La nuit, seulement la nuit, la nuit et le bruit de sa respiration.
Les jambes recroquevillées contre elle, elle ne dort plus ; elle ne trouve plus le sommeil, elle l’a perdu, elle est perdue.
N’était-ce qu’un jeu, ou bien était-elle sincère ?
Patiemment, elle avait filé ses rets ; avec tout autant de patience, elle les avait tissées, puis les avaient déployées pour le piéger, l’amener à elle.
Au début, elle ne s’était qu’approchée, un regard par hasard, une bousculade malencontreuse, rien que d’ordinaire ; parfois des mots ; à d’autres moments, seulement des silences. Cependant à chaque pas, à chaque échange, elle resserrait un peu plus ses mailles lâches ; ni trop ni trop peu, juste assez pour qu’elles referment un peu plus à chaque fois sans qu’il ne s’en aperçût.
Au début, les choses avaient simples, faciles mêmes ; il suffisait d’une pichenette. Attentive, elle se réfrénait lorsqu’elle se sentait dériver, en proie à ses pulsions, et arborait alors ce masque d’indifférence qui était le sien depuis toujours. Parfois, il se fendait et alors elle dérivait, emportée par le flot impétueux de ses passions solitaires. Mais cela demeurait rare et il n’était jamais là ; elle y veillait.
Non ! Il ne devait pas ! Pas encore. Plus tard.
Par la suite, il lui fallut plus d’adresse, plus de doigté encore, car alors chacune de ses touches était semblable à une traîtresse caresse ; l’une de celle qui vous laisse un souvenir imprécis et indécis. Ni trop ni trop peu, toujours ainsi elle procédait et le jeu n’en était que meilleur. Innocent, il se laissait aller maintenant à de douces confidences, rien de méchant ni de surprenant, seulement des mots en échange d’autres ; quelques fois un regard, intéressé, appuyé.
Complice ?
Elle ne l’aurait pas permis, il était trop tôt encore.
Alors elle s’écartait, elle s’éloignait du sentier qu’il empruntait, jamais trop loin, jamais trop proche, sans pour autant le repousser s’il venait à ses côtés. Nerveuse, elle réprimait sa hâte ; il lui suffisait de si peu encore. Après il serait trop tard et tous ses efforts ne feraient que refermer un peu plus fort le nœud coulant autour de sa gorge. Mais, cela non plus, elle ne le désirait pas et, chaque soir, elle desserrait avec justesse les mailles, défaisait son ouvrage, pas plus qu’il n’en fallait, pas moins qu’il n’en devait.
À présent, qu’elles lui effleurassent la chair, elle tremblait de tout son être, car elle savait qu’il ne pouvait s’en échapper, il lui était possible de se blesser et elle ne saurait se le pardonner. Animal semblant apeuré, elle l’autorisait à se rapprocher, à tenter de l’apprivoiser, sans toutefois lui permettre de demeurer, car alors elle le meurtrirait, alors même qu’il n’était pas encore prêt, et elle pleurerait. Amant éconduit et tourmenté, elle entendait son cœur qui tanguait et se régalait, cependant qu’elle usait de son habilité pour refermer à jamais ses rets sur son être.
Jamais trop peu, jamais trop non plus ; le jeu de plus en plus ardu n’en devenait que meilleur.
Éploré, il désirait s’éloigner, mais ce n’était que pour mieux rechuter et alors elle le recueillait, semblable à l’oiseau tombé hors du nid à qui l’humain donne la becquée, cependant qu’elle affirmait un peu plus son emprise. Bientôt, il ne serait plus qu’une marionnette entre ses doigts dont elle se jouera et dont elle jouera.
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