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volume 8, Chapitre 2 « Quatre Choses : Obscure » volume 8, Chapitre 2

Il faisait noir, mais ce n’était pas le soir.

– Pourquoi on ne peut rien voir ?

Il y avait un accent de naïveté dans la question, une touche d’ingénuité.

– Parce que c’est ainsi.

Ainsi, inéluctable, sans échappatoire, aucune issue possible.

– Ah.

La réponse lui évoquait un soupir, ce souffle que l’on expire lorsqu’il n’y a plus rien à dire. Elle trouvait cela amusant et en même temps terriblement ennuyeux. La chose-obscure ferma les yeux et il fit encore plus noir.

– Pourquoi il fait si noir ?

– Mais il fait déjà noir, ricana la chose-obscure. Il n’existe pas de nuances de noirs.

– Ah.

De nouveau ce soupir. Cet air expulsé depuis le fond des entrailles avait jailli de son poitrail. La chose-obscure entrouvrit un œil. Elle aperçoit cette forme dont l’air excrété façonnait ces mots qui l’amusaient tant.

– Pourquoi es-tu si noire ?

La chose-obscure sursauta. Comment pouvait-il la voir ?

– Parce que c’est comme çà.

De son œil entrouvert, elle scrutait cette chose qui le regardait. Elle n’aimait pas çà, parce que ça n’arrivait pas.

– Ah.

Toujours cette syllabe. N’avait-il rien d’autre à répondre, que ce son si court, si brute, si abrupt ? La chose-obscure ouvrit un autre œil, celui qui ressemblait à un lac d’encre noire. Elle distinguait sans peine la silhouette, comme un contour flou dans l’obscurité profonde.

– Pourquoi es-tu venue ?

– Je ne sais pas.

La chose-obscure comprenait de moins en moins et elle ouvrit son troisième œil, celui qui voyait dans les ténèbres. C’était un enfant, il tenait entre ses mains une pierre, une pierre de rêves. La chose-obscure l’aurait reconnu entre tous. Comment une telle chose avait-elle pu se retrouver là ? La chose-obscure frissonna.

– Pourquoi as-tu peur ?

La question l’avait prise au dépourvu. Dans le noir, l’enfant ne pouvait pas la voir. Il ne possédait pas, comme elle, l’œil qui perce les ténèbres. La chose-obscure choisit donc de se taire. L’enfant ne devait pas savoir. Alors elle se tassa un peu plus loin dans le noir et l’observa. L’enfant ne bougeait pas. Il demeurait immobile et semblait scruter le ciel. Mais à quoi bon, se dit la chose-obscure. Il n’y a que des ténèbres là-haut, car c’était sa chair même, et elle ricana en elle-même. Mais au même instant l’enfant se leva et étendit une main vers le ciel, la pierre-rêve entre les doigts.

– Pourquoi fais-tu cela ?

L’enfant ne répondit pas. À la place, il dessina sourire sur ses lèvres et se tourna vers la chose-obscure. Celle-ci frissonna, car elle ne comprenait pas ce qu’il faisait là. Pourquoi ne fuyait-il pas ? Intriguée, la chose-obscure, les yeux grands ouverts, le fixait, fascinée qu’elle était par la pierre-rêve.

– Est-ce que tu la veux ?

Mais la chose-obscure ne savait que répondre, confondue qu’elle était par l’innocence de ce garçon qui tenait entre ses mains le plus beau des joyaux.

– J’en façonnerai une autre.

Il avait prononcé ces paroles comme il aurait parlé de n’importe quoi.

L’enfant avait posé sur le sol la pierre-rêve, puis s’était éloigné. La chose-obscure la fixait de peur qu’elle disparaisse ; elle était si belle avec son cœur de ténèbres. Elle ne vit pas l’enfant revenir sur ses pas. Entre ses doigts, il tenait une autre pierre-rêve, façonnée à partir de l’obscure matière. Une fois de plus il contemplait le ciel noir de ténèbres. La chose-obscure ne le quittait pas des yeux, alors qu’il tendait le bras vers le noir céleste et y plaçait la pierre-rêve.

– Est-ce que tu peux le voir ?

La chose-obscure tourna son œil, celui qui voit dans les ténèbres vers le ciel. Mais elle ne voyait que le noir.

– Je ne sais pas.

Que pouvait-elle répondre elle qui ne vivait que dans les ombres du monde ?

– C’est dommage.

L’enfant avait retiré son bras. Il s’était reculé de quelques pas et admirait la pierre-rêve qui scintillait dans la voûte céleste.

– Pourquoi ?

– Parce que rien n’est plus beau que les rêves.

– C’est quoi, un rêve ?

La chose-obscure n’avait pu retenir ces quelques mots ; aveu d’une faiblesse dont elle voulait taire le nom.

– Quelque chose qui naît des ténèbres.

Et la chose-obscure pleura.


Texte publié par Diogene, 19 novembre 2017 à 21h17
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