– Ah ! Ah ! Ah ! Voici, jeune fille ! tonna le juge-arbitre. Le seigneur Azazel sera ton adversaire. Pour cette première épreuve, retrouve-le. Sache qu’il existe quatre reflets de lui-même que tu devras les exécuter à l’aide de l’épée que nous te confierons dans un instant. Cependant, pourfends-le et tu périras dans les pires souffrances. Trouve-le et ton âme nous appartiendra.
– Ah, soupira Mélamine à l’oreille de la Princesse. Comme j’aurais préféré t’épargner ces cruelles épreuves. Hélas, je ne suis pas maîtresse du chaos et de son seigneur.
– N’aie crainte. Je trouverai le seigneur Azazel.
– Et ton âme, Princesse ? Jamais, je ne me pardonnerai s’ils te l’arrachaient.
Dans l’arène, la foule grondait et s’impatientait. La jeune fille apaisa la jument d’une caresse sur le museau et s’avança vers le trône.
– Je suis prête, juge-arbitre ! s’exclama-t-elle, malgré les tremblements qu’elle réprimait.
En fond, elle entendait le ricanement, bruit de ferrailles et de limailles broyées, du démon susnommé Azazel. À gorges déployées, il dévoilait des rangées de crocs et de chicots, prêts à déchiqueter l’importun. Dans les gradins, la foule se gaussait de cette enfant intrépide qui prétendait relever le défi. Troublée, agacée par ce brouhaha, elle baissa ses paupières sur ses yeux meurtris. À la place de ses prunelles céruléennes, le juge-arbitre lui avait remis deux billes de verre de la même taille qui, aux dires de Mélamine, étaient du plus beau des gris. Toutefois, qu’elle n’avait été sa surprise lorsque pensant qu’elle serait condamnée à errer dans des ténèbres éternelles, elle découvrit un monde à l’envers du miroir, fait d’ombres et de reflets. Son amie était un cheval majestueux à la crinière de feu, tandis que les démons n’étaient autres que de petites créatures rabougries à l’égo au-delà de toute mesure. En son for intérieur, la princesse s’en amusait. Néanmoins, elle n’oubliait pas que si leur véritable apparence était celle de nains d’opérette et d’épouvante, il n’en demeurait pas moins des êtres cruels et mortels.
– Chère demoiselle, comme je te l’ai annoncé, nous allons te confier une épée, Trinkeseelen. Cette arme est la seule capable d’exorciser un démon et ses reflets. Bien sûr, tu serais tentée de la retourner contre nous ! Cependant, tu n’en feras rien et tu découvriras bientôt pourquoi, la gourmanda le juge-arbitre, dont la bave coulait de ses lèvres rougeâtres.
Autour de lui, la foule l’ovationnait. Tous se voyaient déjà se régaler de cette jeune fille impudente. Le calme revenu, il poursuivit.
– Donc les règles sont simples. Devant toi se présentent cinq seigneurs Azazel. Exorcise-les tous, à l’exception du vrai. Occis-le, et nous nous délecterons de ton âme, murmura doucereux, le juge-arbitre.
Stoïque, la princesse dissimulait du mieux qu’elle pouvait son trouble.
– À présent ! Que l’on fasse entrer Trinkeseelen ! vociféra-t-il.
Aussitôt jaillit de l’embrasure un démon à l’allure humanoïde, ses membres postérieurs étaient ceux d’un loup croisé avec un lion, et son torse luisant de sueur était couvert d’une fourrure éparse qui laissait entrevoir ses organes. Ses bras, au nombre de quatre, portaient un lourd coffre taillé dans du bois d’ébène. Son visage, une immense gueule rougeoyante, était surmonté d’un œil unique en dessous d’une corne blanche et démesurée qui ruisselait de sang. Arrivé à hauteur de la princesse, il lâche son fardeau qui s’écrasa sur le sol avec un bruit sourd. Puis avec un soin, presque religieux, l’étui précieux. À l’intérieur, sur un tissu moiré, reposait une magnifique rapière à la garde acérée et aux reflets argentés. La lame, métal chantant, psalmodiait un murmure entêtant.
– Elle est à toi, jeune fille, grogna le portefaix en haussant les épaules, avant de s’en retourner par là où il était venu.
– Fais-en bon usage ! lança-t-il alors qu’il franchissait un sombre portail.
Était-ce une marque de pitié ou d’affection de sa part ? La princesse le crut un instant. Mais ses pensées s’envolèrent dès qu’elle eut posé les yeux sur l’épée qui gisait sur le sol. De belle facture, elle semblait avoir été forgée pour l’apparat, bien qu’elle eût tous les attributs d’une arme de guerre. Elle marqua une hésitation, puis s’agenouilla auprès de la lame, sous les regards glaciaux de l’assemblée, du juge-arbitre et du seigneur Azazel. Du bout des doigts, elle en éprouva le métal. Froid au prime abord, il se réchauffait à mesure qu’elle prolongeait le contact, en même temps qu’un bourdonnement résonnait de plus en plus fort dans sa tête. Elle la connaissait par le truchement des nombreuses légendes qui se murmuraient à son sujet dans la multitude des mondes qu’elle avait déjà explorés.
– Trinkeseelen. Ainsi t’a-t-on baptisé dans ce monde ? souffla-t-elle d’une voix presque inaudible.
– Non ! Trinkeseelen a toujours mon seul et unique nom, car c’est en ce monde, nœud de tous les autres que je suis né dans des forges situées à des éons d’ici, princesse Fürst…
Mais l’épée n’alla pas plus loin. Sa voix venait d’être happée par un souffle puissant qui avait du cœur de la princesse.
– Qu’allais-tu dire ? s’exclama la princesse.
Autour d’elle, personne ne semblait remarquer contact qui s’était noué entre les deux protagonistes.
– Je… je ne sais plus. Veuillez me pardonner.
La princesse fut surprise par tant de déférence envers sa personne, mais n’en montra rien ; elle ne remarqua pas non plus la singulière brillance qui luisait désormais au cœur du pendentif dissimulé sous sa tunique. Elle se souvenait des paroles étranges du juge-arbitre au sujet de cette épée. N’avait-il pas affirmé que, jamais, elle ne la retournerait contre ses bourreaux ? La princesse clut les yeux et se saisit de l’arme d’une main ferme. Ses doigts se refermèrent avec lenteur sur la poignée tandis que, imperceptible, la garde en faisait autant, puis elle le souleva sans difficulté. Étonnée, elle en conclut que l’arme devait s’ajuster à la force de son propriétaire, car l’étui lui-même n’aurait expliqué les efforts colossaux du démon qui l’avait amenée.
– Je suis prête, seigneur Azazel, proclama-t-elle d’une voix neutre, la rapière brandie au-dessus de sa tête.
En cet instant, la lame émit un chant lugubre et sinistre qui fendit les cieux. Mais personne ne le remarqua, sauf Mélamine dont les yeux s’agrandissaient de surprise.
– Fort bien, susurra-t-il, accompagné de ses reflets. Je suis prêt ma foi. Frappe, si tu l’oses !
À ces mots, la princesse esquissa un sourire plein d’innocence.
– L’envie ne m’en manque pas, seigneur Azazel. Hélas, à présent que vous m’avez privé de mes yeux, comment puis-je frapper d’estoc ce qui je ne puis voir ?
– Ce n’est que cela, jeune fille, se moqua le démon. N’aie crainte, ton arme y pourvoira et guidera ta main, pourvu qu’elle ne tremble pas.
– Je vous remercie, seigneur Azazel, murmura la princesse en affermissant sa main sur la poignée de son épée.
Les yeux grands ouverts, elle contemplait les cinq démons, dont quatre n’était que les pâles copies de leur maître. Hélas, elle ne distinguait en aucune manière le vrai des illusions, malgré l’éveil de ce pouvoir qu’elle ne soupçonnait pas. Elle rejeta ses doutes, puis s’avança de quelques pas jusqu’à ne plus être qu’à deux longueurs de bois du seigneur et de ses reflets. Dans les gradins, la foule s’était tue ; un silence étrange planait sur l’assemblée. Soudain, la lame siffla, hulula et frappa au milieu de la poitrine, le démon assis à l’extrême droite. Un instant, ses yeux se figèrent, puis son regard glissa vers l’épée qui le traversait de part en part. Mais, il n’ajouta rien qu’il tomba en poussière. Au même instant, la princesse sentit une morsure au niveau de son poignet. Surprise, elle faillit la lâcher. Hélas, sa main était paralysée ; du haut de son fauteuil, le juge-arbitre, semblait savourer la scène. La douleur s’estompa vite, pendant ce temps quelque chose se déchirait en elle.
– Pourquoi as-tu fait cela ? souffla-t-elle à l’adresse de la lame.
– Parce que je le dois, lui rétorqua-t-elle.
La princesse voulut insister, mais elle sentit que cela serait inutile. Trinkeseelen était redevenu muet. Elle ne parlerait, que le second reflet abattu, et elle exécuta le seigneur situé à l’extrême gauche. De nouveau, la garde la mordit, mais avec plus de cruauté encore.
– Pourquoi as-tu fait cela ? demanda à nouveau la jeune fille.
– Parce que mon maître me l’a ordonné, riposta l’épée.
Dans sa poitrine, son cœur se déchira de plus belle.
– Souffrirais-tu, ma petite, s’enquit, d’un ton doucereux, le juge-arbitre.
Mais la princesse ne releva pas et planta sa lame dans le seigneur du centre qui s’évanouit dans un sourire plein d’ironie. Autour de sa main, la garde resserra son emprise tandis qu’au fond de sa poitrine son âme était mise à nue. Ainsi donc, tel était le sens de la remarque du juge-arbitre au sujet de cette épée. Jamais elle ne pourrait la retourner contre eux, car qu’elle pourfende le véritable seigneur Azazel et elle deviendrait son réceptacle, qu’elle frappe son reflet et elle dévorerait son âme. Dans sa main, la lame stridulait et vibrait. Où allait-elle donner le coup d’estoc, désormais qu’ils étaient deux ? La jeune fille ferma les yeux. Trinkeseelen connaissait son prénom. N’avait-elle point failli, avant de s’interrompre, proie d’une peur indicible ?
– Trinkeseelen, qui est donc ce maître qui t’a ordonné de dévorer les âmes de tous ceux qui te manieraient ?
Entre ses doigts, la lame tremblait avec violence tandis que surgit du néant l’image d’un homme, tout habillé de noir et aux yeux miroirs. À peine la princesse les croisa-t-elle, qu’elle fut prise d’épouvante et sa main frappa d’estoc le démon de droite, sous les regards glacés de l’assemblée muette.
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