En émergeant malgré le bourdonnement dans ses oreilles, Christelle ne s’interrogea pas sur ses séquelles. Elle s’énerva, mais cette fois envers elle-même. A force d’enquêter à la manière d’un bulldozer, ça ne pouvait que s’achever qu’ainsi. Elle le savait bien au fond, tout en refusant de l’admettre. Ce désagréable retour sur le terrain (et quel terrain !) n’excusait pas tout.
Cela empira particulièrement à l’approche de la résolution de l’affaire. Après avoir quitté Magellan la prévôt fonça directement chez celui qui détenait les éléments manquants, à savoir le directeur Walter Ganes. Par « chez » il fallait bien évidemment entendre le bureau. Le directeur ne s’en éloignait jamais très longtemps.
Christelle dû donc de nouveau faire face à cette pièce vide, et à ce sourire en plastique. Ce retour lui donna l’impression désagréable de tourner en rond, bien que paradoxalement l’enquête s’approchait de son dénouement. Elle ne se permit qu’une subtilité : laisser Josh dehors, qui ne comprenait décidément pas l’intérêt de lui faire faire de la figuration. Mais un soldat obéit aux ordres.
Une fois cette action effectuée la prévôt alla au plus simple.
« Il me faut l’identité de l’employé, qui se charge en sous-main de vos robots d’accueils. »
Même en supposant que les robots étaient trafiqués ailleurs pour cette tâche interdite, il fallait bien que quelqu’un s’occupe sur place de leur entretien.
« Écoutez. » Rétorqua le directeur à peine troublée par cette entrée en matière brutale. « Le cas sur lequel vous êtes tombés à votre arrivée, était tout à fait exceptionnel… »
« Putain ! » Ne put retenir Christelle face à cette réplique.
Elle ne demandait qu’un foutu nom. Et il fallait que ce connard tergiverse. Dans un premier temps l’enquêtrice eut bien envie de citer le serveur du bar le matelot. Elle était tombée par hasard sur un autre cas exceptionnel là encore ?
Puis ses compétences professionnelles s’en mêlèrent. Même si elle n’appréciait pas les gens, Christelle savait lire dans leurs jeux. Du moins lorsqu’elle s’en donnait la peine. Walter Ganes agissait en fonction de sa formation et de ses fonctions. Il songeait uniquement à préserver les intérêts du parc. Et la prévôt venait de commettre la même erreur en exigeant les informations nécessaires à ses investigations sans fournir le moindre éclaircissement. Chacun plongé dans son petit univers, ils ne risquaient pas d’interagir. Sauf si l’un d’entre eux acceptait de faire en premier pas dans la direction de l’autre.
« Les analyses indiquent que Gina a été tué par un coup de poing d’une force exceptionnelle. Le genre de force dont peu d’hommes disposent, contrairement aux androïdes. »
Ses explications étant un peu didactiques, Christelle crut nécessaire d’y ajouter un peu de velours.
« Quant à vos robots, la prévôté a d’autres priorités que ces combines. »
Finalement cela passa mis à part le terme « combine » que le directeur trouvait un peu trop cru. Par conséquent il lâcha un nom, celui de Victor Grastoc, un ingénieur dirigeant l’équipe d’entretien et de réparation des attractions.
Son bureau se situait juste à l’étage en dessous. On gagnait du temps voir trop. La clé de l’énigme située à quelques pas poussa encore plus Christelle dans la voie du bourrinage. Car Grastoc sans forcément être coupable était lié d’une façon ou d’une autre à l’assassinat, puisqu’il avait été nécessaire de reprogrammer le robot meurtrier.
La prévôt ne consulta pas le moindre dossier au sujet de son nouveau suspect. Elle fonça directement à son bureau. De son côté Josh suivit le mouvement comme toujours ne demandant rien et n’obtenant rien. Une dernière petite gêne les attendait plus bas. Chez Disnosoft même les chefs d’équipe devaient se contenter d’open space comme bureau. Et il n’était pas question de pratiquer un interrogatoire dans un tel manque d’intimité.
Josh connaissant l’endroit aurait peu prévenir à condition de savoir où ils allaient et dans quel but.
Christelle agacée par cet imprévu sournois, continua dans la finesse.
« Prévôté. Il faut que vous me suiviez au centre de surveillance pour quelques questions. »
Le suspect reporta d’abord son regard sur l’ancien militaire avant de se lever. Grastroc tenait plus de l’employé que du citoyen.
Sinon on ne pouvait pas en dire grand-chose de plus. Il s’agissait juste d’un type de corpulence moyenne dans son costume étriqué. Christelle avait déjà connu ce genre de déception. La fameuse « tête d’assassin » n’était qu’un mythe. Par conséquent elle ne se formalisa pas devant ce spectacle si ordinaire. Du moment qu’il obtempérait pourquoi se plaindre ?
Au milieu de toutes ces négligences, et ces approximations un désastre ne pouvait qu’arriver.
Le trio était à deux pas de la sortie du bâtiment lorsque Grastroc si docile, éleva soudainement la voix tout en se baissant :
« Delta Sept ! »
Et ce fut le faire-valoir qui sauva la situation…. enfin du moins qui empêcha son aggravation. Josh se jeta sur la prévôt, et la plaqua à terre. Juste au-dessus d’eux passa le large bureau métallique de la réception en vol plané. A vrai dire il passa un peu trop prêt, puisqu’il entraina les deux enquêteurs dans son élan. L’impact avec le sol demeura donc violent. C’était tout de même moins pire que prévu.
Une fois réveillée et s’être engueulée intérieurement, Christelle constata l’étendue du désastre.
Le hall s’était vidé de ses figurants. Du côté des acteurs leur nombre se limitait à trois.
Le centre d’attraction était l’hôtesse d’accueil, une femme menue et aux traits fins. Elle tenait d’une main par la gorge un autre employé plutôt bedonnant. Il n’émanait d’elle aucune impression d’effort. Son otage au bord de la suffocation confirmait la puissance de la poigne de la femme ou plutôt du robot. N’était-ce pas évident ?
Tiens où était passé le bureau de l’hôtesse ? Ah oui il venait de servir de projectile.
Quand en était-il des autres rôles?
Grastroc jouait les terreurs en citant ses exigences. Il était tout sauf crédible dissimulé, derrière son androïde bien plus petit que lui, sans parler de ses hésitations dans la voix.
« Je veux un aéronef… avec un pilote… et de l’argent. »
Le costume était bien trop grand pour lui. Ce qui n’était pas forcément une bonne chose.
Josh lui qui s’était bien rétablit du choc, faisait face dans un jeu beaucoup plus sobre. A vrai dire il se contentait d’agiter la tête face aux demandes. Lui non plus ne savait pas trop dans quoi il mettait les pieds.
« En quelle devise ? » Demanda brusquement Christelle.
Sa tirade la mit sur le devant de la scène. Tiens au fait pourquoi personne ne l’avait emmené en partant ou au moins examinée ? Sûrement la panique ambiante. On va dire ça.
Le moment de flottement s’éternisant, l’enquêtrice rajouta une précision.
« Pour l’argent. »
Grastroc bredouilla d’abord, puis se mit à réfléchir ou plutôt tenter de le faire. Christelle avait réussi à gagner de précieuses minutes. Il était temps, qu’elle fasse preuve d’un peu de finesse surtout dans le cas d’une prise d’otage.
« Comment t’as anticipé le lancé d’armoire ? » Murmura-t-elle à Josh.
« J’ai reconnu l’expression Delta Sept. C’est une manœuvre d’un robot de combat, le talos. »
Ainsi Grastroc avait piraté le programme d’un robot de combat, puis implanté à un de ses robots. Et il fallut que c’en soit un à proximité pendant l’arrestation. Ce devait être sûrement l’androïde ayant tué Gina. Grastroc n’y était pas allé de main morte dans son projet de meurtre.
Vint alors un nouveau déclic chez Christelle.
« Le talos il a un programme bien spécifique ? » Demanda-t-elle à son complice.
« Oui. »
« Et le talos, c’est du genre gros colosse surblindé, je suppose ? »
Josh répondit encore par l’affirmative, plus discipliné que jamais dans cette situation à risque.
La prévôt ne put retenir un furtif sourire. Elle tenait enfin une possibilité de sortie de crise. Seulement il était nécessaire de faire dans le grandiloquent. Pile ce que Christelle détestait. Mais bon il faut parfois faire contre mauvaise fortune bon cœur. Christelle détestait aussi ce genre d’adage.
« Yuan ! » S’exclama Grastroc. « Je veux des yuans. »
Comme si la prévôt en avait quelque chose à foutre. Par contre son mal de crâne la préoccupait. Il valait mieux lancer la manœuvre sans tarder, tant qu’elle tenait encore debout. L’idéal aurait été de passer la main, mais à qui ? A Josh ? Soyons sérieux.
« Ce pauvre gars n’a rien avoir dans cette affaire. » Déclara-t-elle avec gravité en désignant l’otage. « C’est juste entre toi et moi. »
Bon d’accord d’un point de vue extérieur ce monologue pouvait paraitre lourdingue. Mais il fallait se mettre dans la peau de Grastroc. Que ce soit sa fonction officieuse de bidouilleur de robots ou sa façon de tuer, il était habitué à être dans l’ombre. Alors être ainsi un sujet d’attention le flatta, et le perturba au point de jouer bêtement le jeu. Il en oublia même la négociation en cours.
« D’accord. » Dit-il en s’étirant histoire de se donner de la consistance. « Mais d’abord il se casse. »
Par « il », il fallait comprendre l’ancien militaire. Cette fois-ci Josh n’obtempéra pas. On ne divisait pas les troupes dans une position si désavantageuse. Il y avait tout de même des limites à l’obéissance.
« Il se casse ! » Répéta Grastroc furieux de ne pas être écouter.
« Putain ! » Pensa Christelle dégoutée. « Il m’a suivi comme un petit chien tout le temps. Et c’est maintenant, pile pour le grand final, qu’il se met à déconner. »
Ensuite elle se souvint de sa décision de se montrer plus souple. Donc pas de gueulante. La prévôt se contenta d’un regard en direction de Josh. Ce dernier y lut le message. Elle savait ce qu’elle faisait.
Il se retira au grand soulagement de tout le monde. Sauf de l’otage, mais qui s’y intéressait ? Eh bien si c’était le cas.
Puisqu’une fois le vigile disparut, Christelle dit :
« Relâches-le maintenant. Je prends sa place de toute façon. »
Malgré le stress et son orgueil montant, Grastroc n’en oublia pas son sens de l’organisation acquis par la pratique de la mécanique. Un changement d’otage exigeait quelques précautions.
« Analyse B35. »
Suite à ces mots le robot scruta la prévôt, et ses yeux émirent une étrange lueur. Grastroc s’était également chargé d’améliorer les capacités de perception de la machine, vu qu’il l’utilisait aussi pour l’espionnage. D’abord Christelle paniqua devant cet imprévu, qui curieusement était incorporé d’une certaine façon dans son plan.
« Aucun élément dangereux détecté. » Conclut le robot une fois sa tâche achevée.
Ensuite conformément aux ordres la machine relâcha l’otage, et s’approcha de la prévôt. L’affrontement final allait enfin avoir lieu.
Le robot s’avança. Christelle sortit un revolver. Le robot continua d’avancer sans y prêter attention. Christelle explosa la tête du robot en quelques tirs, qui tomba. Comme combat épique on pouvait faire mieux.
Et on ne pouvait pas compter sur Grastroc pour relever le niveau. Il resta complètement hébété devant cette scène foulant du pied sa logique. Pourquoi l’androïde n’avait-il pas détecté cette arme ? En fait il l’avait. Seulement l’arme en question n’était pas dangereuse pour le blindage d’un talos. Et le robot de Grastroc raisonnait selon ce critère du fait de son programme ajouté.
Misant là-dessus Christelle pensait à juste titre surprendre la machine.
Une dernière question demeurait en suspend : qu’est-ce qu’elle foutait avec un outil aussi antique qu’un revolver ?
Il s’agissait du second objet inutile imposé aux prévôts. Même s’ils ne mettaient jamais les pieds sur le terrain, on trouvait bien qu’ils détiennent une arme de poing, ne serait-ce que pour la symbolique. Christelle n’ayant pas envie de s’emmerder avec les mises à jour et autres tracasseries propres engins de mort modernes, s’était dégotée cette vieillerie. Et voilà qu’elle lui devait la victoire.
On n'en était plus à une aberration prête.
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