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volume 11, Chapitre 3 « Quatre Balades : Sylvestre » volume 11, Chapitre 3

L’air épais s’insinuait jusqu’au plus profond de ses poumons ; nappe méphitique de composés soufrés et carbonés. Un pied posé sur la rambarde de métal oxydé, il contemplait la vallée qui s’étalait en contrebas ; jadis fertile, aujourd’hui stérile. À flanc de colline, penchée entre ciel et terre, un monstre de métal rouillait ; le vent qui pénétrait ses entrailles en ressortait en forme de gémissements lugubres et emportait avec lui les miettes rousses de sa fin prochaine. Le menton dans le creux de sa main, il jeta un coup d’œil derrière lui. La route, langue noire et infinie, se perdait dans un lacis de courbe dont il ne voyait pas la fin ; il cracha.

Le jet noir, incrusté de particules fines, fila dans les airs, lent, projectile brillant qui décrivait grâce une ellipse parfaite ; même le vent ne le déviait pas de sa trajectoire. Du regard, il le suivait dans sa course jusqu’au point d’impact ; un caillou grisâtre à quelques mètres de là. De la luxuriante végétation, ne demeurait plus que les trous, caries brunes dans un désert ocre et feu, qui se remplissait d’une eau jaunâtre et fétide à la moindre pluie, gorgée de toutes les saloperies offertes en guise de salutation par les gueules métalliques. Soudain, une ombre jaillie de l’un d’entre eux ; un lézard vermiforme, qui rampait plus qu’il ne courait, et dont les moignons lui tenaient lieu de pattes. Sa peau verruqueuse exsudait un liquide poisseux et nauséabond, à même de tenir éloigné le plus féroce des prédateurs.

— Qu’est-ce tu fous ? balança une voix aigrelette derrière lui. On n’a pas toute la journée devant nous, Dio’ !

Désabusé, il ne se retourna pas ; il préférait se perdre dans la contemplation de ce paradis de pacotille. Qu’en savait-elle, elle ? Est-ce qu’elle savait comment les choses étaient autrefois ? Autrefois ? Il rit. En fait, c’était si risible. Autrefois, ça sonnait si lointain alors même qu’il aurait pu dire hier. Dans le ciel, les nuages étaient rares, à peine visibles, semblables à des baudruches sales et dépenaillées. Avait-elle connu la vallée, avant ? Avant la venue des déchiqueteuses qui, faute de nourriture, s’en étaient venues et avaient tout dévoré. Il les revoyait, conduites par des automates de chair aux yeux creux, des silhouettes inertes aux yeux trop clairs et aux chaînes couleur chair. Certains s’étaient révoltés, mais on les avait aussitôt remplacés, ou alors ils dépérissaient. À la fin, il restait que les zombies, crève-la-faim, horde famélique à qui l’on murmurait ; penser était devenu un acte trop difficile, inutile.

Et elle ?

Il se détourna. Malgré son langage ordurier et ses manières, il devinait l’étincelle qui au fond de l’œil désigne la vie. En contrebas, les fantômes s’éveillaient ; ils étaient encore peu nombreux. Mais que la nuit tomba…

Il n’était pas possible de revenir en arrière, mais ils pouvaient toujours semer les graines du futur.

— Tu as préparé la grosse Berthe, Pix’ ?

Tout sourire, la gamine jaillit de l’arrière de la camionnette, un canon de 130 sous le bras ; c’était toujours la partie qu’elle préférait, surtout quand ils hurlaient.

— In nomine Patris, et Fillii, et Spiritu sancti, ricana-t-elle, la gueule noire pointée vers la horde qui s’agitait dans le fond de la vallée.


Texte publié par Diogene, 5 février 2020 à 21h26
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