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tome 1, Chapitre 2 « La négociante d'Arakfol (pt1) » tome 1, Chapitre 2

À l’aube, cette même mer qui avait engouffré dans ses entrailles des hommes par centaines n’était plus qu’un bain d’huile pâle accueillant les premières lueurs d’un jour fragile. Sur la côte, les maisons sur pilotis de la ville d’Arakfol venaient tranquillement lécher le bord de mer avant que les bâtisses de bois ne remontent vers le pic enneigé de l’Eldberg, dont les racines plongeaient dans l’eau. Celui-ci, comme un enfant fainéant avait encore sa couverture brumeuse tirée jusqu’à son sommet enneigé, qui dépassait mollement du voile.

À l’Est, au fil des heures qui défilaient, les gens des fermes commençaient à se dégourdir. On donnait à manger aux poules, on s’éparpillait dans les champs et une multitude de femmes, vêtues de leurs robes les plus colorées malgré l’usure, formaient de longues colonnes enthousiastes pour aller vendre leurs marchandises en ville.

De jeunes garçons attendaient patiemment sur les docks que les premières barques de pêcheurs réapparaissent enfin, que leurs pères ou leurs grands frères rentrent à bon port. Ils jouaient aux dés tous ensemble pour oublier l'inquiétude qui pouvait les gagner certains jours où la mer devenait plus imprévisible et la houle traîtresse. Ce jeu faisait tellement partie de leur vie, que certains en étaient déjà devenus des maîtres, à l'âge de onze ou douze ans. Le soir, ils se faufilaient dans les tavernes pour jouer quelques pièces. C'était illégal, mais tant qu'ils ne perdaient pas, leurs parents ne disaient rien. La terre humide était foulée pour la première fois de la journée devant les portes de la ville. Les rires joyeux se mêlaient aux voix plus sombres. Les fermières pouvaient tantôt être enthousiastes, tantôt fatiguées. Elles suivaient cette longue ligne droite qui menait vers les trois grandes places et la rue transversale qui les reliait, surnommée le bric-à-brac. Là, les étals à même le sol se mettaient doucement en place. Chacun et chacune avait sa parcelle attitrée dans ce chahut organisé où il ne viendrait à l'esprit de personne de voler la place d'un voisin, fusse-t-elle meilleure.

Les citadines venaient progressivement faire enfler cette foule en plein cœur des quartiers bas, et déjà les amies d'enfance venaient caqueter sur les places ; le seul instant où elles pouvaient discuter et plaisanter librement, qu'elles soient filles de pêcheurs, paysannes, marchandes, mariées ou célibataires. Se retrouver entre femmes était parfois un luxe dans les grandes villes. Au loin, on entendait une voix grave chanter. Un poète, sans doute venu rapporter les frasques d'un Roi, sur le rythme clopinant des roues des chariots.

Se mêlant à la cohue, d'un pas posé et tranquille, elle jetait un œil sur certains légumes. Tout le monde l'avait déjà vue. Elle traînait sur les marchés, fouinait sur le port et avait accès aux portes dissimulées des marchands. On l'appelait la négociante et elle devenait une grande source d’inspiration pour les matrones des basses rues d'Arakfol, celles qui aimaient les ragots et les médisances. Cette femme portait habituellement une robe de tissu bleu usée, une peau de loup jetée sur ses hanches lui servant de ceinture. Son long manteau sombre à capuche avait une coupe inhabituelle, mais plus encore que son appareil, son ethnicité faisait parler les gens. Elle avait la peau la plus sombre que l'on avait jamais vu dans cette partie du monde et sa chevelure était incroyablement épaisse, comme le crin des chevaux des steppes. Elle avait beau avoir un visage lisse et ferme, elle ne devait plus être toute jeune. La rumeur voulait qu'elle soit à la solde de certains marchands de produits exotiques. Rien n'était sûr. Elle apparaissait et disparaissait au gré des saisons et personne ne semblait vraiment savoir où elle logeait.

Ce matin là, elle pénétra d'un pas joyeux dans la Taverne d'Ivar, qui ouvrait assez tôt. On y servait des œufs de caille fris sur des galettes aux artisans en pause. La négociante passa juste derrière les premiers clients pour se diriger vers le comptoir. Le propriétaire des lieux, qui rangeait ses pichets, se mit à sourire en la voyant.

« Ah, te voici enfin ! Et radieuse en plus. La journée s'annonce bonne. »

Sans décocher un mot elle posa sur les planches un paquet emmitouflé dans un chiffon gris. Ivar l'ouvrit avec délicatesse et une odeur chaudement boisée se mit à conquérir la pièce.

« Les meilleurs sont pour toi », murmura la femme avec un accent des plus étranges.

« On dirait bien que les affaires reprennent », répondit-il en lui glissant une vieille escarcelle bien remplie qu'elle s'empressa d'empocher d'un geste fluide.

« Si tu gardes bien le secret de ma recette, tu auras à nouveau une très bonne saison. Très fructueuse. As-tu besoin d'autre chose ?

— De rien, je te rassure. Merci encore. »

L'homme remballa le paquet pour aller le cacher à l'étage, pendant que la négociante retournait dehors sans un regard en arrière, le visage caché par son manteau. Un passant manqua de la heurter en allant au pas de course dans la rue. Trois secondes plus tard, elle aborda un autre homme, d'un air désemparé.

« Herre ! Herre ! lança-t-elle en le prenant gentiment par le bras, cet homme là bas, il a pris votre bourse! »

Elle pointait le passant qui continuait de trotter avant de disparaître à un croisement. L'homme posa la main sur sa ceinture… Avant de partir comme un fou à la poursuite de l'autre. Toutefois, la bourse en question était bel et bien logée dans la paume de l’instigatrice, qui esquissa un sourire satisfait sous le secret de sa capuche.

Il y en avait un pourtant, qui l'avait vue depuis son siège…


Texte publié par Yon, 4 avril 2016 à 14h55
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