L’homme soupire. Sa casquette est encore tombée sur ses yeux. Il la relève. Il sait qu’elle est trop grande pour lui. Il n’a jamais songé à en changer. L’idée l’a déjà effleuré, mais il a toujours renoncé. Il l’aime, malgré ses défauts.
Sa tournée est largement entamée et son sac commence à lui peser. Dans le wagon, ils ne sont que quelques poignées, dispersés aux quatre coins des rangées. C’est une petite nuit. Heureusement, le souffle paisible des voyageurs endormis est là pour lui donner du cœur à l’ouvrage, même s’ils sont peu nombreux ce soir. L’homme s’empare de son chargement qu’il traîne sur le sol, quand soudain l’un des dormeurs bouge. Il se précipite vers lui et lui jette un peu de cette poudre grise, qu’il a puisée dans une bourse ceinte à sa taille. L’homme soupire, le voyageur endormi ne se réveillera pas. Un peu de poussière colle encore sur ses paupières. L’homme au sable s’approche, les époussette, puis repart.
Ses pas étouffés par la moquette épaisse, ne demeure que le son produit par le raclement du cuir sur les fibres synthétiques. À mi-chemin, il compte sur ses doigts. Il ne lui en reste plus que deux et il aura achevé sa tournée pour ce soir. Les rangées suivantes sont vides et il passe devant sans les voir. Un peu plus loin, quelques têtes dépassent. Il ne les a pas encore endormis, ils sont seulement assoupis. L’homme au sable tâte sa bourse, elle est presque vide. Il l’ouvre et dénombre les grains. Il n’en reste que trois ; ce ne sera pas suffisant. Son sac traîne sur le sol. Il le redresse et défait le nœud qui l’étrangle, dévoilant son mystérieux contenu : du sable noir qu’il recueille entre ses doigts. Sa bourse pleine, il le referme, puis s’avance jusqu’à hauteur des derniers voyageurs. Ses mains en coupe, il souffle dessus et soulève un nuage fait du sable de la nuit, qui se dépose sur leurs paupières closes ; les voici à jamais endormis. Soudain, il remarque une veilleuse ; le préposé l’aura oublié lors de sa tournée. Agacé, il soupire en silence et pose son sac contre un fauteuil vierge de toute présence.
C’est une figure aux boucles d’or. Malgré lui, il ne peut s’empêcher d’écarter les mèches de cheveux qui lui couvrent les yeux. Qui irait lui en faire la remontrance ? Personne. Il demeure un long moment impassible, à contempler le visage glacé, puis se retire. Derrière lui, sa besace est devenue un peu plus légère. Il arrive au bout du couloir. Bientôt, il franchira le sas. Il se retourne et jette un ultime coup d’œil en arrière. Tous respirent, paisibles. L’homme au sable sourit, presse le bouton et passe les vantaux. Par l’ouverture s’engouffre le fracas des masses de métal en mouvement. Mais il ne va pas plus loin. Il préfère contempler le train qui, cette nuit encore, convoie les âmes à travers la Voie lactée.
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