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volume 13, Chapitre 3 « Quatre Confinés : Éternel » volume 13, Chapitre 3

— À quoi rêves-tu ?

L’homme qui lui avait posé la question l’avait fait sans aucune agressivité, sans aucune animosité, il l’avait seulement énoncé ; il en avait été presque surpris, mais il n’en avait rien laissé paraître. Le visage luisant de sueur, il l’avait rejoint, s’appuyant sur une lourde canne à la pointe de fer pour gravir le sentier.

— Je rêve d’une mère.

Les mots s’étaient échappés de sa bouche, puis les vents les lui avaient arrachés, mais il n’avait pas protesté. Les yeux tournés vers le rivage, il les avait regardés flotter puis se disperser.

— Laquelle ? avait alors rétorqué l’homme.

Il avait alors ramassé une branche sèche à la pointe émoussée, puis il avait dessiné dans le sable un océan de ténèbres qui les avait engloutis alors. Pourtant, dans le ciel, rien n’avait changé, les étoiles étaient toujours là et la lune veillait sur elles.

— À quoi rêves-tu ?

L’homme était de nouveau là, écho fantôme de son prédécesseur, ou bien était-il lui-même. Il ne s’appuyait plus sur une canne en bois à la pointe de métal, mais sur le fémur d’un animal. Il épousseta un instant ses habits couverts du sable qu’il avait soulevé en marchant sur le sentier, puis s’assit.

— Je rêve d’un père.

Ces mots ; il les avait prononcés, il le savait, car il s’était vu les articuler. Au même instant, les vents s’étaient tus et même le ressac de l’océan avait marqué un silence. Il les voyait qui s’élevaient, bientôt ils se disperseraient et il les oublierait.

— Lequel ? l’avait alors interrogé l’homme.

Il s’était alors saisi d’une mousse encore gorgée d’humidité et l’avait pressé dans sa paume. Il en était jailli un jus noir, noir comme son âme et il en avait couvert le ciel qui les avait dévorés alors. Pourtant, rien n’avait changé. En contrebas, l’océan était toujours là et les vagues se fracassaient sur les roches tarpéiennes.

— À quoi rêves-tu ?

Encore une fois, il était là. Était-ce son frère ? Était-ce le même ? Jumeau et frère ? Il avait abandonné la matière ivoire. À la place, dans sa main, il tenait une longue et fine baguette d’obsidienne que rien ne semblait pouvoir ébranler. Le soleil était haut dans le ciel et son chapeau ombrageait la presque totalité de son visage.

— Je rêve d’un frère.

Ce n’était pas lui qui les avait prononcés, mais son reflet. Assis en face de lui, aussi semblables que lui, ses lèvres remuaient et des sons en sortaient. Puis il s’était tu et son regard avait croisé celui de son original.

— Lequel ? avait soufflé l’homme.

Son double le contemplait ; il le regarda se lever et se tourner face à l’océan bouillonnant. Dans le ciel, le soleil était devenu ténèbres et la mer morte. Il s’avança d’un pas, puis se retourna, un sourire aux lèvres ; il tenait entre ses mains une pierre d’obsidienne. L’homme lui faisait toujours face, mais son regard trahissait son désespoir. Pourtant il ne bougea pas, il ne l’arrêta pas, même quand il se l’enfonça dans le poitrail et qu’en jaillit une nuée noire.

« Toi ! » tel fut le dernier mot qu’il perçut avant d’être avalé à son tour par la noirceur qui avait couvé dans son cœur.


Texte publié par Diogene, 19 avril 2020 à 15h57
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