La chose-rêve était seule, depuis longtemps. La chose-rêve veillait, depuis longtemps. Depuis longtemps, son monde n’était plus empli de sombres ténèbres. Depuis longtemps, son monde avait sombré dans la lumière. Pourtant quelque chose changeait et la chose-rêve le savait.
Il était assis en tailleur, les mains jointes. Les yeux fermés, son visage était toujours tourné de côté.
– Pourquoi est-ce que tu ne rêves plus ?
La question était si innocente, si sincère. Hélas, la chose-rêve n’y voyait que mépris et moquerie, depuis que l’un était venu et avait brûlé l’obscurité, rendant ce monde à jamais lumineux. La chose-rêve était amère.
– Parce que je ne peux pas.
Ce n’était pas une réponse, mais une admonestation, une fureur contenue dans les mots, qui ne pouvait dissimuler la tristesse qu’elle ressentait chaque fois qu’elle levait les yeux vers le ciel.
– Pourquoi n’ouvres-tu pas les yeux ?
La chose-rêve n’avait que le goût du fiel dans la bouche ; épais et amer, il lui collait au palais. Tel un glaviot noir, la question avait frappé l’enfant au visage. Pourtant, il semblait imperturbable, malgré ses mains dont les paumes étaient désormais grandes ouvertes. La chose-rêve ne comprenait pas. Elle avait déjà tant chassé de ses intrus qui se pensaient capables de réparer son monde et de ressusciter les ombres. Curieuse, elle l’observa quelques instants. Ses bras s’agitaient, ses poignets faisaient des moulinets. La chose-rêve ne comprenait pas, alors elle se renfrogna.
– Pourquoi ne réponds-tu pas ?
– Pourquoi ? Puisque je ne sais pas.
La chose-rêve frissonna, puis se détourna. Elle ne savait pas pourquoi, cet enfant l’effrayait, encore plus que la gigantesque boule de feu qui brûlait dans le ciel ; cette chose qui, un jour, avait dévoré les ténèbres. Soudain, l’enfant se leva, la chose-rêve ne comprenait pas. Quelle logique pouvait animer cet être enfermé dans de fausses ténèbres ? Ses paumes closes, elle voyait ses doigts s’agiter semblables aux tentacules d’une méduse. Que faisait-il ainsi ?
– Pourquoi ne fermes-tu pas les yeux ?
À ces mots, la chose-rêve sursauta. Clore, fermer, forclore, enfermer, murer, obstruer, occulter, sceller, suturer. Que de mots oubliés, précipités dans l’abîme lumineux, balancés dans les abysses ardents de ce jour à jamais resplendissant, jetés dans la gueule béante du gouffre incandescent, anéantis par le joug impitoyable de ce ciel à la lueur éclatante.
– As-tu oublié ?
Sa voix était douce et mélodieuse. Encore une fois, la chose-rêve frissonna, effrayée par cette sincérité qui s’exaltait de ses paroles et du ton de sa voix.
– Je ne sais pas.
– Ce n’est pas grave.
L’enfant s’était rassis et, tout sourire, de nouveau ses mains s’agitaient à la recherche de ses choses invisibles, qu’il recueillait ensuite au creux de ses paumes vides. Tapie dans un recoin, la chose-rêve, malgré la peur qui l’étreignait, était curieuse.
– Que fais-tu ?
– J’attrape le vide, car c’est à partir de lui que je vais façonner la pierre-obscure et guérir ce monde où tu vis.
La chose-rêve ondula, car elle ne saisissait pas le sens de sa phrase ; trop de mots lui manquaient. Obscure, sombrure, texture, suture. Quels étaient donc ces mots qui, soudain, s’éveillaient en elle ? Soudain, l’enfant se releva et tendit les bras vers le ciel ; un sourire imperturbable vers le ciel.
– Que fais-tu ?
L’enfant se retourna vers la chose-rêve.
– Ne te l’ai-je point dit. Je vais guérir ton monde à l’aide de la pierre-obscure, ainsi renaîtra le rêve des ténèbres.
– Insensé ! Cela ne se peut !
– Qui a dit cela ? rétorqua l’enfant d’une voix malicieuse, tandis qu’il suspendait la pierre-obscure dans les cieux.
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