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tome 2, Chapitre 39 « Le Serment des Ombres » tome 2, Chapitre 39

Un pli sombre barrait son front. Giovanni lui avait fait parvenir un message et les nouvelles qu’il découvrait ne le rassuraient guère. Le seigneur Baldavi avait accepté de repousser de quelques jours sa rencontre ; nul doute que la présence de mercenaires de Styrr était remontée jusqu’à ses oreilles. Assise à côté, le coude posé négligemment sur le comptoir, Nyx dardait sur lui un regard plein de morgue et de mépris, souligné par un sourire des plus ironiques. En ce lieu, où se bousculait une foule populeuse et hétéroclite, elle était redevenue cette reine de glace, cruelle, que rien ne semblait troubler ni atteindre. Le cœur déchiré, Jareth se donnait bonne contenance et lui rendait son sourire. Habillé à la manière d’une courtisane, il ne se dégageait pas moins d’elle, une mâle assurance. Ses lèvres s’étaient étirées et dévoilaient désormais une fine dentition. Du bout de l’index, elle traça un glyphe sur le bras de son compagnon, puis se saisit de son verre d’hypocras.

– Que craignez-vous ainsi, Jareth ? avait-elle murmuré, la coupe à hauteur de ses yeux.

Ourlé par la liqueur pourpre, il crut un instant se noyer dans les reflets de ses prunelles céruléennes.

– Ne vous ai-je point assuré de ma loyauté ? N’ai-je point donné ma parole à Dame Nostria ?

Les lèvres à fleurs du breuvage, elle contemple l’homme désemparé qui lui fait face. Mal à l’aise, il osait à peine soutenir le regard de cette femme dont il connaissait désormais le secret. Qui s’adressait à lui en ce moment même ? Elle ou lui ? Lui ou elle ? Ellui ? Une sueur glacée coula le long de son échine. Troublé par ses sentiments, autant que par la colère qui l’étouffait, il faillit en oublier le rôle qu’il tenait.

– Vous semblez absent. Que vous arrive-t-il, Jareth ? minauda-t-elle comme elle se penchait vers sa figure ; son souffle dans l’oreille. Vous rendrai-je tout chose ?

Il sentait la pointe de sa langue l’agacer tandis qu’une main habile se glissait sous ses habits. Raide, il sentait la rage et la fureur montée en lui, semblable aux vagues scélérates, surgissant de nulle part. Un instant, il crut la repousser. À la place, il se recula et lui offrit un sourire entendu.

– Ma foi… c’est fort possible, ma dame, ronronna-t-il. Sans doute, désirez-vous autre chose.

Les doigts autour de son verre, il l’éleva à hauteur de ses lèvres, les yeux plantés dans ceux de sa fatale compagne.

– Pourquoi pas ? susurra-t-elle.

– Hélas, je crains que nous n’ayons guère de temps pour la bagatelle, ajouta-t-elle, une pointe de regret dans la voix, à moins que ce ne fût une autre manière de se jouer de lui.

Dans ses veines, le sang de Jareth bouillonnait. Il avait encore à la bouche le goût de la liqueur écarlate et un frisson de plaisir le traversa. En cet instant, il n’avait qu’un seul désir, mordre sa chair nourricière et s’enivrer de ce liquide qui irriguait son corps de déesse. Soudain, elle posa un doigt sur ses lèvres.

Allongé dans une couche moelleuse, il avait découvert dame Nostria, le visage grave ; à quelque pas de là se tenait dame Nyx. Malgré l’assurance qu’elle affichait, il avait perçu le malaise qui l’habitait ; comme il aurait désiré la découvrir seul.

– Hélas dans votre état, jamais vous ne serez en mesure de remplir votre mission, avait murmuré Nostria. Cependant, il est une autre voie, aussi dangereuse que périlleuse ; le prix pourrait en être votre âme.

Il avait capturé en cet instant le regard de Nyx, partagée entre réjouissance et résignation.

– Dame Nyx, ici présente, vous l’expliquera, avait-elle alors ajouté avant de s’éclipser.

La porte s’était refermée et la pièce était devenue silencieuse. Par la fenêtre, un rayon de soleil avait pénétré la chambre et avait plongé Nyx au milieu d’un halo mordoré qui soulignait un peu plus la démesure de sa beauté. Cependant, en cet instant, elle avait semblé perdue, comme égarée ou bien apeurée. Anxieuse, elle s’était mordu les lèvres presque jusqu’au sang.

– Dame Nyx, j’ai fait un serment. J’ai juré de protéger l’Enfant au-delà de ma vie, avait-il murmuré.

Inquiet, il la contemplait, elle avait détourné le regard ; son cœur avait mal.

– Quel est le prix, Nyx ? avait-il insisté.

Le visage pâle, Nyx avait fermé les yeux comme pour chasser le trouble qui la tourmentait. Au fond de son âme, rage et haine bouillonnaient ; elle n’était plus maîtresse d’elle-même. Détachée, elle avait contemplé son être en proie au chaos. Elle avait ri, mais le ton sonnait faux. Puis, elle avait plongé son regard dans celui de l’homme couché.

– Le sang est la source de toute vie. Le sang est vie et le mien est maudit, lui avait-elle murmuré, penchée à son oreille.

– Jareth ! Nous désirons tous l’Enfant et chacun d’entre nous possède ses raisons. J’ai brisé bien des personnes, des adversaires… ou non. Pourtant, je me refuse à vous.

Ses doigts avaient couru sur son visage et surlignaient ses traits meurtris. Jareth avait éclaté de rire, puis était redevenu silencieux ; la mine sombre. Soutenant le regard nerveux de Nyx, il avait tourné sa figure en direction de la fenêtre.

– Quelle importance cela peut-il revêtir ? Je suis un travesti ! J’erre dans les ténèbres depuis l’aube de ma vie, à la recherche d’une âme qui sans cesse m’échappe. Je ne suis qu’une chimère privée de lumière ; un être à la recherche de lui-même. Mes souvenirs ne sont que des bribes d’événements passés, présents ou futurs, masqués par les faux-semblants. Seul mon serment envers l’Enfant m’empêche de sombrer dans la folie.

Nyx avait retiré sa main.

– Vous êtes quelqu’un plein de surprises, en plus d’être un homme de ressources, avait-elle susurré.

Elle avait marqué une hésitation, en même temps que son cœur avait manqué un battement. Marcher dans les pas de Nyx devenait semblable à une danse au-dessus du volcan. Un seul faux pas et le joueur passait de vie à trépas. Cependant, quelque chose avait changé dans le regard de cette femme si redoutable. Nyx avait prêté serment, elle aussi, mais cela n’expliquait pas sa conduite. Il avait été blessé et elle l’avait recueilli. Alors en proie au délire de la fièvre, couché sur un matelas d’herbes et de mousses dans une grotte à l’abri de tous, il avait lu une singulière sérénité au fond de ses yeux. Était-ce le contact d’avec cette chose qui l’avait libéré de son emprise ? À cette question, il ne possédait aucune réponse. Même en cet instant si intime, il s’interrogeait. Qui se jouait de qui ? Si au fond, rien de tout cela n’était vrai, que seul l’enfant l’intéressait. Tout le reste ne serait-il que fantasme de sa part ?

– Pourquoi hésitez-vous, Nyx ? avait soudain murmuré Jareth.

Elle avait alors détourné le regard, comme pour ne pas croiser celui de cet homme sans image. Elle avait longuement contemplé l’index auquel elle avait glissé un chaton, achevé par une griffe acérée. La pointe scintillait dans la pénombre et renvoyait les rayons du soleil.

– Peut-être n’est-ce qu’une illusion, Jareth, avait-il soufflé tandis qu’elle avait découvert la peau laiteuse de son poignet.

Silencieuse, elle avait alors fendu la chair sous le regard fasciné de Jareth qui n’avait su détacher ses yeux de l’étrange spectacle. La figure illuminée, un sourire ironique peint sur les lèvres, elle lui avait tendu le bras.

– Je vous en prie, Jareth, avait-elle murmuré.

À la surface affleuraient de fines fleurs écarlates. Longtemps, il les avait contemplées sous le regard amusé de Nyx ; elle avait ri lorsqu’il avait plaqué ses lèvres sur sa chair délicate. D’une main distraite, elle avait caressé ses cheveux bouclés, en même temps que des larmes coulaient le long de ses joues. Soudain, elle l’avait repoussé avec douceur ; du sang maculait la commissure de ses lèvres tandis qu’un feu nouveau avait illuminé ses prunelles. Il avait désiré revenir, s’emparer de cette source avant qu’elle ne se tarît et enfin dévorer l’être qui l’avait fait renaître. Il aurait suffi de si peu pour qu’elle en fût devenue la maîtresse. Pourtant en son cœur sourdait la détresse, en même temps qu’elle se réjouissait, partagé qu’elle était.

– Pourquoi ? avait chuchoté Jareth. Pourquoi me refusez-vous ? Pourquoi ne pas me soumettre ?

Surprise, Nyx avait étréci les yeux, les lèvres pincées, un voile noir et fugace avait recouvert son visage ; la tête posée sur ses cuisses, Jareth s’était endormi. Soulagé, ses lèvres s’étaient étirées en un sourire sardonique tandis que ses doigts s’attardaient sur les veines saillantes de son cou. Vulnérable, il lui aurait suffi d’un rien pour mettre un terme à son existence. Rêveuse, elle lui avait soudain paru lointaine, inaccessible ; au fond de sa poitrine, son cœur s’était arrêté. Elle s’était alors levée, non sans border l’homme endormi, puis s’était éclipsée sans un bruit.


Texte publié par Diogene, 9 juillet 2018 à 19h55
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