Autrefois, la grande forêt avait pour habitude de voir passer un homme, emmitouflé de laine. Seul.
Autrefois, les cervidés, perplexes, le regardaient se mouvoir. Il mangeait de la neige, laissait son urine couler à l’intérieur de ses vêtements pour se tenir chaud. Puis le voyant le soir, se fatiguer à essayer d‘enflammer du petit bois trop humide, les rennes s’ébrouaient et s’éloignaient. Aucun danger ne viendrait de celui-ci. L’inconnu cheminait sans le savoir au dessus des tombes de ceux qui avaient entrepris ce même voyage. Bientôt ses pieds gèleraient, ses doigts tomberaient, comme ceux des autres.
Autrefois, les flocons de neige bienveillants recouvraient les corps des parias, désespérés de les cacher des loups, des charognards et des corbeaux. Tout cela en pure perte. Leurs cadavres redonneraient vie aux animaux qui avaient encore le courage d’affronter l’hiver rigoureux. Aucun futur ici pour les exilés.
Autrefois personne ne survivait à l’épreuve. Le temps des légendes, des mythes et des grands personnages était révolu. Autrefois, tous croyaient Herre Dun Valas mort dans les montagnes.
L’odeur d'urine était omniprésente. Une douleur électrique saisissait ses bras et son crâne. Cela la fit sursauter. Nobishandiya releva péniblement la tête. Son corps gelé était allongé sur un sol de pierre. En scrutant les alentours, elle aperçut son manteau qui avait été roulé en boule un peu plus loin et trônait sur une petite botte de paille. Sur sa gauche, une solide porte de bois, avec des renforts de métal et une embrasure bloquée par quatre barreaux rouillés.
Le cachot. C'était bien sa veine. Que faisait-on déjà aux voleurs dans ce pays ? Ah oui, on leur coupait la main. Elle avait du mal à s'imaginer avec un membre amputé. En tout cas, son corps semblait intact, pour le moment. Elle se redressa un peu, étreignant ses genoux pour leur transmettre un peu de chaleur. Il n'y avait aucune fenêtre. Faisait-il nuit ? Ce qu'elle percevait du corridor au delà de la porte était plongé dans les ténèbres les plus épaisses, à peine pourfendues par ce qui devait être le vacillement d’une torche. Résignée, elle soupira. Quelle serait la marche à suivre à présent ? S'il était vrai qu'on coupait les mains des filous sur cette île, elle ne comptait pas se laisser mutiler. Il devait bien lui rester une alternative. Après tout, elle connaissait beaucoup de monde, entendait pas mal de rumeurs et avait une connaissance extensive de toutes les combines qui se pratiquaient chez les plus grands marchands d'Arakfol. Il devait bien y avoir, quelque part dans sa tête, un souvenir ou une idée, qui pourrait lui servir face à ses bourreaux. De quoi monnayer sa libération peut-être ? Ce qui l’amena à la question suivante :
Où était Taran ?
Elle n'eut pas vraiment le temps de se la poser en détail. On approchait. Des bruits métalliques résonnaient là dehors. La serrure céda et trois hommes se ruèrent sur elle pour lui attacher les bras dans le dos. Nobi voulut se débattre, sans succès. Son corps était encore engourdi. Alors elle les attaqua avec les dents. Elle mordit des oreilles, des mains. On répondait par des coups mais à chaque fois elle retournait à l'assaut, inlassablement. De quoi bien leur faire comprendre qu'ils n'obtiendraient aucune coopération par la violence. Ils parvinrent tout de même à lui attacher les poignets, avant de la remettre debout. De là, ils durent la traîner, littéralement le long du corridor, tant elle refusa d'avancer. Plusieurs cellules étaient alignées de part et d’autre. Elle entendait des voix, parfois des gémissements mais surtout des injonctions à l'encontre des gardes. Soudain, un timbre familier :
« Nobi ? Nobi ! »
L'avant-bras de Taran essayait de dépasser par la lucarne, les doigts en extension, comme s'il voulait la toucher. Il reçut un coup de fourreau pour sa peine. Cela ne le calma pas pour autant.
« Où est-ce que vous l'emmenez ? Pauvres lâches ! »
Sa porte se mit à trembler. Visiblement, il était décidé à en sortir et avait commencé à l'attaquer à coups d'épaule. Si seulement il pouvait voir l'imposant verrou qui la scellait de l'autre côté.
« Arrête ! Tu vas te faire mal idiot ! Garde tes forces ! »
Elle voulait avoir la voix la plus sûre du monde, ce qui n'était pas forcément aisé lorsque trois solides gaillards vous traînent sur de mauvaises dalles de calcaire et que vous avez les cordes vocales sèches. Ils la portèrent dans l'escalier en colimaçon qui montait vers une lumière légèrement bleutée. Ainsi donc il faisait jour. On les avait enfermés au sous-sol. Les murs de roche autour d’elle ne signifiaient qu’une chose, ils se trouvaient dans la forteresse, à flanc de montagne, l’unique bâtiment de la ville qui n’était pas fait seulement de bois. Ils la poussèrent dans une pièce dont la seule ouverture était barrée. Se redressant, assise sur le flanc de sa cuisse, elle vit une grande bassine d'eau devant elle.
Est-ce qu'ils… Est-ce qu’ils comptaient la noyer ?
Immédiatement, elle sentit son esprit partir dans un étrange dédale.
Son hilarité la reprit.
La noyer.
L’ironie de la situation ne pouvait lui échapper. Sur le côté se tenait l'homme qui les avait capturés, impassible. Ses pupilles vides posées sur elle. Et, elle, qui ne pouvait que rire…
« Bienvenue, dit-il d'un ton monocorde. Nobi je présume ?
— C'est Nobishandiya pour vous, bande de malappris, » lança-t-elle encore secouée par l’euphorie.
Son ton n’avait pas été des plus menaçants. L’individu se sépara du mur et fit quelques pas vers l'avant.
« Peu m'importe. Je n’aime pas tergiverser. Je vois que toi non plus. C'est bien toi qui as tué mes hommes dans la nuit du dernier jour de Mörs ?
— Je n'ai jamais tué personne.
— Et c'est bien toi aussi qui t’es arrangée pour voler un anneau d'or après avoir mis le feu à une étable hier ?
— Non. J'avais rendez-vous avec un amant. »
Il la saisit à la gorge et la traina sans ménagement vers la bassine. Nobi essaya tant bien que mal de prendre une grande inspiration, mais sa main la serrait beaucoup trop fort. Lorsque le liquide glacial s'empara de son visage, ses poumons étaient quasiment vides. Sa gorge se serra. De tout son poids, il maintenait le haut de son corps sous l'eau. Rapidement, elle sentit son thorax se compresser, réclamant de l'air. Elle remua en pure perte. Des bulles s’échappèrent d'entre ses lèvres. Il ne lâcha pas prise. Son effort se décupla. À coup de genoux elle voulut s'en débarrasser. Son bourreau ne broncha même pas et il ne la redressa qu'au moment où des tâches blanches commençaient à envahir l'obscurité de ses paupières.
Une grande quantité d'air pénétra instantanément dans sa gorge. À peine eut-elle recouvré ses esprits que son fou rire reprit de plus belle. La brute ne s'en formalisa pas :
« Je suis sûr que ta mémoire va revenir. »
La lèvre inférieure de son bourreau ne fonctionnait que d'un côté, donnant l’impression qu'il parlait de travers. Il devait penser qu'elle se moquait de lui.
« Mes excuses, j'ai du mal à me contenir face à une mort certaine. »
Elle avait envie de pleurer. Elle pouffa de plus belle. Il la reprit au col de sa tunique et la renvoya sous l'eau si violemment que sa tempe heurta le fond de la cuve. Par chance, sa blessure ne fut pas rouverte. Elle avait beau essayer de se relever, il la tenait là avec une poigne de fer et cela dura presque une minute. Elle avait anticipé cette fois-ci et elle ne manqua pas d'air avant la fin. Lorsqu'il la releva, elle était frigorifiée. L’homme maintint son visage à quelques centimètres du sien. Elle toussait.
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