, je m'approche lentement les mains levées, et je m'agenouille près de lui. Mon regard ne quitte pas le sien et la tension est palpable. Je le sais et je le sens : il peut me tuer à tout moment. J'en viens à me demander ce que je fous encore ici. N'importe qui aurait pris la tangente.

Ne dit-on pas que chacun doit porter sa propre croix ? Il faut croire que non.

Je dézippe sa veste noire et je suis surprise de découvrir un gilet pare-balles dans lequel une déchirure me fait supposer qu'il s'est fait agresser à l'arme blanche. Il est tellement serré qu'il lui compresse l'estomac et a fait office de garrot jusque là.

Le sang a donc eu le temps de coaguler, c'est une chance pour lui puisque je peux le transporter ainsi jusqu'à chez-moi sans risquer de le perdre. Je me dis malgré tout qu'il pourrait s'évanouir, mais ce serait un moindre mal.

Après avoir remis convenablement son gilet, je pose son bras autour de mes épaules avant de le soulever, en faisant fi de ses gémissements de douleur. Ensemble, nous traversons les rues heureusement désertes, jusqu'à parvenir à mon appartement non loin de là. Chaque pas semble être une véritable torture pour cet homme, et je ne le comprends que trop bien puisque moi-même, par le passé, j'ai subi une blessure similaire.

Nous parvenons en moins d'une demi-heure au pied de mon immeuble. Il s'agit d'un vieux bâtiment que je suspecte de ne pas être aux normes. Mais le loyer est bas, alors ça me convient.

Les escaliers au pas de l'ancienne bâtisse sont, pour nous, un véritable challenge, et lorsque nous entrons dans l'ascenseur, cet enfoiré me pousse violemment contre la paroi de l'habitacle, comme pour se venger de la route tortueuse que nous avons dû effectuer. C'est donc sans aucun scrupule que je le laisse marcher, appuyé contre le mur, jusqu'à la porte d'entrée de mon T1. Je l'attends, bras croisés et dos calé contre ma porte.

"Bon, monsieur muscle, voilà ce qu'il va se passer : je vais vérifier que tout va bien, qu'aucun organe n'a été transpercé, puis je vais désinfecter et nettoyer la plaie."

Il me regarde avec un air de chien battu. Tu as mal, hein ?

J'ouvre la porte et je l'aide néanmoins à entrer. Je prends soin de convenablement fermer à clé avant de l'entraîner en direction de mon canapé miteux et inconfortable à souhait.

Pendant qu'il s'installe, j'entreprends de réunir sur la table basse de l'alcool à quatre-vingt-dix degrés, du fil chirurgical, des bandages, un pansement et une bouteille de Vodka.

"Bois !" dis-je en lui tendant cette dernière.

Il refuse en repoussant ma main.

"Abruti ! Te rends-tu seulement compte de ce que je m'apprête à faire ? Bois. Je ne vais pas te tuer !"

Je mordille ma lèvre inférieure, détourne le regard, puis reprends avec une timidité encouragée par mon état :

"J'aurais pu te conduire directement à l'hosto, mais vu ta dégaine, je doute que cela t'enchante. Donc tu vas me faire le plaisir de boire au moins la moitié de cette foutue bouteille puis rester gentiment allongé sur mon canapé. D'accord ?"

Ce dernier finit par obtempérer et j'attends patiemment qu'il boive, profitant de ce court laps de temps pour me laver les mains dans ma salle de bain.

En observant mon reflet dans la glace, je constate deux horribles cernes violacés. Mon teint pâle fait ressortir mes taches de rousseur et mes cheveux noirs, mi-longs, laissent entrevoir un semblant de racines rousses. Je quitte hâtivement la pièce, n'appréciant guère ce que j'y vois : une femme fatiguée de vivre.

Lorsque je retourne dans mon salon, la bouteille est vide et l'homme allongé, les yeux clos. Il doit avoir une descente impressionnante.

Ses pieds dépassent du canapé, chose dont il ne m'est guère accoutumé puisque ma taille ne le permet pas. Un faible soupir m'échappe, et une réflexion me vient alors à l'esprit : j'ai vraiment une vie merdique.


Texte publié par Fiorthnir, 13 juillet 2016 à 11h26
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