«

»

– Que regardes-tu dans le noir ?

– Je ne sais pas.

La voix de l’enfant avait de cela qu’elle était tout à la fois douce et âpre, comme si elle évoluait à des lieux de là.

– Et toi ?

– Moi ?

– Oui ! Pourquoi me regardes-tu dans le noir ?

La chose-ombre s’agita un instant. Ses contours ondoyèrent une fraction de temps comme si elle cherchait une réponse appropriée. Mais il n’y en avait pas. Enfin, elle n’en trouvait pas. Alors la chose-ombre ne dit plus un mot et détourna son regard.

– Pourquoi as-tu cessé de voir ?

C’était encore l’enfant. La chose-ombre ne comprenait pas le sens de sa question. Pourquoi aurait-elle cessé de voir, puisqu’elle avait toujours évolué dans le noir ?

– Je ne sais pas.

L’enfant ramassa une pierre-larme et la brandit du plus haut qu’il lui était permis. La chose-ombre s’en approcha. Elle était attirée par les éclats bleutés qui dansaient à l’intérieur. Pourtant, elle se recula. Elle avait peur de blesser l’enfant qui la tenait entre ses doigts.

– Pourquoi ne viens-tu pas ? As-tu peur de moi ?

À sa place, la chose-ombre se tassa et frissonna. Ce n’était pas la première fois qu’elle voyait une pierre-larme. Pourquoi ne la volait-elle pas ? Elle ne savait pas. Dépitée, elle tourna de nouveau son regard vers l’enfant. Son visage se dressait vers le ciel presque tout noir. Il avait posé la pierre-larme à côté de lui. Il l’aura oubliée pensa la chose-ombre. Elle n’avait pas fait un pas que l’enfant la regarda.

– Je croyais que tu avais peur de moi.

Sa voix était calme. La chose-ombre ne comprenait pas. Pourquoi cet enfant ne fuyait pas ? C’était pourtant toujours comme çà.

– Pourquoi demeures-tu dans le noir ?

– Et toi ? Pourquoi vis-tu dans le noir ?

La chose-ombre hésita. L’enfant répondait à ses questions par d’autres questions. Ce ne devait pas être comme çà. Ça ne se passait jamais comme çà.

– Parce que je suis né là.

– Ah !

Comment çà ? « Ah ! » Pourquoi n’était-il pas plus surpris que çà ? Pourquoi ne poussait-il pas de hauts cris ? La chose-ombre, de nouveau, se recula. L’enfant avait posé son menton sur ses genoux et fixait la chose-ombre. Puis il s’en désintéressa et ramassa la pierre-larmes.

– Je croyais que tu la voulais.

La chose-ombre ne répondit pas. La pierre brillait entre ses doigts, alors la chose-ombre s’avança de quelque pas. L’enfant l’avait posée par terre et la poussa vers elle. La chose-ombre ne bougea pas. Elle ne comprenait pas pourquoi cela se passait comme çà. Soudain, l’enfant se recula, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus toucher la pierre-larme, même du bout des doigts.

– Pourquoi fais-tu ça ?

– Comme çà.

« Comme çà ». Ce n’était pas une réponse, comme çà. La chose-ombre ne savait pas si elle devait insisté ou pas. En face d’elle, la pierre-larme l’appelait. Mais la chose-ombre ne s’avançait pas. Elle n’osait pas.

– Pourquoi ne la prends-tu pas ? Elle est pour toi.

– Je ne sais pas. Peut-être parce que j’ai peur de toi.

L’enfant se leva.

– Tu m’as demandé pourquoi je demeurais dans le noir.

La chose-ombre se rétracta. Elle ne comprenait pas le sens des paroles de cet enfant qui trouvait refuge dans le noir, au milieu de ses cauchemars.

– C’est le seul endroit où je peux toucher du doigt les étoiles.

Sur la pointe des pieds, l’enfant étira son bras et cueillit l’une des pierres-larmes qui peuplaient le ciel presque tout noir. Ensuite, il se pencha et la posa à côté de la première. Il se redressa et adressa un sourire plein de compassion à la chose-ombre qui ne bougeait pas.

– Où vas-tu ?

– Je ne sais. Là où me porteront mes pas.

Bientôt, l’enfant ne fut plus là. La chose-ombre fixait les pierres-larmes. Elle s’avança de quelques pas et étendit un bras. De l’extrémité, elle en toucha la surface. Elle était roide et froide. Alors la chose-ombre s’en empara et les dévora. Repue, elle tordit son cou grêle en direction du ciel pas tout à fait noir. Les pierres de larmes scintillaient, presque irréelles ; la chose-ombre pleurait.