Josh ne laissa pas l’occasion à Melody de se remettre de ses émotions. Il narra son histoire… leur histoire.
Mary et lui étaient nés en 1781 après Jésus-Christ. Tous deux étaient des enchanteurs, mais, contrairement à bien des leurs à cette époque, ils vivaient parmi les humains, cachés. Ils n’utilisaient pas le calendrier sorcier, qui avait pour habitude d’énumérer les années à partir de Merlin.
« Donc vous êtes nés en 1331 ApM ? calcula l’enfant.
— C’est ça. »
Ils étaient français, mais n’avaient pas grandi en France Ils avaient vécu la Révolution à Paris. Une période terrible où tous ceux qui s’opposaient au nouveau régime étaient décapités. Ils avaient fui en Angleterre. Plus tard, ils s’étaient transformés en vampires. Josh, pour échapper aux obligations militaires auxquelles il était soumis à l’époque. Mary, pour rester avec Josh.
Depuis, ils passaient les siècles, constatant sans grande émotion l’évolution technologique des humains et le repli des communautés sorcières. Alors que ceux qui n’avaient pas de magie allaient de découverte en découverte, les Enchanteurs devenaient invisibles.
« Mais un jour, le pétrole a manqué. C’était en 2075.
— En 1625… souffla la gamine, absorbée par l’histoire que racontait Josh. Je suis née un an après.
— Les sorciers disent que rien n’est de leur faute. Ils veulent agir en victime et en sauveurs. Cela fait neuf ans qu’il n’y a plus une goutte de pétrole dans les sols que les humains exploitaient. Neuf ans que les catastrophes s’enchaînent. Mais il n’y a pas qu’eux qui font n’importe quoi. Ils se trompent en utilisant à tort et à travers de nouvelles technologies… Les sorciers, eux, abusent de leur magie et dérèglent le climat.
— C’est pas vrai, on reste chez nous ! » s’exclama Melody, rouge d’indignation.
Elle devait leur expliquer comment ils vivaient, comment ils étaient des victimes, pas des responsables. Elle et sa famille ne bougeaient jamais. Ils restaient au village. Le climat, ils le subissaient ; tous les jours. Mais Josh ne lui laissa pas le temps de défendre les sorciers.
« Depuis chez vous, de n’importe où, vous faites le mal. Les glaces fondent ; vite, trop vite. Ce n’est pas naturel. La Bretagne est en train de disparaître. Si les glaces fondent, ce n’est pas uniquement parce qu’il fait chaud. C’est aussi parce que, du pétrole, il y en a plein en Arctique. Et les humains ne font pas fondre la glace tout seuls. C’est plus pratique d’employer des sorciers…
— C’est pas vrai ! Nous les sorciers, on ne fait pas de mal à la nature ! On l’aide ! On la respecte ! On la protège, même contre les…
— Ce n’est pas parce que tu vis chez les bisounours que c’est le cas de tous les sorciers, gamine. »
La petite fronça les sourcils et hésita deux secondes avant de demander :
« C’est quoi un bisounours ?
— Ce n’est pas important… Bref. La Grande Pluie Jaune, donc. Une pluie d’acide qui devait durer trois mois et qui tombe depuis neuf ans. Quand l’air de Paris est devenu si pollué, si agressif que plus aucune culture ne poussait à trois cents kilomètres alentour, les humains ont appelé des sorciers à l’aide. Leurs sérumologistes ont travaillé sur une décoction qui devait ôter l’acide des nuages et des sols. Ça a mal tourné. Quand ils ont répandu le sérum sur les terres des environs, il n’a pas eu l’effet escompté. Au lieu de dissoudre l’acide, il s’est mis à agir sur tout ce qu’il touchait. Et une fois les sols dissous, il est devenu volatil. Il s’est mêlé à l’eau, il s’est retrouvé dans les airs, il a noirci les nuages… »
Melody fronçait les sourcils. Ses parents ne lui avaient jamais appris ça. Pourtant, son père était bon en sérumologie. C’était un mauvais sorcier, faible en magie, mais très doué pour les préparations liquides.
« Ils ont bloqué le phénomène, ils ont empêché les nuages noirs de se propager ailleurs. Ils les ont déplacés sur un territoire peu habité, puis ils ont bouclé la zone à cent cinquante kilomètres carrés. Ça va, c’est grand. Ça permettait de ne pas avoir de la pluie tout le temps. »
Josh grimaça un sourire mauvais et émit un petit rire froid.
« Vous êtes bêtes, parce que plutôt que de fuir la région, vous avez cherché à la rendre habitable à nouveau. Au lieu d’admettre votre défaite… Et sans réfléchir aux conséquences… Il y a quelques semaines, vous avez essayé quelque chose de nouveau. Un nouveau sérum. Cette fois, il faut vous accorder le fait que c’est réussi. L’herbe repousse et les plantes renaissent. Par magie. Chacune d’entre elles produit un contre-sort…
— C’est vraiment bête quand on y pense. Vous n’étiez pas loin… », intervint Mary en leur jetant un regard par-dessus son épaule.
Elle découvrit ses canines dans une expression très ironique. Melody détourna les yeux, lèvres plissées. Elle n’aimait pas ça. Elle n’aimait pas Mary non plus.
« Pour chaque plante, un contre-sort, reprit Josh, mais un contre-sort imparfait. Il repousse les nuages au lieu de les détruire. À force d’être repoussés, ils ont fini par s’agglutiner au centre de vos terres…
— Au-dessus du village, souffla Melody, d’une toute petite voix.
— Vraiment très bête, hein ?… répéta Mary dans un rire froid.
— Ça n’était pas prévu, conclut Josh, impassible. D’une région où l’on pouvait vivre en se protégeant de temps en temps est née une terre définitivement dévastée par la pluie, en quelques heures. Il ne cessera pas de pleuvoir pendant des années. La terre ne se remettra jamais de l’acidité qui la ronge. Vous êtes bêtes parce que vous pensez que votre magie est plus forte que les éléments. Vous êtes bêtes parce que vous ne savez pas être humbles. »
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