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Histoire d’os

Un regard vers ses jambes galbées et le serveur ne put s’empêcher de sourire. Il n’ignorait pas que d’autres clients attendaient avec hâte leurs commandes, de payer ou encore d’être simplement placé à leurs tables. L’homme n’avait pourtant d’yeux que pour ces jambes à la peau hâlée, ces courbes fines, cette façon dont elles se croisaient, faisant ressortir quelques grains de beautés découverts grâce à l’absence du moindre poil disgracieux.

Héloïse savait cela parfaitement et c’était la raison pour laquelle elle enfilait toujours des collants judicieusement choisis ou des talons qui rehaussaient le galbe de ses cuisses. On la servait souvent en premier lorsqu’on ne lui offrait pas gratuitement des choses, ou qu’on ne lui faisait pas de réductions. D’autant plus les jours où elle mettait un short ou une mini-jupe.

Héloïse souriait en prenant le verre que lui avait payé un autre client. Elle lui fit un clin d’œil et déplaça légèrement ses jambes, sachant qu’il suivrait ce mouvement du regard. Elle l’avait déjà capturé, il lui resterait ensuite le choix de le faire sien ou pas.

On pouvait médire, la pointer du doigt en l’insultant de tous les noms, elle s’en moquait. Ses jambes étaient son plus bel atout…

Stanley servit un troisième verre à cette demoiselle qui exhibait sans arrêt ses jambes. Il ne pouvait s’empêcher de suivre chacun de ses mouvements.

Dans la rue, son regard était toujours attiré par les jambes des passants hommes et femmes confondus. Plus elles étaient longues, plus il les aimait. Mais elles ne devaient pas être trop épaisses ou musclées non plus ! Si ses yeux étaient toujours happés par les courbes divines, il n’était pas facile de le séduire non plus.

Alors cette belle à qui il offrait des verres… Elle, c’est qu’elle avait vraiment des jambes particulières.

Il ne cessait de la regarder, attendant le moment où elle paierait son addition. Lui avait déjà réglé la sienne, se contentant de reprendre de temps à autre un café contre un euro cinquante qu’il donnait directement. Il voulait s’en aller dès qu’il le souhaiterait pour venir à la rencontre de cette inconnue.

Aussi, lorsqu’elle entama une tarte aux pommes, il se leva et sortit. Il vit le regard de la femme le suivre et s’évertua à avoir une démarche assurée pour qu’elle garde son intérêt. Qui aimerait un homme qui portait des lunettes crasseuses, qui n’avait pas tant d’argent que cela et qui vivait dans un appartement rempli en grande majorité de réfrigérateurs pour conserver le surgelé ?

Il s’appuya contre le mur en supposant que même son travail de vendeur dans une chaîne de restauration rapide n’avait rien de séduisant.

Il était habitué à cela… Il n’avait rien d’attirant, rien pour lui mais il aimait le genre de personnes qui pouvait avoir tout le monde. Pourquoi alors se contenter d’un homme aussi peu intéressant que lui ?

Héloïse sortit du restaurant et sourit en reconnaissant celui qui lui avait servi cinq verres. C’était à cause de lui si ses joues étaient roses et si elle souriait autant. De près, elle remarqua ses boutons et comme ses cheveux étaient hirsutes. Néanmoins, elle s’approcha.

– Merci pour les verres.

– De rien. Je vous trouve très charmante…

Elle sourit, ravie des compliments. D’autant plus lorsqu’ils étaient prononcés en la regardant dans les yeux au lieu d’observer ses courbes. C’était suffisamment rare pour qu’elle le note et qu’elle revienne sur ses primes idées. Elle n’allait pas l’éconduire à l’instar de tous les autres. Rien qu’une fois, elle pouvait garder dans ses filets un homme qu’elle trouvait disgracieux…

Qui le saurait ?

Au petit matin, Stanley se leva de sa chambre et observa le sol en soupirant. Pas de petite culotte ou de soutien-gorge. Pas plus de préservatifs abandonnés sur le tapis après avoir passé une nuit exquise.

Il quitta la pièce et se rendit vers le salon où des réfrigérateurs aux portes vitrées étaient étalés sur tous les murs. Il se laissa tomber dans le seul meuble du lieu : un minuscule fauteuil. Il posa ses mains sur l’accoudoir et observa la nouvelle paire de jambes en vitrine.

Celles d’Héloïse.

Son nouveau trophée.

Quelles étaient somptueuses sans toutes ces choses inutiles autour. Un tronc, des bras, une tête ? Il ne pouvait empêcher un rictus de marquer ses lèvres dès qu’il pensait à cela. Lui-même était muni de ces membres disgracieux mais puisque ses jambes étaient aussi désespérément moches que lui, il supposait que ce n’était pas un vrai problème…

Il laissa ses yeux courir d’une porte de réfrigérateur à l’autre, ses lèvres souriant en revoyant les belles jambes d’Héloïse en action. Puis il coula le regard vers celles de Monique à la peau si foncée, au galbe si gracieux. Il s’attarda un instant sur celles d’Alonzo… Il ne savait pas lesquelles il préférait. Elles étaient toutes tellement merveilleuses. Il se rêva marionnettiste pour pouvoir tirer sur des ficelles et reproduire les mouvements féériques de ces membres divins.

Il se figura, juste un instant, un autre univers. Goûta au plaisir sourd de son monde de fantasme…

Stanley avait dû s’arracher à la chaleur de son appartement, havre de mille histoires, pour s’enfoncer dans la triste réalité. Traversant des rues insipides dans un froid mordant, il ne pouvait s’empêcher de jeter des regards vers les kiosques à journaux quand il passait devant. Il n’en achetait presque jamais mais valait mieux s’assurer qu’il ne faisait pas la Une.

C’était déjà arrivé. Ça arriverait forcément à nouveau.

On ne lui attribuait pas tous les meurtres. Il ignorait s’il devait s’en sentir vexé ou pas…

Toujours est-il qu’à force d’arranger ses idées, il arriva au supermarché. Il troqua sa tenue contre l’horrible uniforme qu’il devait toujours revêtir. Et c’était parti. Huit heures loin de ses fééries personnelles. Là, il devrait supporter de voir des jambes qu’il ne pourrait peut-être jamais toucher. Ou, pire, des jambes moches !

À cette simple idée, il ne put s’empêcher d’avoir une moue de dégoût.

Quelles jambes…

Stanley leva le visage pour s’adresser à la cliente mais ne put que serrer les dents. Elle n’avait rien d’attirant. Une poitrine exubérante mise en avant par un corset échancré, des cheveux peroxydés, un maquillage à outrance. Il s’empressa de la saluer pour recommencer à observer ses cuisses, ses mollets même ses chevilles malheureusement enfermées dans des bottes.

Cette vision s’arracha trop vite à lui alors qu’elle s’éloignait, après un rapide paiement, pour partir sur le parking. Il ne pouvait lâcher ces somptueux membres du regard et sourit en les voyant partir vers les emplacements à l’arrière du bâtiment. Il n’y avait presque personne là-bas.

Il ignora la vieille qui lui souriait en lui tendant la carte du magasin et se leva.

– Mais ? s’étonna-t-elle.

Stanley s’empressa de sortir et marcha rapidement vers l’arrière du supermarché. Il enfonça sa main dans sa poche pour sortir son couteau suisse.

Il tourna.

Une gerbe de sang éclaboussa les murs.

– Merde…

Un long soupir emplit l’air qui était soudainement devenu silencieux. Plus un seul pépiement dans les arbres. Plus un bruissement dans les feuilles. Comme si l’univers lui-même attendait.

– Tant pis. Au moins, ses mains ne sont pas abîmées.

Mallory arracha les mains de Stanley à son cadavre et les fourra dans son sac à main avant d’aller dans sa voiture.

Voilà qui serait merveilleux pour sa collection !


Texte publié par Angelscythe, 14 février 2016 à 12h58
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