Allongée dans son lit, la jeune femme ne parvenait pas à trouver le sommeil. On aurait dit qu’il la fuyait. Elle était retournée dans la grande sale après sa rencontre avec la jeune servante, mais avait rapidement fait demi-tour lorsqu’elle y avait vu le jeune Sire de Constespand. Elle n’avait pas la tête à se quereller avec lui. Se mettant sur le dos, elle ouvrit les yeux et fixa le plafond. Tandis qu’elle suivait les nervures du bois du regard, les paroles de la petite servante tournait en boucles dans sa tête. Lorsque la petite avait compris qu’Azeo n’accepterais pas le contrat son visage c’était comme décomposé. Un peu comme si la jeune femme lui avait plantée sa dague en plein ventre. Mais qu’est ce qui pouvait donc tant l’effrayer chez cet homme ? Ce baron de Mont Castin... Qui était-il ?
Se tournant sur le côté, la jeune femme plongea dans ces pensées. Au cours de ces quelques dernières dizaines d’années passées au palais royale de Kinaroc, écoutant tous les commérages provenant aussi bien des servantes que des nobles, jamais le nom de Mont Castin n’avait été évoqué. Ce qui est étrange, car toutes personnes un peu fortunées, tel un baron, devait être connu de la cour du haut roi. C’était comme s’il n’avait jamais exister.
N’en pouvant plus de rester là, sur son lit, avec de telles pensées, la jeune femme repoussa ses couvertures d’un coup de pied. Elle fulminait. Le Faucon de la nuit avait refusé le contrat, alors pourquoi ne pouvait-elle pas se sortir la voix suppliante de la jeune fille de la tête ? Elle devait l’admettre, elle avait été touchée. La jeune femme pensait cette partie, si tendre et gentille, prête à tout pour aider les autres, morte en même temps que cet homme. A croire qu’elle s’était trompée.
Soudain, une appétissante odeur de pain cuit envahit la chambre de la jeune femme, faisant saliver Azeo. Elle s’empressa d’aller ouvrir une fenêtre et jeta un coup d’œil dehors. Une légère bourrasque frisquet lui souffla au visage, faisant s'envoler quelque mèches de ses cheveux lâché et cascadant sur ses épaules. Le soleil n’était pas encore levé, mais le ciel se colorait déjà, prenant une teinte plus claire à l'horizon.
Passant une robe de chambre sur ces épaules, elle sortit de ses appartements et se dirigea vers la cuisine du château, n’ayant qu’à suivre les odeurs alléchantes qui flottait dans tout le château et réveillaient le ventre de la jeune femme qui poussa un petit gargouillement. Jamais réveil ne pouvait être plus agréable. Bien qu’il fût tôt, les marmitons devaient déjà s’activer devant leurs fourneaux. Il fallait que tout soit prêt pour le petit déjeuner du seigneur et autres nobles du château.
Avant même de franchir la porte des cuisines, un brouhaha joyeux et emplis de camaraderie parvient aux oreilles de la jeune femme, lui faisant marquer une pause.
— On dirait que vous avez faim.
Cette fois, Azeo avait entendu la femme arriver. Astrid se tenait derrière elle. Elle avait délaissé son armure pour un pantalon de cuir et une tunique blanche, bien plus pratique et bien moins bruyant. Si la première fois qu’Azeo l’avait vu elle avait été surprise de voir une femme chevalier, elle s’était vite rappeler que c’était chose courante à Reanach. La jeune femme lui sourit.
— Effectivement. Je serais capable d’avaler un bœuf !
Riant aux éclats, la chevalière passa son bras sous celui de la jeune femme et l'entraîna dans la salle.
— Vous me plaisez de plus en plus. Peu de nobles dames avoueraient avoir faim. Elles tiennent beaucoup trop à leur image et à leur ligne. Si vous voulez mon avis, elles se privent de trop de bonnes choses.
Une fois attablées, une petite fille vient leur apporter un bol de gruau, des tranches de pains et des petits pots de confitures et de beurre. Un régal. Mais la jeune femme avait une autre idée en tête. Si elle avait accepté de manger avec Astrid, c’était pour une bonne raison. Elle voulait en apprendre plus sur cette histoire, sur le baron de Mont Castin et de ce qu’en avait dit la petite servante. Non pas qu’elle soit revenue sur sa décision. Elle n’allait pas accepter ce contrat.
Après avoir échangé quelques banalités et être revenue sur la fête de la veuille, Astrid expliquant qu’elle n’avait ou y participé car elle avait été appelé ailleurs, Azeo décida qu’il était temps de rentrer dans le vif du sujet.
— Puis je vous poser quelques questions, Astrid ?
— Oh, mais oui ! Bien sûr.
— J’ai entendu d’étrange rumeurs sur un certain... Comment s’appelle-t-il déjà ? Ah, oui ! Le baron de Mont Castin. D’après ce que j’en ai compris, il se passerait des choses étranges entre lui et quelques servantes.
A la vue du visage d’Astrid, perdant son sourire habituel et un orage éclatant dans ses yeux gris, Azeo comprit que ce n’était pas qu’une simple histoire inventée par la petite servante. Il y avait véritablement un problème avec cet homme.
— Ce porc ! Peu importe ce que vous avez pu entendre de la bouche de certain noble durant la soirée, tous ces récits sont en dessous de la vérité.
La chevalière avait crue qu’Azeo avait entendu des rumeurs durant la fête. LA jeune femme n’aurait même pas à expliquer comment le nom du baron lui était venu, Astrid lui ayant donné une explication parfaite. Lors de ces soirées où le beau monde se retrouvait, c’était une véritable foire aux commérages.
Astrid bus quelques gorgées de sa bière, tout en jetant un regard alentour.
— Ce baron n’est qu’un animal. Il a jeté son dévolue sur plus d’une servante ayant tout juste atteint l’âge suffisant pour voir leurs formes se développer. A chaque fois, il leurs a fait des avances. Vu qu’il est baron, aucunes n’a eu le courage de refuser. Et à chaque fois, elles sont revenue en larmes. Elles ne prononcèrent aucunes paroles. Elles faisaient simplement leurs bagages et partaient.
La jeune femme fit une pause, plantant son regard dans celui d’Azeo.
— Officiellement, il ne s’est jamais rien passé. Mais officieusement, elles ont toutes été violées et tourmentées psychologiquement.
— C’est horrible !
Azeo avait porté sa à main à sa bouche, jouant la stupeur et l’indignation, tandis que c’était de la haine pure à l’encontre du baron qui la parcourait.
— Oui. Le pire étant que l’armée n’a jamais pu prouver quoique ce soit. Et comme les petites sont restées muettes...
Elle croqua dans un petit pain couvert de confiture tout en dévisageant la jeune femme.
— En tout cas, faite attention à vous.
Azeo avait-elle commis une faute ? Non, elle était sûre d’avoir joué son rôle à la perfection.
— Comment ça ?
— Je connais les personnes comme vous. Si vous m’avez interrogée sur ce baron, ce n’est pas pour rien, contrairement à ce que vous essayez de faire croire. Ne faites rien de dangereux, ni qui me force à vous arrêter.
— Je ne ferais jamais une chose pareille. Je ne suis qu’une simple noble.
Azeo se leva, souhaita une bonne journée à Astrid, puis sortit. Elle n’avait pas fait deux pas qu’Astrid sourit, tout en buvant de nouvelles gorgées de bière. Reposant sa chope sur la table, elle murmura pour elle-même.
— Une simple noble ? Je ne crois pas.
Puis, se retournant, elle ajouta à l’adresse du nouveau venu.
— N’est-ce pas mon cher ?
Azeo passa le reste de la journée à enquêter sur le conte de Mont Castin, interrogeant parfois les servantes, mais principalement en écoutant les conversations des différents domestiques et quelque noble. Elle n’apprit rien de plus que ce qu’elle savait déjà. Il ne s’intéressait qu’aux jeunes filles. Par chance, alors qu’elle traînait dans la grande salle, faisant mine de se réchauffer près de l'âtre, elle surprit un échange fort important. Le fameux baron venait de quitter ces quartiers au château pour conclure un négoce en ville. La jeune femme se précipita vers les écuries et se félicita de ne pas porter une tenue trop voyante.
Elle arrivait dans la cour quand un homme bedonnant, une cape en fourrure sur les épaules, éperonnait son cheval. Tenant son homme et l’occasion d’en savoir plus, Azeo se précipita ver la stalle ou était garder son cheval et se lançant à sa suite. D’autres personnes empruntaient cette route, sûrement la seule menant du château au village en contre bas, là où se tenait les échoppes, les bars, les marchés et les lupanars. Elle croisa un groupe de femmes, discutant chiffons, deux hommes en train de débattre du prix des épices, ainsi qu’un groupe de servantes qui remontait en direction du château, des paniers à linge dans les bras, revenant sûrement du lavoir voisin.
Azeo ne lâcha pas sa proie des yeux, laissant néanmoins une bonne distante entre eux. Dans ces aller et venue incessantes, elle passait totalement inaperçu, ce qui la réjouie. Peu de temps après, de la fumée dégagé par les multiples cheminées du village s’élevait dans le ciel qui s’assombrissait. LE soleil entamait sa décente derrière les hautes montagnes. Imitant le baron, elle laissa sa monture aux bons soins d’un palefrenier qui attendait à l’entrée du village. Au vue des autres chevaux présents, c'était une chose courante. Sûrement un moyen pour garder le village propre et éviter que les milliers de passage de sabots de délabre les rues.
Elle failli perdre de vue le baron de Mont Castin, la foule s’intensifiant. Une fois les première rue derrière eux, ils déboulèrent dans un quartier animé, des étales envahissant les devantures des maisons, attaquant les bas-côtés des rues. Des hommes et femmes criant pour attirer les acheteurs, vantant les mérites de leurs produits. Elle en profita pour s’acheter une cape, donna quelque pièce a un marchant qu’il lui répondit par un sourire satisfait. L’habit lui permettrait de mieux se dissimuler.
Elle rattrapa le baron alors qu’il s’engouffrait dans une sombre rue adjacente. La jeune femme n’eut pas besoins de lever les yeux vers l’enseigne pour savoir devant quel bâtiment elle se trouvait. Un bordel. Et sûrement pas le meilleur du village vu son implantation. Il devait s’y passer des choses dont les gens le fréquentant ne voulaient pas qu’elle s’ébruite, sans quoi il aurait pignon sur rue. Le commerce des chaires n’était pas une chose répréhensible par la loi, du moment que certaines règles étaient appliqués. Ce qui, concernant l'établissement qui se dressait devant la jeune femme, ne devait pas être le cas.
Trouvant porte close, Azeo s’observa un instant. Avec sa tenue actuelle et sa maigre bourse, elle ne pourrait pas se faire passer pour une cliente. Elle ne pouvait donc pas suivre le baron pour le moment. Mais qu’à cela ne tienne. Elle trouva bien rapidement un autre moyen pour obtenir des informations sur le baron de Mont Castin. Une femme, ayant déjà passées les belles années de la jeunesse, quitta le lupanar.
Rabattant son capuchons sur sa tête, Azeo s’en approcha et, vérifiant que personne ne les regardait, passa son bras autour de la gorge de la prostituée. Serrant suffisamment pour l’empêcher de crier, mais pas de trop, afin qu’elle puisse toujours respirer, elle la tira dans une ruelle et chuchota :
— Je vais relâcher un peu la pression. Je te déconseille de pousser le moindre cri.
De sa main encore libre, Azeo avait tiré un petit couteau qu’elle plaça sous la gorge de la femme.
— Par pitié, ne me tuer pas !
— Je ne le ferais pas... Enfin si tu réponds à mes questions.
— Je le ferais ! Alors par pitié...
La jeune femme pouvait voir toute la peur qu’éprouvait sa victime dans ses yeux. Sa voix tremblait des sanglots que la femme retenait avec peine.
— Le conte de Mont Castin vient-il souvent ici ?
— Heu… Oui ! Il vient pratiquement tous les jours.
— Est-il seul ?
— La plupart du temps, sauf une fois par mois. Il vient avec une petite fille. A chaque fois elle est différente. Je ne sais pas qui elle est, mais…
Bloquant le flot de parole, Azeo plaqua sa main que la bouche de la femme.
— Ferme-la ! Ne répond qu’aux questions que je te pose. Pas plus. Hoche la tête si tu as compris.
C’est ce qu’elle fit. Étonnant ce qu’une simple lame pouvait faire. Les questions sur le baron continuèrent ainsi pendant un petit moment. Grâce aux réponses de la prostituée, la jeune femme en apprit bien plus sur sa cible en une soirée que depuis le début de la journée. Ainsi, il venait ici tous les soirs, payait toujours pour avoir les dernières femmes arrivées dans l’établissement ou les plus jeunes. Il passait toute la nuit avec, seul. Aucunes femmes n’avaient jamais parlées de ce qu’il se passait dans cette chambre, mais des cris de frayeur raisonnaient du début à la fin et la jeune femme choisis quittait le bordel dès le lendemain. Azeo avait relâché la prostituée puis avait regagné le château, contente des informations qu’elle avait soutirées.
Elle eut juste le temps de se passer une tenue plus adapté à la vie de châteaux qu’on frappa à la porte. C’était le Sire de Contespand qui se tenait devant elle.
— Le seigneur du château souhaite dîner avec ses invités. Votre présence est donc requise.
— Oh ! Ce sera un plaisir, comme à chaque fois. Mais dite moi, il est possible que je me trompe, mais jouer au coursier fait-il partie des attributs d’un Sire ?
Le jeune homme serra les points. Décidément, ce devait être une habitude.
— C’est un honneur de servir mon seigneur. Et c’est un gage de son estime envers moi que de me confier une telle mission.
— Hum... Si vous le dite. Enfin, moi, je ne le vois pas de ce point de vue. Mais si cela vous plaît d’être le toutou du seigneur de ce château, libre à vous.
— Comment osez-vous ? Je suis Sire et vous une simple Dame de cours. Vos paroles sont une insulte à ma personne. Je pourrais vous demander des excuses publiques pour votre outrage ! Qui plus est, je parierais toute ma fortune que vous ne faites pas mieux avec votre roi.
— Vous ne devriez pas pariez sans savoir. Vous allez finir pauvre bien vite. Enfin, je n’en veux pas à un petit homme des montagnes de ne rien savoir sur les uses et coutumes de la cours du haut roi.
Le jeune homme ouvrit la bouche, près à répliquer, mais n’ajouta rien, préférant tourner les talons et traverser le couloir. Toutefois, ses pas raisonnaient contre les murs de pierres, signe de son agacement.
L’idée de passer sa soirée en compagnie du seigneur du château ne tombait pas vraiment bien, mais la jeune femme ne pouvait pas se défiler. Aussi, après une rapide toilette, s’y rendit-elle. Le repas fut d’un ennui mortel. Entre les regards soutenus du jeune sire, les œillades pas très discrètes de la petite servante et le sourire amusé d’Astrid, la jeune femme se sentit épiée de tous les côtés. A cela fallait encore ajouter des diverses questions des nobles sur les nouvelles coutumes et usages de la cours du haut roi.
C’est tout juste si la jeune femme entendit le seigneur du château signaler leur départ, pour le palais royal de Kinaroc, qui aurait lieux dans deux jours. Ainsi, si Azeo voulais faire quelque chose pour régler le problème du compte, elle devait agir le lendemain.
Son plan était prêt. La jeune femme avait passé toute la nuit et la matinée suivante à examiner toutes les options qui s’offraient à elle pour approcher le baron. Elle avait ensuite éliminé les possibilités qui lui auraient fait prendre trop de risque, puis laisser de côté celles qui ne lui plaisaient pas. Elle avait beau être une mercenaire, et assassin à ces heures perdues, elle avait un minimum de principes. Le crime ne devait pas être trop choquant, afin d’éviter que les autorités ne s’activent dessus plus que nécessaire. Après tout, eux aussi voulait voir disparaître les êtres du genre du baron de Mont Castin.
Au repas du midi, la jeune femme avait pris soin d’accentuer son teint blanc en appliquant un baume à base d’eau distillée et de fleur de lys. Rien de tel pour avoir la même couleur qu’un malade. Prétendant se sentir mal, elle avait quitté le repas bien avant la fin et avait demandé à ce qu’on ne la dérange sous aucun prétexte du reste de la journée afin qu’elle puisse se reposer. Toutes les personnes présentes l’avaient crue, son jeu d’actrice ne laissant aucune faille visible. Cela lui avait demandé des années d'entraînement. Elle avait toutefois été soulagé de ne croiser ni Astrid ni cet horrible Sire durant le repas. Elle avait fermé sa porte et poussé la lourde armoire devant, s’assurant ainsi que personne ne puisse entrer.
La jeune femme avait ensuite délaissé ses habits de noble et, fouillant dans son coffre, avait sorti une robe de toile grossière, d’un rouge sombre rehaussé de bandes jaunes d’or sur le buste. Une bande de tissu plus délicat se situait en haut du corset et en faisait le pourtour, mettant en valeur la forme de ses seins. En somme, une vraie tenue de prostitué. Elle détacha ses cheveux, les fit retomber sur ces épaules. Les trouvant bien trop raides, elle les fit boucler à l’aide de petites barres métalliques chauffées. C’était mieux.
Azeo se regarda dans un petit miroir ovale, situé au-dessus d’une large commode à tiroirs. Il ne manquait plus que le maquillage et son déguisement serait parfait. C’est fou comment un peu de maquillage bien appliquer pouvait changer une personne, la rendant méconnaissable même à ses plus proche parents. Tout en noircissant ses paupières et rehaussant les trais autour de ces yeux à l’aide de khôl, la jeune femme finissait de peaufiner l’histoire de son personnage. Dernière née d’une famille nombreuse, la petite Marguerite n’a d’autre choix que de vendre son corps pour pouvoir se nourrir. Tout en jetant un dernier regard à son reflet, la jeune femme attacha autour de sa cuisse un petit stylet. Elle l’avait fait tremper dans de la Belladone. A petite dose, cette plante sert à insensibiliser les malades. A une dose plus élevé, elle est mortelle, paralysant les voies respiratoires.
Revêtant sa cape nouvellement acheté et rabattant sa capuche, la jeune femme sortie par la fenêtre et atterrie dans le jardin. Elle se dirigea tout droit vers le portail. Elle avait auparavant fait attention à ce qu’aucune patrouille ou gardes ne passe par là et ne la gênent. La sécurité de ce château laissait vraiment à désirer, mais elle n’allait pas s’en plaindre. Le soleil commençait à se coucher, donnant des tons sanglant au ciel, le colorant de rouge. Azeo ne put retenir un sourire sarcastique à la vue de ce spectacle, un peu comme si Endrina, la déesse du malheur et de la destruction approuvait son acte en faisant flamboyer le ciel.
Arriver devant le lupanar, la jeune femme ferma les yeux et expulsa tout l’air que contenaient ses poumons. Quand elle rouvrit ces yeux, ce n’était plus Azeo qui se tenait devant la porte, ni même le Faucon de la Nuit, mais Marguerite. Ces mains tremblaient quand elle demanda à parler au patron de l’établissement. Il la reçut dans une pièce exiguë ou trônait un bureau et une chaise en bois finement travaillé, ainsi qu’une magnifique banquette rembourré qui devait servir à accueillir les personnes de marques. Apparemment, tenir un lupanar devait rapporter.
Une bougie finissait de se consumer dans coin, empestant l’air de cire brûlé. A côté trônait une statue miniature de Talim, le dieu des marchands, de la bonne fortune et de la richesse. L'icône portait une bourse pleine à la ceinture, une balance dans une main et était recouvert d’une capeline en or. Ou tout du moins un métal rappelant de l’or. La jeune femme ne pensait pas que l’homme qu’elle avait devant lui était prêt à dépenser une petite fortune juste pour être dans les bonnes grâces d’un dieu. Il semblait bien trop vénal pour ça.
L’homme avait les cheveux gras, des yeux de fouine, mais portait des vêtements digne d’un riche marchant. Son gros nez était rouge à cause du trop grand nombre de chopes qu’il avait bues. Il s’affala plus qu’il ne s'assit dans son fauteuil et dévisagea la jeune femme avant que son regard descende d’un étage. Il scrutait la marchandise comme un boucher du bétail. Ici il n’était plus question de vie humaine mais de bout de chaire tout juste bon à vendre. Ce qu’il vit du lui plaire car il posa rapidement quelque questions à la jeune Marguerite. Il lui expliqua qu’ici c’était la discrétion qui régnait. Les filles n’avaient pas à poser de questions à leurs clients, et ceux-ci ne cherchait pas à en savoir plus sur la marchandise qu’ils achetaient. En somme, chacun s’occupait de ses petites affaires et tout était pour le mieux.
Il ne fut pas difficile de se faire embaucher. Le patron lui serra la main et la conduisit jusqu'à une pièce qu’il appelait le salon. En chemin, il lui précisa qu’il manquait de chair fraîche, ce pourquoi elle commençait le soir même qu’importe son expérience. Dans le salon, une dizaine de prostituées des deux sexes attendait patiemment qu’un client les choisi. La jeune Marguerite fut succinctement présentée puis se vit désigner une place. Elle préféra ne pas engager la conversation avec les autres personnes présente. Moins elle s’exposerait, moins on risquait de la reconnaître.
Elle n’attendit pas longtemps avant que le baron de Mont Castin pénètre dans l’établissement. Le gérant le reçus aussitôt. Ils discutèrent à voix basses quelques secondes et le regard du baron se posa sur la jeune femme. Il l’a parcouru du regard de bas en haut plusieurs fois, donnant l’impression d’être déshabillée a la jeune femme, puis il se frotta les mains et acquiesça de la tête. Le patron du lupanar vient chercher la jeune femme et l’emmena jusqu'à une chambre, situé tout au fond du couloir.
— Ecoute-moi bien. L’homme qui va venir est un de nos plus fidèles clients. Tu feras tout ce qu’il te dira. Je compte sur toi.
— Heu... Oui.
— Bien.
Et il s’en alla, la laissant seule. La jeune femme en profita pour jeter un rapide coup d’œil à ce qui l’entourait. La chambre était sobre sans être miteuse. Un lit avec des couvertures aux taches douteuses bien que sentant le propre. Des oreillers à pompons et aux tissus usés y étaient posés négligemment. Une commode avec une bassine, un pichet et un miroir. Tendant l'oreille afin de ne pas être surprise, elle enleva son stylet et le glissa sous l’un des polochons.
La porte s’ouvrit presque aussitôt. Un homme dans la quarantaine, aussi gros que les barriques de bières qu’il avait dû engloutir, plutôt petit, se présenta à la jeune femme. Scrutant son visage, les petits yeux marron de fouine de l’homme lui firent horreurs. Il avait les pupilles dilatées, sous l’effet d’un quelconque aphrodisiaque dont des traces de poudre était encore visible autour de ses narines. Elle se mit à trembler.
— Oh ! N’ait pas peur. C’est ta première fois ?
Baissant la tête, la jeune femme répondit dans un filet de voix.
— Oui.
— Ne t’en fait pas, je serais doux.
Mais son corps disait une tout autre chose. Sa respiration s’était accélérée sous l’excitation. Il se passa la langue sur les lèvres. De la salive dégoulinait légèrement sur son menton. Il s’approcha de la jeune femme, fit passer ses grosses mains sur sa poitrine.
— Allonge-toi !
Elle s’exécuta. Il se plaça entre ces jambes, fit remonter la robe de la jeune femme jusqu'à ces cuisses, tout en palpant ses seins de son autre main. Il baissa son pantalon et s’allongea sur elle. De la bile remonta dans la gorge de la jeune femme, qu’elle s’empressa de ravaler. Les caresses de l’homme étaient répugnantes. Elle l’entendit couiner lorsqu’il toucha son intimité, et les larmes lui vinrent aux yeux.
— Ne pleure pas.
Il lécha ses larmes, la dégoûtant encore plus.
Elle le laissa faire un moment. Il fallait que l’homme se perde suffisamment dans ses travers pour baisser sa garde. Elle en était consciente. Mais bien vite, le personnage de Marguerite explosa, laissant place à Azeo et à sa fureur. Cambrant le dos, elle fit discrètement glisser sa main sous le coussin au-dessus de sa tête. Ses doigts se refermèrent sur le manche de stylet. Elle leva le bras, plongea son regard dans celui du baron.
— Que les ténèbres aient pitiés de toi, porc !
La jeune femme abaissa son stylet, le plantant dans le dos de l’homme. Il cria aussitôt, gesticula, ce qui fit voler le stylet à travers la pièce, puis il l’attrapa par la gorge, l’étranglant de ces gros doigts potelés.
— Salle pute ! Tu vas me... le... payer...
Il s’écroula sur le lit en toussant, écrasant la jeune femme de son poids. Ses doigts étaient toujours enroulés autour de la gorge d’Azeo mais la pression se relâchait. Il crachota, ses lèvres devenant bleues. Un sourire de vainqueur aux lèvres, la jeune femme le fixa du regard, y déversant toute la haine qu’elle éprouvait envers ce genre d’individu, jusqu'à ce qu’il rende un dernier souffle rauque. D’un coup de genou, la jeune femme se libéra du corps et se massa le cou d’une main, prenant le pouls de l’homme de l’autre. Il était mort. Sa mission était finie. Elle n’avait plus qu’à rentrer. Elle rêvait maintenant de prendre un bon bain pour nettoyer son corps de la souillure.
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