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tome 1, Chapitre 1 « L'Unique » tome 1, Chapitre 1

"Ils ne voulaient pas voir l'horreur du monde. Alors ils ont fermé les yeux."

Une nuit en 2105

La nuit était noire. Noire et profonde. Elle avait des accents d'été, sombre mais chaude comme après un orage intense. Le goudron était encore mouillé et cette odeur particulière s'élevait dans les airs. Une odeur de chaleur et de réconfort alors que la pluie avait battu longuement les routes chaudes de la capitale française. Il y avait encore dans l'air cette atmosphère humide et électrique que pouvaient ressentir les quelques badauds qui traînaient dans les rues malgré l'heure tardive. Ils avançaient nonchalants, quelquefois titubants, s'enfonçant dans ce manteau obscur, s'imaginant guidés par la lueur fantomatique d'une lune absente. Et c'est dans cette chaude nuit d'été qu'un pleur enfantin s'éleva vers l'astre blanc voilé.

Le ciel était gris, cotonneux. Les nuages semblaient chargés et lourds, promettant aux Parisiens une journée aussi mouillée que celle de la veille. Il était à peine six heures du matin, et le jour s'élevait péniblement, éclaircissant le ciel. La ville se réveillait lentement, tandis que les travailleurs terminaient leurs rituels matinaux et se dirigeaient vers leurs bureaux respectifs. Les grands boulevards se remplissaient alors que les réverbères s'éteignaient les uns après les autres. Bientôt le chant des oiseaux et la quiétude du moment seraient remplacés par le martèlement incessant des pas de milliers de personnes déambulant sur le bitume parisien.

Et c'est par une de ses nombreuses silhouettes, se fondant dans la masse de la population française, que la petite fille fut découverte. Seule, abandonnée dans une rue sombre, avec pour seule couverture face au monde une robe de soie blanche brûlée. Elle devait avoir cinq ans tout au plus. Elle possédait deux grands yeux sombres, où l'étincelle innocente propre aux enfants avait déjà disparu, et une cascade de boucles noires encadrant son visage basané. Mais ce qui la rendait si unique étaient sans nul doute les filets de lumière bleutée qui s'échappaient de ses doigts. Elle s'appelait Anoukis.

Au 22ème siècle, dans les environs de Paris.

L'orphelinat Michael était différent des autres. Vu de l'extérieur, c'était un orphelinat bien banal, comme on trouvait des milliers. Avec ces vieux murs qui avaient traversé les époques et accueilli tout au long les enfants abandonnés, perdus. Les pupilles des grandes guerres mondiales, les survivants de guerres familiales, les naufragés d'un voyage amoureux échoué, les rescapés d'une vie violente, et tous les autres, tous ceux qui n'avaient pas eu le temps de vivre et dont les adultes avaient décidé qu'ils commenceraient leur vie seuls et en questionnement. Mais ce qui différenciait cet orphelinat des milliers d'autres, c'était sa population. Oh, il y avait des enfants de tout âge, bien sûr, des trop jeunes pour marcher ou parler, des trop vieux pour être adoptés, des trop étranges dont on savait qu'ils passeraient d'une maison à l'autre sans y rester. Il y avait des grands, des petits, des roux, des blonds et des bruns. Il y avait des noirs, des typés, des venus du monde entier. C'était une mini-société, un microcosme où les cultures, les cris et les odeurs se mélangeaient, s'entrechoquaient, s'épousaient et créaient un nouvel univers. Des enfants, des dizaines d'enfants plus touchants les uns que les autres.

Mais ces enfants-là avaient tous une particularité. Ils n'étaient pas sourds, pas muets, pas fous, pas atteints d'une quelconque maladie. Mais ils étaient la représentation même d'une tranche de la société que l'être humain essayait de cacher vainement. Ils étaient des mutants.

Attention, pas de ces mutations qui vous donnent la peau verte et les yeux globuleux ou une élasticité du corps incroyable. Aucun enfant n'avait de tentacule, ou un seul œil, et personne ne venait d'une autre planète ou d'un monde souterrain. Non.

Mais il y avait Anaïs, qui pouvait déplacer les objets d'un simple mouvement de la main. Ou bien encore Emrick, enfant colérique et capricieux, qui faisait exploser les ampoules à chacune de ses crises. Ou encore Nicole qui s'amusait à changer régulièrement d'apparence et à rendre folles les sœurs. Nino appréciait particulièrement le jardinage et avait réussi à faire pousser un citronnier en moins de deux semaines. Peut-être que son don y était pour quelque chose.

Mais il y avait également ces enfants dont le don pouvait être plus dangereux. Marina avait, sans le vouloir, mis le feu à sa chambre après un cauchemar. Arthur s'était retrouvé trop souvent en dehors des murs de l'orphelinat, au milieu de la route, apparaissant soudainement devant une voiture. Être somnambule et avoir le don de téléportation n'était pas la meilleure des associations. Surtout à l'heure de la sieste. Enfin, il y avait Anoukis. Une petite fille secrète, renfermée sur elle-même et apeurée par le monde. Personne ne la touchait, elle ne touchait personne. Car son don était rare, mais extrêmement dangereux. Quand elle passait, les belles fleurs de Nino se flétrissaient en quelques secondes. Les ampoules d'Emrick s'éteignaient avant d'avoir pu éclater. Le feu de Marina se mourrait comme une étincelle sous un coup de vent.

Anoukis était unique. Plus unique encore que tous les enfants de l'orphelinat. De ses doigts s'échappaient d'étranges filaments luminescents et bleus. Les autres enfants l'avaient surnommée « Mange-tout ». Elle n'avait pas gros appétit. Mais son pouvoir, oui. Elle avait la capacité d'aspirer l'énergie et la vie de toutes choses.

Et parce qu' Anoukis était aussi dangereuse qu'elle était bienveillante, aussi douce qu'elle était intelligente, elle avait décidé à ses huit ans, pour le bien de tous mais surtout des autres, de se mettre en retrait de la société. Elle avait sacrifié son enfance pour la vie d'autrui. Mais ce qu'elle ne savait pas encore, c'est que le destin mettrait sur son chemin un petit bout de bonheur sous les traits de l'amitié.

C'était le 13 novembre 2106 que l'incident eut lieu. Il était six heures du matin et au loin l'horizon s'ornait de rose orangé alors que les rayons du soleil venaient doucement réchauffer les corps endormis dans les chambres. C'était le lever du soleil. Le ciel alors noir venait de se colorer de mille façons. De longs filaments de coton roses et oranges s'y déposaient quand le soleil jouait avec ses rayons dans la vapeur des nuages. Les lueurs traversaient les buildings de verre et s'y reflétaient par milliers, caressant les murs de granite de la ville, révélant l'âge et le temps passé de ses rues. Dans la chambre 13 de l'orphelinat Michael, une petite fille ne dormait plus. Elle regardait le ciel ses grands yeux verts perdus dans les nuages moutonneux. Mais bientôt son attention fut portée au mur de gauche d'où semblaient s'échapper quelques gémissements douloureux et des sanglots étouffés. C'était la chambre d'à côté. La Chambre Interdite. Nicole n'avait jamais vraiment compris pourquoi la petite fille qui y dormait y était seule. Elle se disait qu'elle avait bien de la chance, elle qui n'avait pas à partager ni ses jouets ni sa chambre. Alors pourquoi pleurait-elle ? Nicole avait toujours été d'une nature curieuse. C'était une enfant pleine de vie et d'interrogations. Elle riait beaucoup, aimait danser, chanter et apprendre avec les sœurs. Elle avait cinq ans et arrivait déjà à écrire sans se tromper son prénom si long et un peu désuet. Elle était aussi ce que l'on appelle une forte tête. Lorsqu'elle se posait une question ou qu'une chose l'intriguait, elle cherchait une solution ou une réponse jusqu'à ce qu'elle l'ait trouvée. Et ce matin-là, elle se demandait pourquoi la petite fille aux cheveux bouclés pleurait.Elle descendit alors de son lit, crapahuta de ses petits pieds sur le parquet poli de l'orphelinat, prenant bien garde à ne réveiller aucun de ses camarades, et encore moins les sœurs. Elle sortit vite de sa chambre, se dirigeant sans peur -ou presque- vers la Chambre Interdite. Une fois arrivée devant la porte, elle inspira un grand coup, rassemblant tout ce courage pour appuyer sur la poignée et entrer dans la chambre. C'était une grande pièce, belle bien qu'un peu vide et froide. Il y avait un petit lit dont les draps blancs laissaient apparaître un corps d'enfant endormi. Du côté droit de la chambre quelques jouets traînaient. Une poupée, des voitures, des dessins et quelques feutres. Des petits sanglots attisèrent l'attention de Nicole qui se dirigea dans le lit et y monta. C'était la petite fille aux cheveux bouclés noirs, dont s'échappaient des mains de belles lueurs bleues. Nicole regardait ses doigts, serrés autour d'une veille peluche de lapin limé, bleui par le temps et son pouvoir. La petite pleurait toujours, bien qu'elle ait perçu qu'un poids étranger s'était ajouté au sien et faisait un peu plus plier le matelas. Nicole s'approcha et tendit la main vers le front de la jeune fille qui, dans un élan de protection, recula soudainement et manqua de tomber hors du lit. Mais Nicole la retenait. Par la main. Nicole la touchait. Et rien ne se passé. Anoukis ouvrit de grands yeux, et murmura :

- Tu n'as pas mal ?

- Pourquoi je dois avoir mal ? lui demanda sincèrement la petite rousse, ses yeux verts étonnés, après avoir rebasculé sa camarade sur le lit.

- Je ne sais pas, chuchota la métisse. Quand je touche les gens, d'habitude, ils ont mal.

- Bah pas moi, parce que, moi, je suis invi... inv-invincible ! s'écria Nicole, souriant doucement.

- Invicible ? C'est quoi ? demanda Anoukis.

- Non, pas invicible. In-vin-cible. Ça veut dire que je suis très forte ! répondit Nicole.

- Très forte ? Pourtant, tu es toute petite ! Moi aussi, je suis très forte. C'est les sœurs qui me l'ont dit.Tellement forte que je pourrai te faire mal. Mais je le ferai pas, tu as l'air gentille. Et les gens, d'habitude, sont méchants avec moi. Surtout les garçons ! Parce qu'ils savent que j'ai pas le droit de les toucher. Parce que ça leur fait mal.

- Alors je le ferai pour toi. Parce que maintenant, tu es ma copine.

À ces mots, le petit cœur d'Anoukis se gonfla de joie. Enfin, elle avait une amie. Une amie qu'elle ne craindrait pas de toucher. Une amie qui pourrait lui faire des bisous, des câlins, la consoler et lui tenir la main. Une amie qui la protégerait face à l'incompréhension et à la peur des gens.

- Je m'appelle Anoukis, chuchota la petite brune, les yeux baissés et le visage caché derrière ses boucles noires.

- Je vais t'appeler... Nouki, décréta l'enfant. Moi c'est Nic-Nicole. Mais je préfère Niki.

Et un peu plus tard dans la matinée, c'est avec stupeur que les sœurs découvrirent deux petites filles endormies dans les bras l'une de l'autre dans la chambre interdite. Elles respiraient calmement, leurs petits corps s'épousant parfaitement et leurs chevelures se mélangeant dans un tableau étrange. Les boucles rouges se croisaient aux boucles brunes tandis que dans l'air s'élevaient des filets de lueurs bleues.


Texte publié par TAY, 30 janvier 2016 à 18h09
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