La princesse ignorait combien de temps elle avait ainsi dormi ; c’était le cri d’une minuscule souris. Son pelage était gris et elle était à peine plus grosse que trois petits pois. Elle n’avait pas remarqué la présence de la princesse, trop absorbée par la contemplation des tas immenses tas de fèves qui se dressaient un peu partout. Soudain, elle l’aperçut et elle courut se réfugier entre deux barriques.
– Pourquoi t’es-tu enfui, petite souris ? l’appela la princesse.
– Je fuis, car je sais quel sort l’on réserve à ceux de mon espèce ! rétorqua l’animal.
– Mais enfin, je n’ai nulle intention hostile à ton encontre ! se récria la jeune fille.
– Que tu dis ! Tu possèdes l’épée Trinkeseelen et tu frayes avec les démons ; tu l’es l’invité du seigneur Azazel.
– Trinkeseelen m’a été confié et elle m’a par la suite aidée. Grâce à elle, j’ai pu retrouver le véritable seigneur Azazel et conservez mon âme. Ensuite, en échange d’un morceau de ma langue, elle m’a aidée à trier toutes ces fèves ainsi que me l’avait ordonné le seigneur Azazel, lui expliqua la jeune fille par le menu. Maintenant, que veux-tu donc, petite souris ?
L’animal sortit de sa cachette et lissa ses longues moustaches.
– Je vois que ton cœur est pur, mon enfant et tes intentions sont dépourvues de toute animosité, convint la créature. Permets-moi, ainsi qu’à mes frères et sœurs, d’emporter une fève de chaque.
– Mais… bredouilla la princesse. Ne s’en apercevront-ils point ?
L’animal eut un instant d’hésitation, puis se reprit.
– Ma foi, cela se pourrait. Tu n’auras qu’à affirmer qu’ils se seront trompés lors de la pesée.
Puis, comme la princesse demeurait silencieuse, elle siffla et une foule de souris jaillit des murs pour se précipiter vers les tas ; une pour chacun. Sitôt la fève entre leurs menues pattes, elles disparurent comme elles étaient venues.
– À mon tour, de te remercier pour ta générosité, déclara la première, comme elle lui tendait une petite pièce de cuir. Prends ceci. Surtout, cache-le avec soin, tu en auras besoin plus tard.
– Merci, petite souris, murmura la princesse.
– Je disparais. J’entends le bruit de pas de ces démons ; ils seront là bientôt.
À peine se fut-elle éclipsée, que le juge-arbitre et le seigneur Azazel pénétraient dans la pièce.
– Alors jeune fille, où sont mes fèves ? Ont-elles été trié avec soin, comme je te l’avais ordonné, susurra, onctueux, le démon majeur.
– Il en a été selon vos ordres seigneur démon, murmura la princesse en s’agenouillant humblement devant les deux créatures.
Les bouches du seigneur Azazel se tordirent de manière hideuse tandis que le juge-arbitre arpentait la pièce l’air mauvais.
– Je vois qu’il en manque, jeune fille, maugréa-t-il comme il examinait l’un des tas.
– Surtout pas seigneur ! s’exclama la princesse. Je n’aurai jamais eu à cœur de vous voler. Ce seront vos gens qui se seront trompés lors de la pesée. Je suis certain de n’en avoir oublié aucune.
– Nous verrons, grogna-t-il, comme il achevait son inspection.
– Fort bien, jeune fille, grinça-t-il comme il avait fini. Nous allons te renvoyer dans tes quartiers, le temps, pour nous, de préparer la seconde partie de ton épreuve.
Puis d’un signe, il ordonna que toutes les fèves fussent évacuées et une cohorte d’esclaves de tous âges et de toutes races entra et se mit à l’ouvrage. Les yeux baissés, précédée sur seigneur Azazel, la princesse remonta la foule silencieuse et résignée. Parfois, elle croisait un regard, mais il se détournait aussitôt.
– Avance ! la pressait le démon, comme elle s’attardait.
Enfin, ils arrivèrent devant la porte de sa chambre, où il l’abandonna, un sourire mauvais sur ses trop nombreuses lèvres.
– Nous verrons demain si tu fanfaronneras encore, demoiselle, ricana-t-il comme il refermait le panneau avec fracas.
Dans la chambre, le silence régnait en maître et la princesse ignorait si elle pouvait se réjouir de se trouver encore en vie. Assise sur le lit, elle posa à côté d’elle Trinkeseelen, puis sortit des plis de sa tunique le petit carré de cuir que lui avait remis la souris. Il avait la couleur de la chair et était étonnement souple ; au toucher, elle l’aurait cru vivant. Mais ce n’était qu’un morceau de chair morte, il lui fallait se rendre à l’évidence, et elle le déposa à côté de son épée. Du bout des doigts, elle le caressa puis se leva et marcha en direction de la fenêtre. Un gargouillis jaillit de son ventre ; elle n’avait rien mangé depuis qu’elle avait pénétré ces terres démoniaques en compagnie de Mélanime. Cependant, elle doutait que ses hôtes lui offrissent quelques nourritures qui la soulageraient de sa faim. Pourtant, à peine eut-elle formulé son souhait que l’on frappa à la porte. Étonnée et un peu effrayée, elle s’avança vers la porte de sa chambre. Mais lorsqu’elle l’ouvrit le couloir était désert et plateau fumant avait été déposé sur le sol. Elle s’en empara et le porta sur le guéridon situé à côté de la fenêtre. Elle remarqua alors un pli dissimulé sous un pichet en étain. Curieuse, elle le déplia, mais le reposa bien vite, déçue ; la page était vierge de toute écriture. De l’assiette, couverte par une cloche d’argent, s’élevait une délicieuse odeur de grillade. Pourtant, elle n’osait pas y toucher, car elle savait que quiconque goûterait la nourriture des enfers y demeurerait à jamais. Mais alors qu’elle se tournait vers la fenêtre pour admirer la vue qui s’offrait à elle, un nuage qui cachait la lune fut chassé par un coup de vent capricieux. Un fin rayon laiteux passa alors par le vitrail et illumina l’étrange parchemin qui se mit à scintiller d’une légère lueur mordorée.
Princesse,
En remerciement de ta générosité mes frères et sœurs, ainsi que moi-même,
nous t’avons préparé ce modeste repas ; des mojettes accompagnées d’un peu de liqueur de messe.
Puisse-t-il t’apporter le courage pour surmonter l’épreuve qui t’attend demain.
Les souris des fèves.
Put-elle lire. Mais sitôt qu’elle l’éloignait de sa source, les minuscules lettres disparaissaient et le feuillet redevenait un innocent fragment de vélin. À cette vue, la princesse sourit de leur ruse et s’attabla ; les mojettes sentaient si bon, la liqueur de messe les épices et le miel.
– Merci , murmura-t-elle à l’adresse de ses invisibles marraines.
Par précaution, elle se glissa vers la porte et vérifia que les verrous étaient poussés ; ses hôtes étaient certes des démons, mais ils n’en respectaient pas moins leur invité, à moins que ce ne fût qu’un jeu de plus. Rassurée, elle se précipita alors vers le guéridon qu’elle disposa au plus près de la fenêtre, d’où elle pourrait admirer en toute quiétude le ciel étoilé qui se dévoilait. Le visage perdu dans la contemplation de l’orbe girond suspendu dans les airs, elle en oubliait sa condition, en même temps qu’elle se régalait. Chaque bouchée semblait posséder un goût différent et lui rappelait sans cesse des souvenirs heureux de sa vie d’avant, dont elle ne détenait plus que des fragments. Elle ne savait pas si elle devait éprouver des regrets ou de la tristesse, tant son cœur était serein malgré la douleur qu’il pouvait y avoir à se remémorer le passé.
La coupe à la main, l’autre posé sur la fenêtre, la princesse dessinait du bout de l’index des créatures extraordinaires à l’aide des étoiles dans le ciel. En contrebas, elle aperçut une jument noire ; les yeux tournés eux aussi vers la voûte céleste. Que voyait-elle ? Y créait-elle comme elle des choses intemporelles ? Mélamine était la tisseuse de conte. Qui sait ce qu’elle serait capable de faire avec le champ infini du ciel ? Soudain, elle reposa sa coupe et s’en fut cherché Trinkeseelen.
– Pardon, murmura-t-elle.
– Pourquoi s’excuser Princesse ? rétorqua l’épée.
– Parce que je t’ai abandonné pendant que j’admirais le ciel.
– Admirez le ciel, princesse, et décrivez le-moi, car, hélas, je ne possède point d’yeux. Je suis seulement une rapière forgée dans le métal des étoiles.
– Ça ne fait rien ! rétorqua la jeune fille comme elle la brandissait au-dessus de sa tête, afin d’être baignée de la pâle lueur céleste.
Hélas, ses épaules étaient frêles et bientôt les forces lui manquèrent ; à regret, elle déposa la lame sur le guéridon au milieu d’une croix de lumière.
– J’ai présumé de moi-même, souffla-t-elle comme elle se frottait avec vigueur les bras.
– Ce n’est pas grave, la rassura Trinkeseelen.
– Vous devez vous reposer, demain la suite de votre épreuve vous attend ; il vous faudra être forte, ajouta-t-elle.
– Tu as raison, soupira la jeune fille.
Elle porta encore une fois la coupe à ses lèvres et la but jusqu’à la lie, les yeux perdus dans la contemplation de la lune gibbeuse. À bout de force, elle s’assit dans le fauteuil et s’endormit, alors qu’une ombre noire jaillissait hors de la lame maudite. Elle contempla un instant la jeune fille endormie, puis s’approcha et la glissa entre les draps. Son devoir accompli, elle fit apparaître au creux de ses mains un coffret de bois, dans lequel elle déposa avec précaution un morceau de chair rose, avant de souffler la chandelle.
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