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volume 7, Chapitre 4 « Quatre Mères : Mater Nocturnis » volume 7, Chapitre 4

25 attombre

Il n’est plus question de reculer. Les rouages de la grande horloge se sont mis en branle et plus rien ne les arrêtera. Nous sommes condamnées. Nous nous sommes condamnés et sa mort n’aura que hâté notre marche. Elle sonne comme un étrange avertissement. Nous traversons cette singulière forêt, où les arbres semblent figés à jamais. Un inexplicable sentiment de paix et de sérénité nous habite ; nous en sommes presque effrayés. Sans doute est-ce le silence de ces sombres silhouettes immobiles et muettes, projetées sur les troncs blanchis, qui nous impressionnent ainsi. Par un miracle que nous ne nous expliquons pas, ce lieu est illuminé et le ciel est peint de bleu. Nous étions dans une grotte auparavant… Cependant, nous profitons de ce répit pour reprendre quelques maigres forces. Pourtant, plus nous nous attardons en ces lieux et plus la main glacée de la mort se rapproche. Pourquoi demeurons-nous ? Hiroshima ! Ce mot s’est imposé tout seul à mon cœur. Qu’est-ce que c’est Hiroshima ? Un fantôme ?

33 attombre

Nous goûtons, pour ceux d’entre nous qui sont encore en vie, les fruits amers de la vérité. Elle est là tout autour de nous, indicible, invisible, elle nous crève les yeux de sa lueur aveugle. Hélas, nous ne pouvons abandonner, nous ne l’avons pas encore trouvé. L’accomplirons-nous seulement ?

Seuls, nous sommes seuls, si seuls, au milieu de cette forêt pétrifiée… vitrifiée. Ce mot… je tremble de le coucher sous ce qui me sert de plume. En ces lieux, il n’est ni souffle ni ténèbres obscures, juste des ombres, ces ombres, et de la lumière. Le ciel est bleu, comme si un géant dissimulé soufflait pour l’éternité.

Au loin, nous apercevons l’arche, ou du moins ce qu’il en reste. Y parviendrai-je ? Je m’interroge en couvant du regard mes compagnons morts.

45 attombre

Nous ne sommes plus que deux, pelés. Notre peau se détache par plaque, nos cheveux tombent par poignées et nos regards ont la couleur du grenat. Nous l’avons retrouvé un peu plus tôt ; ses ossements, offerts à tous les vents. Entre ses doigts, phalanges blanchies et polies, il gardait, serré dans sa paume, une poignée de grains fripés et desséchés ; des raisins. J’ignore encore ce qu’il m’a pris. Je me souviens juste de la colère qui me brouille la vue. Puis je la lui aie tranchée ; comme ça, d’un seul coup, à hauteur du poignet à l’aide de ma machette. Le métal a fait un bruit sec et des éclats ont volé ; lui aussi souffre de sa malédiction. Autour de nous la forêt est demeurée silencieuse, immobilisée dans une terreur glacée.

47 attombre

Dans un sourire presque édenté, il me questionne à propos de cette entité oubliée que nos ancêtres appelaient soleil, avant que tout ne fût consumé dans les ténèbres. Je me moquerai volontiers si, moi-même, je ne m’interrogeais pas, le visage tourné vers ce ciel de lumière. Un peu de sang remplit ma bouche, mêlé de salive, je l’éjecte au loin, en même temps qu’un grain ivoirin. Mon compagnon ricane. Mais, bientôt, il ne rit plus et tousse, crache, tente d’expulser cette humeur malsaine qui lui empoisonne le sang. Il pose sur mon bras décharné une main maigre et osseuse. Ses yeux grenat plantés dans les miens, il me fixe. Va la trouver ! semble-t-il m’intimer. Ses prunelles écarlates roulent dans leurs orbites ; elles vont jaillir, pendant ce temps, paresseusement, des larmes de sang coulent le long de ses joues. C’est le regard d’un fou.

51 attombre

Il est mort. Il est mort et je l’ai enterré et je me suis libéré. À peine mes doigts l’ont-ils effleuré que je l’ai senti se briser et je l’ai entendu m’appeler. Ma figure tournée vers le ciel, je l’ai vu se fendre et s’enrouler pour mieux révéler l’obscurité dissimulée. Colonne de fumée, elle a fondu sur l’arche éventrée, Mater Nocturnis, et de son cœur a jailli un cheval pâle. J’entends sa voix, elle me parle au travers de mon âme : Lux ergo viri buccinis personantes. Sic homo, spiritus ac tenebras. Hélas, les forces me manquent et mon corps putréfié me retient prisonnier. Son nom, je dois le prononcé, car lui seul saurait me délivrer. Déjà j’ai brisé le sceau de l’âme, mais non celui de la chair.

Aislunenn ! hurlé-je.

Le cri, assourdissant, déchire mon enveloppe charnelle tandis que s’effondre l’ancien temple révélant un cœur toujours palpitant. Je m’avance, ma monture m’attend. L’humanité dans sa folie a invoqué les quatre Mères, accompagnées de leurs quatre cavaliers ; je suis le dernier.


Texte publié par Diogene, 27 juin 2017 à 20h12
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