Ce soir, la lune est claire et les passagers peu pressés. Dans la gare, ils ne sont qu’une poignée, dont les regards s’entrecroisent sans jamais se voir. Âmes perdues, égarées, abandonnées ou déchues, elles se retrouvent toutes en ce lieu, gare terminus de la galaxie. Depuis le quai, par la fenêtre, il contemple de temps à autre leur singulier ballet, fait d’esquisses et de tentatives. Sont-ils vivants ? Sont-ils morts ? Peu lui importe, il veille à ce que leur départ se déroule au mieux. Il est quelques minutes avant minuit et ils vont bientôt partir. Du coin de l’œil, il surveille l’extrémité de la plateforme. Elle rôde là, au milieu des ténèbres, non loin du seuil, prête à fondre sur sa proie. Mais elle ne bougera pas tant qu’elle sera là. Non ! Elle demeurera dans l’ombre, affamée.

Il s’empare alors de son sifflet et le porte à ses lèvres. La stridulation résonne dans la gare. Puis, c’est sa voix qui invite les voyageurs à monter. Qu’ont-ils entendu ? Sans doute un écho de leur vie passée. Parfois, cela l’attriste. Cependant, il aime son travail, car rien ne remplacera ce voyage qu’il effectue chaque soir. Il sourit, malgré la mélancolie qui, chaque fois, le saisit.

– Les voyageurs pour le train de Minuit ! En voiture !

Sa voix résonne dans la gare, tandis qu’il balaie du regard la foule qui se presse. Soudain, il lui fait signe depuis sa fenêtre. Trop tôt ! Trop tard ! Il la voit. Elle est là, sur le quai, penché sur l’oreille d’un garçon égaré. Elle lui sourit. L’enfant a disparu. Dans sa poitrine, son cœur se serre, car il a failli. De sa victime, il ne reste rien, sinon un bouton de son gilet.