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La nuit s’effaçait petit à petit et quelques éclats plus clairs baignaient Asgard, les lueurs diffusent atteignant le Walhalla encore ensommeillé. Enfin… pour presque tout le monde. Alors que les Einherjar dormaient encore dans leurs couches couvertes de chaudes fourrures, deux corbeaux fondirent les cieux encore sombres. Ils poussèrent un cri, entrèrent par une grande porte constituée de lances et virevoltèrent jusqu’au Trône.

Ils tournoyèrent, ne trouvant pas la haute stature de leur Maître, Odin. Pourtant, l’un des deux volatiles descendit en faisant des ronds et se posa sur la frêle épaule d’un adolescent.

- Bonjour Munin !

Il caressa la tête de la bête et tendit le poignet pour accueillir le second oiseau qui s’installa sur la manche de sa mitaine noire.

- Bonjour Hugin.

L’adolescent tourna la tête et s’empressa de trottiner vers un grand homme, les pans de son écharpe blanche voletant autour de lui. Il s’inclina bien bas, levant la main pour lui présenter ledit Hugin. Les deux corbeaux décollèrent et se posèrent sur les épaules du mastodonte. Ils se mirent chacun à une oreille et murmurèrent des croassements que seul l’homme comprenait.

Le garçon resta à scruter les plumes noires durant au moins une quinzaine de minutes. Alors que l’aube pointait, le géant siffla lentement. Les volatiles s’envolèrent et repartirent dans la clarté.

Le colosse observa à peine les deux animaux devenir des points qu’il partit. L’adolescent, lui, se permit quelques secondes encore. Néanmoins, lorsqu’il remarqua que l’imposante masse de l’homme disparaissait dans l’une de ces portes aux encadrements fait de lance, il se hâta de le rejoindre. Le mastodonte ne prêta même pas attention au garçon jusqu’à ce qu’il s’asseye dans le grand Trône au pied duquel deux énormes loups dormaient.

- Est-ce que tout est prêt ?

- Oui ! dit l’adolescent en s’arrêtant devant lui.

Il s’inclina.

- Les neuf Mondes se portent merveilleusement bien, releva l’homme.

- C’est une bonne nouvelle.

Le colosse opina.

- Dieu des Dieux Odin… commença une voix.

Ils tournèrent la tête tous les deux. Une femme à la blonde chevelure, des somptueuses ailes dorées ornant son dos, s’avança vers eux. Elle se courba, les pièces d’armures couvrant son corps svelte tintant l’une contre l’autre.

- Dieu des Dieux, Odin ! Les offrandes sont arrivées.

- Parfait, dit le grand homme. Thierry…

Le garçon se prosterna comme la femme avant lui et partit en courant vers les entrées du Walhalla. Arrivant sur le seuil, il découvrit le même spectacle qu’il avait chaque matin. À savoir : des poissons de tailles diverses soit préparé, soit encore cru. On trouvait aussi du gibier et de la volaille sous toutes ses formes à l’instar de légumes et de fruits en quantité moindre, tels que du chou, des carottes et des pommes. En fouillant bien, on dénichait quelques noisettes ou rares noix sans oublier du vin, bien sûr. Du vin à foison !

Thierry rejeta son écharpe sur sa tunique et rassembla le plus de carafe de vin qu’il pouvait afin de les mener à Odin. Ce dernier l’accueillit à nouveau d’un sourire et se saisit de la corne à vin qu’il portait à sa ceinture. Le garçon lui servit alors une première rasade que le Dieu porta à ses lèvres en le remerciant.

L’adolescent posa le cruchon à côté de lui et s’empressa de repartir vers l’entrée. Il récupéra un panier pour tant le remplir de victuaille qu’il vacillait en retournant vers le Trône d’Odin. Il posa la banne trop lourde aux pieds de l’homme qui les observa avant d’opiner, approbateur.

- Quel pourcentage ?

- Pas beaucoup. Moins d’un ? supposa-t-il.

- Magnifique. Ils sont toujours reconnaissants, remarqua-t-il.

Il tendit son verre qui fut rempli par Thierry avant qu’il ne se laisse tomber à genoux. Il paraissait d’autant plus petit avec cet individus si imposant alors que les deux canidés s’étaient eux-mêmes redressés. Ainsi, même pas assis, ils étaient presque deux fois plus haut que le serviteur.

Le garçon prit des petits poissons grillés, un dans chaque main et les présenta aux loups qui gobèrent l’aliment en manquant de peu de lui happer les doigts. Il continua de piocher des aliments qu’il offrait toujours aux canidés et ne proposa pas un seul met à Odin qui se contenait de lui tendre de temps en temps sa corne à vin pour recevoir une nouvelle rasade de boisson.

Cette tâche était longue et astreignante mais Thierry ne se plaignait jamais, faisant des allers-retours entre le Trône et l’entrée pour ramener les offrandes avec lesquels il nourrissait les deux molosses tout en resservant régulièrement Odin qui observait autour de son prestigieux siège, voyant des choses qui étaient visiblement uniquement apparente à ses yeux.

Tout à coup, un cri de coq perça la quiétude matinale.

Thierry se redressa, se mordillant la lèvre inférieure alors que son regard portait au loin vers la gauche.

- Où en sont les offrandes ? demanda Odin.

- Il y en a encore au moins une moitié, répondit le garçon.

- Permets-toi donc une pause.

- Merci !

L’adolescent se leva d’un bond, se courba autant qu’il le pouvait et partit en courant. Les loups en profitèrent pour se redresser et vider le fond du panier, se grognant dessus lorsqu’ils convoitaient le même morceau.

Le chant de Gullinkambi berça les oreilles de Simen qui sortit des songes. Comme tous les autres Einherjar, il ne pouvait plus se permettre le repos. Il s’extirpa alors des draps et se dirigea vers un baquet d’eau gelée avec lequel il se lava rapidement. Il venait de passer une chemise et une culotte de lin lorsqu’il entendit des pas. Il afficha un sourire amusé et termina de se débarbouiller, lavant au passage sa barbe blonde.

- Toujours à l’heure. Gullinkambi vient seulement de finir son chant que te voilà déjà.

- Mais j’en ai eu la permission.

- Comme chaque jour… Jamais je n’ai vu de thrall mieux entretenu que toi. Jamais on n’aurait fait ça dans mon clan.

- Ne me dites-vous pas cela tous les jours ? s’enquit Thierry.

- Et toi ceci ? Viens m’aider puisque tu es là.

Le garçon s’empressa de le rejoindre en se disant que, ça aussi, il le lui disait tous les jours. Une conversation qui se reproduisait inlassablement au cours d’une journée qui se répétait sans cesse, ça n’avait rien d’une vie. Et pourtant, aux yeux de Thierry c’était tout ce qu’il pouvait espérer.

Ou presque.

Il aurait volontiers fait quelques arrangements s’ils étaient seulement possibles. Mais il demeurait réaliste puisqu’il n’y avait que ça qu’il lui restait.

Aussi, de ces gestes dont il avait l’habitude depuis longtemps, il lui présenta sa blouse verte puis son long pantalon collant que l’homme enfila. Simen s’assit sur le lit et enroula les bandes molletières autour de ses jambes tandis que Thierry préparait le reste de sa tenue.

- Qu’as-tu entendu des Mondes, aujourd’hui ? demanda-t-il en enfilant des chaussures de cuir.

- Rien de bien nouveau… Midgard est toujours pareille à elle-même.

- Comme tu me l’avais décrite ? s’enquit l’homme en passant des mitaines de laine épaisses.

- Oui…

- Alors Midgard a bien changé, soupira-t-il.

Constatation que Simen faisait régulièrement.

- Et qu’en est-il des guerres là-bas ?

- Toujours vaines…

- Une guerre n’est jamais vaine, Thierry. Elle permet de protéger les siens !

- Et lorsqu’on va faire la guerre pour obtenir des richesses ?

- Si c’est ainsi que tu le vois : nous n’étions pas mieux à l’époque. Certaines richesses restent nécessaires pour le bien des siens. Tu es un homme à présent, tu devrais être capable de le comprendre.

Simen se tourna vers lui et fixa les bras, dénudés, couverts d’ecchymoses de Thierry.

- Tu portes les marques des guerriers après tout.

- Elles ont été faites dans la lâcheté, pourtant, rectifia-t-il, presque moqueur.

- Tu devrais prendre les armes.

Il attrapa la broigne de l’homme et la lui enfila pour l’ajuster avant de lui sortir sa longue cape blanche doublée de fourrure de martre pour la lui sangler.

- Thierry…

Le garçon attrapa la lourde hache de Simen et la lui tendit tant bien que mal, ses bras tressautant sous le poids. Il sourit légèrement.

- C’est pour ça que je ne prends pas les armes. Même si Odin m’a accepté ici, il savait que je n’avais qu’un avenir de thrall.

- Comment, par Odin, tu réussis à lever la nourriture de Freki et Geri avec des bras pareils ! se moqua le guerrier.

Il lui asséna une tape sur l’épaule, manquant de le faire flancher. Thierry sourit à peine et s’empressa d’aller lui chercher son casque en fer. L’homme le revêtit, couvrant presqu’entièrement son visage de métal. Seuls demeuraient ses yeux bruns emplit de fiertés et sa barbe légère.

Le garçon attrapa le lourd bouclier qu’il lui tendit. Lui qui peinait à le soulever vit le combattant s’en saisir d’une main comme s’il s’agissait d’une simple planche à pain. Il sourit et ébouriffa les cheveux bruns de l’adolescent.

- Est-ce que tu veux m’accompagner jusqu’à l’Idavoll ?

- Oui !

Thierry sourit.

- Si jamais on a besoin d’un Einheri sur Midgard ou ailleurs, tu parleras de moi ?

- Je ne suis qu’un thrall, rappela Thierry en le suivant à l’extérieur.

Ils avancèrent le long des couloirs, franchissant d’immenses portent qui auraient pu laisser une centaine d’homme passer sans mal.

- Tu es tout de même le thrall le plus apprécié de ce que j’en sais.

- Parce que… je suis le seul, rit-il nerveusement.

L’homme lui ébouriffa une nouvelle fois les cheveux, mélangeant les quelques mèches vertes de la coiffure aux autres. Thierry dut d’ailleurs les peigner de ses doigts pour retrouver une uniformité. Il replaça même la petite tresse qui soulignait la rondeur de son visage constellé de taches de rousseur.

- Il connaît ton nom, de toute façon. Il sait bien que tu es un guerrier valeureux.

- Merci, Thierry.

Il lui donna une nouvelle tape. Mais, cette fois-ci, le garçon trébucha et se fracassa sur le sol. Il se redressa en retenant un gémissement et se frotta le nez.

- Tu ne tiens plus sur tes jambes ? rit l’homme.

- J’ai un peu du mal, s’amusa gentiment l’adolescent.

Et ce malgré les douleurs qui le lançaient dans les genoux et le visage.

Il accepta la main que lui tendait l’Einheri et se remit sur pied. Ensemble, ils regagnèrent Idavoll en reprenant leurs discussions. Ils arrivèrent dans une magnifique plaine verte verdoyante où des guerriers s’affrontaient déjà. Le bruit de ferraille s’entrechoquant et l’odeur du sang les agressaient déjà.

Enfin… Pour Simen il s’agissait d’un doux concerto aux fragrances délicates. Il inspira beaucoup d’air et s’étira en souriant.

- Eh bien… À ce soir, Thierry.

- À ce soir ! sourit le garçon.

Simen rejoignit les autres guerriers et échangea quelques passes avec un homme au hasard. Tellement dissimuler par ses pièces d’armures qu’on ne pouvait le reconnaître. Pourtant, il connaissait chacun des hommes puisque ça faisait bien longtemps que le Walhalla n’avait plus vu de nouveaux Einherjar…

Il finirait bien par le reconnaître au fil des coups échange des lames.

Thierry se détourna pour repartir au côté d’Odin. Il manqua toutefois de se cogner dans un guerrier à la tenue bleue. Il se courba au maximum et se recula de deux pas.

- Excusez-moi…

- Asbjörn fils de Skallagrim, répondit l’homme d’un ton sec.

- Ah… c’est vous…

Le regard fuyant, Thierry se rappela ce que disait toujours son professeur de français.

- Je vous présente toutes mes excuses…

- Éloigne-toi, thrall…

Si ça ne faisait pas longtemps qu’il œuvrait ici ; s’il n’avait pas des cheveux singuliers avec sa coloration vert flashy ; s’il ne portait pas la tunique des esclaves alors qu’il avait eu le droit de conserver son écharpe et ses mitaines ; s’il n’était pas le serviteur attiré d’Odin Thierry aurait été surpris. Au lieu de ça, il se recula, s’effaçant sans même une protestation.

- Eh !

Regardant par-dessus son épaule, Thierry vit Simen enfoncer son épée dans une cuisse qui dégoulina de sang. Le guerrier ne récupéra même pas son arme qu’il s’avança vers Asbjörn.

- Ce n’est pas votre thrall, ne le considérez pas de la sorte.

- Un thrall incapable de prendre les armes ne devrait pas avoir le droit de dire le traitre mot.

- Vous portez toujours fièrement vos couleurs, Asbjörn Skallagrimson mais n’oubliez pas que c’est grâce à son maître que vous êtes ici.

- Ne me parlez pas de la sorte…

- Simen Simensson. Voulez-vous tâtez de mon épée ?

- Pas aujourd’hui, dit-il d’un ton méprisant.

Il posa sur lui un regard de dédain et, hache à la main, s’éloigna.

- Il dit ça à chaque fois. Je crois qu’il redoute mes talents !

Thierry se tourna vers son ami et lui sourit.

- Je n’en doute pas. Je dois y aller, ajouta-t-il.

Il s’inclina et partit en courant. Franchissant l’un ou l’autre couloir, il s’arrêtait dans sa course pour se courber devant une personne habillée de bleu ou portant de riches parures. Dont une femme qui lui adressa un sourire.

Lorsqu’il arriva devant Hlidskjalf, le trône d’Odin, il se prosterna.

- Tu as été bien long. Ce n’est guère dans tes habitudes. Geri et Freki commencent à trop patienter…

Thierry se redressa, ramassa le panier et s’empressa de rejoindre l’entrée où toutes les offrandes étaient encore entreposées. Il remplit sa banne d’autant de victuailles qu’il le pouvait et se pressa de préparer les mets pour les deux molosses tout en n’oubliant pas une seconde la corne à vin d’Odin.

Il savait qu’il n’avait pas à se plaindre. Comparé aux thralls qu’avait eus Asbjörn Skallagrimsson ou d’autres personnes de son acabit. Surtout que, de temps à autre, une grosse langue canine passait sur son visage, le cajolant avec affection.

- Thierry !

- J’arrive !

Le garçon courut rejoindre Andhrímnir qui lui mit un plateau dans les bras. Lourd comme jamais, il savait pourtant qu’il n’y avait qu’une seule patte du sanglier cosmique que dévorait les Dieux, Valkyries et Einherjar depuis déjà de nombreuses heures.

Il repartit en marchant aussi vite que possible vers la table du buffet pour poser le met et, après avoir resservi Odin de vin, il retourna en courant aux cuisines. Cette fois-ci, grâce aux offrandes, il ramena des plats de légumes ou alla chercher des pintes d’hydromels tirées aux mamelles d’Heindrun.

Il ne cessait ses allers-retours au milieu de cette liesse. Mais ça ne le gênait pas… C’était son travail de toute façon.

Bien sûr, voir ce sanglier bien cuit qui libérait des goulées de jus sur les mâchoires des hommes hilares lui donnait l’eau à la bouche. Mais il aurait l’occasion de manger après, il le savait bien.

Aussi, il posa un plat de fruit pour ceux qui en aurait eu bien assez avec la moitié de l’animal déjà dévoré.

- Ça se passe bien ?

Thierry eut un léger sursaut, n’ayant pas reconnu Simen avant qu’il ne parle. Il sourit et opina en récupérant des assiettes remplies de sauces.

- Et pour vous ?

- À merveilles ! Mes compliments à Andhrímnir.

- Comme chaque jour, se permit Thierry, un sourire aux lèvres.

- Il faudrait que tu les donnes à l’avance, s’amusa-t-il.

- Je note. Je le ferai pour la prochaine fois ! rit-il.

- Tâche de ne pas trop t’épuiser à la tâche.

- Ne vous en inquiétez pas. Merci tout de même.

- Thierry !

La voix d’Andhrímnir.

- Excusez-moi.

- Oui, file !

Le garçon s’inclina et, les bras chargés de vaisselle sale, retourna en trottinant vers les cuisines. Il posa les assiettes et s’empara d’un lourd plat encore une fois rempli par un bout de sanglier. Et quand il regardait vers la grande table où une demi-bête gigantesque se tenait encore, il savait que les allers-retours ne cesseraient pas de sitôt.

Thierry lavait les restes du sanglier, retirant tout ce qu’il y demeurait de chair. Il n’hésitait pas à casser certains os pour y récupérer de la moelle. Finalement, son assiette était pleine de petites parties, et une seconde portant quelques victuailles, et il retourna dans la pièce à côté. La salle de banquet avait été laissée tel quel avec la vaisselle sale dessus, la nappe souillée par le sauce, des choppes renversées, des chaises mal mises…

Il s’empressa de quitter le Walhalla et se rendit aux bords d’Asgard où se tenait un guerrier, le regard rivé vers un pont Arc-En-Ciel en-dessous duquel il se tenait.

- Dieu Heimdall.

L’homme tourna légèrement la tête vers lui. À peine.

Thierry s’inclina et lui tendit le plat où se tenaient des tranches complètes.

- Merci. Passe une bonne nuit.

- Merci. Vous aussi. Je vous la souhaite pas trop ennuyante.

- Merci.

Sur ces dernières politesses, il regagna la salle du Trône où étaient encore installés les deux loups au pied du siège doré. Il s’empressa de se mettre à genoux à leur côté. Il les nourrit de ces restes qu’ils engloutirent en poussant des aboiements très canins ravis.

Ce n’est que lorsqu’ils eurent été jusqu’à lécher le plat de leur sauce qu’il posa un baiser sur chacune des grosses têtes.

- À demain, sourit-il.

Il se redressa et continua sa tâche. Il restait encore tout le buffet à ranger. Travail qui lui prit tellement de temps que la nuit était bien sombre lorsqu’il eut fini de récurer la table. Enfin, il put regagner une dernière fois la cuisine. Elle, elle était propre, Andhrímnir s’en étant occupé ne laissant qu’une assiette remplie de légumes et de fruits. Il y avait un peu de poisson aussi puisque le sanglier lui était de toute façon interdit.

Il dévora le repas, lava son assiette et partit vers sa chambre qui se résumait, comme pour chaque guerrier, à une pièce avec un lit et une commode. Il retira alors ses mitaines, dévoilant des cicatrices sur le dos de ses mains, ses paumes et même ses poignets. Il ôta également son écharpe, révélant des ecchymoses comme sur ses bras, qui coloraient la peau halée de son cou mais aussi un collier en cuir brun tressé surmonté d’une pierre précieuse.

Sa marque d’esclave.

Il se coucha dans les fourrures d’hermines. Il ferma les yeux pour les quelques rares heures de sommeil qu’il lui restait.

Pour lui, le Walhalla n’avait pas une once d’ambiance paradisiaque. Certes, il avait des amis, il adorait les animaux dont il s’occupait et appréciait beaucoup Odin, son principal maître.

Somme toute, son existence pouvait être pire…

Ça lui convenait de travailler ainsi toute la journée vu les lumières qu’il y découvrait. Et puis… à choisir il préférait ça à devoir se battre du soir au matin. Il l’avait assez fait auparavant… Son corps en subissait encore les marques aujourd’hui.

Simen se battait depuis un moment à Idavoll sous le chant majestueux des cris de douleur des hommes, sous la sonate somptueuse du métal qui s’entrechoquait. Souvent, les bords élimés de sa hache ressortaient rougie du sang de ses camarades. Il regarda la tête d’Erik Lotharson voler dans les airs et s’écraser sur une autre personne. L’éclat noir des yeux de l’homme fut la dernière chose qu’il eut foncièrement l’occasion de voir.

C’était un de ses amis…

Il eut à peine l’occasion de songer à cela qu’il dut lever son bouclier pour contrer une épée entourée d’un lin coloré en jaune.

- Beau combat.

- Merci. Je n’ai pas eu l’occasion de voir le tien.

- Si tu le vois, tu périras sous mon épée.

- Alors cesse de parler ! se moqua Simen.

La lame effleura son bras. Il fit un bond en arrière, manquant de s’empaler sur la lance d’un autre camarade d’arme. Il donna un violent coup de bouclier sur son nouvel adversaire, Oluf Olafsson, le jetant au sol.

- Simen Simensson !

L’interpellé se tourna. Il vit la sombre barbe d’Asbjörn Skallagrimsson. Son épée se leva haut et s’abattit brusquement. Il évita d’un petit pas de côté, brandit sa hache et cogna avec force. Mais Asbjörn n’en avait pas fini avec lui. Au lieu de s’empresser de se trouver un nouvel adversaire, à l’instar d’Oluf, il se jeta en avant, continuant d’harceler Simen de coups. Ses yeux bleutés étaient injectés de sang alors que ses lèvres retroussées révélaient un sourire inquiétant.

- Voilà que nous échangeons finalement quelques passes, sourit Simen.

- Cessez de me parler de la sorte. Je vous ferai laver vos affronts !

- De quels affronts parlez-vous ?

- Ceux faits la veille. Ceux faits chaque jour que nous nous voyons, ajouta-t-il avec mépris.

Simen évita un coup d’épée et virevolta sur lui-même, enfonçant la lame de sa hache dans l’épaule d’Asbjörn qui serra les dents sous la douleur, retenant son cri.

- Vous avez oublié que nous sommes tous des guerriers que seuls nos faits d’armes subsistent et que vos longues années en tant que jarl n’intéresse plus personne. Contentez-vous de lever votre épée et de vous battre avec fierté !

- Vous avez autant de mépris pour moi que moi pour vous !

Il donna un coup d’épée que Simen contra péniblement de son bouclier. Il profita de leur proximité pour tenter de lui asséner son hache dans le visage mais Asbjörn l’évita, s’empala sur la lame d’un autre guerrier et rugit de douleur. Cette fois, il éjecta la lance accrochée à sa ceinture et la planta d’un mouvement expert. Elle traversa la broigne et s’enfonça dans le cœur de Simen.

L’homme écarquilla les yeux alors que la souffrance intense s’évaporait déjà, se remplaçant par un cocon délicat et réconfortant.

Il s’effondra au sol.

Asbjörn nettoya son arme sur la cape de Simen et se chercha un nouvel adversaire.

Sӕhrímnir détala en apercevant Thierry. Pourtant cinq fois plus large et deux fois et demie plus grand, il avait la queue entre les pattes arrière. Mais il pila net lorsqu’il se retrouva face à Andhrímnir qui lui bondit sur le dos avec souplesse. Sa lame s’enfonça entre les deux omoplates. L’énorme sanglier poussa un long cri et s’affaissa, touché à un endroit sensible.

- Merci.

- De rien. Est-ce que vous avez besoin de moi pour autre chose ?

- Non. Par contre, Dame Frigg a besoin de toi.

Thierry se courba et, sans plus attendre, il fila dans les couloirs, s’effaçant dès qu’il rencontrait quelqu’un d’un tant soit peu important. Dès qu’il croisait le chemin de qui que ce soit à vrai dire.

Il arriva dans la salle réservée à Frigg et s’inclina bien bas en s’annonçant d’une petite voix. La grande femme cessa une seconde d’amasser des nuages qui se transformaient en fil sous ses doigts graciles.

- Te voilà. Peux-tu faire laver mes affaires ?

- Oui, Dame Frigg.

- Sais-tu comment se portent Fulla et Hlin ?

- Oui, Dame Frigg, elles vont à merveilles. Dame Fulla a fait une halte à Jotunheim pour votre époux, répondit Thierry en récupérant les toilettes de la femme.

Il prit le plus grand soin lorsqu’il s’agit d’une robe en plume de faucon.

- Et Gna n’est toujours pas revenue ?

- Non. Mais Munin et Hugin l’ont croisée. Elle vous reviendra bientôt.

- Magnifique. Et comment se portent mes enfants ?

- Tout aussi bien. Hoder sera là au repas de ce soir.

- Quelle merveilleuse nouvelle. Merci. Va, ajouta-t-elle.

Thierry se courba au plus bas et s’empressa de repartir pour regagner l’une des pièces du domaine où se tenait un immense chaudron d’eau très claire. Il y puisa un seau et entreprit sa tâche. En voilà une qui changeait un peu de ce qu’il faisait usuellement.

C’était plaisant. Et ce même s’il devait retirer ses mitaines et exposer les marques sur sa peau. Les Einherjar s’en seraient vanté… lui préférait les dissimuler avec honte.

Thierry terminait de mettre la table. Il jetait régulièrement un coup d’œil vers les somptueuses fenêtres découpées dans les murs. Là, il voyait le Soleil décliner, signe que bientôt le banquet prendrait lieu. Ce pourquoi il achevait l’installation des chaises, des assiettes et préparait les plats de pains, de légumes froids ou installaient déjà des cruchons de vin et d’hydromel.

Simen serait bientôt là… Ça lui permettrait d’avoir quelques secondes de répit ou d’en avoir au moins l’impression.

Il sourit lorsqu’il vit Odin et Frigg. Il s’approcha d’eux et s’inclina pour une énième fois.

- Tout est-il prêt ?

- Oui, Dieu des Dieux.

- Parfait.

Il s’installa à table lorsque son épouse eu fait de même et se fit servir à boire. Petit à petit, les Dieux arrivèrent rejoint par quelques Einherjar riant en se donnant des coups sur les épaules. Déjà les bonnes odeurs germaient des cuisines et venaient titiller leurs narines.

- Andrhímnir ! lança Odin. Apporte le repas !

Thierry s’inclina et fila rejoindre le cuisinier avant même qu’il n’ait besoin de l’appeler. Il récupéra les plats et recommença à être le serveur de tout le monde.

Les brins d’herbes d’Idavoll retrouvaient leur beau vert tandis que le rouge disparaissait. Où qu’il soit, le carmin se résorbait. Alors qu’il y avait là des milliers de cadavres en lambeaux, des soupirs retentissaient, les membres remuaient, revenant l’un à l’autre. Les corps se reformaient et petit à petit, les hommes se redressaient en récupérant leurs armes.

Simen attrapa son casque et se passa la main sur le visage. Si le sang avait disparu, ses cheveux étaient encore crasseux et il devrait prendre un bon bain ce soir. Il étira tous ses muscles qui craquèrent un à un. Les uns se levaient d’abord et attrapaient les mains de leurs amis pour aider d’autres à se remettre debout. Ils se donnaient des tapes sur les épaules. Ils retournèrent vers les chevaux préparés et laissés à disposition. Montant sur les vaillants destriers, ils cavalèrent vers la salle du banquet.

La course fut plus longue qu’elle n’y paraissait et ils descendirent de montures, posant leurs armes. Elles étaient suffisamment différentes pour que jamais ils ne se trompent.

Ils passèrent dans la salle où les morceaux de Sӕhrímnir étaient posés. Se félicitant des batailles et portant triomphe aux valeureux survivants, ils s’installèrent et se jetèrent sur les mets.

Thierry sourit, un plat des plus lourds dans les bras, et s’approcha de Simen.

- Encore mort ?

- Toujours mort, rit-il. Un jour, je ne mourrais pas !

Il se tira une chaise et se servit de l’hydromel qu’il engloutit avec un soupir de joie. Être mort toute la journée, ça donnait envie de se désaltérer !!

- Je vous le souhaite, sourit Thierry en posant les tranches de sanglier sur la table.

- Tu verras ce jour arriver !

Le thrall rit et repartit vers la cuisine. Il avait encore bien trop de travail pour se permettre de bayer aux corneilles avec son ami. Il lui glisserait des mots de temps à autre, tandis qu’il festoierait et que lui persisterait à mettre ses jambes aux supplices.

Se servant d’une tranche de Sӕhrímnir, Simen remarqua Asbjörn qui le dévisageait avec hargne. Il lui sourit et fit un signe de tête poli. Il se moquait bien qu’il l’ait tué plus tôt dans la journée. Même si, à l’inverse de son échange avec Oluf, ça n’avait pas été fait dans un bel esprit de camaraderie.

Thierry s’éveilla alors qu’il faisait encore nuit. De longues années d’esclavages lui avaient permises de se réveiller sans qu’Heimdall ne doive lui envoyer un animal quelconque pour le sortir de ses songes. Il se prépara rapidement, se débarbouillant, rajustant ses vêtements et enfilant ses mitaines et son écharpe. Il refit sa tresse dans sa chevelure, une tresse qu’il avait toujours porté auparavant sans savoir qu’il finirait au sein d’une communauté de viking qui se coiffaient si souvent de la sorte…

Fin prêt, il se rendit dans la cuisine et récupéra le fémur du sanglier de la veille. Il l’apporta dans la prairie de l’Idavoll et s’éloigna prudemment. De l’os, Sӕhrímnir reparut et brouta un peu.

- Viens…

Il tendit la main et la posa sur l’une des défenses de la bête. Il tira doucement dessus et se recula. La créature poussa un long cri mais le suivit en le cernant de ses yeux noirs. Thierry n’avait pas besoin de lui demander pour savoir que la bête le détestait cordialement. Mais ça ne le surprenait pas tant… Après tout, il aidait Andhrímnir à le tuer tous les soirs avant qu’il ne revienne à la vie, un peu avant l’aube.

Telles étaient les choses, ici, au Walhalla… rien ne mourrait.

Que ce soit les Einherjar combattant sans cesse pour, un jour, être prêt à se battre aux côtés des Dieux lorsque viendrait le Ragnarök ou toute créature y séjournant.

Pour eux aussi, c’était une existence bien répétitive. Thierry s’en rendait bien compte alors qu’il laissait Sӕhrímnir se balader allégrement à l’extérieur du palais. Lui pouvait bien se plaindre du labeur qui ne cessait pas et ne lui offrait que quatre heures de sommeil mais eux, ils mourraient… À moins que cette mort ne soit très reposante, il savait qu’il n’y avait rien à en envier.

Simen ne lui parlait que de la douleur d’une épée s’abattant dans votre corps, ou d’une hache faisant sauter votre tête. Lui-même ne se souvenait pas de sa propre mort. Elle avait été si brutale qu’il n’avait jamais goûté à cette souffrance. Bien qu’il ait passé toute sa vie à en subir une autre…

Le garçon repartit dans la salle du trône où, bientôt, Odin le rejoindrait. Où il devrait nourrir Freki et Geri toute la journée lorsqu’il ne resservait pas le Dieu d’alcool, lorsqu’il ne devait pas aider Andhrímnir, lorsqu’on n’attendait pas son aide ci ou là…

Mais à cet instant exact, il ne pensait pas à toutes les tâches harassantes qui seraient siennes sous peu. Il préféra, de loin tendre le poignet pour accueillir Hugin tandis que Munin s’installait directement sur son épaule et posait une sorte de « baiser » sur sa joue. En fait, il se contentait de lui becter la joue, mais il comprenait le geste d’affection.

- Bonjour Munin ! Bonjour Hugin.


Texte publié par Angelscythe, 31 janvier 2016 à 18h29
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