– T'as entendu c'qui s'est passé la nuit dernière, chez Perenn ?
– Oui, il parait que c'est l'cinquième en moins d'un mois...
– Il entre chez elle le soir ; et quand il repart le lendemain matin, il a tout oublié.
– 'Parait que les bougres connaissent même plus leur vrai nom.
– Comment ça, leur vrai ?
– Ben oui, ils se présentent sous un autre nom que celui qu'ils ont dit la veille.
– Et comment tu sais ça, toi ? T'en connaissais ?
– Moi, non ! Mais la sœur de mon beau-frère était mariée à un type qui, c'qui parait, s'rait passé chez Perenn. L'est jamais rentré à la maison, et quand elle l'a croisé, deux saisons plus tard, il l'a même pas r'connu et s'est fait interpellé par un type qui l'a affublé d'un autre prénom.
– C'est horrible, cette histoire. T'imagines...
– … demander asile pour la nuit à la jolie propriétaire de la seule maison à des lieues à la ronde...
– … et repartir en ayant oublié qui t'étais, ta famille... Tout !
– C'est pas un nom de maladie ? Comment ça s'appelle ?
– Anémie !
– Non, anémone !
– Mais non ! Z'êtes jamais allés à l'école ?
– Ben, pas beaucoup. Coûtait trop cher.
– Amnésie ! Voilà, j'ai r'trouvé !
– Pas d'quoi êt' fier !
– Vous l'avez déjà vue, Perenn ?
– Non, mais ma femme a déjà fait affaire avec elle, m'a-t-elle dit. Elle m'a jamais révélé en quoi, mais un jour j'ai r'marqué qu'elle avait beaucoup moins de tâches de rousseur. P'têt qu'y a un lien...
– Et elle ressemble à quoi ?
– Toujours à ma chère moitié, mais avec juste quelques tâches de rousseur sur le nez et les pommettes. Celles du front et des épaules ont disparu.
– Mais non, pas ta femme, Perenn !
– Je sais pas, elle a jamais dit.
– 'Parait qu'elle a les cheveux aussi rouges que les flammes.
– Ah bon ? Moi, on m'a dit qu'elle était aussi noire qu'une corneille. Les cheveux, les yeux, la peau, les ongles, et même les dents !
– Hihihi... Elle peut pas être effrayante. Sinon, comment qu'elle f'rait pour inciter autant de personnes à entrer chez elle ?
– Faut pas oublier qu'à chaque fois, ce sont des hommes ! Des gens qui auraient la force de la jeter par terre en cas de danger !
– Et qu'est-ce qui te fait croire ça ?
– Ben... Perenn est une femme...
– Tu connais pas la mère du boucher, sinon tu dirais pas ça.
– Tu veux dire que Perenn s'rait capable de faire du mal ? De causer des bleus ?
– Et pourquoi pas. Personne semble pouvoir la décrire. Alors savoir ce qu'elle est capable de faire ou pas...
– Tavernier ! Ressers-nous de ce liquide vert parfumé. C'est quoi, déjà ?
– De l'absinthe, mais dilué.
– Ah oui ! C'est foutrement bon !
– Oui, et très fort aussi. Ça peut bousiller l'intérieur.
– Bah ! Comme presque tout !
– Perenn, elle bousille aussi ton intérieur, mais avec elle tu sais pas. Au moins, avec ça, tu sauras à quoi t'en tenir quand ton foie se manifestera.
– Pas faux...
– Bien dit !
– Faites attention à ce que vous dites, messieurs, au sujet de Perenn...
– …
– …
– Vous n'avez donc jamais imaginé que ce qui avait pu arriver à ces hommes soit de leur propre volonté ?
– Hein ?
– Qu'est-ce qu'y nous dit, l'étranger ?
– Qui aurait envie d'se faire lessiver la mémoire ?
– Peut-être des gens insatisfaits de leur existence et qui en souhaitent une nouvelle, avec suffisamment de conviction pour franchir le pas...
– Les hommes, les vrais, sont pas comme ça !
– Ouais ! Ils affrontent leur quotidien, c'sont des guerriers !
– Mmm... Alors imaginez que, selon vos critères, ce ne soient pas des vrais – bien que je ne partage pas votre avis – et qu'ils se rendent chez cette femme capable de leur offrir une nouvelle vie.
– C'est inconcevable !
– Des lâches ! Ils laissent des veuves et des orphelins derrière eux, car ils sont considérés comme morts par les leurs !
– Et bien entendu, aucun d'entre vous n'accepterait qu'on le soigne si un virus l'atteignait...
– Hein ?
– Aucun rapport !
– Le soleil a tapé fort aujourd'hui, il a dû prendre un coup sur la tête...
– Mais il porte un capuchon...
– Eh, l'étranger, soit tu nous dis le fond de ta pensée, soit tu t'en vas. Y'a pas de place, ici, pour les sous-entendus!
– Il n'y en avait pas, l'ami. Perenn offre un remède à qui vient lui demander et a de quoi payer. Elle soigne de nombreux maux ; certains connus, d'autres plus mystérieux, ou peut-être simplement tabous. Elle est à la fois médecin et commerçante, prodiguant ses soins sans gratuité ni états-d'âme, et ne s'en cache pas. D'ailleurs, si autant de personnes passent toujours par chez elle, c'est qu'ils en ont conscience.
– …
*
– Et il est parti comme ça, comme un prophète ou j'sais pas quoi.
– Il a quand même dit que si on voyait pas l'bien que Perenn, soit disant, f'sait autour d'elle, c'est qu'on était trop bêtes pour ça...
– et indignes d'elle... Comme si on était intéressés par ses pratiques de démon !
– N'empêche que depuis l'aut' jour, le vieux Marov est allé la voir. Et pourtant, il jurait s'en méfier comme d'la peste.
– Mais y'avait anguille sous roche depuis quelques jours, déjà. Il avait laissé la clef de la maison à sa femme, alors qu'il jurait par tous les dieux que, lui vivant, jamais elle les toucherait. Comme quoi...
– … ah... même les meilleurs peuvent être atteints par la folie...
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