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tome 3, Chapitre 4 « Verticalité du Rêve » tome 3, Chapitre 4

— Jareth ?

L’intéressé releva la tête, il portait entre ses bras le corps mou de l’enfant ; la tête posée au creux de son épaule. Giovanni le fixait, le médaillon entre ses mains. Derrière lui, une épaisse brume leur coupait toute retraite, en même temps qu’elle engloutissait quiconque s’y aventurait. Encore une fois, Jareth se pencha sur l’enfant qui, stoïque, avait accepté son sort avec une singulière sérénité. Son regard avait croisé le sien et il avait souri sans qu’il n’en eût saisi la raison, puis il s’était emparé du flacon et l’avait ouvert. Du goulot s’échappaient des volutes bleutées ; chacun semblait renfermer l’âme d’un songe dont on aurait capturé l’essence. Au travers des vapeurs, il croyait apercevoir les contours d’une plage de galets noirs et d’une jetée qui n’aurait pas eu de fin. Puis elles disparurent, à la place se tenait deux silhouettes au regard étrange et empli de sagesse.

— Tu es dans le Rêve !

— N’oublie pas, Jareth !

Au loin, il entendait les bruits de pas d’un animal, les sabots d’un cheval qui foulerait le sol.

— N’oublie pas ! répétait-il sans comprendre.

Oublier quoi ? La vision se dissipa. Des flammes montaient dans le firmament tandis qu’une épaisse fumée envahissait l’atmosphère. Au travers, il devinait les restes calcinés d’un campement où étaient allongés des dizaines de corps ; un homme riait à gorge déployée. Un instant, il crut capturer son regard, mais c’était une femme qui lui faisait face, le visage dissimulé sous une capuche. Soudain, elle posa un doigt sur ses lèvres et l’image s’effaça ; le bruit d’un cheval au galop se rapprochait, semblable au roulement des tambours de guerre.

Noir, tout était noir ; seules luisaient les têtes argentées suspendues en guise de plafonnier. Autour de lui, les fantômes erraient, les orbites vides. Certains l’esquivaient, d’autres le traversaient ; tous étaient muets. Au milieu, l’enfant trônait, roi aveugle d’une foule désincarnée, et toujours les échos, les échos d’un cheval au galop.

— Ce n’est pas moi que tu cherches, murmurait l’enfant depuis son assise faite de la matière des morts.

— Pas toi ? rétorqua Jareth, dont les yeux esquivaient ceux des spectres.

— Pas moi ! affirma avec malice l’enfant tandis qu’il se dépouillait de son enveloppe humaine.

Pendant ce temps, l’assemblée fantastique poursuivait sa marche erratique, indifférente à la métamorphose de leur « roi ». Égaré, Jareth se retourna ; une porte était entrouverte et s’en échappait un chant funèbre. Il hésitait.

Sur le trône, l’enfant n’était plus, à la place régnait une créature obscure et monstrueuse, à la face hideuse. De l’autre côté, il apercevait une clairière, déserte, dépourvue de chaleur et de couleur ; un homme l’y attendait, le visage dissimulé par des mèches épaisses.

— Ce n’est pas moi que tu cherches, gronda l’enfant-monstre dans son dos.

Jareth s’avança de quelques pas en direction de la porte sur l’enfer.

— Si ce n’est pas toi. Que fais-je en ce moment ? rétorqua-t-il.

— Tu contemples la flamme sur l’hiver, la saison au cours de laquelle l’âme se repose et se régénère.

Était-ce en lieu qu’ils se rendraient ? Il ne possédait pas la réponse. L’enfant avait affirmé que seul le sommeil du monstre lui permettrait de franchir le seuil du Métamonde, ensuite le chant du songe les guiderait. Était-ce là la nature du murmure qu’il entendait ?

L’homme patientait toujours ; derrière lui se découpait la silhouette d’un formidable animal dont l’ombre gigantesque semblait couvrir le paysage de ses ténèbres.

— Pourquoi hésites-tu Voyageur ? Lui lança soudain l’homme assis. L’Arpenteur a déjà franchi le seuil.

Un coup de vent releva ses mèches et révéla un visage empreint de gravité et de sérénité et un regard semblable à celui de l’enfant. Pourtant, le doute le hantait toujours.

— Ne dis pas un mot, Voyageur, le coupa l’homme. Tes sens ne t’ont ni abusé ni trompé. Je suis celui que tu appelles l’enfant et je ne le suis pas. Je suis mouvant et persistant. Je suis un songe vivant et mon rôle sera de vous guider dans le Métamonde.

À côté de lui, une jument majestueuse était apparue ; sa robe avait les couleurs de la nuit la plus profonde et sa crinière possédait les couleurs des étoiles les plus pâles.

— Suis-la et elle te conduira jusqu’à ce que tu es venu chercher. Ignore-la et tu t’égareras à jamais, ajouta-t-il.

L’homme s’était avancé et sa tête touchait presque la sienne. S’il en avait éprouvé le désir, alors il aurait pu lui effleurer le museau.

— Jareth !

Une main se plaqua sur son épaule. Giovanni dardait sur lui un regard plein d’inquiétude. D’autres bruits lui parvenaient, coups, râles, cris d’effroi ; échos d’une tragédie en devenir. L’ancien capitaine de la garde secoua la tête.

— Nous sommes les porteurs de songe, Jareth. Il nous appartient d’accompagner le Gardien des mondes.

Dans l’embrasure de la porte, une femme vénérable se tenait debout, fière, le front haut. Était-ce un reflet ?

— Je suis prête. L’êtes-vous ? murmura-t-elle.

Mais il n’eut pas le temps de répondre, elle avait déjà disparu et avait cédé la place à la jument à la robe noire.

— Mélamine, souffla-t-il.

L’animal hennit. Il ignorait d’où lui venait cette connaissance ; elle l’habitait et il s’en contentait. Giovanni, lui, avait déjà franchi le seuil et s’enfonçait dans le paysage désolé.

— Partez, Jareth ! Je ne saurais les retenir plus longtemps encore !

Il tressaillit. La voix, il la reconnaissait, bien qu’il ignorât à qui elle appartenait. Le souvenir d’un baiser fugace, caresse éphémère, tout cela l’effleurait ; il frissonna. Une larme de sang reposait au creux de sa paume, enchâssé dans une griffe d’argent ; autour de son poignet, la chaîne s’agitait, impatiente. Jareth soupira et la chaîne avait alors entamé sa reptation le long de son bras, avant de s’enrouler autour de son cou. Un trouble était passé dans les yeux de la femme qui le lui avait confié. Réjouissance ? Inquiétude ? Il n’aurait su trancher ; la jument lui lécha les mains. Que cherchait-il ? Cherchait-il seulement quelque chose, sinon un chemin au travers des mondes ? De nouveau, il tendit la main vers le museau de l’animal, puis posa un pied sur le sol dépourvu d’aspérité. Une brise légère lui effleurait le visage en même temps qu’elle transportait avec elle une délicate odeur de sous-bois. Toutefois, il n’osait franchir le seuil et entrer de plain-pied dans l’aréalité, quelqu’un le retenait. Ses doigts s’égarèrent un instant sur le pendentif d’où s’échappa un long murmure. Il n’en saisissait ni les paroles ni le sens, seulement l’empreinte des émotions dans le flot.

Il était de l’autre côté, il avait oublié. L’enfant-homme l’attendait, désormais assis au pied d’un chêne ; Giovanni était revenu. Où était l’enfant ?

— Il ne tardera pas, lui confia l’animal. Vous le retrouverez là-bas.

Jareth acquiesça et s’avança de quelques pas. Par curiosité, il se retourna. Mais rien ne lui était donné à voir, sinon la vision d’une clairière sans couleur baignée par la clarté d’un soleil sans horizon. Rien ne le retenait, rien ne le soulageait ; un vide l’habitait. Mais cela passerait, il le savait, et il oublierait.


Texte publié par Diogene, 15 novembre 2018 à 17h42
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