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tome 1, Chapitre 10 « Volent les Corbeaux (pt4) » tome 1, Chapitre 10

Mis à part quelques petits chapardages, la semaine fut pauvre en vicissitudes. Le calme ne dura pas, par chance pour eux. Pendant que les premières grandes neiges arrivaient sur le sud de l'île, annonçant la mort du sol cultivable, Taran eut vent d'une caissette gardée en lieu secret, contenant quelques pièces d'argent et pas n'importe lesquelles. Les Folöndkiers, qui étaient d'un diamètre supérieur et qui pesaient bien lourd dans votre poche.

« C'est l'avantage de traîner dans les tavernes, expliqua-t-il à sa comparse. On peut payer à boire à qui l'ont veut et les hommes qui ont bu en général parlent trop. Il n'y a pas une maison de marchands à Arakfol qui n'ait pas de jolies jeunes filles en son sein, qu'elles soient des nièces, des héritières ou des servantes. Et celles-ci ont en général des soupirants, à qui elles se confient par jeu ou en toute sincérité. Vois-tu où je veux en venir ? »

Il la vit lever les yeux au ciel. Il reprit avec un sourire :

« Ne doute pas autant, Nobi, je sais parfaitement ce que je fais.

— Mon nom est Nobishandiya, répliqua-t-elle avec un certain reproche.

— Je l'ai retenu mais il est bien trop long. Nobi devrait suffire. »

Il crut l'entendre grogner intérieurement. Dans la seconde qui suivit, il fut noyé sous une avalanche de mots qui n'avaient ni queue ni tête, sûrement parce qu'ils étaient dans sa langue natale.

« Et bien je ne l'aime pas ! Finit-elle par articuler.

— Quel dommage, il s'agit pourtant de la moitié de qui tu es. Ce doit être pénible. »

Il n'imagina pas le grognement cette fois.

« Où en étais-je ? Ah oui, la cassette. Je pense que le meilleur moment pour nous l'approprier sera dans trois nuits précisément. La lune sera dans son premier quartier. Des conditions médiocres, certes, mais nous n'aurons pas le choix. La famille sera invitée à un banquet et il n'y aura presque personne chez eux. Hélas, je ne connais pas l'emplacement exact de la dite somme, mais j'ai une petite idée. Une fois le trésor entre nos mains, je connais un artisan qui échange les grosses pièces d'argent contre des monnaies plus petites, donc moins suspectes, pour les refondre et faire des bijoux qu'il vend assez cher. Ce sera, ma foi, une prise heureuse et facile à écouler. »

La figure assise en face de lui avait l'air bien plus intéressée à présent. Jetant un œil autour d'eux pour vérifier que leur emplacement sur le petit port était toujours vide, elle murmura :

« Je n’ai plus qu’à me renseigner de mon côté sur les habitants de la demeure. »

La dite caissette devait servir à payer une livraison d'ambre et l'échange devait se faire dans le plus grand secret. Ce que Taran n'avait pas dit, c’était que Delf planifiait de voler sa part de pierreries. Évidemment, rien ne les empêchait de choisir une route plus difficile et récolter une fraction des pièces d'argent. Le brigand n'en saurait rien, s'ils allaient directement voir son acheteur. C'était risqué, mais les mois précédents les avaient endurcis. Ce soir là, grâce à une diversion dont Nobi avait le secret, le voleur pu chaparder une belle somme avant de fuir par les toits. Quelques mètres avant de rallier leur point de rendez-vous, il dérapa. Son souffle fut retenu dans son thorax à l'instant où il s'écrasa contre le bois de la toiture. Quelque chose en tomba. Il ne savait pas si c'était ça, ou le bruit, ou son ombre, mais un cheval se mit à hennir juste sous lui, avec une panique propre à ceux de sa race et un grand fracas résonna dans toute la rue. Malgré l'heure tardive, des gens allaient probablement accourir, ainsi le premier réflexe de Taran fut de se relever pour se précipiter à couvert, cependant, une force inconnue dans les méandres de son esprit le poussa à regarder vers le bas. Il y vit la bête s'enfuir, des débris de bois sur le sol et parmi eux, un enfant allongé, inconscient, avec une plaie à la jambe et une autre à la tête.

Une pince invisible l'avait pris à la gorge. Il descendit du toit à la va-vite, au risque de se tordre une cheville. Courant auprès du corps inerte il vit du sang s'écouler par l'ouverture sur sa cuisse. Immédiatement, il se précipita dessus et tenta maladroitement d'appuyer sur la plaie, comme il l'avait vu faire un jour lointain, sans grand succès. La figure du gamin était bouffie comme un kaki assez blet. Il leva les yeux, regarda autour de lui. Une silhouette sombre de femme encapuchonnée venait d'apparaître, dissimulée au bout de la rue. Peut-être avait-elle été attirée par le bruit.

Sans réfléchir, il hurla :

« Viens m'aider ! »

Il savait qu'elle allait faire demi-tour et se mettre à courir. Ils allaient se faire attraper. Il n'y avait pas d'autre choix pour elle que de se mettre à l'abri puisqu'il était perdu. Contre ses propres attentes, Nobi arriva à vive allure :

« Qu'est-ce que tu fabriques ? Il faut vite partir ! »

Elle s'arrêta net lorsque son attention tomba vers le corps immobile. Ses yeux devinrent plus ronds que des billes.

« Je crois que c'est de ma faute, il faut l'aider... » Supplia Taran.

Le visage de sa dame se crispa en un masque de colère :

« Tu es fou ? On ne peut rien pour lui ! »

Il était quasiment trop tard. On entendait des portes s'ouvrir plus en amont. Le voleur savait qu'elle avait raison mais ne pouvait s'y résoudre. Ce gamin n'avait rien fait. Il était juste là. C'était un accident. Sans plus d'hésitation, il souleva son corps menu tout en maintenant la pression sur sa jambe.

« Qu'est-ce que tu crois faire ?

— Je ne peux pas le laisser là !

— Il perd son sang Taran ! Tu es en train de le tuer !

— Alors aide-moi au lieu de crier ! »

D'une main tremblante et brusque, il la vit sortir la dague de sa ceinture et couper un grand pan de tissu dans sa vieille cape. Il sentait de longues coulées de sang chaud parcourir ses bras.

« Maintiens sa tête vers le bas, idiot ! Plus haut les jambes ! »

Sans hésiter, elle attacha ce ruban de fortune tout en haut de la cuisse blessée et serra comme un âne. Son nez obscur aux reflets de cuivre faisait du bruit. La négociante pleurait, mais elle pleurait de rage.

« Il nous faut courir maintenant ! »

Tout deux changèrent de rue et se précipitèrent sur la première maison à l'écart qu'ils purent trouver. Si quelqu'un se rendait compte de leur méfait, ils seraient perdus. Nobi tambourina sur la porte avec ses deux poings :

« Ouvrez-nous ! Ouvrez-nous ! Un enfant s'est blessé dans la rue ! »

Un homme décoiffé et torse nu leur ouvrit la porte, il ne réagit qu'en voyant le visage du gamin.

« Bon sang de pisse ! C'est le fils de Rulf ! »

La négociante le coupa, avec sa voix la plus autoritaire, malgré ses larmes et ses mains tremblantes :

« Nettoyez une table ! Ce petit est en train de mourir. Vous devez faire tout ce que je vous demande le plus rapidement possible. »

Le père de famille fit tant de raffut que dans la seconde, toute la maisonnée était debout. Le fils encore jeune adolescent était soudainement là avec une vieille femme qui jurait les bras en l'air. Tout ce petit monde avait juste eu le temps d'enfiler des tuniques. Et Taran regarda éberlué sa comparse donner des ordres avec une précision presque surnaturelle. Elle demanda au plus jeune de faire du feu dans l'âtre, puis envoya son père chercher de l'eau, beaucoup beaucoup d'eau, pendant que le voleur, complètement déboussolé, allongeait l'enfant sur la longue table, en gardant ses jambes surélevées. Il y avait du liquide rouge clair de partout. La rythmique des injonctions s'accéléra. Elle ordonna à la mère de ramener toutes les pinces, les aiguilles, les crochets de la maison ainsi que des instruments de cuisine. Elle voulait tous les voir. Tout se passa très vite et en une seconde à peine, il eut la certitude que ce n'était pas la première fois, qu'elle avait déjà fait cela avant, peut-être dans une vie si lointaine qu'elle s'en souvenait que de façon éparse. Ses ordres et ses gestes semblaient trop précis.

Les capes furent jetées dans un coin. Ses cheveux rassemblés au sommet de son crâne. Elle lava son visage et ses bras jusqu'aux épaules au savon après avoir mis une pince et une sorte de crochet plat à chauffer dans les braises. Tout cela n'avait pas pris plus d'une minute. Le bas des vêtements du blessé furent dégagés d'un coup de lame. Bientôt, un chaudron d'eau grinça et elle demanda au garçon d'y faire bouillir longuement du fil de lin, du linge, ainsi qu'une aiguille à coudre. Nobi répartit également les parents autour de la table.

« Vous devrez le tenir de toutes vos forces pour qu'il ne bouge pas. Il va forcément se réveiller.

— Tu ne comptes pas le droguer ?

— On n'a pas le temps ! »

Elle avait refroidit d'un coup la petite pince dans l'eau propre et elle était à présent en train de palper la blessure comme si elle y cherchait quelque chose de minuscule. Elle y renversa une petite coupelle d'eau propre et inséra la pince à l'intérieur. Ses doigts ne tremblaient plus, mais ses yeux étaient hagards. Jamais il n'avait vu une telle expression sur son visage. La dame était effrayante. Et il pria de toutes ses forces pour que personne n’entende ce qu’il se passait dans cette maison.

« Jeune homme, donne-moi la spatule encore rouge. Ne te brûle pas. Que tout le monde le tienne ! »


Texte publié par Yon, 22 août 2016 à 09h27
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