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tome 1, Chapitre 1 « L’ivrogne de Svakt’r » tome 1, Chapitre 1

Note de l’Auteur : Cette histoire est encore en cour de réécriture / Béta-lecture. Je tenais à la publier ici pour tester un peu les réactions, voir ce qui pourrait être amélioré, confronter mon humble roman au vaste monde. N’hésitez-pas à laisser des avis, mêmes négatifs, ils seront lu et pris en compte. C’est maintenant ou jamais !

Attention: Cette histoire contiendra des aspects assez sombres et matures, diverses violences, viols et abus. Même si le but n'est pas de déprimer mes lecteurs, ces aspects seront là, vous êtes prévenus.

Le premier chapitre a déjà été publié sur mon blog sous forme de nouvelle. L’intégralité de ce roman est écris en collaboration avec Damienus, qui veille sans relâche à l’homogénéité de cet Univers.

* * *

La neige tombait, éparse comme les étoiles. Ce n'était plus là ces flocons laineux qui recouvraient tout en quelques heures. Il faisait si noir. Les nuages ne laissaient que de temps à autre une bribe de ciel nocturne scintiller au travers de leur voile. Des colonnes de vapeur grise hantaient les toits de la bourgade, glissant sur les bardeaux en écailles de serpent, avant de se dissiper en rejoignant le ciel. Des gouttelettes d'eau glacée ruisselait le long des murs et des poutres. Dans les rues, la neige était tantôt pure tantôt réduite en bouillie et mélangée à la boue. De nuit, ce sol était un piège redoutable. Des hommes parfois, titubaient en glissant. Les seules lumières chaudes étaient jalousement retenues derrières des portes closes et des volets fermés. Les derniers gros manteaux de laine barbus tentaient de rentrer chez eux sans encombre, parfois accompagnés de grands chiens blancs aux pattes sales.

Parmi ces ultimes silhouettes encore debout était celui que l'on nommait Taran, ou "Tran" comme disaient les Idoriens. Il était plus grand et plus élancé que les locaux. Plus négligé aussi. Les lueurs sous ses paupières vous fixaient comme si tout lui était dû. Et il était si semblable à un loup errant que des femmes avaient même juré avoir vu des crocs saillir derrière ses lèvres. Aucune âme ne savait d'où il venait.

Dans sa barbe étaient coincés de la boue, du sang, de la neige. Sa peau par endroit se pelait, se creusait, à cause du vent. Il puait tellement que l'on pouvait sentir son odeur rance à vingt pas. Il soufflait de la vapeur par la bouche comme le dragon. Une ombre se dessinait sur sa joue gauche. L'étranger marchait du même pas que ceux qui ne sentent déjà plus le bout de leurs pieds. Le froid humide a une façon extrêmement vicieuse de s'emparer de vous. Il vous caresse, il vous contrôle, il vous mange. La léthargie allait bientôt remonter le long de ses membres. Et les bribes de ses jambes qui n'étaient pas encore engourdies étaient consumées par une douleur proche de la glace. Ses muscles se débattaient en frissonnant et même si une chaleur tangible occupait encore son estomac, il savait que ce n'était qu'une question de temps avant que ses épaules confortablement emmitouflées ne se fassent doucement envahir. Déjà, il avait conscience au travers de sa cape en laine, des flocons accrochés aux fibres grises qui se changeaient en minuscules billes d'eau. Cette douceur presque étouffante sous ses vêtements chauds n'était qu'éphémère.

C'était le désavantage d'en être réduit à vagabonder dans un pays dont on ne connait presque pas la langue, on ne peut jamais être sûr de personne. Même s'il était vrai qu'il n'évoluait pas dans un cercle où la fiabilité était de mise. Les coups fourrés dans le monde du marché noir étaient monnaie courante. S'il avait su qu'on ne lui refilerait pas sa paie, il n'aurait probablement pas autant bu. Une paire de pichets, était-ce trop ? Ce n'était pas du vin qu'ils servaient dans ce taudis, ça il pouvait vous le garantir. Ce souvenir seul faisait trembler sa mâchoire. Il avait assez d'argent pour tenir peut-être deux jours, en partant du principe qu'il ne louerait pas de chambre. On l’avait chassé de son logement illégitime la nuit précédente. Il pouvait tenter de se faufiler dans un grenier, oui mais lequel ? Les Idoriens montraient plus de compassion envers les chiens et les infirmes plutôt qu'envers des gens comme lui. Il ne pouvait pas partir, il ne pouvait pas rester. Il continuait à marcher près des murs pour conserver le peu de chaleur qui lui restait. Peut-être que s'il se coupait une main, une famille le prendrait en pitié et l'accueillerait chez elle. Mais ensuite, que ferait-il ? Ses yeux ne rencontraient que des espaces gelés et des portes closes.

La nuit s'avançait. Après avoir tourné en rond et sillonné les rues, il n'avait toujours pas repéré le moindre refuge convenable. Il avait à présent tellement froid que les simples frictions du tissu à l'intérieur de ses cuisses commençaient à l'endolorir à chaque pas. Probablement encore porté par la douce folie de l'alcool, l'angoisse n'avait pas commencé à faire son chemin. Ou peut-être avait-il été trop vidé par les années d'errances pour en avoir cure ? Son regard se dirigeait de plus en plus vers le ciel, vers ces flocons qui remplaçaient les étoiles. Leurs danses le fascinaient. Et s'il devait mourir de froid, Taran préférait que ses dernières heures se passent dans un décor loin de la boue et des eaux usées.

Au carrefour suivant, il profita de piliers en bois pour rejoindre le premier toit. Il manqua de déraper à quelques reprises, mais l'homme était trop expérimenté pour se laisser impressionner par quelques poutres glissantes. À chaque contraction, ses muscles brisaient leur engourdissement pour le rappeler à la douleur lancinante que lui imposait la température. Et à chaque peine que ses bras et ses jambes subissaient, son esprit se troublait, jusqu'à ce que le vol des constellations blanches soit le seul guide de ses pensées. Il s'arrêta et se redressa sur le toit le plus haut du quartier. Les bruits étouffés de la rue s'étaient complètement dissipés et il n'entendait plus que le faible souffle de l'air face à son propre cœur, sa propre respiration. Ses poumons étaient en feu. Sa vision se brouillait. Tout semblait avoir adopté la couleur de la roche. Le bourg de Svakt’r s'était figé et la neige possédait cet étrange pouvoir qui transformait les bâtiments des hommes en simples jouets. Plus rien ne semblait réel.

Il réalisa qu'il n'était qu'à un bloc de la place forte. On distinguait dans le noir le mur d'enceinte et derrière, la solide haute maison de bois où vivait le Seigneur. Il n'avait jamais escaladé les pierres de la muraille. C'était peut-être l'occasion. Il ne pouvait pas demeurer immobile dans ce froid. Profitant de l'obscurité extrême, il courut comme un forcené pour sauter sur le toit suivant, sans craindre la glissade et l'horrible chute qui l'attendait s'il manquait sa prouesse. Son estomac se cramponna au reste de ses entrailles jusqu'à ce que ses pieds rencontrent les bardeaux en un bruit sec. Il s'était retrouvé accroupi et avança ensuite comme un chien en embuscade. Il ne cessait de regarder autour de lui. Les populations pensaient inexplicablement que c'était une bonne idée de construire des habitations collées contre des remparts. L'ombre prit son temps pour étudier cette ligne qui taillait dans la masse du paysage. Pas de ronde, ils devaient être à l’abri dans les bastions, cette bande de fainéants. Le guetteur, ou tout du moins ce qu'il en voyait, était tourné vers les plaines. Il ne prenait pas garde à ce qu'il se passait de son côté. Une aubaine.

Il jeta un dernier coup d'œil à ses mains pour vérifier que ses doigts n'étaient pas tombés. Il ne les sentait plus du tout. Il souffla de l'air chaud dans ses poings avant de reprendre de l'élan pour un second saut. À chaque pas de sa course, plus rapide que le précédent, il croyait entendre une douleur crier dans sa tête. Ses tempes battaient. Il se propulsa et retomba face contre planche, luttant désespérément pour ne pas glisser du toit en pente. Ses pieds gigotaient pour reprendre appui. Il se traîna tant bien que mal jusqu'à ce que le vide ne le menace plus. Si cela n'avait pas alerté les gardes, rien d'autre ne le ferait. Il se recroquevilla contre le mur et attendit immobile quelques secondes.

Rien. C'était le silence le plus total.

Il ne put s'empêcher de sourire. Ragaillardi par sa réussite, il entama directement l'escalade des gros blocs de pierre ajustés et taillés grossièrement. Il insulta à plusieurs reprises ses doigts gelés qui ne semblaient pas vouloir lui obéir. Pourtant il se débrouilla pour parvenir en haut du rempart en moins d'une minute, sans un seul faux pas. Les battements accélérés de son cœur lui donnaient une vie nouvelle, malgré l'humidité, malgré la nuit. Son corps luttait contre le néant et sa vision était pour le moins brumeuse. Il enjamba les créneaux, et avança en se baissant. En bas, il avait aperçu une écurie face à la cour. Cela signifiait de la paille et de la chaleur. Avec un peu de chance, il se réveillerait assez tôt pour échapper à la vigilance des maîtres de maison. Une pensée un peu trop optimiste à son goût, mais peu lui importait. Taran rejoignit l'escalier de bois aussi rapidement que possible. Il descendit les marches si vite qu'il crut soudain qu'il allait dégringoler. Une fois ses deux pieds au sol, il dut hélas se raviser et se tapir dans l'obscurité opaque que lui fournissait la structure en échafaudage. Il y avait du mouvement dans la cour. Des sons, des grincements. Une ombre fantomatique, surgie de nulle part, traversait le décor gelé, encapuchonnée par un tissu bleu, d’une teinte qu'il n'avait jamais vue auparavant. Des bras nus et bien taillés, se réunissaient comme des branches noires autour d'une forme ronde. On distinguait faiblement les poils d'une peau de loup entourant sa taille.

Elle se déplaçait lentement, calmement, on aurait dit qu'elle glissait. Tout autour, les flocons de neige s'étaient mis à tinter. Les pupilles de Taran se dilatèrent. La silhouette était si sombre qu'il avait d'abord cru à un ancêtre s'étant extirpé des entrailles de la roche pour revenir parmi les vivants. L'idée lui agrippa le cœur et l'immobilisa entièrement jusqu'à ce qu'enfin, il se rende compte d'où venait le son cristallin qui accompagnait sa présence. Une chaîne reliait ses deux chevilles pour entraver sa course, un sort uniquement réservé aux prisonniers de guerre. Il prit une grande inspiration. L’ombre était allée à l'autre bout de la cour afin d’y déposer la cruche qu'elle transportait sur le rebord du puits. Elle ne pouvait pas le voir, alors, il se dégagea de son rideau de ténèbres et prit le risque de s'avancer. Des détails commençaient à lui apparaitre. Elle n'avait pas l'air jeune, elle n'avait pas l'air vieille. Ses épaules étaient robustes.

Lorsqu'elle se saisit de la corde au dessus du gouffre, ses manches reculèrent, laissant leur place à une peau ferme, aussi noire que l'écorce de pin mouillée par la pluie. Il n'en croyait pas ses yeux. Il marchait à présent sans s'en rendre compte. Pendant qu'il l'observait, une barrière immatérielle céda en son sein, et quelque chose se manifesta dans sa poitrine. Une boule, qui, après lui avoir broyé les poumons, remonta dans sa gorge et menaçait de lui briser la mâchoire. Jamais il n'avait vu de sourcils si hauts, jamais il n'avait vu un tel air de dignité sur une servante, jamais il n'avait vu d'yeux si noirs. Tout cela ne pouvait pas être. C'était impossible. Lui était un homme libre, vivant dans la rue. Et elle… Une servante. Au sec. Au chaud. Elle n’avait pas à se soucier de l’hiver, elle n’avait pas à se soucier de la nuit. C’était injuste. Fasciné par cette apparition, autant que par sa propre jalousie, il se demanda alors s'il ne s'agissait pas d'un signe. Jamais il n’avait vu une telle femme. Jamais il n’avait été tant marqué dans sa chair. Peut-être que celle-ci pourrait être sienne.

D’un coup, il tressaillit. Il s’était perdu dans ses chimères et sans y prendre garde, était arrivé presque à côté d'elle. Le visage si sombre s'était tourné et les deux tâches noires le suivaient comme on fixe un rat, indésirable et perdu dans une cuisine. Elle resta immobile très peu de temps, puis continua à remplir la cruche d'eau froide, sans plus lui prêter attention. Ce geste inattendu vint nourrir encore un peu la confusion de Taran. Elle l'ignorait.

La frustration s’accumulait dans sa mâchoire, dans sa gorge, dans son thorax, on eût dit qu’une carapace de métal brulant s’étendait sous sa peau.

Emporté par l’élan de son âme, l'intrus leva une main tremblante vers les pommettes brunies et du bout de ses doigts, entra vaguement en contact avec la peau de son visage. Il était si engourdi qu'il put à peine la sentir. Aussitôt, elle chassa son geste d'un revers de main, avant de lui jeter un regard hautain et intraitable. Il pouvait presque entendre sa voix dans sa tête:

“Je suis occupée. Tu gênes.”

Ceci, plus que tout autre chose, transforma sa crispation en une forme de rage. Son corps entier se réveilla. Il s'agrippa alors à son cou et la poussa dans son élan jusqu'au mur opposé, qu'ils heurtèrent ensemble une seconde plus tard. Taran était en train de brûler. Ses boyaux se fondaient dans les flammes, et il allait l'emporter avec lui dans l'humiliation de ce bûcher invisible, jusqu'à ce que la douleur se dissipe et qu'au petit matin, les gardes ne retrouvent d'eux qu'un tas de cendres. Une servante. Lui était noble sur des dizaines de générations… Une servante. Ce n’était que justice. Il enfonça trois de ses doigts de part et d'autre de sa trachée, il la tenait comme avec une pince et il n'hésiterait pas à broyer son souffle si elle s'avisait de crier. Elle émit un raclement étouffé avant de saisir brutalement à deux mains le poignet de son agresseur, en une veine tentative pour se sauver. Dans l’obscurité de ses pupilles, l'arrogance avait cédé à la panique. De son pied droit, il marcha sur la chaîne, immobilisant ses jambes. La chaleur de son corps irradiait la paume de sa main. Il en avait besoin, pour nourrir ses flammes intérieures, pour en finir plus vite avec la douleur de ses muscles. Il voulait absorber cette chaleur, il devait sentir celle-ci sur son entre-jambes, il fallait absolument exterminer la dernière lueur de rébellion de ces yeux noirs. Il se faufila entre ses cuisses, sans relâcher la pression sur la chaîne au sol. De sa main libre, il alla tirer sur le pan de tissu bleu pour remonter sa robe.

Pendant qu'il se forçait un chemin jusqu'à sa cuisse, il sentit l'une des paumes ardentes changer de position le long de son bras. Un pincement entre son pouce et son index le prit par surprise et une douleur absolument foudroyante traversa sa chair, tout autour de cette pression. Elle appuyait sur ce point précis de toutes ses forces et il n'eut d'autre choix que de la relâcher. Loin de vouloir s'éclipser, sa tête se rapprocha et vint le heurter en plein visage. Un deuxième coup dévasta son estomac, avant qu'elle ne le repousse. Il n'eut pas le temps de réagir. Il fit quelques pas en arrière, un filet de bave pendu à ses lèvres. Elle le regarda bien en face et de son poing, frappa le côté gauche de sa mâchoire à grande vitesse, là où se trouvait déjà un bleu. Cette fois, Taran dérapa et son dos vint heurter le parterre congelé. Sa nuque ne fut pas épargnée par le choc. Il resta allongé là, ignorant s'il était conscient ou partiellement assommé, un sifflement atroce perçant ses oreilles. Peu à peu, il revît des étoiles briller devant ses yeux. Il se demanda s'il s'agissait des astres que les nuages avaient découverts ou de minuscules flocons suspendus dans la brise. Au loin, il entendait le tintement calme et régulier de la chaîne qui s'éloignait. La douleur était trop vive pour qu'il tente le moindre mouvement. Il n'en avait pas envie. Il laissa son corps fusionner avec la terre, perdu dans le noir parsemé de points blancs. Son souffle dessinait des volutes fumantes qui brouillaient encore un peu sa vision. Il avait perdu toute notion de temps, mais après ce qui avait dû être plusieurs minutes, un visage dur et casqué apparut au dessus de lui, accompagné par ce qui ressemblait à une pointe de lance.

« Je suis bon pour le gibet, hein ? »

Le hochement de tête de ce garde fut on ne peut plus explicite.

Taran dessoûla à l’abri, enfermé dans un solide cachot aux murs de pierre. Le lendemain matin, il fut condamné à une vingtaine de coups de bâton pour avoir voulu endommager la propriété du Seigneur Vheist.


Texte publié par Yon, 3 avril 2016 à 11h56
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