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volume 11, Chapitre 1 « Quatre Balades : Matinale » volume 11, Chapitre 1

Ce matin-là, il contemplait l’asphalte détrempé, les pieds au bord du trottoir ; seule l’extrémité de sa chaussure débordait de la falaise de pierre. Dans le caniveau, les flots noirs, gonflés des eaux de pluie, charriaient toutes sortes d’objets et de détritus. À la surface, des irisations dansaient, signature dérisoire de la présence de chaînes carbonées aromatiques et saturées, dont les effluves saturaient l’atmosphère détrempée. À quelques encablures de là, une voiture rouillée agonisait ; les pillards l’avaient presque désossée et ce qu’il en restait ne pouvait être que de faible valeur en regard des risques. Couché sur les ressorts de banquette, un ozarus dormait ; son œil grand ouvert, vitreux et sanglant, sanglant comme la pluie noire qui tombait depuis les rivages, sanglant comme les pierres célestes qui déchirent le ciel. Depuis la casemate de béton lépreux, qui constituait son poste d’observation, il en devinait la silhouette massive, prêt à décamper au moindre signe d’hostilité de sa part. Au-dessus de la carcasse inanimée, un panneau d’affichage à l’écran cassé hoquetait, laissant s’échapper par instant des bouffées lumineuses et disparates : des images perdues, carrés dorés et délicieux. Personne ne lui avait arraché son précieux trésor : un entrelacs infini de gaine coloré au sein desquelles courraient des myriades de fibres aux reflets orangés. Sans doute la présence de l’ozarus les avaient-ils dissuadés… sans doute ; son pied frappa la canette coincée entre deux bras d’un barrage, assemblage misérable de vase et de branchages. Entraîné dans les airs, il contempla un long moment son aérostat improvisé. À toute allure, ses paupières s’ouvraient et se fermaient ; dans le ciel, le vol s’éternisait. Soudain, un bruit clair, métal sur l’inerte, sur l’inepte matière ; la canette qui heurte le macadam. Les yeux grands ouverts, des yeux sanglants et verts captaient les brins de lumière ; la canette reposait raide au milieu de la route, renvoyant les effluves blancs d’un lampadaire ; couché sur dans la carcasse, l’ozarus dormait toujours. Le pied en l’air, il le regardait ; le geste s’étirait et la pluie jamais n’en finissait. À l’extrémité de sa chaussure, les gouttes noires collaient à sa semelle, avant de retomber sur le sol de pierre. Dans la rigole pierreuse, le barrage de boue et de débris était devenu gros d’une boule à la surface sans éclat. Déchaînées, les eux huileuses se fracassaient dessus sans parvenir toutefois à la déloger ; elle lui rappelait d’étranges visions dans lesquelles des arbres, dont les branches ployaient sous le poids de fruits aux couleurs oubliées, dansaient. Accroupi, il tendit la main pour la saisir. Mais, alors que ses doigts se refermaient sur l’anneau de métal, une lame l’emporta. Charriée, ballottée la sphère heurtait des obstacles, les bousculaient, puis se fracassa en un millier d’éclats qui s’éparpillèrent dans les airs. Fragments miroirs, ils voletaient dans l’obscura nigra et lui renvoyaient l’image de l’ozarus couché son cercueil de fer ; l’arbre ténébreux avait disparu, de même que les étranges larmes décolorées qui tombaient du ciel épanché. Violente, la pluie tambourinait, arrachant des éclats de poussière et de verre aux éléments artificiels, puis dégouttait et se métamorphosait en une rivière de vase et de misère, avant de dévaler les canaux creusés jadis par des mains encore humaines. La figure penchée en arrière, il s’offrait à la pluie acide, celle-là même qui dévorait les terres et les êtres, mais lui s’en fichait. Les gouttes corrosives lui roulaient le long des joues, rongeaient ses yeux et sa peau ; au fond de ses prunelles se dessinaient l’ombre d’une créature ailée flottant au milieu de bulles irisées, dont il avait oublié le nom, mais dont les échos ressemblaient au cri d’un oiseau : l’eliel ! l’eliel ! Dans le caniveau, tout avait disparu, emporté par le courant furieux ; ne demeuraient plus que les eaux boueuses et sanglantes. En face, d’une boule cassée et suspendue semblable à celles qu’il avait entrevues, un oiseau aveugle, aux orbites vides où se reflétait le néant, prit son envol ; un cri jaillit de sa gorge et, un instant, il couvrit le grondement des larmes qui se déversaient sur le macadam. En l’entendant, l’ozarus referma son œil puis ouvrit l’autre ; l’heure n’était pas encore venue, il avait déjà festoyé ; la silhouette qui se découpait à l’ombre de la pierre artificielle l’indifférait. Cependant, comme tant d’autres choses, il la dévorerait ; bientôt.


Texte publié par Diogene, 23 décembre 2019 à 08h48
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