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Soudainement, un tigre apparut dans la ville, ses griffes martelèrent le sol alors que son museau était à l’affut de la moindre nourriture. Il demeurait bien quelques tranches de viandes qu’on humait depuis les poubelles gorgées de détritus en tout genre. Simplement se perdre dans une de ses bennes lui aurait permis de se sustenter pour plusieurs jours.

Mais il dédaignait chacune de ses options.

Sa grosse tête s’immobilisa vers un groupe de jeunes filles qui riaient en regardant leur téléphone. L’une d’elle redressa la tête et croisa le regard félin. Elle ne put retenir un hurlement de terreur. Ses amis redressèrent alors la tête à leur tour.

- Q…

Elles crièrent à leur tour.

L’une d’elle sortit un briquet pour se défendre si la bête escomptait les attaquer. L’animal se lécha les babines, les yeux pétillant dans la nuit malgré les lueurs de la ville. Il s’approcha sans la moindre inquiétude. Des filins de buées sortirent des lèvres des demoiselles. L’une d’elle s’effondra sur le sol, la main pressée contre son cœur qui ralentissait petit à petit.

- N… Non…

- Sheng ! Cria une des filles. À l’aide ! À l’aide, appela-t-elle.

Elle écarquilla lorsque son souffle commença à s’amenuiser à son tour.

Le tigre se rapprochait.

Elle porta se doigts à ses tempes et se raccrocha à ses autres amies mais elles perdaient également leur contenance. L’une d’elle s’effondra en gémissant er puis ce fut son tour, les yeux exorbités, les lèvres pâles.

Sa vie lui était injustement dérobée…

Shun Wang avala un verre de baijiu avant de frapper dans ses mains et de les dresser vers le ciel. Ling rit à côté d’elle et lui resservit un doigt d’alcool. Un téléphone sonna. La jeune femme haussa un sourcil et attrapa l’appareil si bruyant. Après un simple coup d’œil, elle poussa un large soupir mais décrocha malgré tout.

L’homme s’étira légèrement, l’observant alors qu’elle lançait un « allô ? » mielleux. Il savait qu’elle partirait bien vite. Plus qu’une question de minutes. De secondes ? Il savait ce qu’elle dirait ? « Quoi ? Quand ? Où ? Combien ? », elle se lèverait et partirait.

Quand ? C’était la seule question à laquelle il pouvait répondre. La réponse était toujours, quoiqu’il se passe : immédiatement. Il se leva, débarrassa et se rendit vers le vendeur, posant les assiettes et attendit qu’il lui dise le montant à payer pendant que d’autres employés allaient prendre le caquelon d’huile parfumée.

- Merci beaucoup, nous espérons vous revoir bientôt.

- Moi de même. Vous avez toujours une nourriture aussi délicieuse.

- Merci.

Ils inclinèrent doucement la tête l’un envers l’autre. Ling retourna vers Shun qui venait de raccrocher.

- J’ai payé. Dit-il en lui tendant la main.

- Merci. Répondit-elle.

- C’est normal. Où est-ce que tu vas ?

- Xiangtan.

- C’est loin, ça… Remarqua Ling. Viens.

Il l’invita d’un geste à l’accompagner dehors. Elle sortit en premier et attrapa des baguettes pour remonter sa chevelure mi-longue en chinois. Il l’emmena à sa suite vers une voiture qui patientait à seulement une dizaine de mètres. Une somptueuse limousine grise. L’homme la précéda afin de lui ouvrir, elle ne le remercia qu’à peine et se glissa sur la banquette arrière et souleva une partie dure entre les deux sièges, y prélevant une épée Dadao. Elle récupéra également une tenue noire et sourit à Ling qui fermait la porte.

L’homme partit devant et ferma la fenêtre entre l’habitacle et la partie conducteur. Elle put alors en profiter pour se déshabiller. Elle enfila le vêtement sombre qui moula parfaitement son corps. Elle eut un petit soupir et passa un ruban rouge autour de sa chevelure.

Le tigre courait dans les rues, s’arrêtant ci et là pour se pencher sur des personnes triées selon son goût pour leurs armes. Au premier coup d’œil, n’importe qui pourrait succomber mais des demoiselles et des jeunes femmes étaient les victimes de prédilections. Tant et si bien que certains hommes, se rendant compte de cela, essayaient de rassembler leurs courages. Ils ramassaient alors des pierres ou des couvercles de poubelles pour lui jeter dessus.

L’animal ne rugissait pas mais bondissait de temps en temps et, là, ses épais crocs s’enfonçaient dans une épaule et dans la gorge qui cédait, ne laissant derrière elle qu’un affreux et écœurant bruit.

La peur se faisait plus forte, l’air se chargeait de fumerolles et embrumaient l’atmosphère. Les cris se multipliaient, le silence de la bête était tel que c’était plus effrayant que si elle avait rappelé sa puissance d’un grondement guttural.

Fuyant, un homme regarda par-dessus son épaule et ne vit pas la voiture qui venait de se garer. Il écarquilla les yeux et recula. Il n’arrivait même pas à balbutier des excuses tant il était sidéré. Il se tourna à nouveau, le tigre était loin, ouf. Le quidam voulut contourner la limousine mais se figea en voyant une tenue blanche aux finitions grises avec un magnifique dragon vert sui virevoltait entre les plus.

- Zhong Kui ? Questionna-t-il.

- Je suis une femme. Rit-elle en sortant de l’habitacle.

Un homme fit le tour de la voiture et lui tendit la main pour l’aider à tenir debout. Ce n’était pas évident avec cette tenue lourde et vaporeuse ni avec le chapeau de paille qui couvrait une partie de sa vue. De plus, le Dadao lui volait une main.

- Disparaissez tous, à présent. Dit-elle.

L’inconnu n’attendit pas plus longtemps pour s’enfuir en courant, la sueur coulant sur son cou.

- Qu’est-ce que c’est ?

Elle repoussa des fumerolles et laissa d’autres s’enrouler autour de ses doigts. Elle reconnaissait là le Qi mélangés de plusieurs âmes à qui les portes du Paradis se fermaient.

- Un Mei, sans aucun doute. Dit-elle.

La femme s’avança.

- Disparais aussi, Ling.

- Ouaip !

Il retourna à l’avant de la limousine puis les pneus crissèrent. Dans la cohue digne de nuées d’insecte, Shun soupira. Elle pouvait bien se faire bousculer pourtant, mystérieusement, personne ne la frôlait.

Le nombre de personnes évoluant dans l’avenue s’amenuisait au plaisir de la femme qui siffla entre ses doigts.

Le tigre tourna la tête vers elle. Il exhiba ses dents et un souffle âcre sortit de sa gueule. Malgré la distance, Shun sentit l’odeur pestilentielle et manqua de chanceler. Elle s’infligea une baffe mentale. Elle avait déjà connu bien pire…

- Mei ! Moi, descendante de Zhoing Kui, porteuse de l’exorcistat, je te somme de laisser son peuple à la quiétude qui lui revient ! Te voilà prévenu ! Si tu ne t’y plies pas, Oni, je te renverrai dans les tréfonds des enfers !

La gueule du tigre s’ouvrit. Il semblait qu’il éclatait de rire.

- Tu n’es pas mon coup d’essai.

Elle sourit et souleva le pan de son manteau. Elle virevolta sur elle-même et entama une danse ou son épée coupait l’air et les fumerolles. Quelquefois, une personne au bord de la mort retrouvait tout à coup son souffle et la force de s’enfuir en rampant. Ça n’arrêtait pas pour autant Shun plongée dans un silence religieux et concentré.

Les lumières de la ville se réverbéraient contre sa lame et les renvoyaient vers le tigre. L’animal se plia puis remua, s’agitant en grondant et rugissant. Des entailles s’ouvraient à travers de son pelage, le sang coulait et des fumées jaillissaient de ses chairs. Le sol tremblait, les habitations se fissuraient.

Shun se rapprochait de lui. Et, à mesure qu’elle dansait, il se roulait par terre de douleur.

Sa patte se leva et se jeta sur le corps de la demoiselle.

Les griffes sorties, les coussinets effleurèrent une manche en soie. Le félin explosa dans un cri, libérant des poils dans l’air mais aussi des taches de sang. Shun continua de danser, se retenant péniblement de tousser alors qu’elle avait avalé des restes de Mei.

Le feu germa de ses mains, le vent flotta autour de son corps, la terre monta de ses pieds et elle cracha de l’eau. Ses yeux devinrent entièrement blancs puis elle s’arrêta.

Ses iris reprirent leur couleur noire légèrement brune et elle observa l’allée, certes jonchées de détritus et de fissure en tout genre mais dénués du moindre Qi qui s’était perdu. Elle espérait avoir accompli correctement la fin du rituel pour les envoyer auprès de Bouddha mais elle en doutait…

Ça lui avait toujours fait défaut…

Elle repartit ensuite, laissant derrière elle une ville un peu plus épurée pour bien peu de temps. Elle espérait que Ling n’était pas trop loin avec la voiture de son patron parce qu’elle se savait bien ridicule en revêtant la tenue de son ancêtre. On était loin des vêtements glamours qu’on imaginait dans les films mais elle les portait fièrement… jusqu’à ce qu’elle rencontre quelqu’un qui se moquerait d’elle.

Shun savait pertinemment que viendrait le jour où ses cérémonies d’exorcisation deviendraient plus pénibles et elle s’entraînait un peu plus en attendant cela. Il y aurait plus que des danses dangereuses, plus que du millimétrages de maître.

Elle s’arrêta devant un bar où une tête avait été sculptée. Elle sourit et s’inclina profondément.

- Très vénérable ancêtre. J’espère que tu me vois d’où tu es et que je ne te fais pas honte.

Elle porta le Dadao devant son cœur et s’inclina une nouvelle fois.

Shun se redressa avec fierté et s’éloigna à pas calme. Mais dès qu’elle eut dépassé l’ornement protecteur, elle courut pour rejoindre Ling.

Elle n’avait que vingt ans, elle apprendrait et deviendrait une exorciste digne de ce nom, comme son père avant elle et son grand-père…

Et tant d’autres…


Texte publié par Angelscythe, 28 avril 2016 à 17h15
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